23 février 2012

Romantisme de l'émeute


Il y a dans notre vieux pays des gens qui gardent à la bouche l’écume des révolutions, et aux mains, le parfum coagulé du sang dont on usa sous la Terreur pour ratifier ce que le poète André Chénier appela des barbouillages de lois.
La nostalgie de ces temps troublés inspire nombre de discours vindicatifs desquels sourd une étrange fascination pour l’insurrection, les soulèvements, la rébellion, la désobéissance civile, et l’indignation, devenue très tendance dans le microcosme médiatique.
De là ces appels incessants à la rue, qui n’ont pourtant sous nos latitudes démocratiques, plus aucun sens. De là cet engouement anachronique pour les émeutes et la résistance, qui n’ont rien à faire dans une société ouverte et réputée éclairée.
C’est que la nostalgie du Grand Soir continue d’étreindre ces gens, qui n’ont qu’une piètre idée de la démocratie et de la Liberté.
Dans ces tumultes irraisonnés et informes, ils voient l’espoir d’établir par la force brutale et la violence, ce qu’ils ne parviennent à obtenir par les urnes et l’argumentation. Leur idéal reste envers et contre tout, inspiré d’une vieille rancune cuite et recuite. Sans doute voudraient-ils brûler une fois pour toutes la cervelle à ces aristocrates qu’ils appellent désormais les Riches, les Nantis, les Financiers, les Banquiers, l’Oligarchie, et in fine à tous ceux qui pourraient passer pour contre-révolutionnaires, ou simplement "réactionnaires"…"Qu'ils s'en aillent tous" titrait M. Mélenchon en tête d'un récent livre !
Peu importe ce qui pourrait arriver après, la destruction est la seule ligne d’horizon.
Derrière ce discours de haine, on retrouve toujours la Gauche dans sa version jurassique et revancharde. Elle est plus dispersée, plus hétéroclite, plus archaïque que jamais, mais elle parcourt toujours les tribunes avec autant de virulence, d’intolérance.

Dernier exemple en date, le livre d’Alain Bertho, qui fut longtemps compagnon de route du Parti Communiste, emphatiquement intitulé « le temps des émeutes ».
Cet homme manifeste une étrange obsession pour les désordres sociaux. Il s'est même donné la mission de recenser quotidiennement dans le monde toutes les émeutes depuis2007 !
Avec le dessein de magnifier ces frissons disparates, annonciateurs selon lui, de la révolution générale qu'il juge quasi inévitable, et on le comprend à l'entendre, souhaitable. Car ces convulsions seraient révélatrices de la volonté populaire et de la jeunesse : à travers ces explosions de révolte, c’est toute la question d’une jeunesse sacrifiée dans la mondialisation qui se pose.../... C’est maintenant un phénomène mondial et contemporain, qui prend forme face  à l’épuisement, à l’inefficacité des autres modes d’actions.

Il y a au moins deux malhonnêtetés dans ce discours à forts relents idéologiques. La première consiste à pratiquer la bonne vieille technique de l'amalgame, qui met dans le même panier des choses sans rapport entre elles. Assimiler par exemple les révoltes qui secouent le monde arabe aux mouvements antimondialisation que connaît l'Occident, est la preuve d'une mauvaise foi évidente. La quasi totalité des régimes remis en cause au Proche-Orient sont où étaient d'essence socialiste, totalitaire. L'aspiration des peuples est d'avoir davantage de liberté. Rien à voir avec les revendications gauchisantes confuses auxquelles on assiste dans les pays démocratiques, en pleine crise économique.
La seconde perversion de raisonnement réside dans le tour de passe-passe dont usent les chantres de l'émeute pour présenter les gesticulations de minorités agissantes comme l'expression d'un courant d'opinion puissant, doté d'une légitimité supérieure à celle des urnes. Le slogan "les 99 % qui ne tolèrent plus la cupidité des 1 % les plus favorisés » constitue l'illustration édifiante du subterfuge.

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La Grèce est le sujet de beaucoup de supputations. Les émeutes qui la secouent en ce moment sont interprétées de manière contradictoire selon le point de vue politique qu'on adopte. On entend toutefois davantage ceux qui à l'instar de M. Bertho, prétendent que le malaise est causé par la "Finance Internationale", que les plans de sauvetage qui tentent d'empêcher la faillite du pays ne font qu'aggraver sa situation, en imposant une austérité que rien ne justifie. C'est ainsi que le professeur, invité récemment de France Culture (Les Matins 14/02/2012), légitima la révolte populaire, au motif que, responsable du délabrement actuel, l'Etat « a fait ça sans demander au peuple ».
C'est oublier que dans une démocratie, si les gouvernants doivent effectivement assumer leur responsabilité, les citoyens ne peuvent pas pour autant se prétendre innocents de ce qui leur arrive.
Lors de la même émission, le chroniqueur Brice Couturier rappela fort justement « qu'on ne peut exonérer les peuples de la responsabilité d'avoir voté pour des dirigeants véreux. »
Dans les déboires de la Grèce, il y a une sorte de dévoiement démocratique dont les causes sont loin d'être univoques. C'est en toute connaissance de cause que l'Etat-Providence s'est endetté à hauteur de 160% du PIB. C'est avec l'assentiment général que la fonction publique a grossi jusqu'à représenter le quart des emplois (rémunérés en moyenne 60% de plus que dans le secteur privé). Ce n'est pas en un jour et de manière abrupte que s'est effondrée la balance commerciale...
Et ce n'est pas pour "humilier" le pays comme le soutient de son côté le cinéaste Costa-Gavras, que la Communauté européenne lui demande de respecter enfin des règles de bonnes gestion, en contrepartie de plans de sauvetage qui ont conduit récemment à effacer 100 milliards d'euros de dettes et à voter un nouveau renflouement de 130 milliards d'euros...
Enfin, il est excessif de conclure à un embrasement populaire, lorsqu'on voit 200.000 personnes descendre dans la rue, et se livrer à des pillages et des dégradations, tandis que l'immense majorité des 11 millions d'habitants de la péninsule restent chez eux !
En somme, comme le précisa M. Couturier : « Il y a une lecture lyrique et gauchisante des émeutes qui tend à faire des émeutiers les représentants du vrai peuple tandis que les élus du suffrage universel, eux, seraient par nature disqualifiés. Mais c'est une tendance inquiétante de la science politique car c'est le risque de faire des minorités agissantes les vrais représentants de la démocratie au détriment du suffrage majoritaire exprimé au cours d'élections libres. L'essence de la démocratie est de pouvoir se libérer de ses dirigeants. Il ne faudrait pas que cela soit remplacé par la tyrannie de minorités agissantes... »

Alain Bertho : le temps des émeutes Bayard
Professeur à l'Université Paris VIII, il est directeur de l'Ecole Doctorale de Sciences Sociales.

1 commentaire:

  1. Cher Ami, voilà un trés bon billet. Que dire de plus. Amicalement

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