19 mai 2024

En lisant en écrivant

La disparition de
Bernard Pivot (1935-2024) devrait jeter un grand froid dans le monde littéraire et créer un vide terrible dans le bouillon de culture dont il fut l'agitateur infatigable.
Mais derrière les hommages en forme de rétrospective consistant à extraire des émissions passées les moments les plus croustillants, ce n’est en définitive qu’une vaguelette à laquelle nous avons assisté. Tout le reste n’est que littérature si l’on peut dire…
Derrière l’effacement du magicien des livres, beaucoup de questions se posent. Y a-t-il encore de grands écrivains aujourd’hui ? A l’ère de l’intelligence artificielle et du multimédia, y a-t-il encore une effervescence intellectuelle autour du romanesque, de la poésie, et des idées ? Y a-t-il même encore un peu de place pour le débat d’opinions et l’esprit critique ? On peut en douter…

Jamais les grands textes n’ont été aussi accessibles. Pour moins de vingt euros, vous pouvez vous offrir tout Baudelaire, Stendhal, Maupassant, Shakespeare, Tolstoï, Hugo, Bergson, Kant… Grâce à une liseuse électronique pesant quelques centaines de grammes, vous pouvez emporter cette imposante bibliothèque partout où le vent vous mène, et y ajouter tout ce qui vous chante, sans poids ni encombrement supplémentaire.
Après la musique et le cinéma, l’écrit s’est dématérialisé et donc, totalement démocratisé. Si beaucoup de gens restent encore attachés par nostalgie au papier, l’évolution est inéluctable comme en atteste celle des dictionnaires et des encyclopédies.
Quant à écrire, et publier, c'est devenu un jeu d'enfant à la portée de tout le monde, grâce au Web, aux blogs et aux réseaux sociaux.

Hélas, Bernard Pivot restera probablement comme le témoin étincelant d’un rêve en voie d'extinction. La technique dont on aurait pu attendre qu’elle contribue au foisonnement de l’esprit, semble en train de le réduire à néant dans un grand feu d’artificialité.

En guise de dernier salut, cette citation extraite de l’ouvrage de Julien Gracq qui donne son titre à ce billet : “écrire c’est la vérification de pouvoirs, par laquelle on lutte pied à pied avec le déclin physiologique…/… On écrit parce qu’on a déjà lu, et que d’autres ont écrit ; tout lecteur est un écrivain en puissance, créateur à sa manière ; tout écrivain est un lecteur en acte…

2 commentaires:

  1. Anonyme9:50 AM

    Cher Pierre Henri, dans un certain sens on ne peut que vous donner raison : il suffit de jeter un coup d'œil autour de soi, quand on est assis dans un train, par exemple, pour le constater : la plupart des voyageurs ont les yeux rivés sur leurs écrans plutôt que sur un livre, ils se divertissent en regardant la dernière série Netflix ou en s'amusant à des jeux vidéo. Les dernières études des psychologues et des sociologues le disent, le temps d'attention moyen a beaucoup baissé : il ne semble pas dépasser quelques minutes. Plusieurs jeunes personnes de ma connaissance n'ont pas la patience de regarder un film d'une heure et demie en entier, et tous ceux qui créent des contenus youtube le savent : une vidéo durant plus de huit minutes a très peu de chances d'être visionnée jusqu'au bout. Alors, qu'en est-il de la lecture dans ces conditions ? On peut craindre que la littérature ne soit de nos jours très dédaignée par la population. Mais a-t-elle été, un jour, réellement l'objet de l'attention des masses ? Si on s'intéresse aux siècles passés, n'a t on pas plutôt l'impression que la littérature était l'objet de l'attention d'une toute petite minorité de la population ? Molière s'adressait aux courtisans, Shakespeare remplissait les théâtres, soit, mais son public n'était composé que de citadins, la majorité de son pays s'occupait davantage de travailler la terre que d'aller au théâtre. À l'époque où roman, feuilleton, critiques d'art et critique littéraire étaient dans leur âge d'or : je parle du temps de Balzac, et de la presse à rotatives, la majorité de la population française était illettrée et les gens de nos provinces ne comprenaient que leurs patois. On peut ainsi se poser la question : le '' monde en voie d'extinction '' dont feu Bernard Pivot fut le témoin a t il réellement existé ? Ce regret d'un '' âge d'or '' où la télévision semblait bien moins qu'aujourd'hui corsetée par le '' marketing '', n'est-il pas plutôt l'expression d'une forme de nostalgie (bien compréhensible je l'admets) ? Cordialement. Jérémy Gouty

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  2. Merci Jérémy de ce commentaire éclairant qui m'invite à corriger quelque peu mon propos. J'aurais du parler de "rêve en voie d'extinction" et non du monde tant il est vrai que la lecture de livres a toujours été une activité élitiste.
    On pouvait espérer que la technique et la télé fassent évoluer les choses en mettant la littérature et la culture à la portée de tous mais ça reste hélas assez confidentiel.
    Un grand merci pour votre fidélité.

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