Les jeunes médecins avaient depuis l’antiquité le serment d'Hippocrate fixant les règles éthiques du métier. Les magistrats en herbe ont depuis 1974 la Harangue de Baudot.
Ce texte émanant du substitut du procureur de Marseille de l’époque prétend leur servir de guide moral et entend “corriger quelques-unes des choses qui [leur] ont été dites”.
En réalité, il décline tous les dogmes d’une gauche rétrograde, engluée dans une idéologie post-révolutionnaire revancharde et nihiliste. Il est difficile de rester de marbre en découvrant (fortuitement il y a quelques jours quant à moi) cette accumulation de clichés nauséabonds.
Ce texte émanant du substitut du procureur de Marseille de l’époque prétend leur servir de guide moral et entend “corriger quelques-unes des choses qui [leur] ont été dites”.
En réalité, il décline tous les dogmes d’une gauche rétrograde, engluée dans une idéologie post-révolutionnaire revancharde et nihiliste. Il est difficile de rester de marbre en découvrant (fortuitement il y a quelques jours quant à moi) cette accumulation de clichés nauséabonds.
Le magistrat commence très fort, en dévalorisant la fonction et en la caricaturant : “On vous a dotés d’un pouvoir médiocre : celui de mettre en prison…/… Évitez d’abuser de ce pouvoir.” Il s’attaque ensuite à l'essence même du métier en affirmant, selon le refrain fallacieux, que “si la répression était efficace, il y a longtemps qu’elle aurait réussi.”
S’il fait le constat malheureusement pertinent “qu’on rend la justice impunément”, il en tire la conclusion qu'il ne faut “pas en abuser”, c'est à dire inverse de celle qui s'impose : les juges ne sont jamais jugés, ce qui est un pur scandale. Puisque les juges sont au dessus des lois, on n'est guère étonné qu'il incite à s’en affranchir, exhortant à “ne pas en faire un usage exagéré” et à “mépriser généralement les coutumes, les circulaires, les décrets et la jurisprudence.”
Dès lors, tout devient simple, autant qu'effrayant : “la loi s’interprète. Elle dira ce que vous voulez qu’elle dise.”
Dans la seconde partie du document, l’auteur semble durant un court instant revenir à la raison en s’écriant “Ne soyez pas victime de vos préjugés de classe, religieux, politiques ou moraux.”
Mais juste après il préconise de faire l’inverse en se fondant systématiquement sur l’a priori : “surtout ne pas appliquer extensivement les lois répressives et restrictivement les lois libérales. Agissez tout au contraire.”
Il enfonce le clou de la présomption d’innocence à géométrie variable, mère de la culture de l'excuse : “Ne croyez pas qu’un homme soit coupable d’être ce qu’il est, ni qu’il ne dépende que de lui d’être autrement. Autrement dit, ne le jugez pas. Ne condamnez pas l’alcoolique. L’alcoolisme, que la médecine ne sait pas guérir, n’est pas une excuse légale mais c’est une circonstance atténuante.”
A la fin, il ne s'embarrasse plus d’aucun scrupule, ni d’aucun souci d’équité se délestant d’une tirade hallucinante : “Soyez partiaux ! Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d’un même poids, il faut que vous la fassiez un peu pencher d’un côté. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice.”
Tout est donc dit explicitement. On mesure l’impact maléfique d’un tel texte quand on sait qu’il est devenu un des piliers dogmatiques du Syndicat de la Magistrature créé en 1968, représentant bon an mal an un bon tiers des magistrats et sans doute un peu plus encore de sympathisants, jusqu'au sein même du gouvernement. On pourrait sans être trop excessif, le qualifier d'ignominie, tant il va à l'encontre des principes cardinaux de la justice. C'est une vraie perversion du métier, à laquelle il semble impossible de s'opposer tant le pouvoir judiciaire échappe à toute évaluation objective. Le garde des sceaux de l'époque Jean Lecanuet tenta sans succès d'enrayer cette machine infernale idéologique en saisissant le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), au motif du manquement au devoir de réserve. Ce dernier proposa au ministre d’infliger une réprimande à l’auteur, mais face à la collusion de plusieurs syndicats, aucune sanction ne fut prononcée. Depuis, personne n'ose plus s’indigner contre ce tonneau d'immondices. On comprend à sa lecture comment la justice est rendue dans notre pays et comment nous en sommes arrivés à la défaillance quasi généralisée d’une autorité essentielle, mettant en péril désormais la sécurité des citoyens, détruisant la confiance et minant les fondements du fameux état de droit, c’est-à-dire de la république…
Illustration : Trois juges par Honoré Daumier
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