22 mai 2012

Viva la Libertad !


On savait que l'auteur de la Tante Julie et le scribouillard avait une conscience politique.
Un ouvrage* paru récemment en donne toute la substance, au travers d'articles, de discours et de diverses prises de positions, allant des années soixante, jusqu'à 2009.
Édifiant parcours que celui de Mario Vargas Llosa, écrivain « engagé », c'est à dire de gauche, qui au fil de ses voyages, de ses observations, change du tout au tout, et va jusqu'à se présenter aux élections présidentielles péruviennes en 1990 au nom du libéralisme !
C'est qu'aux belles et romantiques certitudes qui peuplaient sa jeunesse, a succédé une prise de conscience, fondée sur le réalisme: « J'ai appris à quel point la frontière entre le bien et le mal est mouvante, et quelle prudence il faut avoir pour juger des actions humaines et pour décider des solutions à apporter aux problèmes sociaux si l'on veut éviter que les remèdes soient pires que le mal (1983). »
C'est aussi le sentiment d'avoir été floué par l'insidieuse sournoiserie des théories « progressistes » ce qui va l'amener à affirmer entre autres que : «c'est démagogie et mensonge que de prétendre transférer les entreprises d'un groupe de banquiers à la nation...»

A la lumière de cette nouvelle objectivité, l'écrivain voit sous un jour différent tout le sous continent sud-américain, et analyse d'un autre œil les péripéties qui marquent son histoire contemporaine. Au fil des textes rassemblés dans cet ouvrage, Vargas Llosa évoque avec une amère lucidité ses nombreux désappointements, les échecs, les gâchis, dont il fait le constat désabusé, mais aussi quelques espérances qui se font jour de ci de là.
L'exemple le plus édifiant est celui de Cuba.
Jusqu'en 1967, le régime castriste avait encore quelques vertus à ses yeux. Il reprochait à l'époque par exemple aux opposants et aux dissidents de « signaler les déficiences de la révolution et de taire les innombrables et éclatantes réussites». Selon cette optique, il contrebalançait la disparition de la liberté de la presse par la généralisation de l'alphabétisation, la disparition des partis politiques par la réforme agraire qui avait livré la terre aux paysans, l'abolition de la propriété privée par le fait que tous les cubains étaient devenus propriétaires de leur maison...
Ce n'est qu'en 1971 que ses yeux se dessillent, lorsque Fidel Castro à l'occasion d'une demande d'éclaircissements au sujet du sort du poète dissident Herberto Padilla, fustige brutalement les écrivains latino-américains qui vivent en Europe, leur interdit d'entrer à Cuba et les traite même de canailles.

A partir de ce moment, il prend peu à peu conscience des dérives auxquelles se laissent aller nombre de gouvernements, et des mensonges et méfaits dont se rendent coupables dictateurs et idéologues révolutionnaires, à l'encontre de peuples crédules ou impuissants.
Il est horrifié de constater par exemple, qu'en plus six décennies les gouvernants du Mexique, de l'Argentine, du Brésil ont été incapables de sortir leur pays du sous développement malgré leurs gigantesques ressources naturelles.
Et il égrène la longue litanie des ratages, aboutissant un peu partout en Amérique latine à la paupérisation, et souvent à des violences meurtrières.
Au Pérou évidemment, où s'est déchaînée la barbarie marxiste du Sentier Lumineux qui en deux décennies, sous la férule fanatique d'Abimael Guzman, tortura, assassina ou fit disparaître plus de 69000 personnes, la plupart très humbles.
En Colombie, où durant plus de 40 ans, sévirent les FARC, avec la même sauvagerie.
Haiti, dont «il n'y a pas dans l'hémisphère occidental, et peut-être au monde, de cas plus tragique», à cause d'une succession « de dictatures sanglantes, de tyrans corrompus et cruels ».
Au Chili, où l'élection d'Allende fut une calamité, mais où il déplore également la dictature de Pinochet qui ne fut pas à ses yeux « le général qui sauva le Chili du communisme, bien qu'il ouvrit conte toute attente, une voie pour la récupération économique et la modernisation de son pays».

Tout cela devrait selon Vargas Llosa, « remplir de remords et de honte le monde occidental », ou au moins l'amener à juger un peu objectivement cette lamentable déconfiture.
Par un navrant paradoxe, c'est souvent l'inverse à quoi on assiste. Ce qui conduit l'auteur à flétrir « l'irresponsable frivolité d'un certain progressisme occidental », la « fascination romantique pour les révolutions violentes qui semblent appartenir au passé dans les nations acquises à la démocratie », ou encore, « la facilité avec laquelle un bouffon du tiers-monde, pour peu qu'il maîtrise les techniques de la publicité, et les stéréotypes politiques à la mode, peut rivaliser dans la séduction des masses avec Madonna et les Spice Girls. »
Un exemple édifiant de cette sinistre comédie est celui de Raphael Guillen Vicente, obscur universitaire, auto-promu Sous-Commandant Marcos, qui se rendit responsable d'une abominable épuration paysanne au Chiapas, et en lequel Régis Debray a vu « le meilleur écrivain latino-américain de nos jours » ou que Alain Touraine – père de la nouvelle ministre de la santé – a qualifié de « démocrate en armes »... On peut évoquer également la personne de Daniel Ortega, chef charismatique des sandinistes au Nicaragua, dont Vargas-llosa décrit les vices et turpitudes, alors qu'il bénéficia d'une image de marque très surfaite au sein de l'intelligentsia gauchisante.
Et naturellement, les figures qui illustrèrent la révolution cubaine, pour lesquelles il y eut tant de complaisance, notamment en France. A ce sujet, Vargas-llosa est catégorique : « C'est une insulte à l'intelligence que de prétendre faire croire que la façon la plus efficace d'obtenir des concessions de Castro est l'apaisement, le dialogue et les démonstrations d'amitié avec sa tyrannie. »

Si Vargas-llosa rejette toute faiblesse vis à vis des dictatures, il n'en est pas moins conscient de la fragilité de la démocratie face au terrorisme, et en appelle à ne pas céder à la fatalité. Il constate en effet avec dépit, que ce dernier se déchaîne d'autant plus que le pouvoir s'ouvre à la démocratie : «pour la logique de la terreur, vivre en démocratie et en liberté est un mirage, un mensonge, une conspiration machiavélique des exploiteurs pour maintenir les exploités dans la résignation ». Plus pervers encore selon lui, « ce qu'un homme convaincu d'agir au nom des victimes désire en déposant des bombes, c'est que les pouvoirs publics se déchaînent contre ces victimes dans leur quête de coupables, les agressent et les violentent. »
Vargas-llosa exhorte donc à ne pas se laisser illusionner par les discours malfaisants de ceux qui appellent à l'insurrection, selon lesquels les élections, la presse libre, le droit à la critique, les syndicats représentatifs ne sont que « pièges et simulacres destinés à déguiser la violence structurelle de la société, à aveugler les victimes de la bourgeoisie... » Tout ça n'est que tromperie, aboutissant lorsque par malheur ce genre de charlatan arrive au pouvoir, à la suppression des libertés. On se rappelle la manière expéditive avec laquelle Castro, triomphant, supprima tout retour en arrière : « A quoi bon des élections, puisque le peuple a tranché ? »

Parmi les dangers auxquels sont exposées les sociétés démocratiques, particulièrement si l'ouverture à la liberté est récente, figure le mythe du paradis socialiste sur terre. Celui-ci a la peau dure. En Amérique du Sud, profitant de la naïveté de populations peu éclairées, il s'est nourri souvent de l'idéal généreux véhiculé par la religion catholique, lequel a notamment donné naissance à la désastreuse théorie de la libération. Au Nicaragua, on a assisté à la collusion de l'église avec la rébellion, le clergé considérant ouvertement la révolution comme « une occasion propice pour réaliser l'option de l'église pour les pauvres » (lettre pastorale1979).
Lorsque de pareilles croyances trouvent un terreau favorable, il n'est quasi aucune limite à l'errance populaire, quasi aucune borne aux dérives idéologiques, et quasi aucune barrière à l'obscurantisme.

Vargas-Llosa ironise par exemple, sur la rébellion dite des « brise-kilos » qui à la fin du XIXé siècle au Brésil, refusaient le système métrique adopté par le gouvernement pour faciliter les échanges commerciaux avec le reste du monde. Entraînés par un prédicateur fanatique, les révoltés commirent de nombreuses destructions, des vols et même des meurtres.
Il évoque dans le même registre, le poète péruvien Augusto Lunel qui déclara dans son manifeste insurrectionnel: « Nous sommes contre toutes les lois, à commencer par la loi de la gravité »
Ces anecdotes pourraient prêter à sourire, si l'actualité ne leur donnait sans cesse de nouveaux prolongements. Ainsi les brise-kilos de nos jours sont pour Vargas-llosa ces milliers de jeunes latino-américains qui, mus par un noble idéal, sans doute, sont accourus manifester à Porto-Alegre, contre la globalisation, un système aussi irréversible à notre époque que le système métrique... A l'instar de ce dernier, la globalisation n'est ni bonne ni mauvaise. Elle relève du simple bon sens. Le bien ou le mal qu'elle apporte dépendent non d'elle-même mais de ce qu'en font les gouvernants.

Vargas-llosa se livre également à une sévère critique du nationalisme, souvent invoqué pour désigner des boucs émissaires, et au nom duquel on prétend protéger sa culture, son exception, son indépendance, mais qui enferme, isole et en définitive stérilise.
Le nationalisme, selon l'écrivain est la culture des incultes et il prospère tant que ceux-ci sont légions. A l'évidence il n'existe pas de cultures totalement indépendantes ou émancipées, ni rien qui y ressemble. Il existe des cultures pauvres et riches, archaïques et modernes, faibles et puissantes. « Dépendantes, elles le sont toutes.../... et aucune ne s'est forgée, développé et n'a mûri sans se nourrir des autres et sans à son tour, en alimenter d'autres... »
Condamner le nationalisme culturel, comme une atrophie pour la vie spirituelle d'un pays, ne signifie évidement pas dédaigner le moins du monde les traditions et modes de comportement nationaux ou régionaux, ni contester qu'ils servent, même de façon primordiale, des penseurs, artistes, techniciens et chercheurs du pays pour leur propre travail.
Vargas-llosa réclame dans le domaine de la culture, la même liberté et le même pluralisme que ceux qui doivent régner en politique et en économie dans une société démocratique.
Comme la globalisation, les moyens de communication de masse ne sont pas coupables de l'usage médiocre ou erroné qu'on en fait.

En définitive, Vargas-Llosa se pose par simple lucidité, au rang des défenseurs du libéralisme, et s'il reste malheureusement assez minoritaire parmi les grandes consciences d'Amérique du Sud, son propos n'en a pas moins de force. Car il repose sur l'expérience et le vécu, tandis que l'argumentation s'appuie sur la raison, et sa mesure, sa sagesse l'inscrivent dans la meilleure tradition humaniste.
Les perspectives sur lesquelles s'ouvre sa réflexion sont si larges qu'elles devraient trouver un écho favorable dans le cœur et l'esprit de tout homme libre.
On peut en retenir à titre de conclusion, trois pensées de portée universelle :
- »Les acquis de la démocratie sont fragiles et le passé récent apprend que la civilisation ne prémunit pas contre le retour de la barbarie, que « les humanités n'humanisent pas » (Steiner). Ceux qui institutionnalisèrent le sadisme au nom du National-Socialisme étaient des hommes éclairés par l'intelligence de Goethe et des esprits sensibles que la poésie de Rilke ou la musique de Wagner émouvaient jusqu'aux larmes. Ceux qui torturèrent, déportèrent, exécutèrent des millions d'êtres humains au nom du Socialisme Communiste, revendiquaient l'idéal de justice, d'émancipation, de liberté...
-Ce qui s'est produit avec le socialisme est, sans doute, une désillusion qui n'a pas d'équivalent dans l'histoire...
-C'est très grave lorsque la conscience de l'individu abdique devant une prétendue conscience supérieure collective » (1979)

* Manuel Vargas-Llosa : De sabres et d'utopies. Arcades. Gallimard. 2011

3 commentaires:

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  2. Anonyme10:24 AM

    est ce que Pablo Neruda n'est pas à mùettre dans le même panier ? Qu'en pensez vous ? Aglaë

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  3. Au sujet de Neruda, Vargas Llosa évoque "une poésie la plus riche et libératrice qu'on ait écrit en espagnol dans ce siècle, aussi vaste que la peinture de Picasso."
    Mais dans le même temps il fustige "le militant discipliné qui a écrit des poèmes à la gloire de Staline, et chez qui tous les crimes du stalinisme, n'ont pas produit le moindre trouble éthique". Et il qualifie sa vision du monde de "manichéenne et dogmatique".
    Je trouve Vargas Llosa très magnanime. Pour ma part je ne peux considérer comme artistes accompli des gens aussi mal inspirés que Neruda. Il en est ainsi d'Aragon, de Sartre, d'Eluard, de Céline...

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