Elle danse en rêvant de lendemains inouis
Et son vol au dessus des choses la transporte,
Elle tangue et l'élan l'enivre mais qu'importe
Où mène le vertige au fond rouge des nuits !
Elle tourne en chantant, saoulée par de longs cris
De joie. Fière, elle exulte à se sentir si forte
Et croit naïvement son ancienne vie morte
Tandis que dans la fête elle perd ses esprits
Elle ploie sous le strass et sous la fanfreluche
Son rythme s’alourdit, son pas est incertain
Sa vue même se trouble, elle erre, elle trébuche
En proie aux illusions tout est proche et lointain
Folle, elle s’abandonne à ce déséquilibre
Et s’affale, oubliant qu’hier, elle était libre !
31 décembre 2013
15 décembre 2013
Le coup du Père François
Encore une voix qui s'élève pour dénoncer les prétendus méfaits du libéralisme ! Et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit de celle du pape François...
A travers son exhortation Evangelii Gaudium, publiée par le Vatican à la fin du mois de novembre, ce dernier s'exprime en effet vertement à son sujet, sans toutefois aller jusqu’à le citer nommément.
Ce document de plus de 200 pages, consacré à “l'évangélisation joyeuse” charrie certes comme il se doit, des tombereaux de bonnes intentions et de belles paroles auxquelles il apparaît difficile de ne pas adhérer au moins par la pensée.
Le pape s'y montre d’emblée d’humeur allègre, rappelant notamment que “la joie de l’Évangile remplit le coeur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus”. En abordant les problèmes du monde contemporain, il fait même preuve d’un certain optimisme, en évoquant “les succès qui contribuent au bien-être des personnes, par exemple dans le cadre de la santé, de l’éducation et de la communication.”
Hélas, bien vite le tableau s’assombrit, à mesure qu'il rentre dans le vif du sujet.
On peut certes encore le suivre lorsqu’il déplore cette “tristesse individualiste qui vient du coeur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée” qui gagne du terrain dans nos sociétés de confort matériel. On ne saurait évidemment lui donner tort, tant la futilité de notre univers semble évidente...
Comment ne pas partager également son sentiment lorsqu’il affirme “qu’on ne peut plus tolérer le fait que la nourriture se jette, quand il y a des personnes qui souffrent de la faim.”
Tout cela n’est pas d’une originalité fracassante, mais il faut hélas reconnaître qu’il y a, qu’il y eut, et qu’il y aura sans doute encore longtemps une part de vrai…
Là où le propos devient beaucoup plus étonnant, voire déroutant, c’est lorsque le souverain pontife se lance tout à trac dans une violente diatribe aux accents clairement politiques. Est-ce le rôle du pape de dénoncer “une économie de l’exclusion”, avec des termes ressemblant étrangement aux saillies grinçantes de Mélenchon ou de Besancenot ? Est-il vraiment dans son rôle lorsqu’il affirme “qu’aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible ?”
Sans doute a-t-il le droit de dire ce qu’il a envie de dire après tout, mais à prendre un ton aussi partisan, il risque fort de tomber de son piédestal de commandeur des âmes chrétiennes. Surtout, il s’expose à la controverse, donc à voir singulièrement se réduire la portée de sa parole. Ce qu’elle paraît gagner en actualité, elle le perd en universalité, et une telle intrusion dans la science économique peut devenir aussi discutable que le furent les parti-pris anti-scientifiques de l’église d’autrefois.
En quoi devons nous croire le pape lorsqu’il affirme que dans nos sociétés, “on considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter ? ” ou qu’il ajoute que “nous avons mis en route la culture du déchet qui est même promue.”
Et lorsque il nie que la croissance économique, puisse être favorisée par le libre marché, et qu’elle soit en mesure de produire “une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde”, il ne fait qu’émettre une opinion personnelle, que chacun est en droit de contester, car le rapport à Dieu paraît en l’occurrence bien lointain !
Il s’en éloigne d’ailleurs encore un peu plus à chaque page de ce qui s’apparente en définitive à un manifeste. Ainsi François ressort la bonne vieille symbolique de “l’adoration de l’antique veau d’or”, dont il voit “une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage et sans un but véritablement humain.”
Emporté par son élan, il croit bon de reprendre à son compte l’adage qui veut que “les gains d’un petit nombre s’accroissent exponentiellement, [tandis que] ceux de la majorité se situent d’une façon toujours plus éloignée du bien-être de cette heureuse minorité.”
La satire anti-libérale et anti-capitaliste est limpide. Non seulement le pape se fait le contempteur de l'économie de marché, mais il plaide pour l'étatisme contre l'initiative privée, jusqu'à adopter un point de vue radicalement partisan, condamnant "les idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière" et "qui nient le droit de contrôle des États chargés de veiller à la préservation du bien commun." En clair, il reproche à ces idéologies d'instaurer "une nouvelle tyrannie invisible, parfois virtuelle, qui impose ses lois et ses règles, de façon unilatérale et implacable !"
Cela le conduit à cette occasion à faire un amalgame des plus douteux avec “une corruption ramifiée et une évasion fiscale égoïste qui ont atteint des dimensions mondiales !” Pour un peu il se ferait le chantre de l’impôt ! Un peu fort de café tout de même...
Dès lors, il apparaît clairement qu’on a quitté le champ de l’opinion, pour entrer dans celui du slogan. Ainsi le pape se livre dans la foulée, à la critique de la mondialisation avec des accents franchement “alter-coco”, en dénonçant “une détérioration accélérée des racines culturelles, avec l’invasion de tendances appartenant à d’autres cultures, économiquement développées mais éthiquement affaiblies.”
Le grand reproche qu’on peut faire à cette longue oraison est de manquer largement sa cible. Elle s’attaque en effet au modèle de la société ouverte sur lequel reposent les pays développés, en tentant de reprendre le ton martial dont Jean-Paul II usa contre le système communiste.
Mais ce dernier avait une légitimité reposant sur le fait qu’il s’adressait à un régime totalitaire dans lequel les individus ne jouissaient d'aucun droit, sauf celui de se taire.
Dans les sociétés démocratiques que François prend pour cible en revanche, les citoyens sont acteurs de leur destin et des lois qui les régissent. Le droit de vote n'est pas un vain mot et la responsabilité citoyenne a une vraie signification.
Or le pape fait comme si les peuples étaient assujettis, voire broyés par un odieux système. Il parle même de "tyrannie invisible", ce qui paraît pour le moins excessif.
A aucun moment il ne s’adresse à l’initiative individuelle qui devrait être le moteur essentiel du progrès. Nulle part il ne fait des femmes et des hommes les clés d'un avenir meilleur.
Plus grave, la tonalité étrange des propos du pape déborde le monde de la finance.
Il déplore notamment “une société de l’information qui nous sature sans discernement de données, toutes au même niveau, et qui finit par nous conduire à une terrible superficialité au moment d’aborder les questions morales.” C'est vrai, mais qui est le plus coupable ? Le système qui délivre trop d'informations ou bien les individus incapables de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie dans cette abondance, et de discerner dans le flux qui les assaille celles qui sont importantes ? Ne vaut-il pas mieux avoir trop d’informations, et de sources multiples que pas assez, et d’un seul canal ? Le problème ne vient-il pas du manque d'éducation, du peu d'esprit critique, et de cette envahissante pensée unique dont il se fait lui-même, le colporteur ?
Plus loin, le pape constate que “La famille traverse une crise culturelle profonde.” Mais il ne dit rien des lois qui un peu partout détruisent avec méthode les repères sur lesquels elle est fondée, selon les canons chrétiens.
S’agissant même de la religion, ses mots résonnent bizarrement. Il pointe un doigt accusateur en direction de certaines régions du monde frappées “par une désertification spirituelle, fruit du projet de sociétés qui veulent se construire sans Dieu ou qui détruisent leurs racines chrétiennes”. Là, dit-il, «le monde chrétien devient stérile, et s’épuise comme une terre surexploitée, qui se transforme en sable. »
On comprend une fois encore, qu’il dénonce à mots couverts le mode de vie occidental. Bien qu’il soit sévère, le constat pourrait peut-être porter, si à l’inverse il ne manifestait une lénifiante mansuétude vis à vis de l’islam conquérant : “Les écrits sacrés de l’Islam gardent une partie des enseignements chrétiens; Jésus Christ et Marie sont objet de profonde vénération; et il est admirable de voir que des jeunes et des anciens, des hommes et des femmes de l’Islam sont capables de consacrer du temps chaque jour à la prière, et de participer fidèlement à leurs rites religieux.”
Et comme il est sur le sujet particulièrement en verve, il ajoute que “Nous chrétiens, nous devrions accueillir avec affection et respect les immigrés de l’Islam qui arrivent dans nos pays, de la même manière que nous espérons et nous demandons être accueillis et respectés dans les pays de tradition islamique.”
Il y a de quoi être un peu éberlué. Le pape imagine-t-il que les musulmans soient si mal traités dans les sociétés démocratiques de culture chrétienne ! A-t-il réellement perçu comment sont traitées ses ouailles dans la plupart des pays musulmans ?
Il faut chercher avec attention pour trouver une brève allusion à “la violente résistance au christianisme” qui dans certains endroits, “oblige les chrétiens à vivre leur foi presqu’en cachette dans le pays qu’ils aiment...” Et il faut être attentif pour trouver “l’humble imploration” à ces pays “pour qu’ils donnent la liberté aux chrétiens de célébrer leur culte et de vivre leur foi, prenant en compte la liberté dont les croyants de l’Islam jouissent dans les pays occidentaux !”
En terminant la lecture de cette longue exhortation, il difficile de s’exonérer d’un sentiment d’exaspération, voire d’incompréhension. A peu de chose près, on dirait le discours d’un politicien gauchisant.
La théologie de la libération qui fit florès en Amérique du Sud semble bel et bien de retour. Elle contribua hélas à ancrer le socialisme dans cette partie du monde, sans résultat probant après des décennies, sur l’état de pauvreté des pays concernés.
On se souvient que Jean-Paul II avait mis en garde contre la dérive politique à laquelle cette idéologie exposait, en rappelant aux prêtres qu’ils devaient être « des guides spirituels, pas des dirigeants sociaux ni des cadres politiques ou des fonctionnaires d'un ordre séculier. » Le pape François est en passe d’oublier cette recommandation, ce que la réaction de médias paraît confirmer. Par exemple le site Rue 89 qui jubile : "cette fois, c’est sûr, le pape est socialiste !" Ou bien de magazines, moins catégoriques, mais qui s’interrogent : "Le pape est-il marxiste ?" (Le Point), "Le pape François, un socialiste ?" (La Vie)...
L’avenir permettra sans doute de trancher. Toujours est-il que le discours pontifical s’inscrit hélas dans ce paradoxe troublant : on reproche au capitalisme de viser à enrichir les gens, au motif qu’il ne parvient pas à abolir la pauvreté, tandis qu’on porte au crédit du socialisme d’appauvrir les riches (sauf la nomenkaltura), même s’il ne fait qu’aggraver le sort des pauvres… Comprenne qui pourra !
A travers son exhortation Evangelii Gaudium, publiée par le Vatican à la fin du mois de novembre, ce dernier s'exprime en effet vertement à son sujet, sans toutefois aller jusqu’à le citer nommément.
Ce document de plus de 200 pages, consacré à “l'évangélisation joyeuse” charrie certes comme il se doit, des tombereaux de bonnes intentions et de belles paroles auxquelles il apparaît difficile de ne pas adhérer au moins par la pensée.
Le pape s'y montre d’emblée d’humeur allègre, rappelant notamment que “la joie de l’Évangile remplit le coeur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus”. En abordant les problèmes du monde contemporain, il fait même preuve d’un certain optimisme, en évoquant “les succès qui contribuent au bien-être des personnes, par exemple dans le cadre de la santé, de l’éducation et de la communication.”
Hélas, bien vite le tableau s’assombrit, à mesure qu'il rentre dans le vif du sujet.
On peut certes encore le suivre lorsqu’il déplore cette “tristesse individualiste qui vient du coeur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée” qui gagne du terrain dans nos sociétés de confort matériel. On ne saurait évidemment lui donner tort, tant la futilité de notre univers semble évidente...
Comment ne pas partager également son sentiment lorsqu’il affirme “qu’on ne peut plus tolérer le fait que la nourriture se jette, quand il y a des personnes qui souffrent de la faim.”
Tout cela n’est pas d’une originalité fracassante, mais il faut hélas reconnaître qu’il y a, qu’il y eut, et qu’il y aura sans doute encore longtemps une part de vrai…
Là où le propos devient beaucoup plus étonnant, voire déroutant, c’est lorsque le souverain pontife se lance tout à trac dans une violente diatribe aux accents clairement politiques. Est-ce le rôle du pape de dénoncer “une économie de l’exclusion”, avec des termes ressemblant étrangement aux saillies grinçantes de Mélenchon ou de Besancenot ? Est-il vraiment dans son rôle lorsqu’il affirme “qu’aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible ?”
Sans doute a-t-il le droit de dire ce qu’il a envie de dire après tout, mais à prendre un ton aussi partisan, il risque fort de tomber de son piédestal de commandeur des âmes chrétiennes. Surtout, il s’expose à la controverse, donc à voir singulièrement se réduire la portée de sa parole. Ce qu’elle paraît gagner en actualité, elle le perd en universalité, et une telle intrusion dans la science économique peut devenir aussi discutable que le furent les parti-pris anti-scientifiques de l’église d’autrefois.
En quoi devons nous croire le pape lorsqu’il affirme que dans nos sociétés, “on considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter ? ” ou qu’il ajoute que “nous avons mis en route la culture du déchet qui est même promue.”
Et lorsque il nie que la croissance économique, puisse être favorisée par le libre marché, et qu’elle soit en mesure de produire “une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde”, il ne fait qu’émettre une opinion personnelle, que chacun est en droit de contester, car le rapport à Dieu paraît en l’occurrence bien lointain !
Il s’en éloigne d’ailleurs encore un peu plus à chaque page de ce qui s’apparente en définitive à un manifeste. Ainsi François ressort la bonne vieille symbolique de “l’adoration de l’antique veau d’or”, dont il voit “une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage et sans un but véritablement humain.”
Emporté par son élan, il croit bon de reprendre à son compte l’adage qui veut que “les gains d’un petit nombre s’accroissent exponentiellement, [tandis que] ceux de la majorité se situent d’une façon toujours plus éloignée du bien-être de cette heureuse minorité.”
La satire anti-libérale et anti-capitaliste est limpide. Non seulement le pape se fait le contempteur de l'économie de marché, mais il plaide pour l'étatisme contre l'initiative privée, jusqu'à adopter un point de vue radicalement partisan, condamnant "les idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière" et "qui nient le droit de contrôle des États chargés de veiller à la préservation du bien commun." En clair, il reproche à ces idéologies d'instaurer "une nouvelle tyrannie invisible, parfois virtuelle, qui impose ses lois et ses règles, de façon unilatérale et implacable !"
Cela le conduit à cette occasion à faire un amalgame des plus douteux avec “une corruption ramifiée et une évasion fiscale égoïste qui ont atteint des dimensions mondiales !” Pour un peu il se ferait le chantre de l’impôt ! Un peu fort de café tout de même...
Dès lors, il apparaît clairement qu’on a quitté le champ de l’opinion, pour entrer dans celui du slogan. Ainsi le pape se livre dans la foulée, à la critique de la mondialisation avec des accents franchement “alter-coco”, en dénonçant “une détérioration accélérée des racines culturelles, avec l’invasion de tendances appartenant à d’autres cultures, économiquement développées mais éthiquement affaiblies.”
Le grand reproche qu’on peut faire à cette longue oraison est de manquer largement sa cible. Elle s’attaque en effet au modèle de la société ouverte sur lequel reposent les pays développés, en tentant de reprendre le ton martial dont Jean-Paul II usa contre le système communiste.
Mais ce dernier avait une légitimité reposant sur le fait qu’il s’adressait à un régime totalitaire dans lequel les individus ne jouissaient d'aucun droit, sauf celui de se taire.
Dans les sociétés démocratiques que François prend pour cible en revanche, les citoyens sont acteurs de leur destin et des lois qui les régissent. Le droit de vote n'est pas un vain mot et la responsabilité citoyenne a une vraie signification.
Or le pape fait comme si les peuples étaient assujettis, voire broyés par un odieux système. Il parle même de "tyrannie invisible", ce qui paraît pour le moins excessif.
A aucun moment il ne s’adresse à l’initiative individuelle qui devrait être le moteur essentiel du progrès. Nulle part il ne fait des femmes et des hommes les clés d'un avenir meilleur.
Plus grave, la tonalité étrange des propos du pape déborde le monde de la finance.
Il déplore notamment “une société de l’information qui nous sature sans discernement de données, toutes au même niveau, et qui finit par nous conduire à une terrible superficialité au moment d’aborder les questions morales.” C'est vrai, mais qui est le plus coupable ? Le système qui délivre trop d'informations ou bien les individus incapables de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie dans cette abondance, et de discerner dans le flux qui les assaille celles qui sont importantes ? Ne vaut-il pas mieux avoir trop d’informations, et de sources multiples que pas assez, et d’un seul canal ? Le problème ne vient-il pas du manque d'éducation, du peu d'esprit critique, et de cette envahissante pensée unique dont il se fait lui-même, le colporteur ?
Plus loin, le pape constate que “La famille traverse une crise culturelle profonde.” Mais il ne dit rien des lois qui un peu partout détruisent avec méthode les repères sur lesquels elle est fondée, selon les canons chrétiens.
S’agissant même de la religion, ses mots résonnent bizarrement. Il pointe un doigt accusateur en direction de certaines régions du monde frappées “par une désertification spirituelle, fruit du projet de sociétés qui veulent se construire sans Dieu ou qui détruisent leurs racines chrétiennes”. Là, dit-il, «le monde chrétien devient stérile, et s’épuise comme une terre surexploitée, qui se transforme en sable. »
On comprend une fois encore, qu’il dénonce à mots couverts le mode de vie occidental. Bien qu’il soit sévère, le constat pourrait peut-être porter, si à l’inverse il ne manifestait une lénifiante mansuétude vis à vis de l’islam conquérant : “Les écrits sacrés de l’Islam gardent une partie des enseignements chrétiens; Jésus Christ et Marie sont objet de profonde vénération; et il est admirable de voir que des jeunes et des anciens, des hommes et des femmes de l’Islam sont capables de consacrer du temps chaque jour à la prière, et de participer fidèlement à leurs rites religieux.”
Et comme il est sur le sujet particulièrement en verve, il ajoute que “Nous chrétiens, nous devrions accueillir avec affection et respect les immigrés de l’Islam qui arrivent dans nos pays, de la même manière que nous espérons et nous demandons être accueillis et respectés dans les pays de tradition islamique.”
Il y a de quoi être un peu éberlué. Le pape imagine-t-il que les musulmans soient si mal traités dans les sociétés démocratiques de culture chrétienne ! A-t-il réellement perçu comment sont traitées ses ouailles dans la plupart des pays musulmans ?
Il faut chercher avec attention pour trouver une brève allusion à “la violente résistance au christianisme” qui dans certains endroits, “oblige les chrétiens à vivre leur foi presqu’en cachette dans le pays qu’ils aiment...” Et il faut être attentif pour trouver “l’humble imploration” à ces pays “pour qu’ils donnent la liberté aux chrétiens de célébrer leur culte et de vivre leur foi, prenant en compte la liberté dont les croyants de l’Islam jouissent dans les pays occidentaux !”
En terminant la lecture de cette longue exhortation, il difficile de s’exonérer d’un sentiment d’exaspération, voire d’incompréhension. A peu de chose près, on dirait le discours d’un politicien gauchisant.
La théologie de la libération qui fit florès en Amérique du Sud semble bel et bien de retour. Elle contribua hélas à ancrer le socialisme dans cette partie du monde, sans résultat probant après des décennies, sur l’état de pauvreté des pays concernés.
On se souvient que Jean-Paul II avait mis en garde contre la dérive politique à laquelle cette idéologie exposait, en rappelant aux prêtres qu’ils devaient être « des guides spirituels, pas des dirigeants sociaux ni des cadres politiques ou des fonctionnaires d'un ordre séculier. » Le pape François est en passe d’oublier cette recommandation, ce que la réaction de médias paraît confirmer. Par exemple le site Rue 89 qui jubile : "cette fois, c’est sûr, le pape est socialiste !" Ou bien de magazines, moins catégoriques, mais qui s’interrogent : "Le pape est-il marxiste ?" (Le Point), "Le pape François, un socialiste ?" (La Vie)...
L’avenir permettra sans doute de trancher. Toujours est-il que le discours pontifical s’inscrit hélas dans ce paradoxe troublant : on reproche au capitalisme de viser à enrichir les gens, au motif qu’il ne parvient pas à abolir la pauvreté, tandis qu’on porte au crédit du socialisme d’appauvrir les riches (sauf la nomenkaltura), même s’il ne fait qu’aggraver le sort des pauvres… Comprenne qui pourra !
11 décembre 2013
On enterre bien les symboles...
Le concert planétaire de louanges et d’hommages entourant la disparition de Nelson Mandela (1918-2013) a de quoi décourager de toute contribution le blogueur observateur et modeste chroniqueur de son temps. Que peut-on ajouter à ces dithyrambes tous azimuts ? Comment faire preuve d’une once d’originalité dans cette explosion universelle de conformisme bien pensant ?
En même temps, comment ne pas évoquer l’évènement ? Comment passer sous silence ce gigantesque ralliement oecuménique ?
Il est aussi vain de vouloir ajouter encore un peu d’encens à ces entêtantes vapeurs séraphiques, que de rester “dans son lit douillet”, en “n’écoutant pas le clairon qui sonne”, comme Georges Brassens le quatorze juillet…
Il est possible toutefois à cette occasion funèbre, de ne pas être trop triste. De se réjouir même, de cette union de façade, de toutes ces têtes couronnées, de tous ces grands de ce monde. Leur empressement délirant est un signe des temps. Cela dépasse évidemment de loin la personnalité du défunt, et pour beaucoup c’est sûr, le zèle est sans doute dicté par la nécessité d’être vu, bien plus que par l'émotion. Mais c’est un fait, cette véritable béatification laïque est une occasion en or d’exprimer de beaux sentiments. On a pu voir de tout dans cette kermesse héroïque : un chef d’Etat faire cause presque commune avec son prédécesseur, en dépit d’une féroce haine réciproque; le président des Etats-Unis rire à gorge déployée en se faisant prendre en photo fraternelle avec ses homologues danois et anglais, et l’instant d’après, dans un geste qualifié “d’historique”, serrer chaleureusement la paluche de l’infâme tyran cubain…
En même temps, comment ne pas évoquer l’évènement ? Comment passer sous silence ce gigantesque ralliement oecuménique ?
Il est aussi vain de vouloir ajouter encore un peu d’encens à ces entêtantes vapeurs séraphiques, que de rester “dans son lit douillet”, en “n’écoutant pas le clairon qui sonne”, comme Georges Brassens le quatorze juillet…
Il est possible toutefois à cette occasion funèbre, de ne pas être trop triste. De se réjouir même, de cette union de façade, de toutes ces têtes couronnées, de tous ces grands de ce monde. Leur empressement délirant est un signe des temps. Cela dépasse évidemment de loin la personnalité du défunt, et pour beaucoup c’est sûr, le zèle est sans doute dicté par la nécessité d’être vu, bien plus que par l'émotion. Mais c’est un fait, cette véritable béatification laïque est une occasion en or d’exprimer de beaux sentiments. On a pu voir de tout dans cette kermesse héroïque : un chef d’Etat faire cause presque commune avec son prédécesseur, en dépit d’une féroce haine réciproque; le président des Etats-Unis rire à gorge déployée en se faisant prendre en photo fraternelle avec ses homologues danois et anglais, et l’instant d’après, dans un geste qualifié “d’historique”, serrer chaleureusement la paluche de l’infâme tyran cubain…
Il est possible enfin et surtout, de retenir de l’homme qui vient de disparaître, le sourire radieux qu’il dispensait si généreusement, et qui sera pour l’éternité, le signe le plus prégnant et sincère d’une volonté de réconciliation nationale en Afrique du Sud. Certes tous les problèmes sont loin d’avoir été résolus par ce messie des temps modernes, mais la symbolique est puissante. Elle tranche en tout cas heureusement avec le rictus tragique qui barrait le visage du militant en lutte. Il faut espérer que ce visage rayonnant reste dans les esprits pour incarner la liberté, l’ouverture et le respect mutuel qui sont les ingrédients indispensables d’une vraie démocratie !
30 novembre 2013
Un Nabi flambant neuf
Une rétrospective en cours, au Grand Palais (2/10/13 au 20/01/14), à Paris, permet de (re)découvrir Félix Vallotton (1865-1925), un artiste sans doute un peu trop méconnu.
Audacieux dans ses cadrages et l’éclat tranchant des couleurs, son art peut apparaître comme sobrement classique par les thèmes abordés, la manière peaufinée de les traiter et la grâce des courbes qui les arrondissent. Etrange, non ?
Vallotton fut un membre discret de l’exotique tribu Nabi, dont on connaît surtout Sérusier, Bonnard ou Vuillard. On trouve chez eux un peu de l’exubérance colorée de Gauguin, qui s’exprime par grands aplats contrastés. Un brin de sophistication et de mystère également, qui semble s’inscrire pour Vallotton dans une ambiance très “art nouveau”.
Les formes, notamment féminines ont des ondulations câlines à se pâmer, mais aussi quelques reflets d’un gris métallique qui sont ancrés dans une froide et technique modernité. Peut-être que l’époque, charnière entre deux mondes y est pour quelque chose...
Vallotton, c’est l’anti-impressionnisme en quelque sorte. Quasi contemporain de Claude Monet (1840-1926) et de Renoir (1841-1919), il est à mille lieues des nébulosités transcendantes de ces derniers. Fini le flou, adieu l’impression, les traits sont nets, les formes simples, le propos sans détour.
Celà n’exclut en aucune manière l’élégance et la légèreté comme en témoigne ce magnifique et virevoltant instantané de la jeune fille au ballon rouge. On dirait un papillon, ivre de liberté… Ou cette scène au symbolisme troublant, montrant, ou plutôt suggérant, un couple émergeant de l’obscurité d’une loge de théâtre, qui sert d’affiche à l’exposition.
Parfois, il y a de la chaleur dans cet univers. Une touffeur oppressante même, comme dans cette chambre rouge, dont le point de vue semble resserré sur un douloureux mystère, ou une sourde colère, qui sait ?
Au delà de la maîtrise des pigments, Vallotton démontre un sens acéré du dessin. Quelques traits, quelques flaques d’encre lui suffisent à tracer avec une force magistrale un portrait ou bien une scène complexe, de foule par exemple. Il a l’art de simplifier les choses pour exprimer l’essentiel, de manière très pénétrante. En plus de sa carrière de peintre, il fut un illustrateur très percutant, faisant le bonheur des lecteurs de La Revue Blanche.
Un grand artiste assurément dans cette période si riche en talents, où ce que l’on nommait “art” était encore de l’art...
Audacieux dans ses cadrages et l’éclat tranchant des couleurs, son art peut apparaître comme sobrement classique par les thèmes abordés, la manière peaufinée de les traiter et la grâce des courbes qui les arrondissent. Etrange, non ?
Vallotton fut un membre discret de l’exotique tribu Nabi, dont on connaît surtout Sérusier, Bonnard ou Vuillard. On trouve chez eux un peu de l’exubérance colorée de Gauguin, qui s’exprime par grands aplats contrastés. Un brin de sophistication et de mystère également, qui semble s’inscrire pour Vallotton dans une ambiance très “art nouveau”.
Les formes, notamment féminines ont des ondulations câlines à se pâmer, mais aussi quelques reflets d’un gris métallique qui sont ancrés dans une froide et technique modernité. Peut-être que l’époque, charnière entre deux mondes y est pour quelque chose...
Vallotton, c’est l’anti-impressionnisme en quelque sorte. Quasi contemporain de Claude Monet (1840-1926) et de Renoir (1841-1919), il est à mille lieues des nébulosités transcendantes de ces derniers. Fini le flou, adieu l’impression, les traits sont nets, les formes simples, le propos sans détour.
Celà n’exclut en aucune manière l’élégance et la légèreté comme en témoigne ce magnifique et virevoltant instantané de la jeune fille au ballon rouge. On dirait un papillon, ivre de liberté… Ou cette scène au symbolisme troublant, montrant, ou plutôt suggérant, un couple émergeant de l’obscurité d’une loge de théâtre, qui sert d’affiche à l’exposition.
Parfois, il y a de la chaleur dans cet univers. Une touffeur oppressante même, comme dans cette chambre rouge, dont le point de vue semble resserré sur un douloureux mystère, ou une sourde colère, qui sait ?
Au delà de la maîtrise des pigments, Vallotton démontre un sens acéré du dessin. Quelques traits, quelques flaques d’encre lui suffisent à tracer avec une force magistrale un portrait ou bien une scène complexe, de foule par exemple. Il a l’art de simplifier les choses pour exprimer l’essentiel, de manière très pénétrante. En plus de sa carrière de peintre, il fut un illustrateur très percutant, faisant le bonheur des lecteurs de La Revue Blanche.
Un grand artiste assurément dans cette période si riche en talents, où ce que l’on nommait “art” était encore de l’art...
23 novembre 2013
L'inaugurateur de chrysanthèmes
Qu’il est touchant Arnaud Montebourg, le chevalier à la rose, auto-proclamé ministre du Redressement Productif, lorsqu’il évoque sa mission désespérée de sauvetage des entreprises, et qu'il parade sous les caméras, avec ses gants blancs, ses flamboyants oriflammes et ses voeux pieux.
Evidemment avec le temps, qui passe - très vite depuis l’élection de François Hollande - il a quelque peu rabattu de ses ambitions originelles. On est désormais bien loin des propos conquérants de 2012, lorsque The Big Chief nous promettait le changement pour “maintenant”.
On allait voir ce qu’on allait voir, qu’y disaient, les gars !
Et bien on a vu, et on voit de mieux en mieux, malheureusement tous les jours. Depuis qu’il a enfourché son destrier, ce Don Quichotte du socialisme triomphant encaisse avec un confondant optimisme les échecs, les défaites, et les infortunes. Rien qu’en 2013 la France a enregistré 730 plans sociaux, dont le dernier touchant l’entreprise MORY DUCROS (fruit de l’union récente en 2012 des groupes Mory et Ducros), fait froid dans le dos (5000 emplois menacés). Air France, entreprise emblématique, dont l’Etat détient 16% des actions, envisage pour sa part de supprimer 2800 postes. La litanie pourrait être longue des faillites, et défaillances…
Parallèle troublante, celle des taxes qui fleurissent jour après jour sur le fumier fertile de notre bureaucratie pléthorique. D’autant plus édifiante qu’elle semble décalquer en creux l’épidémie de dépôts de bilans...
Rappelons à titre d’exemple, la taxe sur les billets d’avions, supposée contribuer à l’aide aux pays en voie de développement, instituée par Jacques Chirac, et qui vient d’être augmentée par l’Assemblée Nationale de 12,7% (203 millions d’euros de recettes prévues). Stupidité sans nom, quand on sait que seule la France applique ce prélèvement en Europe, plombant ainsi de manière suicidaire ses propres compagnies, vis à vis de la concurrence ! Comment pourraient-elles éviter de réduire les effectifs si elles veulent rester sur le marché ?
On pourrait naturellement évoquer également la désormais fameuse "écotaxe" qui, si elle est appliquée, pénalisera en premier lieu les transporteurs routiers français (et qui, si elle ne l’est pas, pénalisera de toute manière tous les contribuables…)
Parlons de la calamiteuse Taxe sur les transactions financières (inspirée du non moins calamiteux monsieur Tobin) entrée en application de manière unilatérale au mois d’août 2012, et qui touche exclusivement les entreprises situées en France ! Récemment encore le gouverneur de la Banque de France alertait sur le risque qu’elle faisait courir de “détruire des pans entiers de l’industrie financière française…”
Passons rapidement enfin sur l'ubuesque Taxe à 75% dont le gouvernement ne parvient à accoucher, mais qui dans sa dernière mouture pourrait frrapper nombre de PME (tout en épargnant par un montage artificieux, les clubs de football...)
Au total : pendant que M. Montebourg s’échine à secourir par un preux soutien moral les entreprises, ses amis creusent les trous dans lesquels elles s’embourbent inéluctablement ! Fort heureusement le ridicule ne tue plus. Il peut donc, tant que le pays n’est pas complètement abîmé, continuer de "tout tenter" pour entretenir l'illusion. Mais, même empanaché, il n'est rien d'autre qu'un inaugurateur de chrysanthèmes...
Evidemment avec le temps, qui passe - très vite depuis l’élection de François Hollande - il a quelque peu rabattu de ses ambitions originelles. On est désormais bien loin des propos conquérants de 2012, lorsque The Big Chief nous promettait le changement pour “maintenant”.
On allait voir ce qu’on allait voir, qu’y disaient, les gars !
Et bien on a vu, et on voit de mieux en mieux, malheureusement tous les jours. Depuis qu’il a enfourché son destrier, ce Don Quichotte du socialisme triomphant encaisse avec un confondant optimisme les échecs, les défaites, et les infortunes. Rien qu’en 2013 la France a enregistré 730 plans sociaux, dont le dernier touchant l’entreprise MORY DUCROS (fruit de l’union récente en 2012 des groupes Mory et Ducros), fait froid dans le dos (5000 emplois menacés). Air France, entreprise emblématique, dont l’Etat détient 16% des actions, envisage pour sa part de supprimer 2800 postes. La litanie pourrait être longue des faillites, et défaillances…
Parallèle troublante, celle des taxes qui fleurissent jour après jour sur le fumier fertile de notre bureaucratie pléthorique. D’autant plus édifiante qu’elle semble décalquer en creux l’épidémie de dépôts de bilans...
Rappelons à titre d’exemple, la taxe sur les billets d’avions, supposée contribuer à l’aide aux pays en voie de développement, instituée par Jacques Chirac, et qui vient d’être augmentée par l’Assemblée Nationale de 12,7% (203 millions d’euros de recettes prévues). Stupidité sans nom, quand on sait que seule la France applique ce prélèvement en Europe, plombant ainsi de manière suicidaire ses propres compagnies, vis à vis de la concurrence ! Comment pourraient-elles éviter de réduire les effectifs si elles veulent rester sur le marché ?
On pourrait naturellement évoquer également la désormais fameuse "écotaxe" qui, si elle est appliquée, pénalisera en premier lieu les transporteurs routiers français (et qui, si elle ne l’est pas, pénalisera de toute manière tous les contribuables…)
Parlons de la calamiteuse Taxe sur les transactions financières (inspirée du non moins calamiteux monsieur Tobin) entrée en application de manière unilatérale au mois d’août 2012, et qui touche exclusivement les entreprises situées en France ! Récemment encore le gouverneur de la Banque de France alertait sur le risque qu’elle faisait courir de “détruire des pans entiers de l’industrie financière française…”
Passons rapidement enfin sur l'ubuesque Taxe à 75% dont le gouvernement ne parvient à accoucher, mais qui dans sa dernière mouture pourrait frrapper nombre de PME (tout en épargnant par un montage artificieux, les clubs de football...)
Au total : pendant que M. Montebourg s’échine à secourir par un preux soutien moral les entreprises, ses amis creusent les trous dans lesquels elles s’embourbent inéluctablement ! Fort heureusement le ridicule ne tue plus. Il peut donc, tant que le pays n’est pas complètement abîmé, continuer de "tout tenter" pour entretenir l'illusion. Mais, même empanaché, il n'est rien d'autre qu'un inaugurateur de chrysanthèmes...
20 novembre 2013
L'Europe en berne
En écoutant Michel Barnier interrogé le 19/11/2013 sur France Culture, pour peu qu’on ait encore quelques illusions, on ne pouvait qu’être une fois de plus navré de constater la pusillanimité, la versatilité et pour tout dire, l’absence de réelle conviction de la plupart des politiciens ambitionnant de gouverner le peuple.
M. Barnier dont le port altier, l’élégance et le sang froid évoquent le gestionnaire avisé, a dans l’opinion publique l’image d’une personnalité plutôt libérale et européiste. il a fait toute sa carrière dans la droite néo-libérale française, et on connaît ses nombreuses responsabilités depuis des lustres, au sein du gouvernement français et de la Commission Européenne, dont il est à ce jour Commissaire aux marché intérieur et aux services. On apprend d’ailleurs qu’il brigue rien moins que la fonction de Président de ladite commission, au printemps 2014…
Pourtant, son discours, ciblé sur la politique européenne avait vraiment de quoi faire frémir.
Premier sujet d’étonnement, jamais cet homme qui fut au cours de sa longue carrière, tour à tour député, commissaire, et même ministre des affaires européennes, n’évoqua une quelconque responsabilité dans l’excès de bureaucratie, qu’il déplore comme tant de gens. Au contraire, il plaida pour régulation renforcée, en prenant l’exemple du secteur des banques.
A ce sujet, il en profita pour propager l’erreur si communément admise par les politiciens, consistant à mettre sur le dos de ces dernières, tout le poids de la crise actuelle. C’est évidemment commode pour s’exonérer de ses propres responsabilités.
M. Barnier reprit donc l’antienne éculée qui fait de la crise des subprime la cause de la panade européenne, et qui raconte “qu’à force de mal se comporter, à force de bonus insensés et de mauvaise gestion”, les banques se sont retrouvées en situation de quasi faillite, contraignant les contribuables à les renflouer.
Si seulement c’était vrai, on serait heureux en la circonstance d’être contribuable, puisque comme chacun sait, les banques ont remboursé leurs dettes, intérêts compris, en à peine plus d’une année ! Si seulement c’était vrai, car on se demande bien comment l’Etat, lui-même endetté jusqu’au cou aurait pu leur prêter l’argent qu’il n’avait pas… Ce qui est certain c’est que malgré cette bonne opération, ce dernier se retrouve toujours plus endetté !
Et de cela M. Barnier ne parle guère…
Au passage, il oublie d’ailleurs que si certaines banques ont été mises en difficulté, c’est souvent par la faute de l’Etat qui les a encouragées à prêter tous azimuts, même dans des conditions très risquées (notamment lors de l’affaire des subprime aux Etats-Unis). Il oublie également que les plus grosses faillites furent encore celles des banques étatisées, comme l’ardoise laissée à la charge du contribuable par le Crédit Lyonnais en atteste, plus de 20 ans après (encore un petit effort de 4,5 milliards d’euros…)
Mais tout cela importe apparemment peu à M. Barnier dont le principal souci est de réguler davantage, non l’Etat, mais le secteur bancaire, de “remettre de l’ordre dans la Finance Mondiale”, et de “la remettre au service de l’économie réelle plutôt qu’à son propre service...”
Au chapitre suivant il critiqua sans vergogne le libre-échange en allant jusqu’à prétendre qu’on a, non pas ouvert, mais “offert” l’Europe à la sauvagerie mondialisée, réclamant par corollaire implicite, un peu de protectionnisme. Extraordinaire ! Il occulte ce faisant, et bien qu’il fut aussi ministre de l’agriculture et de la pêche, toutes les mesures prises par l’Europe, en matière agricole notamment. Il ignore aussi apparemment les nombreux effets pervers que cette politique ne manqua pas de provoquer...
M. Barnier dont le port altier, l’élégance et le sang froid évoquent le gestionnaire avisé, a dans l’opinion publique l’image d’une personnalité plutôt libérale et européiste. il a fait toute sa carrière dans la droite néo-libérale française, et on connaît ses nombreuses responsabilités depuis des lustres, au sein du gouvernement français et de la Commission Européenne, dont il est à ce jour Commissaire aux marché intérieur et aux services. On apprend d’ailleurs qu’il brigue rien moins que la fonction de Président de ladite commission, au printemps 2014…
Pourtant, son discours, ciblé sur la politique européenne avait vraiment de quoi faire frémir.
Premier sujet d’étonnement, jamais cet homme qui fut au cours de sa longue carrière, tour à tour député, commissaire, et même ministre des affaires européennes, n’évoqua une quelconque responsabilité dans l’excès de bureaucratie, qu’il déplore comme tant de gens. Au contraire, il plaida pour régulation renforcée, en prenant l’exemple du secteur des banques.
A ce sujet, il en profita pour propager l’erreur si communément admise par les politiciens, consistant à mettre sur le dos de ces dernières, tout le poids de la crise actuelle. C’est évidemment commode pour s’exonérer de ses propres responsabilités.
M. Barnier reprit donc l’antienne éculée qui fait de la crise des subprime la cause de la panade européenne, et qui raconte “qu’à force de mal se comporter, à force de bonus insensés et de mauvaise gestion”, les banques se sont retrouvées en situation de quasi faillite, contraignant les contribuables à les renflouer.
Si seulement c’était vrai, on serait heureux en la circonstance d’être contribuable, puisque comme chacun sait, les banques ont remboursé leurs dettes, intérêts compris, en à peine plus d’une année ! Si seulement c’était vrai, car on se demande bien comment l’Etat, lui-même endetté jusqu’au cou aurait pu leur prêter l’argent qu’il n’avait pas… Ce qui est certain c’est que malgré cette bonne opération, ce dernier se retrouve toujours plus endetté !
Et de cela M. Barnier ne parle guère…
Au passage, il oublie d’ailleurs que si certaines banques ont été mises en difficulté, c’est souvent par la faute de l’Etat qui les a encouragées à prêter tous azimuts, même dans des conditions très risquées (notamment lors de l’affaire des subprime aux Etats-Unis). Il oublie également que les plus grosses faillites furent encore celles des banques étatisées, comme l’ardoise laissée à la charge du contribuable par le Crédit Lyonnais en atteste, plus de 20 ans après (encore un petit effort de 4,5 milliards d’euros…)
Mais tout cela importe apparemment peu à M. Barnier dont le principal souci est de réguler davantage, non l’Etat, mais le secteur bancaire, de “remettre de l’ordre dans la Finance Mondiale”, et de “la remettre au service de l’économie réelle plutôt qu’à son propre service...”
Au chapitre suivant il critiqua sans vergogne le libre-échange en allant jusqu’à prétendre qu’on a, non pas ouvert, mais “offert” l’Europe à la sauvagerie mondialisée, réclamant par corollaire implicite, un peu de protectionnisme. Extraordinaire ! Il occulte ce faisant, et bien qu’il fut aussi ministre de l’agriculture et de la pêche, toutes les mesures prises par l’Europe, en matière agricole notamment. Il ignore aussi apparemment les nombreux effets pervers que cette politique ne manqua pas de provoquer...
Bref, tout cela est grave.
D’abord parce qu’il s’agit de contre-vérités flagrantes. Pire, parce qu’en contribuant à discréditer un système dont il se dit par ailleurs le promoteur, il brise les repères et il conduit à l’incompréhension et à l’exaspération grandissante de la population.
Marc Voinchet assez finement fit remarquer qu’il se murmurait dans les couloirs des instances européennes que M. Barnier, était “plus à gauche que beaucoup de socialistes.” Et que croyez-vous que le cher homme répondit ? Tout simplement que “beaucoup de socialistes sont plus libéraux que lui”. Terrible aveu qui sonne comme le glas de belles espérances, et d'une "certaine idée" de l'Europe...
D’abord parce qu’il s’agit de contre-vérités flagrantes. Pire, parce qu’en contribuant à discréditer un système dont il se dit par ailleurs le promoteur, il brise les repères et il conduit à l’incompréhension et à l’exaspération grandissante de la population.
Marc Voinchet assez finement fit remarquer qu’il se murmurait dans les couloirs des instances européennes que M. Barnier, était “plus à gauche que beaucoup de socialistes.” Et que croyez-vous que le cher homme répondit ? Tout simplement que “beaucoup de socialistes sont plus libéraux que lui”. Terrible aveu qui sonne comme le glas de belles espérances, et d'une "certaine idée" de l'Europe...
17 novembre 2013
C'est si bon !
Tout
à coup le souvenir évanoui d'une extase peuplée de frissons
exquis a resurgi ! Miracle de la technique, la guitare de
Jerry a la fraîcheur d'une « aurore aux doigts de rose »,
et les indicibles digressions musicales du Mort éternellement
reconnaissant, répandent, comme aux beaux jours des nineties, la
fragrance épicée des herbes folles croissant aux bords évanescents
de chimériques eldorados...
Que
dire de plus de cette magique resucée d'une musique décidément
hors d'âge, qui comme le dit l'épigraphe, célèbre dans un style
éclectique, à la fois le chaos et l'ordre, la beauté et l'horreur,
la vie et la mort, here, there and everywhere, the greatest show
on Earth, an American Institution !
Tel
est The Grateful Dead dans toute sa splendeur passée,
actuelle et future. Abandonnons nous donc sans remord ni appréhension
à cette sublime léthargie. C'est si bon...
Grateful
Dead. Spring 1990. So Glad You Made It. Rhino 2012.
Double
CD live tournée Printemps 1990.
15 novembre 2013
Le cas Finkielkraut (2)
Il est donc légitime de donner raison à M. Finkielkraut sur bien des points de son diagnostic.
Il est normal également de s’indigner des insinuations auxquelles il doit faire face lorsqu’il ose émettre ces vérités, aussi dérangeantes soient-elles.
Et il est naturel d’être choqué par la manière outrecuidante dont certains clercs au zèle inquisiteur usent pour le soumettre à la question, et tenter de lui faire avouer une connivence avec l’extrême-droite.
Mais, s’il est possible d’approuver M. Finkielkraut, et de lui reconnaître le courage d’affronter les hordes vindicatives de fabricants d’idées reçues, on peut également s’interroger sur certains aspects de la conception du monde qu’il professe. Sur au moins trois sujets, sa position est sujette à discussion : la modernité, l'antinomie libéralisme-socialisme, le nationalisme.
M. Finkielkraut n’est pas un “moderne” c’est certain. Il exprime même souvent face au monde moderne ce que Jean-Michel Rey attribuait à Péguy, à savoir “une colère effrénée, colère torrentielle, colère répétitive, colère qui ne connaît jamais d’accalmie…” Entre autres exemples, comme il le révèle dans son journal “l’imparfait du présent*”, le philosophe hait les téléphones portables, et juge sévèrement l'internet dont il prétendait en 2010, au cours d’une interview donnée au magazine Marianne, “qu’il faut être complètement idiot pour penser que c’est un progrès.”
Il est difficile de le suivre sur cette voie, tant elle paraît absurde. Avec de tels principes, il eut été naturel en effet de condamner l’invention de l’imprimerie qui contribua à démocratiser l’écrit, mais qui permit la publication de tant de sottises et d’horreurs ! Comme le faisait remarquer Karl Popper à propos de la télévision, dans laquelle il voyait un danger pour les jeunes générations, ce n’est pas l’outil en soi qui est dangereux, c’est l’usage qu’on en fait. C’est donc la société et sans doute son modèle éducatif qu’on devrait mettre en accusation avant tout. Seule l’éducation permet d’influer sur les comportements, et sur ce point, il est évident qu’on peut rejoindre à nouveau Finkielkraut qui en dresse, comme chacun sait, un tableau accablant.
La modernité et les grandes facilités qui en découlent, font craindre à l’écrivain un nivellement par le bas, l’avènement d’une médiocratie en quelque sorte. Cette appréhension est bien légitime, car il s’agit d’un des grands défis posés à la démocratie, sur lequel Tocqueville, ce visionnaire, avait attiré en son temps l’attention. Il ne s’agit pas pour autant de tenter de faire barrage au progrès, ni aux libertés nouvelles données au peuple, mais de chercher à responsabiliser les comportements.
En se sens, le libéralisme bien pensé (c’est à dire tocquevillien) constitue encore le meilleur modèle pour accompagner l’émancipation des peuples. Et c’est là que se pose la seconde question concernant la philosophie de M. Finkielkraut.
Non seulement il n’apparaît pas comme un libéral convaincu, mais il s’en déclare souvent l’ennemi. Dans l’article sus-mentionné, il expliquait en 2010 de manière très classique la crise par l’échec du libéralisme et du laisser-faire, en invoquant même comme on l’entend si souvent, la responsabilité des Greenspan, Reagan et autre Thatcher... Il considérait dans le même temps que cet échec consacrait la victoire idéologique de la social-démocratie. Pour tout dire, il se réjouissait que les recettes de cette dernière aient permis “d’échapper au pire” et que “l’État reprenne la main, redevienne un acteur économique à part entière, [et que] la régulation s’impose, [que] la social-démocratie l’emporte sur tous les fronts !”
A cette occasion, il reprenait à son compte l’expression du philosophe polonais dissident Kolakowski, se qualifiant de “conservateur-libéral-socialiste”.
Curieux mélange. Est-ce donc l’eau tiède qu’il propose en guise de remède souverain au désastre chronique dans lequel nos sociétés s’engluent ? Etonnnante perspective en tout cas, et grossier contresens pour un libéral qui rapporte les maux actuels, non à un défaut de régulations ou de protection sociale, mais à l’inverse, aux excès de l’Etat-Providence, sur lesquels encore une fois Tocqueville avait mis en garde. Si le libéralisme n'est pas la solution, comment imaginer qu'en le diluant avec son contraires, il devienne efficient ? Et ses contraires sont-ils eux-mêmes plus souhaitables ?
En fin de compte, on savait Finkielkraut conservateur, on connaît son aversion pour le libéralisme. Quid du Socialisme ?
Aurait-il gardé de ses années de jeunesse un peu du calamiteux ferment néo-révolutionnaire poussant à vouloir faire le bonheur du peuple quitte à lui passer dessus ?
La question mérite d’être posée lorsqu’en ouvrant son ouvrage “l’identité malheureuse”, on lit qu’il fut maoïste jusqu’à un âge relativement avancé, et qu’il crut bon de voter Mitterrand en 1981, “avec enthousiasme”, alors qu’il avait plus de 30 ans !
Il est vraiment difficile de comprendre comment un esprit éclairé, aiguisé, cultivé, pouvait à l’époque ignorer ce que représentait le dirigeant socialiste, vieux roublard politicien, passé par tous les bords et prêt à toutes les compromissions, et notamment à faire alliance avec des communistes, pour se hisser au pouvoir.
Sans doute M. Finkielraut, grand admirateur de Péguy, conserve-t-il de son maître, une vision un peu idéaliste du socialisme en tant que système ayant pour but de “libérer l’humanité des servitudes économiques...”
On pourrait presque lui en faire crédit, mais ce qui était excusable du temps de Péguy ne l’est hélas plus guère à notre époque.
S’agissant enfin du nationalisme, l’attitude de M. Finkielkraut reste également un tantinet ambiguë. A propos de l’Europe par exemple, il se dit partisan de l’union, mais dans le contexte d’un concert de nations. Il voit d’ailleurs dans l’émiettement des empires et dans le retour aux nations, la condition primordiale qui permit les progrès de la démocratie au cours du XXè siècle.
Cette conception originale est certes défendable mais il faut alors s’intéresser aux causes du démantèlement de ces empires maléfiques. Et comment ne pas voir alors en toute clarté l’influence et le rayonnement américains ? Qu’on le veuille ou non, c’est bien de l’Ouest que le vent démocratique est venu et s’est imposé sur l’Europe. Non sans violence d’ailleurs car il fallut des guerres horribles pour se débarrasser des abominations qui ensanglantèrent le XXè siècle. Si l’on accepte cette évidence, et qu’on ose regarder de plus près et sans a priori le modèle élaboré outre-atlantique, il apparaît non moins clairement qu’il faille dépasser l’échelon de “l’état-nation” pour donner à l’Europe un vrai destin et une stature susceptible de peser dans le monde.
Dans cette logique, s’il est normal de partager l’exaspération de M. Finkielkraut au sujet de l’angélisme et de l’irresponsabilité du Parlement Européen actuel, on peut souhaiter paradoxalement qu’en soient renforcées les prérogatives. Car on peut voir dans les atermoiements actuels, un excès de la technostructure, mais aussi une influence résiduelle excessive des nations, paralysant l’action et empêchant que se cristallise une vraie ambition. De ce point de vue le modèle fédéral, supra-national, qui fut prôné par Kant et qui réussit si bien outre-atlantique, constitue un bel objectif, pour un Européen convaincu. C’est précisément en dépassant l’état-nation qu’on a quelque chance d’atteindre l’idéal de la Nation Européenne pour reprendre le terme de Julien Benda**. Sans avoir pour autant besoin de renoncer à son passé, mais en le transcendant.
On peut certes être un petit pays indépendant, et parvenir à se ménager une place enviable dans le monde. La Suisse en est un exemple, la Corée (du Sud) un autre, plus édifiant encore eu égard à la déchirure tragique dont elle est l'objet. N’empêche, lorsque plusieurs nations se rassemblent au nom du principe qui veut que l’union fait la force, elles ont intérêt à dépasser les intérêts individuels pour faire en sorte que la force de l’ensemble soit supérieure à celle de la somme des parties. En définitive, chacun peut avoir une haute idée du concept de nation. Le tout est de savoir à quel niveau il se situe… Ici encore M. Finkielkraut semble être resté sur une position quelque peu datée et sans doute peu compatible avec un vrai projet européen.
C’est sans doute pourquoi, si la solidité et la clairvoyance de ses diagnostics devraient imposer le respect, ses conceptions philosophiques peuvent susciter la controverse...
Il est normal également de s’indigner des insinuations auxquelles il doit faire face lorsqu’il ose émettre ces vérités, aussi dérangeantes soient-elles.
Et il est naturel d’être choqué par la manière outrecuidante dont certains clercs au zèle inquisiteur usent pour le soumettre à la question, et tenter de lui faire avouer une connivence avec l’extrême-droite.
Mais, s’il est possible d’approuver M. Finkielkraut, et de lui reconnaître le courage d’affronter les hordes vindicatives de fabricants d’idées reçues, on peut également s’interroger sur certains aspects de la conception du monde qu’il professe. Sur au moins trois sujets, sa position est sujette à discussion : la modernité, l'antinomie libéralisme-socialisme, le nationalisme.
M. Finkielkraut n’est pas un “moderne” c’est certain. Il exprime même souvent face au monde moderne ce que Jean-Michel Rey attribuait à Péguy, à savoir “une colère effrénée, colère torrentielle, colère répétitive, colère qui ne connaît jamais d’accalmie…” Entre autres exemples, comme il le révèle dans son journal “l’imparfait du présent*”, le philosophe hait les téléphones portables, et juge sévèrement l'internet dont il prétendait en 2010, au cours d’une interview donnée au magazine Marianne, “qu’il faut être complètement idiot pour penser que c’est un progrès.”
Il est difficile de le suivre sur cette voie, tant elle paraît absurde. Avec de tels principes, il eut été naturel en effet de condamner l’invention de l’imprimerie qui contribua à démocratiser l’écrit, mais qui permit la publication de tant de sottises et d’horreurs ! Comme le faisait remarquer Karl Popper à propos de la télévision, dans laquelle il voyait un danger pour les jeunes générations, ce n’est pas l’outil en soi qui est dangereux, c’est l’usage qu’on en fait. C’est donc la société et sans doute son modèle éducatif qu’on devrait mettre en accusation avant tout. Seule l’éducation permet d’influer sur les comportements, et sur ce point, il est évident qu’on peut rejoindre à nouveau Finkielkraut qui en dresse, comme chacun sait, un tableau accablant.
La modernité et les grandes facilités qui en découlent, font craindre à l’écrivain un nivellement par le bas, l’avènement d’une médiocratie en quelque sorte. Cette appréhension est bien légitime, car il s’agit d’un des grands défis posés à la démocratie, sur lequel Tocqueville, ce visionnaire, avait attiré en son temps l’attention. Il ne s’agit pas pour autant de tenter de faire barrage au progrès, ni aux libertés nouvelles données au peuple, mais de chercher à responsabiliser les comportements.
En se sens, le libéralisme bien pensé (c’est à dire tocquevillien) constitue encore le meilleur modèle pour accompagner l’émancipation des peuples. Et c’est là que se pose la seconde question concernant la philosophie de M. Finkielkraut.
Non seulement il n’apparaît pas comme un libéral convaincu, mais il s’en déclare souvent l’ennemi. Dans l’article sus-mentionné, il expliquait en 2010 de manière très classique la crise par l’échec du libéralisme et du laisser-faire, en invoquant même comme on l’entend si souvent, la responsabilité des Greenspan, Reagan et autre Thatcher... Il considérait dans le même temps que cet échec consacrait la victoire idéologique de la social-démocratie. Pour tout dire, il se réjouissait que les recettes de cette dernière aient permis “d’échapper au pire” et que “l’État reprenne la main, redevienne un acteur économique à part entière, [et que] la régulation s’impose, [que] la social-démocratie l’emporte sur tous les fronts !”
A cette occasion, il reprenait à son compte l’expression du philosophe polonais dissident Kolakowski, se qualifiant de “conservateur-libéral-socialiste”.
Curieux mélange. Est-ce donc l’eau tiède qu’il propose en guise de remède souverain au désastre chronique dans lequel nos sociétés s’engluent ? Etonnnante perspective en tout cas, et grossier contresens pour un libéral qui rapporte les maux actuels, non à un défaut de régulations ou de protection sociale, mais à l’inverse, aux excès de l’Etat-Providence, sur lesquels encore une fois Tocqueville avait mis en garde. Si le libéralisme n'est pas la solution, comment imaginer qu'en le diluant avec son contraires, il devienne efficient ? Et ses contraires sont-ils eux-mêmes plus souhaitables ?
En fin de compte, on savait Finkielkraut conservateur, on connaît son aversion pour le libéralisme. Quid du Socialisme ?
Aurait-il gardé de ses années de jeunesse un peu du calamiteux ferment néo-révolutionnaire poussant à vouloir faire le bonheur du peuple quitte à lui passer dessus ?
La question mérite d’être posée lorsqu’en ouvrant son ouvrage “l’identité malheureuse”, on lit qu’il fut maoïste jusqu’à un âge relativement avancé, et qu’il crut bon de voter Mitterrand en 1981, “avec enthousiasme”, alors qu’il avait plus de 30 ans !
Il est vraiment difficile de comprendre comment un esprit éclairé, aiguisé, cultivé, pouvait à l’époque ignorer ce que représentait le dirigeant socialiste, vieux roublard politicien, passé par tous les bords et prêt à toutes les compromissions, et notamment à faire alliance avec des communistes, pour se hisser au pouvoir.
Sans doute M. Finkielraut, grand admirateur de Péguy, conserve-t-il de son maître, une vision un peu idéaliste du socialisme en tant que système ayant pour but de “libérer l’humanité des servitudes économiques...”
On pourrait presque lui en faire crédit, mais ce qui était excusable du temps de Péguy ne l’est hélas plus guère à notre époque.
S’agissant enfin du nationalisme, l’attitude de M. Finkielkraut reste également un tantinet ambiguë. A propos de l’Europe par exemple, il se dit partisan de l’union, mais dans le contexte d’un concert de nations. Il voit d’ailleurs dans l’émiettement des empires et dans le retour aux nations, la condition primordiale qui permit les progrès de la démocratie au cours du XXè siècle.
Cette conception originale est certes défendable mais il faut alors s’intéresser aux causes du démantèlement de ces empires maléfiques. Et comment ne pas voir alors en toute clarté l’influence et le rayonnement américains ? Qu’on le veuille ou non, c’est bien de l’Ouest que le vent démocratique est venu et s’est imposé sur l’Europe. Non sans violence d’ailleurs car il fallut des guerres horribles pour se débarrasser des abominations qui ensanglantèrent le XXè siècle. Si l’on accepte cette évidence, et qu’on ose regarder de plus près et sans a priori le modèle élaboré outre-atlantique, il apparaît non moins clairement qu’il faille dépasser l’échelon de “l’état-nation” pour donner à l’Europe un vrai destin et une stature susceptible de peser dans le monde.
Dans cette logique, s’il est normal de partager l’exaspération de M. Finkielkraut au sujet de l’angélisme et de l’irresponsabilité du Parlement Européen actuel, on peut souhaiter paradoxalement qu’en soient renforcées les prérogatives. Car on peut voir dans les atermoiements actuels, un excès de la technostructure, mais aussi une influence résiduelle excessive des nations, paralysant l’action et empêchant que se cristallise une vraie ambition. De ce point de vue le modèle fédéral, supra-national, qui fut prôné par Kant et qui réussit si bien outre-atlantique, constitue un bel objectif, pour un Européen convaincu. C’est précisément en dépassant l’état-nation qu’on a quelque chance d’atteindre l’idéal de la Nation Européenne pour reprendre le terme de Julien Benda**. Sans avoir pour autant besoin de renoncer à son passé, mais en le transcendant.
On peut certes être un petit pays indépendant, et parvenir à se ménager une place enviable dans le monde. La Suisse en est un exemple, la Corée (du Sud) un autre, plus édifiant encore eu égard à la déchirure tragique dont elle est l'objet. N’empêche, lorsque plusieurs nations se rassemblent au nom du principe qui veut que l’union fait la force, elles ont intérêt à dépasser les intérêts individuels pour faire en sorte que la force de l’ensemble soit supérieure à celle de la somme des parties. En définitive, chacun peut avoir une haute idée du concept de nation. Le tout est de savoir à quel niveau il se situe… Ici encore M. Finkielkraut semble être resté sur une position quelque peu datée et sans doute peu compatible avec un vrai projet européen.
C’est sans doute pourquoi, si la solidité et la clairvoyance de ses diagnostics devraient imposer le respect, ses conceptions philosophiques peuvent susciter la controverse...
* l'imparfait du présent. Alain Finkielkraut. Gallimard 2002
** Discours à la Nation Européenne. Julien Benda. Gallimard 1933
11 novembre 2013
Le cas Finkielkraut (1)
« Le présent de l’imparfait », « le mécontemporain », « l’humanité perdue », « l’identité malheureuse », les titres de nombre de ses ouvrages en témoignent de manière éloquente : si Alain Finkielkraut n’est pas nostalgique du passé, du moins peut-on présumer qu’il n’est pas vraiment dans son époque…
Certains affirment qu’il la vomit, d’autres qu’il ne la comprend pas. Mais en définitive, le comprend-elle, cette époque un peu folle, capable de nier tant d’évidences, de s’enticher de tant de chimères, et à la fin, de tirer si peu de leçons de l'histoire ?
Lorsque l’on assiste aux joutes opposant le philosophe à ses contradicteurs, on a souvent l’impression d’assister à un vrai dialogue de sourds. Aux arguments contournés et quelque peu désespérés du premier répondent les forfanteries sommaires et optimistes des seconds. Au lamento tragique célébrant le bon vieux temps, fait écho l’arrogance infatuée des lendemains qui chantent.
A bien y réfléchir, on hésite à prendre parti…
Mais si chacun espère naturellement que l'avenir sera meilleur que le passé, force est de reconnaître que le présent a de quoi faire naître quelques inquiétudes.
En cela, le constat de Finkielkraut sonne juste à bien des égards, même si les explications semblent parfois un peu trop unilatérales, et si les solutions envisagées sont discutables.
Si l'on s'en tient au débat qui fait rage en ce moment, et qu'il aborde dans son dernier ouvrage "l'identité malheureuse*", il faut par exemple être aveugle ou bien de fort mauvaise foi pour ne pas voir que le concept même de nation est en voie de délitement, et dans la même logique, pour occulter tout ce que l’appartenance à cette dernière est en train de perdre en signification. C’est un fait qui admet sans doute plusieurs causes, mais il est indéniable et plutôt inquiétant lorsqu'on aime son pays. L’immigration est liée à cette problématique, à n'en pas douter. Non pas comme cause en soi bien sûr comme l'histoire des peuples en témoigne, ou bien comme le succès du fabuleux brassage de population en Amérique nous en apporte une preuve éclatante.
L’immigration est devenue un problème pour la France, parce qu'elle dépasse les capacités d'accueil d'un pays en crise, que nous avons renoncé à la maîtriser, et plus encore, parce que l'intégration des nouveaux arrivés ne nous importe plus guère. Et par un navrant corollaire, parce que le débat, pour des raisons purement idéologiques, se radicalise dangereusement, le discours officiel allant parfois jusqu'à nier qu’il s'agisse d'un problème, tandis que d'autres voix affirment au contraire que c'est LE problème, faisant des étrangers des boucs émissaires...
Alain Finkielkraut exprime lui-même un peu de cette radicalisation, en constatant que «pour la première fois dans l’histoire de l’immigration, l’accueilli refuse à l’accueillant, quel qu’il soit, la faculté d’incarner le pays d’accueil ». C'est sans doute parfois vrai, mais ne serait-on pas tenté de déplorer pareillement, l’incapacité de l’accueillant à incarner ce pays ? N’en serait-ce pas le primum movens ?
On assiste de fait, à un troublant phénomène, où se conjuguent la perte de foi dans notre modèle de société et un émerveillement un peu niais pour l'exotisme et "la différence" sous toutes ses formes. A cela s'ajoute une propension aux bons sentiments, hélas souvent naïfs, conduisant à encourager l'arrivée d'étrangers "par principe" bien plus que par raison. Sans doute pour certains, la nécessité de se démarquer des thèses du Front National, devenues le coeur de toute controverse sur le sujet, entrent-elles dans cette disposition d’esprit.
Toujours est-il que les nouveaux immigrants débarquent dans un univers déboussolé, avec à l'esprit la perspective de profiter du bien être matériel auquel on leur rabâche qu'ils ont droit, et dont notre richesse passée entretient encore pour un temps l'illusion. C’est d'ailleurs la seule aspiration qu’on ait désormais l’ambition de leur communiquer, puisque la société dans laquelle nous vivons ne trouve plus vraiment grâce à nos propres yeux, et que ses fondements démocratiques relevant du capitalisme et du libéralisme, sont quotidiennement et abondamment l’objet de critiques, pour ne pas dire qu’ils sont purement et simplement honnis.
Lorsque Alain Finkielkraut déplore cette évolution, il est difficile de lui donner tort, tant elle relève d’une triste évidence.
De ce point de vue, faire semblant de croire que tous les immigrés se valent, qu’il n’existe pas de critère pour ne pas les accueillir, et revendiquer le droit à la nationalité française pour tous ceux qui avec leurs familles touchent notre sol, constitue une douce folie. C’est galvauder la notion même de nationalité, scier la branche sur laquelle elle est assise, et faire un cadeau empoisonné à ses bénéficiaires, car bientôt ce ne sera plus qu’une coquille vide.
C’est sans doute ce que Charles Péguy pressentait lorsque, cité par Finkielkraut qui lui a consacré un essai en forme d’apologie**, il s’exclamait : “une humanité est venue, un monde de barbares de brutes, de mufles ; plus qu’une pambéotie, plus que la pambéotie redoutable annoncée, plus que la pambéotie redoutable constatée : une panmuflerie sans limites ; un règne de barbares, de brutes, et de mufles ; une matière esclave ; sans personnalité, sans dignité ; sans ligne ; un monde non seulement qui fait des blagues, mais qui ne fait que des blagues, et qui fait toutes les blagues, qui fait blague de tout.”
Lorsque plus rien n’a de réelle importance, que les convictions s’effacent ou qu’elles sont systématiquement tournées en dérision, le monde devient en effet une vaste blague. Mais le rire qui en sort est de plus en plus laborieux. Il confine au sinistre, voire au morbide.
Tout particulièrement lorsque les chantres de la nouvelle vertu universaliste assimilent toute opinion contraire à la leur à du fascisme, et comparent par esprit de système les expulsions de “sans papiers” à des rafles nazies.
Ce n’est plus dès lors le règne des blagues mais de l’imposture, de la falsification. Bref, de tous les délires et du n’importe quoi.
N’en déplaise aux moralisateurs de tous poils, on peut considérer qu’il soit dangereux de ne pas vouloir faire de différence entre les foules de misérables qui se pressent à nos portes de manière anarchique, attendant une manne illusoire, et les immigrants du Nouveau Monde qui cherchaient à intégrer un pays par idéal, pour faire de son mode de vie le leur et y consacrer le meilleur d’eux-mêmes.
N’en déplaise aux ligues bien pensantes, on peut penser qu’il soit déraisonnable dans une société ouverte et prétendue “laïque”, de refuser de voir la montée de communautarismes s’exprimant par des signes faisant référence à des dogmes sectaires ou religieux de plus en plus outranciers et rétrogrades.
A ce sujet, il paraît absurde de penser qu'en interdisant le port du voile dans les lieux publics, on puisse enrayer les excès du communautarisme, notamment religieux. Tout comme il est assez vain, voire hypocrite, de battre sa coulpe au triste spectacle des immigrants faisant naufrage en tentant d'atteindre les côtes européennes.
* l'identité malheureuse. Gallimard. Paris 2013
** Le mécontemporain Gallimard. Paris 1991
Certains affirment qu’il la vomit, d’autres qu’il ne la comprend pas. Mais en définitive, le comprend-elle, cette époque un peu folle, capable de nier tant d’évidences, de s’enticher de tant de chimères, et à la fin, de tirer si peu de leçons de l'histoire ?
Lorsque l’on assiste aux joutes opposant le philosophe à ses contradicteurs, on a souvent l’impression d’assister à un vrai dialogue de sourds. Aux arguments contournés et quelque peu désespérés du premier répondent les forfanteries sommaires et optimistes des seconds. Au lamento tragique célébrant le bon vieux temps, fait écho l’arrogance infatuée des lendemains qui chantent.
A bien y réfléchir, on hésite à prendre parti…
Mais si chacun espère naturellement que l'avenir sera meilleur que le passé, force est de reconnaître que le présent a de quoi faire naître quelques inquiétudes.
En cela, le constat de Finkielkraut sonne juste à bien des égards, même si les explications semblent parfois un peu trop unilatérales, et si les solutions envisagées sont discutables.
Si l'on s'en tient au débat qui fait rage en ce moment, et qu'il aborde dans son dernier ouvrage "l'identité malheureuse*", il faut par exemple être aveugle ou bien de fort mauvaise foi pour ne pas voir que le concept même de nation est en voie de délitement, et dans la même logique, pour occulter tout ce que l’appartenance à cette dernière est en train de perdre en signification. C’est un fait qui admet sans doute plusieurs causes, mais il est indéniable et plutôt inquiétant lorsqu'on aime son pays. L’immigration est liée à cette problématique, à n'en pas douter. Non pas comme cause en soi bien sûr comme l'histoire des peuples en témoigne, ou bien comme le succès du fabuleux brassage de population en Amérique nous en apporte une preuve éclatante.
L’immigration est devenue un problème pour la France, parce qu'elle dépasse les capacités d'accueil d'un pays en crise, que nous avons renoncé à la maîtriser, et plus encore, parce que l'intégration des nouveaux arrivés ne nous importe plus guère. Et par un navrant corollaire, parce que le débat, pour des raisons purement idéologiques, se radicalise dangereusement, le discours officiel allant parfois jusqu'à nier qu’il s'agisse d'un problème, tandis que d'autres voix affirment au contraire que c'est LE problème, faisant des étrangers des boucs émissaires...
Alain Finkielkraut exprime lui-même un peu de cette radicalisation, en constatant que «pour la première fois dans l’histoire de l’immigration, l’accueilli refuse à l’accueillant, quel qu’il soit, la faculté d’incarner le pays d’accueil ». C'est sans doute parfois vrai, mais ne serait-on pas tenté de déplorer pareillement, l’incapacité de l’accueillant à incarner ce pays ? N’en serait-ce pas le primum movens ?
On assiste de fait, à un troublant phénomène, où se conjuguent la perte de foi dans notre modèle de société et un émerveillement un peu niais pour l'exotisme et "la différence" sous toutes ses formes. A cela s'ajoute une propension aux bons sentiments, hélas souvent naïfs, conduisant à encourager l'arrivée d'étrangers "par principe" bien plus que par raison. Sans doute pour certains, la nécessité de se démarquer des thèses du Front National, devenues le coeur de toute controverse sur le sujet, entrent-elles dans cette disposition d’esprit.
Toujours est-il que les nouveaux immigrants débarquent dans un univers déboussolé, avec à l'esprit la perspective de profiter du bien être matériel auquel on leur rabâche qu'ils ont droit, et dont notre richesse passée entretient encore pour un temps l'illusion. C’est d'ailleurs la seule aspiration qu’on ait désormais l’ambition de leur communiquer, puisque la société dans laquelle nous vivons ne trouve plus vraiment grâce à nos propres yeux, et que ses fondements démocratiques relevant du capitalisme et du libéralisme, sont quotidiennement et abondamment l’objet de critiques, pour ne pas dire qu’ils sont purement et simplement honnis.
Lorsque Alain Finkielkraut déplore cette évolution, il est difficile de lui donner tort, tant elle relève d’une triste évidence.
De ce point de vue, faire semblant de croire que tous les immigrés se valent, qu’il n’existe pas de critère pour ne pas les accueillir, et revendiquer le droit à la nationalité française pour tous ceux qui avec leurs familles touchent notre sol, constitue une douce folie. C’est galvauder la notion même de nationalité, scier la branche sur laquelle elle est assise, et faire un cadeau empoisonné à ses bénéficiaires, car bientôt ce ne sera plus qu’une coquille vide.
C’est sans doute ce que Charles Péguy pressentait lorsque, cité par Finkielkraut qui lui a consacré un essai en forme d’apologie**, il s’exclamait : “une humanité est venue, un monde de barbares de brutes, de mufles ; plus qu’une pambéotie, plus que la pambéotie redoutable annoncée, plus que la pambéotie redoutable constatée : une panmuflerie sans limites ; un règne de barbares, de brutes, et de mufles ; une matière esclave ; sans personnalité, sans dignité ; sans ligne ; un monde non seulement qui fait des blagues, mais qui ne fait que des blagues, et qui fait toutes les blagues, qui fait blague de tout.”
Lorsque plus rien n’a de réelle importance, que les convictions s’effacent ou qu’elles sont systématiquement tournées en dérision, le monde devient en effet une vaste blague. Mais le rire qui en sort est de plus en plus laborieux. Il confine au sinistre, voire au morbide.
Tout particulièrement lorsque les chantres de la nouvelle vertu universaliste assimilent toute opinion contraire à la leur à du fascisme, et comparent par esprit de système les expulsions de “sans papiers” à des rafles nazies.
Ce n’est plus dès lors le règne des blagues mais de l’imposture, de la falsification. Bref, de tous les délires et du n’importe quoi.
N’en déplaise aux moralisateurs de tous poils, on peut considérer qu’il soit dangereux de ne pas vouloir faire de différence entre les foules de misérables qui se pressent à nos portes de manière anarchique, attendant une manne illusoire, et les immigrants du Nouveau Monde qui cherchaient à intégrer un pays par idéal, pour faire de son mode de vie le leur et y consacrer le meilleur d’eux-mêmes.
N’en déplaise aux ligues bien pensantes, on peut penser qu’il soit déraisonnable dans une société ouverte et prétendue “laïque”, de refuser de voir la montée de communautarismes s’exprimant par des signes faisant référence à des dogmes sectaires ou religieux de plus en plus outranciers et rétrogrades.
A ce sujet, il paraît absurde de penser qu'en interdisant le port du voile dans les lieux publics, on puisse enrayer les excès du communautarisme, notamment religieux. Tout comme il est assez vain, voire hypocrite, de battre sa coulpe au triste spectacle des immigrants faisant naufrage en tentant d'atteindre les côtes européennes.
* l'identité malheureuse. Gallimard. Paris 2013
** Le mécontemporain Gallimard. Paris 1991
06 novembre 2013
New York Bad News
Avec l’élection triomphale aux fonctions de maire, d’un démocrate très progressiste, Bill de Blasio, la ville de New York s’apprête-t-elle à renouer avec les jeux dangereux qui en firent une cité maudite dans les années 70-80 ?
Durant ces « années de plomb » pour reprendre une formule adorée des journalistes, la ville, sous l’effet de politiques permissives et veules, fut abandonnée par ses maires démocrates gauchisants, à toutes les plaies du monde moderne : chômage, violence, endettement, drogue, prostitution... Mégalopole devenue crépusculaire, elle était même le théâtre de tous les scénarios catastrophes, l’inscrivant dans une seule et sinistre perspective : celle de devenir un enfer dantesque, livré à la loi de la jungle. Nombre de romans et de films exploitèrent ce filon juteux, mais quelque peu désespérant.
Il fallut l’arrivée de Rudolph Giuliani, républicain pourtant modéré, pour voir, à partir de 1993, peu à peu les choses changer. Sans révolution, sans effusion de sang, son administration nettoya avec calme et méthode, conviction et détermination, toutes les salissures et dégradations qui avaient fait de la Porte de la Liberté, un repoussoir nauséabond. Il assainit la gestion financière et redonna une vraie espérance. New York fut remise en selle et son rayonnement retrouva tout son lustre, attirant à nouveau artistes, touristes, entrepreneurs.
Hélas, il y a de bonnes raisons de s’inquiéter aujourd’hui.
Après douze ans de gestion plan-plan mais avisée, sous l’égide du magnat des affaires Michael Blomberg, New York semble prête à s’engager dans une nouvelle aventure. Il n’est pas besoin d’être devin pour affirmer que celle-ci s’avère hautement périlleuse au moment où la crise menace tout le monde occidental et particulièrement le budget fédéral américain, en quasi faillite.
Bill de Blasio, le héros du jour est trop à l’image des calamiteux coreligionnaires qui l’ont précédé pour inspirer confiance. C’est bien simple : il rassemble en lui toutes les tendances de l’art d’être bobo de gauche, branché et démago, dont on apprend vite à se méfier lorsqu’on est adepte de pragmatisme et de bon sens, de vraie justice et d’équité.
Premier constat, dans cette attitude, la forme prime le fond.
Le parcours politique du nouveau maire illustre à merveille l’adage. Comme une star du showbiz il a cru bon de changer son nom, Warren Willhelm, jugé sans doute trop terne et connoté de conservatisme anglo-saxon. Bill de Blasio en revanche, ça vous a un petit air latino, de soleil et de fiesta, propre à séduire les foules naïves et à racoler certaines communautés en mal de rêves.
Par son mariage, il a transformé l’essai si l’on peut dire. Epouser une femme noire, qui se vantait d’être poétesse et lesbienne de surcroît, il fallait le faire. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, affirmait Pascal. S’il n’est pas question ici de juger l’inclination amoureuse, force est de reconnaître qu’elle ne pouvait mieux servir les ambitions politiques du jeune loup progressiste…
Tout comme les enfants qui naquirent de cette union idyllique, métis of course, mais arborant un look résolument afro, rappelant furieusement les seventies, avec lesquels le candidat s’est affiché complaisamment durant toute sa campagne.
Tout comme son apprentissage de l’espagnol, au Nicaragua, auprès des révolutionnaires sandinistes qu’il a assidûment côtoyés autrefois, et dont il s’est dit très proche de l’idéologie socialiste néo-marxiste.
Durant ces « années de plomb » pour reprendre une formule adorée des journalistes, la ville, sous l’effet de politiques permissives et veules, fut abandonnée par ses maires démocrates gauchisants, à toutes les plaies du monde moderne : chômage, violence, endettement, drogue, prostitution... Mégalopole devenue crépusculaire, elle était même le théâtre de tous les scénarios catastrophes, l’inscrivant dans une seule et sinistre perspective : celle de devenir un enfer dantesque, livré à la loi de la jungle. Nombre de romans et de films exploitèrent ce filon juteux, mais quelque peu désespérant.
Il fallut l’arrivée de Rudolph Giuliani, républicain pourtant modéré, pour voir, à partir de 1993, peu à peu les choses changer. Sans révolution, sans effusion de sang, son administration nettoya avec calme et méthode, conviction et détermination, toutes les salissures et dégradations qui avaient fait de la Porte de la Liberté, un repoussoir nauséabond. Il assainit la gestion financière et redonna une vraie espérance. New York fut remise en selle et son rayonnement retrouva tout son lustre, attirant à nouveau artistes, touristes, entrepreneurs.
Hélas, il y a de bonnes raisons de s’inquiéter aujourd’hui.
Après douze ans de gestion plan-plan mais avisée, sous l’égide du magnat des affaires Michael Blomberg, New York semble prête à s’engager dans une nouvelle aventure. Il n’est pas besoin d’être devin pour affirmer que celle-ci s’avère hautement périlleuse au moment où la crise menace tout le monde occidental et particulièrement le budget fédéral américain, en quasi faillite.
Bill de Blasio, le héros du jour est trop à l’image des calamiteux coreligionnaires qui l’ont précédé pour inspirer confiance. C’est bien simple : il rassemble en lui toutes les tendances de l’art d’être bobo de gauche, branché et démago, dont on apprend vite à se méfier lorsqu’on est adepte de pragmatisme et de bon sens, de vraie justice et d’équité.
Premier constat, dans cette attitude, la forme prime le fond.
Le parcours politique du nouveau maire illustre à merveille l’adage. Comme une star du showbiz il a cru bon de changer son nom, Warren Willhelm, jugé sans doute trop terne et connoté de conservatisme anglo-saxon. Bill de Blasio en revanche, ça vous a un petit air latino, de soleil et de fiesta, propre à séduire les foules naïves et à racoler certaines communautés en mal de rêves.
Par son mariage, il a transformé l’essai si l’on peut dire. Epouser une femme noire, qui se vantait d’être poétesse et lesbienne de surcroît, il fallait le faire. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, affirmait Pascal. S’il n’est pas question ici de juger l’inclination amoureuse, force est de reconnaître qu’elle ne pouvait mieux servir les ambitions politiques du jeune loup progressiste…
Tout comme les enfants qui naquirent de cette union idyllique, métis of course, mais arborant un look résolument afro, rappelant furieusement les seventies, avec lesquels le candidat s’est affiché complaisamment durant toute sa campagne.
Tout comme son apprentissage de l’espagnol, au Nicaragua, auprès des révolutionnaires sandinistes qu’il a assidûment côtoyés autrefois, et dont il s’est dit très proche de l’idéologie socialiste néo-marxiste.
Aujourd’hui Le fringant quinquagénaire au look de banquier et stature de joueur de basketball, ne revendique plus trop ce passé sulfureux, mais le moins qu’on puisse dire est qu’il a laissé quelques traces.
Parmi les actions inscrites au programme sur lequel il a été élu, figurent en bonne place les mesures destinées à renforcer la mixité sociale, sensées réduire les clivages Pauvres-Riches qui paraît-il minent la Grosse Pomme. Pour éloigner le spectre misérabiliste du Tale of Two Cities, narré autrefois par Charles Dickens, M. de Blasio ressort la ritournelle éculée de « l’impôt pour les plus riches », et entend redistribuer au nom de la lutte contre les inégalités « 95% des richesses, détenues par les 5% les plus aisés », refrain connu... De ce point de vue M. de Blasio est bien dans la rhétorique illusionniste des Occupy Wall Street, dont il s’est dit à grand renfort de publicité l’ami. S’il suffisait d’appauvrir 5% de la population pour enrichir les 95% restants, cela se saurait, et personne bien évidemment ne serait contre. Mais va-t-il seulement réussir à les taxer, ou bien les faire fuir ?
Plus inquiétant encore, est son objectif de revenir sur une politique sécuritaire qu’il juge excessive. Il a par exemple, annoncé avant même son élection le limogeage du chef de la police, et la suppression des contrôles d’identité assortis de fouille, les « stop and frisk » aussi décriés par les bobos-gauchos outre-atlantique que les contrôles au faciès par notre intelligentsia de cul-bénis franchouillards.
Gageons que la réalité lui fera peut-être rabattre un peu ses prétentions idéalistes, puisque selon le magazine Le Point, il serait déjà revenu sur certaines propositions fantaisistes : il plaidait entre autres avec ferveur avant d’y renoncer, pour le bannissement des grands gobelets de coca-cola, pour la transformation de Times Square en espace piétonnier, pour l’interdiction des calèches touristiques autour de Central Park…
04 novembre 2013
Bonnets Rouges et Tea Party
Eu
égard à la frénésie taxatrice caractérisant quasi exclusivement
sa politique, végétative par ailleurs, il est assez plaisant de
voir le gouvernement trébucher sur un impôt élaboré par... ses
prédécesseurs !
En
dépit de l'apparition depuis quelques mois un peu partout sur les
routes, de portiques étranges hérissés de caméras, détecteurs,
émetteurs en tous genres, il faut bien dire que peu de gens
semble-t-il avaient anticipé le coup. Pourtant, avec un point de vue
rétrospectif, la fameuse « écotaxe pour les poids lourds »
avait tout pour mettre le feu aux poudres. Réunissant dans une même
nasse l'ensemble de la classe politique qui l'avait avalisée, elle
combine en effet une incroyable complexité avec un intérêt
pratique à peu près inintelligible. Surtout, elle arrive comme la
cerise sur un gâteau fiscal passablement écœurant !
Il
serait vain de tenter de décrire cette nouvelle usine à gaz du
Trésor Public, vue la sophistication diabolique à laquelle elle
répond. Disons simplement qu'elle devait permettre de (sur)taxer les
poids lourds de plus 3,5 tonnes, circulant sur le réseau routier
hors autoroutes, en fonction de leur distance parcourue, de leur
charge à vide et de leur degré de vétusté ! Il était prévu
que les véhicules « ciblés » embarquent donc un
mouchard GPS permettant leur suivi par les balises
électroniques installées tous les 4 kilomètres environ, au bord des routes
nationales et départementales. Les contrevenants quant à eux ne
pouvaient échapper aux mailles du filet et aux fameux portiques, permettant de les traquer,
en tout lieu et à tout moment
Dans
l'esprit de ses ingénieux inventeurs, enchantés par leur
trouvaille, il s'agissait d'un « impôt éthique », censé
décourager les entreprises d'utiliser les camions pour acheminer
leur marchandise, et les incitant à faire appel au train, réduisant
par voie de conséquence l'émission de C02.
Au
premier rang de ses promoteurs figuraient le cher Jean-Louis Borloo,
flanqué de Nathalie Kosciusko-Morizet et d'écologistes de tout
poil, impliqués dans l'inénarrable « Grenelle de
l'environnement ». Force est de reconnaître que l'ensemble de
la classe politique avait suivi, et applaudi à cette insanité,
s'ajoutant à tant d'âneries bien intentionnées. C'est pourquoi le
PS est bien mal venu aujourd'hui de clamer qu'il est contraint
d'appliquer une loi votée par ses prédécesseurs. Que ne l'a-t-il
pas abrogée, comme tant de dispositions prétendues néfastes,
datant de l'ère Sarkozy ?
A
quelque chose malheur est bon. A travers cette histoire lamentable,
le Peuple commence peut-être enfin à prendre conscience de l'effet
pervers de l'impôt lorsqu'il est l'alpha et l’oméga de toute
politique. A l'évidence, il n'est plus désormais la seule punition
des Riches, il déborde partout, envahit le quotidien, plombe la
moindre initiative. C'est un boulet que chacun se voit contraint de
traîner aux pieds, et ce boulet ne cesse de grossir. L'alibi de la
redistribution ne prend plus. Celui de l'écologie non plus.
Ces
manifestants dont le bonnet rouge rappelle la révolte de leurs
ancêtres contre la fiscalité abusive du papier timbré, ont
peut-être quelque chose à voir avec leurs cousins américains qui
invoquent de leur côté la rébellion du Tea Party. Ces gens sont
las tout simplement de cet Etat omniprésent, qui étouffe les
libertés individuelles, se nourrit de leur sang, et entend dicter à chacun et à chaque
instant sa conduite.
C'est
pourquoi sans doute les défilés comptaient si peu de drapeaux
rouges et tant de drapeaux bretons. C'est pourquoi sans doute les
nostalgiques de la lutte des classes et autres gueuleurs de slogans
revanchards, qui cherchèrent à récupérer le mouvement, firent
chou blanc. Il fallait voir Mélenchon avec son hideux rictus,
s'époumoner, écumant de haine, et lancer mais en pure perte, ses
imprécations grotesques aux « esclaves manifestant pour les
droits de leurs maîtres » !
Des
citoyens se lèvent mais ils n'entendent pas cette fois semble-t-il
se laisser berner par ces vendeurs d'illusions.
Un
espoir se fait jour, peut-être !
28 octobre 2013
Sad Song
Plongeant sa main de verre au cœur du bleu faïence
Il extrait de l'Azur un breuvage rubis
Qu'il porte en espérant goûter le paradis
A ses lèvres de mort d'une noirceur intense.
Quoi, le sang coulait donc sous cette indifférence
Comme un torrent surgi de l'antre d'Anubis
Emportant dans sa course alcool et cannabis
Poudres, cachets, liqueurs, collés sur la souffrance.
L'aventure ne fut qu'un long parcours défunt
De musique et de mots saoulés par trop de neige
Et croulant sous la gloire au chavirant parfum.
Mais si sa vie ne fut qu'un triste privilège,
Elle reste à jamais la source d'émotions,
Où chacun pourra voir ses propres afflictions...
A Lou Reed (1942-2013)
Il extrait de l'Azur un breuvage rubis
Qu'il porte en espérant goûter le paradis
A ses lèvres de mort d'une noirceur intense.
Quoi, le sang coulait donc sous cette indifférence
Comme un torrent surgi de l'antre d'Anubis
Emportant dans sa course alcool et cannabis
Poudres, cachets, liqueurs, collés sur la souffrance.
L'aventure ne fut qu'un long parcours défunt
De musique et de mots saoulés par trop de neige
Et croulant sous la gloire au chavirant parfum.
Mais si sa vie ne fut qu'un triste privilège,
Elle reste à jamais la source d'émotions,
Où chacun pourra voir ses propres afflictions...
A Lou Reed (1942-2013)
27 octobre 2013
La volonté de croire
Pour celui qui aspire à travers la philosophie, non pas à courir derrière de belles théories, aussi savamment exprimées soient-elles, mais à trouver quelques clés pratiques utilisables dans la vie de tous les jours, la lecture des ouvrages de William James (1842-1910) est un régal. Il n'a pas son pareil en effet pour aborder les champs de réflexion les plus impénétrables, qu'il défriche avec grâce et humilité, en les balisant de repères rassurants, et en extrayant ici ou là quelques pépites dont il a l'art de présenter sans artifice à ses lecteurs la pureté naturelle. Sa prétention n'est pas de donner des réponses à tout, et surtout pas de se livrer à des constructions idéologiques péremptoires. Il propose simplement une vision du monde la plus ouverte qui soit, et considère notre rapport à ce dernier, avec une logique ductile, associant la fois limpidité, souplesse et liberté.
Dans un essai au titre évocateur*, il aborde le problème des croyances et de la foi religieuse, qu'il confronte à l'épreuve du pragmatisme. Tâche à peu près vaine pourrait-on penser de prime abord, tant l'antinomie paraît flagrante. Concilier l'insaisissable spirituel et les trivialités pratiques, quoi de plus impossible en apparence ?
En apparence seulement, pour James qui suppute qu'il y a peut-être en définitive quelques circonstances où la foi ne serait pas dénuée d'utilité.
Afin qu'il n'y ait aucun malentendu, le philosophe pose d'emblée qu'en l'occurrence, il ne cherche aucunement à renforcer l'importance des croyances, accordant notamment que « ce qui manque le plus à l'humanité ce n'est point la foi, mais l'esprit critique et la circonspection. »
Il rappelle pareillement que « si l'hypothèse scientifique la plus vraie est celle qui fonctionne le mieux, il n'en peut être autrement des hypothèses religieuses. »
Cela dit, il ajoute également que « si nombre de ces dernières se sont écroulées au contact d'une connaissance plus approfondie de l'univers, il n'en reste pas moins évident que certains articles de foi ont survécu et qu'ils ont même aujourd'hui plus de vitalité que jamais... »
Celui qui se définit comme empiriste radical, va même plus loin en affirmant que « la nature humaine n'offre rien de plus intéressant et de plus précieux que ses idéals et ses croyances en l'au-delà », ajoutant que « la fermentation religieuse est toujours un symptôme de la vigueur intellectuelle d'une société, et [que] nos croyances ne sont nocives que lorsqu'elles oublient leur caractère hypothétique pour émettre des prétentions rationalistes ou dogmatiques. »
Ceci posé, James, préoccupé d'efficacité, entreprend de débusquer les situations où la foi peut s'avérer utile, c'est à dire où « la foi en un fait peut aider à créer le fait », ou encore, des circonstances où « la croyance crée sa propre validation ». Et il n'éprouve guère de difficulté à en trouver légions. L'exemple le plus parlant qu'il donne est celui d'un train attaqué par des bandits. Tous les voyageurs se laissent en règle piller parce que si les bandits peuvent compter les uns sur les autres, chaque voyageur sait que sa résistance entraînerait sa mort. Or si chaque voyageur avait foi en la réaction des autres, il réagirait, et le pillage deviendrait impossible...
James excipe de ce cas bien concret, une observation de portée beaucoup plus générale. Il constate ainsi que pour voir une espérance se réaliser, mieux vaut y croire. Il en est ainsi pour un politicien en campagne électorale, pour un étudiant commençant des études difficiles, pour une personne cherchant un emploi, pour un sportif s'engageant dans une compétition, ou bien pour une armée livrant une bataille... Même s'il serait vain de nier l'importance d'une bonne préparation à l'épreuve, il est évident que la conviction de réussir peut s'avérer un facteur déterminant.
A l'appui de sa démonstration James cite opportunément un de ses amis, William Salter, membre de la Philadelphia Ethical Society : « De même que l'essence du courage consiste à risquer sa vie sur une possibilité, de même l'essence de la foi consiste à croire qu'une possibilité existe. »
Du « vouloir c'est pouvoir », c'est bien la volonté de croire qui est le primum movens de toute action, de tout progrès, de toute évolution. Et c'est même à ses yeux, un argument fort et optimiste qui permet d'affirmer que la vie vaut la peine d'être vécue...
William James fournit ainsi des prolongements spirituels bienvenus à la pensée empirique, un peu sèche si ce n'est froidement matérialiste, telle qu'elle fut illustrée par Locke, Hume, Mill où même Kant.
Il invite à dépasser une conception purement scientifique, soi-disant neutre et objective du monde, en montrant qu'elle est contraire à la nature humaine, considérée elle-même comme composante essentielle de La Nature. La force de cette proposition est de faire du substratum physique conditionnant notre existence, de « l'armée de molécules », dont il est constitué, un tremplin vers l'indicible, une vraie raison d'être en somme, « par delà les confins des sphères étoilées ».
Rien ne saurait mieux illustrer cette idée que ces deux réflexions livrées pour conclure (sans donner naturellement au mot Dieu une acception répondant à des critères de certitude) : « Un quatuor à cordes de Beethoven se ramène en fait à un bruit de boyaux de chat raclés par une queue de cheval, mais si complète et exacte que soit cette description, elle n'exclut en aucune manière une description tout autre.../... De même, une interprétation mécanique de l'univers n'est pas incompatible avec une interprétation téléologique car le mécanisme lui-même peut impliquer la finalité... »
« Dieu lui-même, en somme, peut puiser dans notre fidélité une véritable force vitale, un accroissement de son être »
* La volonté de croire. William James. Les Empêcheurs de tourner en rond/ Le Seuil. Paris 2005
Dans un essai au titre évocateur*, il aborde le problème des croyances et de la foi religieuse, qu'il confronte à l'épreuve du pragmatisme. Tâche à peu près vaine pourrait-on penser de prime abord, tant l'antinomie paraît flagrante. Concilier l'insaisissable spirituel et les trivialités pratiques, quoi de plus impossible en apparence ?
En apparence seulement, pour James qui suppute qu'il y a peut-être en définitive quelques circonstances où la foi ne serait pas dénuée d'utilité.
Afin qu'il n'y ait aucun malentendu, le philosophe pose d'emblée qu'en l'occurrence, il ne cherche aucunement à renforcer l'importance des croyances, accordant notamment que « ce qui manque le plus à l'humanité ce n'est point la foi, mais l'esprit critique et la circonspection. »
Il rappelle pareillement que « si l'hypothèse scientifique la plus vraie est celle qui fonctionne le mieux, il n'en peut être autrement des hypothèses religieuses. »
Cela dit, il ajoute également que « si nombre de ces dernières se sont écroulées au contact d'une connaissance plus approfondie de l'univers, il n'en reste pas moins évident que certains articles de foi ont survécu et qu'ils ont même aujourd'hui plus de vitalité que jamais... »
Celui qui se définit comme empiriste radical, va même plus loin en affirmant que « la nature humaine n'offre rien de plus intéressant et de plus précieux que ses idéals et ses croyances en l'au-delà », ajoutant que « la fermentation religieuse est toujours un symptôme de la vigueur intellectuelle d'une société, et [que] nos croyances ne sont nocives que lorsqu'elles oublient leur caractère hypothétique pour émettre des prétentions rationalistes ou dogmatiques. »
Ceci posé, James, préoccupé d'efficacité, entreprend de débusquer les situations où la foi peut s'avérer utile, c'est à dire où « la foi en un fait peut aider à créer le fait », ou encore, des circonstances où « la croyance crée sa propre validation ». Et il n'éprouve guère de difficulté à en trouver légions. L'exemple le plus parlant qu'il donne est celui d'un train attaqué par des bandits. Tous les voyageurs se laissent en règle piller parce que si les bandits peuvent compter les uns sur les autres, chaque voyageur sait que sa résistance entraînerait sa mort. Or si chaque voyageur avait foi en la réaction des autres, il réagirait, et le pillage deviendrait impossible...
James excipe de ce cas bien concret, une observation de portée beaucoup plus générale. Il constate ainsi que pour voir une espérance se réaliser, mieux vaut y croire. Il en est ainsi pour un politicien en campagne électorale, pour un étudiant commençant des études difficiles, pour une personne cherchant un emploi, pour un sportif s'engageant dans une compétition, ou bien pour une armée livrant une bataille... Même s'il serait vain de nier l'importance d'une bonne préparation à l'épreuve, il est évident que la conviction de réussir peut s'avérer un facteur déterminant.
A l'appui de sa démonstration James cite opportunément un de ses amis, William Salter, membre de la Philadelphia Ethical Society : « De même que l'essence du courage consiste à risquer sa vie sur une possibilité, de même l'essence de la foi consiste à croire qu'une possibilité existe. »
Du « vouloir c'est pouvoir », c'est bien la volonté de croire qui est le primum movens de toute action, de tout progrès, de toute évolution. Et c'est même à ses yeux, un argument fort et optimiste qui permet d'affirmer que la vie vaut la peine d'être vécue...
William James fournit ainsi des prolongements spirituels bienvenus à la pensée empirique, un peu sèche si ce n'est froidement matérialiste, telle qu'elle fut illustrée par Locke, Hume, Mill où même Kant.
Il invite à dépasser une conception purement scientifique, soi-disant neutre et objective du monde, en montrant qu'elle est contraire à la nature humaine, considérée elle-même comme composante essentielle de La Nature. La force de cette proposition est de faire du substratum physique conditionnant notre existence, de « l'armée de molécules », dont il est constitué, un tremplin vers l'indicible, une vraie raison d'être en somme, « par delà les confins des sphères étoilées ».
Rien ne saurait mieux illustrer cette idée que ces deux réflexions livrées pour conclure (sans donner naturellement au mot Dieu une acception répondant à des critères de certitude) : « Un quatuor à cordes de Beethoven se ramène en fait à un bruit de boyaux de chat raclés par une queue de cheval, mais si complète et exacte que soit cette description, elle n'exclut en aucune manière une description tout autre.../... De même, une interprétation mécanique de l'univers n'est pas incompatible avec une interprétation téléologique car le mécanisme lui-même peut impliquer la finalité... »
« Dieu lui-même, en somme, peut puiser dans notre fidélité une véritable force vitale, un accroissement de son être »
* La volonté de croire. William James. Les Empêcheurs de tourner en rond/ Le Seuil. Paris 2005