24 août 2024

Un lanceur d'alerte, un vrai

Vu et revu tout récemment
sur Le Canal Parlementaire (LCP), un documentaire édifiant sur Pierre Ryckmans alias Simon Leys (1935-2014), pourfendeur héroïque du maoïsme.

L’itinéraire de cet universitaire d’origine belge aurait de quoi faire réfléchir beaucoup de beaux esprits auto-proclamés progressistes, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, sont enclins à l’utopie plutôt qu’à la réalité et sont toujours prompts à donner des leçons même après qu'ils se soient lourdement trompés.

Très tôt, Leys s’intéresse à la Chine. En 1955, âgé de vingt ans à peine, il y fait un premier séjour très encadré, en tant qu’étudiant, au cours duquel il prend part à un entretien avec Zhou Enlai, le numéro 2 du Parti.
Quelques années plus tard, mobilisé comme objecteur de conscience, il séjourne en 1963 à Singapour, mais soupçonné d’être pro-communiste, il doit se réfugier à Hong-Kong où il choisit de s’établir quelque temps.
Dans des conditions précaires, et vivant d’expédients, il se lance alors dans une quête éperdue de la culture chinoise, dont il parvient à maîtriser le Mandarin et l'art de la calligraphie. Parallèlement, il épouse la journaliste Han-fang Chang, rencontrée à Taiwan, qui lui donnera 4 enfants et à laquelle il restera indéfectiblement lié.

C'est dans ce contexte et parce qu'il faut bien un peu d'argent pour vivre, qu'il décroche auprès d'une revue belge, une chronique destinée à faire découvrir à ses lecteurs la vie quotidienne en Chine. Ce dont il est témoin lui fait prendre peu à peu conscience de l'horreur d'un régime pourtant idéalisé en Occident et pour lequel lui-même avait un a priori favorable.
Son enquête va lui fournir la matière du livre qui le fera connaître en 1971: Les habits neufs du Président Mao. Lors de sa sortie, cet ouvrage fait l'effet d'une bombe, révélant notamment la félonie de Mao et son ascendant diabolique qui lui permit d'acquérir un pouvoir extravagant et de toujours se remettre en selle lorsqu'il fut mis en difficulté. Il en fut ainsi lors de la campagne des 100 fleurs au cours de laquelle il fit mine de libérer la parole des opposants pour les inciter à se découvrir et pouvoir ensuite les éliminer sans état d’âme.
Leys révèle également la réalité horrible du fameux Grand Bond en Avant qui se traduit par une catastrophe économique absolue, la mort d'au moins 40 millions de personnes et une misère noire conduisant les plus malheureux à recourir au cannibalisme. Il décrit notamment la politique désastreuse des micro fonderies destinée à doper l'industrie sidérurgique mais dont le résultat se traduit par la production d'un acier de piètre qualité, inutilisable. Il révèle le programme ubuesque d'extermination des moineaux décrété par Mao, aboutissant à la prolifération de nuisibles décimant les récoltes.

En France, l'accueil fait à ce témoignage est glacial. On ignore son auteur ou on le discrédite. Des gens qui n'ont jamais mis les pieds en Chine osent prétendre “qu'il n’a pas l’expérience de ce dont il parle” (Le Monde). On l'accuse de charlatanisme, de trahison, voire d'être un agent de la CIA, et il se heurte au refus répété d’enseigner en France.
Il faut dire qu'à l'époque, on est enthousiaste dans le quartier latin où pérorent les auto-prétendus intellectuels de gauche.
Parmi les plus zélés laudateurs du Grand Timonier figurent Jean-Paul Sartre, Serge July, André Glucksmann, Philippe Sollers. On s'extasie devant la force poétique du Petit Livre Rouge, somme indépassable de lieux communs, de contre-vérités et de niaiseries infantiles. On cite Mao avec une admiration béate et on excuse les dérives supposées du régime, car “la révolution n’est pas un dîner de gala”.
Roland Barthes et Philippe Sollers, en 1974, au retour d’un voyage en Chine, organisé, planifié, balisé, qui s'apparente à une visite Potemkine, affirment qu’ils ont vu '’un pays paisible et des gens très agréables'’.

Le monde culturel et artistique est conquis. La veste à col Mao fait fureur, Godard tourne La Chinoise et Andy Warhol magnifie l'idole dont il propose une série de clichés barbouillés de couleurs clinquantes à dominance rouge.
Confronté à ce ce délire collectif, Leys fait figure de dangereux déviant qu'on cherche à faire taire. Seules quelques rares personnalités osent le soutenir : Jean-François Revel, Etiemble, Claude Roy.
Pendant des années qui paraissent des siècles le lanceur d'alerte restera méprisé et son message purement et simplement nié.
Les politiques se rangent du côté des intellectuels. Leur aveuglement est proprement ahurissant.
En 1961, Mitterrand est invité par Mao. Il tombe immédiatement sous son charme et ne voit ni le dictateur, ni la famine provoquée par le Grand Bond en Avant. Il fait l'éloge d'un "humaniste" qui mène une révolution conquérante depuis plus de trente ans. Un humaniste doublé d’un militant discipliné qui représente même pour la Chine un nouveau type d’homme chez qui « la sagesse et la culture n’ont de sens qu’identifiées à l’action » !
En 1968, alors que la Révolution Culturelle fait rage et massacre des millions de personnes, André Malraux, ministre de la Culture qualifie Mao de “plus grand personnage historique de notre époque”.
En 1973, Alain Peyrefitte, dans son ouvrage Quand la Chine s'éveillera, ne trouve pas grand chose à redire aux horreurs commises par Mao car selon lui, c'est une évidence, le peuple chinois n'est pas fait pour la démocratie !
En 1976 enfin, lorsque meurt le tyran, le Président Giscard d'Estaing n'hésite pas dans son vibrant hommage à faire de lui un phare de la pensée mondiale !

Il faut attendre 1983 pour qu'enfin les yeux se dessillent un peu. Invité de l'émission Apostrophes, Simon Leys vide son sac et se déleste d'une charge bien sentie face à la sinologue italienne Maria-Antonietta Macciocchi, ardente maoïste adulée par l'intelligentsia : “Je pense que les idiots disent des idioties, comme les pommiers produisent des pommes. C’est dans la nature, c’est normal. Le problème, c’est qu’il y a des lecteurs pour les prendre au sérieux. […] Prenons le cas de Mme Macciocchi […] De son ouvrage De la Chine, ce qu’on peut dire de plus charitable, c’est que c’est d’une stupidité totale ; parce que si on ne l’accusait pas d’être stupide, je dirais que c’est une escroquerie”
En définitive, beaucoup d’anciens maoïstes seront contraints de revoir leur position, sans toujours faire de mea culpa. Tous continueront de produire des analyses savantes et la plupart resteront ancrés à gauche. Ils changeront simplement de sujet, faisant dire à Leys que '’la Chine n'était qu’une mode. On en change comme de manteau…'’
Il finira sa vie en Australie où un poste de professeur à l’université de Canberra lui avait été offert. Son dernier ouvrage sera consacré à la tragédie des naufragés du Batavia survenue au XVIIème siècle, durant laquelle on vit une communauté de rescapés décimée sous l'influence d'un des leurs, pris d’une folie dominatrice mortifère. Une fois encore, Simon Leys martèle son message :Pour aboutir à ce genre de totalitarisme destructeur, il suffit d’un pervers, de quelques malfrats et d’une majorité de gens qui ne font rien…


2 commentaires:

  1. Très bonne chronique, ami ! Simon Leys est toujours à portée de main, sur le plateau de ma bibliothèque. Bonne fin de semaine. Michel Santo

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  2. Merci de votre visite bien sympathique. Avec mes amitiés. Je parcours régulièrement pour ma part votre blog avec toujours autant de plaisir.

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