On ne sait quasi rien de Johannes Vermeer (1632-1675). Tout au plus qu’il naquit, vécut et mourut à Delft, cité sans histoire ou presque, dans ces pays qu’on dit bas. Père d’au moins onze enfants, confronté à de fréquentes difficultés financières, et ravi à l'affection des siens à 43 ans il n’eut sans doute pas grand loisir et connut peu de tranquillité. C’est peut-être un peu pour cela que ses œuvres sont si rares. On estime tout au plus à quarante cinq tableaux sa production totale, dont seuls un peu plus de trente sont parvenus jusqu’à nous. Pas un dessin, pas une esquisse en revanche pour aider à comprendre sa démarche artistique, qui reste une énigme.
Pourtant les siècles n’ont fait que donner plus de splendeur à ses peintures dont l’harmonie picturale saisissante a traversé avec une force croissante le temps.
Il émane de son univers une quiétude sereine, un équilibre quasi parfait des formes et une intense et mystérieuse vibration des couleurs qui font de chaque tableau un inépuisable trésor. Son art est marqué à la fois par un réalisme rigoureux et une idéalisation envoûtante du quotidien. Comme tous les grands artistes, Vermeer transcende ce qu’il voit et ce qu’il transpose sur sa toile. Ses fameuses scènes intérieures accrochent l'oeil et on ne s’arrache à leur magnétisme qu’à grand peine. L‘artiste y opère une extatique synthèse entre le tout et les détails. Le théâtralisme de la mise en scène s’efface complètement devant la sublimation du réel. La même impression domine dans les deux seuls paysages qu’il nous a légués: la fameuse vue de Delft depuis le Schie Canal et la Ruelle aux altières maisons crénelées, faites de briques rouges. On pourrait passer une éternité à compter sans lassitude ces dernières et, comme Bergotte dans La Recherche du Temps Perdu, se pâmer jusqu’à en mourir, à force d’avoir fixé son regard sur le moindre “petit pan de mur jaune”...
Mais l’acmé émotionnelle est encore ailleurs. Peut-être peut-on l’approcher au plus près au spectacle de la Jeune Fille à la Perle. Rarement la technique, aussi minutieuse qu’experte, aura mieux servi l’Art dans son indicible dessein. C’est un absolu de tendresse, d’amour et de beauté qui vous subjugue en regardant cette créature à la grâce inextinguible. L’obscurité de laquelle surgit ce visage à peine sorti de l’enfance, lui confère un relief saisissant. Mais la douceur et la fraîcheur de la carnation tempèrent ce contraste, exprimant de manière poignante la fragilité humaine, face à l'abîme qui effrayait tant Pascal. Le regard a la limpidité de ce qui fait les rêves et l’on s’y perd avec délectation, sans jamais craindre de se noyer. De la bouche à peine entrouverte sourd une sensualité exquise, porteuse de tout ce que l’espérance peut avoir de juvénile, mais aussi d’un mélange de candeur, et d’inquiétude indéfinie. La simplicité des vêtements et de la coiffe est magnifiée par le chatoiement subtil des étoffes et se voit illuminée par le bleu céleste du turban. On peut y voir une puissante évocation de la liberté. Enfin, l’éclat hypnotique de la perle concentre toute la puissance retenue de ce portrait, focalisant l’attention tout en se faisant l’écho minéral étincelant de la suave clarté de la chair et de la lumière vivante émanant des yeux et des lèvres.
Une pure merveille qu’on ne peut cesser d’admirer comme portant la quintessence du génie humain, et qui procure à l’esprit un immense bonheur en même temps qu’elle l’entraîne dans une profondeur tragique...
Une pure merveille qu’on ne peut cesser d’admirer comme portant la quintessence du génie humain, et qui procure à l’esprit un immense bonheur en même temps qu’elle l’entraîne dans une profondeur tragique...
Admirable commentaire !
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