Rarement
ouvrage de philosophie m'a paru plus évident, plus humble et
pertinent que cette introduction au pragmatisme, proposée en huit
leçons par le philosophe américain William James
(1842-1910).
Non
content d'avoir été un des fondateurs de la science psychologique
moderne, ce dernier décrivit une méthode de pensée des plus
originales et des plus abordables, en dépit de la complexité des
problèmes auxquels elle s'attaque.
Pourtant, de l'aveu de James lui-même, on pourrait remonter à la Grèce antique, pour trouver la source des concepts qu'il entreprend d'exposer dans cet ouvrage : "rien de nouveau dans la méthode pragmatique : Socrate l'utilisait en expert, et Aristote en avait fait sa méthode".
Disons
également qu'elle emprunte également beaucoup aux philosophies
empiristes ou utilitaristes telles que proposées par Locke, Hume,
Mill, mais qu'en enlevant les quelques bornes matérialistes ou
positivistes qui en limitaient parfois la portée, elle s'avère
susceptible d'emmener le lecteur dans un voyage intellectuel
passionnant, qui part des considérations les plus terre à terre et
s'élève en toute quiétude vers l'infini.
Selon
James, il est essentiel avant toute chose de délimiter d'emblée le
champ des possibles. Dans cette optique, il distingue au plan
historique, deux grandes catégories de penseurs, qu'il oppose
radicalement, à savoir les empiristes et les rationalistes.
Il
en donne même une définition schématique en relevant les
principales caractéristiques qui fondent à ses yeux les deux
lignages, assimilant de manière un peu narquoise les rationalistes à
des esprits "délicats" (tender-minded) et les empiristes à
des esprits "endurcis" (tough-minded).
Ainsi,
on peut distinguer les uns des autres en opposant respectivement les
modalités sur lesquelles se fonde leur pensée.
Le
Rationaliste est : intellectualiste, idéaliste, optimiste,
religieux, partisan du libre arbitre, moniste, dogmatique.
L'Empiriste
est au contraire : sensationnaliste (se fondant sur la réalité
des sensations), matérialiste, pessimiste, irréligieux, fataliste,
pluraliste, sceptique.
En
bref, la ligne de partage se définit à partir de la source même du
point de vue adopté : "le rationaliste voue un culte
aux principes abstraits et éternels" tandis que
"l'empiriste s'attache aux faits dans leur variété brute".
De
ce fait, suivie trop exclusivement, la première voie a tendance à
noyer l'adepte dans un flot de conjectures et offre en règle peu de débouchés pratiques, tandis que la seconde risque de l'enfermer dans
un positivisme borné par le matérialisme et un froid déterminisme.
Or, "Ce qu'il nous faut"
s'exclame James, "c'est une philosophie qui non
seulement sollicite nos facultés intellectuelles d'abstraction, mais
encore soit en prise directe avec le monde réel de nos vies humaines
finies."
D'une
manière générale il conseille donc d'écarter les théories qui
réduisent le monde à des systèmes, aussi séduisants soient-ils.
Bien souvent selon lui, "le monde auquel vous donne accès le
philosophe est clair, limpide et noble. Il ne comporte aucune des
contradictions de la vie réelle.../... c'est un temple de marbre qui
scintille au sommet d'une colline." Mais cette manière de
concevoir les choses, trop bien définie, est vaine, "car
l'univers réel est une chose ouverte. Or le rationalisme fabrique
des systèmes, et les systèmes sont forcément clos."
C'est
dit, le premier intérêt du pragmatisme est de proposer une approche
totalement ouverte, qui n'écarte rien a priori, et qui retient avant
tout ce qui permet de progresser ou de devenir meilleur. Ainsi,
"comme les doctrines rationalistes, il peut rester proche de
la religion [et d'une manière générale des concepts tenant à la
spiritualité], mais en même temps, comme les philosophies
empiristes, il peut se tenir au plus près des faits."
Le
pragmatisme procède pas à pas, sans dogme pré-établi. Il n'a aucun dessein immanent, pas d’à-priori. Il n'a pas l'ambition d'élucider les causes finales, mais développe une conception téléologique qui argumente largement en s'appuyant sur la finalité des spéculations intellectuelles. Il
se fonde sur le simple bon sens, et tire toute sa substance de
l'analyse du réel, dont nous sommes faits et qui jusqu'à preuve du
contraire, nous entoure, sans occulter lorsque cela peut avoir un
intérêt pratique, le domaine supra-sensible. C'est avant tout une
méthode de "résolution des débats métaphysiques
qui sans cela seraient interminables". A cette fin, le
pragmatique tente notamment de débusquer les problématiques mal ou
trop imprécisément posées, et celles qui n'aboutissent qu'à des
réponses vaines, ou bien inappropriées aux questions qu'elles
sous-tendent.
Avant
de pénétrer un peu plus loin dans le raisonnement, et en guise
d'introduction à la méthode, trois exemples concrets recueillis au
cours de ces huit leçons, illustrent cette démarche.
Le
premier décrit le cas de figure d'une personne tournant autour d'un
arbre sur le tronc duquel est accroché un écureuil, tournant
également, de manière à ce qu'en permanence le tronc s'interpose
entre l'animal et l'observateur.
La
question est de savoir si dans une telle configuration, ce dernier
tourne autour de l'écureuil ou non. "La personne tourne autour de l'arbre bien sûr, et l'écureuil se trouve sur l'arbre, mais tourne-t-elle autour de l'écureuil ?"
Bien
que la plupart des gens soient enclins à répondre par l'affirmative
ou par la négative, James montre qu'il est impossible de se
prononcer, sans avoir défini préalablement ce qu'on appelle
"tourner autour". En effet, si l'on considère qu'il s'agit
de se trouver successivement à l'est, au sud, à l'ouest puis au
nord de l'écureuil, le réponse est oui. Mais si l'on considère
qu'il s'agit de se trouver sur le côté droit puis en face, puis sur
le côté gauche et enfin derrière l'animal la réponse est non.
A
côté de ce cas de figure où l'impossibilité à répondre tient au
manque de précision de la question, on peut trouver d'autres
situations non moins ambiguës. Par exemple, lorsqu'en des temps
reculés on s'interrogeait pour savoir si le principe actif du levain
relevait d'un elfe ou bien d'un farfadet, bien présomptueux était
celui qui se prononçait de manière définitive. En la circonstance,
à quoi bon choisir une option, puisque aucune n'avait de réelle
pertinence et qu'aucune ne faisait avancer d'un iota la connaissance
du phénomène ?
Le
troisième exemple tente de montrer la relativité de la vérité et
d'inciter à se méfier du vrai en soi, lorsqu'il s'apparente à une
pure abstraction, sans intérêt pratique. "Si vous me
demandez l'heure et que je vous réponds que j'habite au 95 rue
Irving, ma réponse a beau être vraie elle n'est en la circonstance
d'aucune utilité. Une adresse erronée ferait aussi bien l'affaire."
Dans
l'absolu, le vrai n'a en définitive pas plus de sens que le faux et
la véracité d'une chose n'a de sens que rapportée à un besoin, à
un objectif.
A suivre....
Référence : William James. le Pragmatisme. Flammarion, collection "Champs, classique"
A suivre....
Référence : William James. le Pragmatisme. Flammarion, collection "Champs, classique"
J'aime beaucoup le Pragmatisme. Dans le monde la véritée est exigeant. Si on croit à quelque vérité, on reussira sur les tractations du monde real; si on croit à une chose fausseté, le monde vous fera payé.
RépondreSupprimerCher Jeff, c'est précisément ce qu'on a tant de chose à comprendre en France, où règnent encore des principes dénués de tout "bon sens"...
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