29 mai 2025

Hokusai, quand l'art dit vague...

Même si l'on ne connaît le peintre japonais Hokusai (1760-1849) que par ouï dire, on ne peut ignorer qu'il fit des vagues…
A la veille d’une grande rétrospective qui lui sera consacrée prochainement à Nantes, on peut se laisser tenter par le film du cinéaste japonais Hajime Hashimoto, sorti en 2020 qui raconte - en partie - sa destinée étonnante.
Vie longue est complexe s’il en fut. L’homme fut difficile à suivre. Rien qu’en patronymes, on le connaît sous pas moins de 120 noms et pseudonymes !
Le film tente d’approcher quelques périodes clés de ce parcours trépidant très anticonformiste, épris de liberté, parfois même rebelle, resté pour une large part mystérieux.

A cheval sur les XVIIIème et XIXème siècles, il illumina de sa patte colorée extrêmement novatrice, l'art pictural au pays du soleil levant. On le considère souvent comme le précurseur du genre manga (nom générique donné d’ailleurs à ses carnets de croquis). Mais outre son talent d’illustrateur élégant et de coloriste audacieux, il exprima une symbolique puissante d’une modernité étonnante et d’une poésie aérienne, parfois éthérée.
C’est ce que montre avec un certain succès le film qui s’attache à créer une ambiance hiératique, ultra dépouillée, très japonaise en somme.
La réalisation est des plus soignées, et les images somptueuses. L’itinéraire de l'artiste est raconté de manière aussi légère que le pinceau déposant un filet d'encre sur le papier. L’art est ici tout en finesse, et en délicatesse.
En se focalisant sur quelques épisodes, le réalisateur encourt toutefois le reproche d'effleurer le sujet, de le survoler plutôt que d'explorer l'œuvre et la longue vie du peintre (il s'éteignit à presque 89 ans). Au surplus, il déroute quelque peu en pratiquant des sauts chronologiques en forme de grands écarts, voire en prenant quelques libertés avec la réalité historique (le sort tragique de l'écrivain Tanehiko par exemple).

Il n’en reste pas moins qu’une fois contemplés, ses paysages extatiques flottant entre mer et ciel, ses cascades cataractant en réseaux arachnéens, ses poulpes aux tentacules lascifs, et bien sûr sa grande vague s'élevant irrésistiblement à la manière d’une montagne, restent gravés dans la mémoire, témoignant de la richesse et de l'originalité de la culture extrême-orientale.


L’influence d'Hokusai fut considérable. Entre autres exemples, on pense à Kamisaka Sekka qui inscrivit une oeuvre marquée par cet héritage à la jonction des XIXème et XXème siècles… En Europe, on lui doit la mode du japonisme à laquelle cédèrent nombre de peintres impressionnistes. Sa modestie était proverbiale. A l’article de la mort, il prononça ces mots d’une humilité touchante : « Si le ciel m'avait accordé encore dix ans de vie, ou même cinq, j'aurais pu devenir un véritable peintre… »



28 mai 2025

Deep Deep Fake

Le mensonge en politique est une vieille histoire.
On pourrait dire, sans être trop caricatural, qu'il est consubstantiel aux jeux de pouvoir. Qu'on ne nous la fasse donc pas avec le nouvel anglicisme des fake news, et qu'on ne tente surtout pas de nous faire croire que l'Etat, ses agences et ses hautes autorités, Presse, médias et experts accrédités, seraient devenus tout à coup capables de distinguer, en lieu et place du bon peuple, le vrai du faux.
Le fact checking est un leurre. Nous citoyens, n'avons pas besoin qu'on nous indique ce qu'il faut croire, juste qu'on nous laisse en juger par nous-mêmes en nous donnant l’accès le plus libre à toutes les informations.
Le cas Biden vient d'en administrer une preuve cinglante. Avec la sortie du livre-enquête sobrement intitulé Original Sin, il y a le feu au lac.
Il y est révélé que l'ancien président américain était atteint de sénilité avant même son élection, en 2020, et que personne l’ayant approché ne pouvait l'ignorer. Il était donc dans l'incapacité notoire d'exercer la fonction, et cela a été caché !
On pourrait arguer que cela relevait de l'évidence et qu'il fallait être aveugle ou bien ne pas vouloir voir pour être dupe. A moins d'être stupidement partisan bien sûr comme nombre de médias et de stars “engagées” du showbiz… Mais comment expliquer que le seul fait d’évoquer le problème vous faisait passer pour un complotiste ? Comment justifier la collusion incroyable de tant de médias, et de tant de gens informés, unis dans un mutisme d'autant plus coupable qu'il s'accompagnait de la négation de la réalité ?
On apprend par la même occasion que l'ancien président démocrate est atteint d'un cancer de la prostate avec des métastases. Autant dire que le diagnostic ne date pas d'hier...
Autant dire également que l'élection présidentielle fut biaisée si ce n'est truquée. Avec le contexte du Covid et les soupçons pesant sur la régularité des votes par correspondance, ça commence à faire beaucoup… Donald Trump, qui est si régulièrement qualifié de menteur par les bien pensants, n'avait donc pas vraiment tort d'affirmer que l'élection lui avait été volée !

L’occultation de la réalité n’est pas un procédé nouveau. Il fut utilisé pour masquer l'incapacité de Roosevelt.
En France, nous n'avons pas de leçon à donner. On se souvient comment on a caché la maladie du président Pompidou. On se rappelle comment François Mitterrand, après avoir promis une transparence totale, avait falsifié ses bulletins de santé dès 1981 et comment les médias réunis avaient pudiquement passé sous silence toutes les turpitudes du vieux politicard. Plus récemment, on fit de même pour minimiser les conséquences de l'accident vasculaire cérébral dont fut victime Jacques Chirac…

Il n’est pas besoin d’être complotiste pour voir le mensonge partout. Par omission, par dénégation, ou bien par affirmation. On connaît l’adage qui dit que plus c’est gros, plus ça passe… Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir.
L’Etat français s’est gravement compromis par le passé lors des scandales étouffés du sang contaminé, de l’hormone de croissance, du nuage de Tchernobyl et plus récemment du COVID-19. Aujourd’hui encore on continue officiellement de vanter l’efficacité du vaccin. Mais qu’est-ce donc qu’un vaccin qui n’évite pas d’être porteur du virus et de le transmettre, n’empêche pas les symptômes de la maladie, et qui tout au plus limiterait le risque de formes graves, sachant que le virus a perdu naturellement quasi toute virulence ?

Lorsque surgissent des conflits, les mensonges redoublent d’intensité. On pourrait dire beaucoup sur les affabulations et les assimilations simplistes mais partisanes faites au sujet des conflits opposant Israël au Hamas et la Russie à l’Ukraine.
On pourrait s’interroger sur l'annulation de la récente élection présidentielle en Roumanie sur la foi de l’affirmation “officielle”, non démontrée à ce jour, selon laquelle il y aurait eu des ingérences étrangères.
En France, il y a beaucoup à dire sur la mystification du “barrage républicain” permettant de frapper d’ostracisme un parti et ses électeurs depuis des décennies, faussant gravement le jeu démocratique, jusqu’au résultat lamentable que l’on connaît, d’un pays à la dérive, livré aux factions et ingouvernable.

Il faudra encore attendre un certain temps pour juger des effets annoncés comme dévastateurs du réchauffement climatique, mais dès à présent on peut mesurer les erreurs commises au nom d’un principe de précaution à sens unique, qui entre autres fadaises, a conduit à fermer des réacteurs nucléaires et rouvrir des centrales à gaz et à charbon…
Saura-t-on un jour la cause exacte de l’incroyable incendie de la cathédrale Notre-Dame, et de l’explosion en 2001 de l’usine AZF ? Il y a tout lieu d’en douter…

18 mai 2025

Mémoricide

A la lecture du dernier ouvrage de Philippe de Villiers, on retrouve tout le panache du chevau-léger au service d'un souverainisme idéalisé et de traditions sacrées. C'est le combat de sa vie, la cause à laquelle il aura tout donné. Le meilleur de lui-même mais aussi quelques outrances destructrices.
Son dernier ouvrage* se lit sans déplaisir, quasi d'une traite, car sa plume est aussi ardente que brillante. Son érudition a l'accent de la sincérité. Il assène ses vérités à coups de massue mais jamais il n'est pédant.
Parfois il tient un peu de Don Quichotte lorsqu'il entre en guerre contre des moulins à vent, ou qu'il mène des combats perdus d'avance car ils sont d'un autre âge. C'est qu'il semble rétif à l'évolution des choses et plutôt que de tenter d'infléchir leur cours, il préfère les pourfendre à la hussarde.

Son lyrisme flamboyant donne le vertige tant il emporte tout sur son passage.
Avec son épée de preux chevalier, il est un peu Roland à Roncevaux. Il voudrait ouvrir une brèche dans la muraille des idées reçues, terrasser l'hydre des idéologies insanes. Mais cette tâche est titanesque, et il s'épuise à charger trop d'ennemis à la fois, confondant même, à certains moments, le bon grain et l'ivraie, les alliés et les adversaires..
S'il peut se targuer de belles réalisations concrètes (Le Puy du Fou, le Vendée Globe), son verbe héroïque semble hélas vain, à l'instar de son combat politique. Qui trop embrasse mal étreint en quelque sorte.

Bien sûr on peut le suivre lorsqu'il déplore les errances morales de l'époque, la perte des repères historiques, la déliquescence de l'esprit civique, la dissolution des valeurs sociétales dans un magma éthique illusoire, la dérive partisane de la justice, la faillite de l'éducation, et pour finir, le chaos migratoire auquel on fait face, non pas en l'endiguant mais en cassant les frontières.
Sa comparaison avec le Titanic est à ce dernier sujet pertinente. Le naufrage du paquebot fut expliqué par l'absence de tout cloisonnement de la coque sous la ligne de flottaison. Une seule brèche a suffi pour inonder rapidement l'ensemble du navire et l'entraîner vers l'abîme.

La protection de l'Union Européenne par ses seules frontières extérieures est une chimère.
L'Europe n'est pas un tout stable, uni, et cohérent. C'est un simple agrégat économique de pays aux intérêts souvent divergents. l'Europe n'est pas une nation, et c'est bien là que le bât blesse. Philippe de Villiers en fait le constat amer mais il va plus loin. Contrairement à Julien Benda, il répugne au concept d'une nation européenne.
Son discours est franco-centré sur un pays figé dans ses traditions ancestrales, et sur les souvenirs d’un passé glorieux, comme l'atteste l'angoisse qui hante ses nuits, dont il fait état au début du livre : “Que vont devenir les petits Français dans vingt ans ? Dans trente ans ? Seront-ils des étrangers dans un pays nominal qui n'aura plus de France que le nom, Sur une terre exotique ?”
La crainte est fondée mais il y a très peu d'ouverture au monde dans son esprit. Il faudrait en vérité que rien ne change pour que tout change... Et l'Europe est bien loin de représenter un espoir à ses yeux.
Comme D'Artagnan, le monde dont il est si nostalgique est mort à Maastricht.

Non seulement il ne croit pas au projet européen, mais il est convaincu qu'il repose sur une supercherie, voire un complot, ourdi par les Etats-Unis. Il l'affirme et le réaffirme à qui veut l'entendre. Rien ne l'en fera démordre. Jean Monnet, Robert Schuman, loin d'être des pères fondateurs ne furent selon lui que des boutiquiers cupides ou des félons au service de l'oncle Sam.
Philippe de Villiers n'est pas pro américain, c'est peu dire. Pire, il accuse les Etats-Unis d'avoir ouvert la porte à la marchandisation du monde. C’est quasi une idée fixe chez lui, répétée, livres après livres. Ainsi, il rappelle qu'avec Jimmy Goldsmith, il s'était fait le dénonciateur du capitalisme libéral qui avait “dénaturé le travail et réinventé un esclavagisme des plus faibles au XIXe siècle”. Il évoque, en sous entendant qu'il l'a fait sienne, l'opinion de son père qui “renvoyait dos à dos le socialisme collectiviste et le libéralisme individualiste” !

A la fin de la seconde guerre mondiale, l'objectif des USA aurait donc été de faire de l'Europe une fédération vassale, calquée sur le modèle américain.
C'est évidemment du pur fantasme, et si par extraordinaire cela s'était produit, il y aurait tout lieu de s'en féliciter. On imagine sans peine la force que représenterait l'alliance de deux fédérations unies par un même objectif de démocratie et de liberté. Faut-il rappeler que la logique s'inscrivait dans un vrai projet européen, celui défini par Kant dans son merveilleux petit ouvrage traitant de la Paix Perpétuelle.
L'Amérique nous a offert une liberté dont nous n’avons pas su faire grand chose. L’arrogance gaullienne et le retour au vieil ordre féodal ont éteint toute velléité fédérative et le concert cacophonique des Etats-Nations a accouché d'une bien fade et peu efficiente Communauté Européenne.

Philippe de Villiers reste donc accroché à son morceau de France comme un naufragé s'agrippe à une épave.
Comme il le reconnaît lui-même, il a peur du vide. Mais il est plus effrayé encore par les grands espaces et les vastes perspectives. S'il faut bien reconnaître que l'idée européenne a fait fiasco, il y a bien peu à espérer d'une France souveraine ayant retrouvé sa grandeur d'antan, une parousie selon lui.
Ainsi, une fois encore, le fondateur du météorique Mouvement Pour la France (MPF), nous embarque sur une voie qui fait fausse route, malgré son beau tracé, ses nobles ambitions et sa rectitude morale.
Elle est dans un monde auquel on peut rêver avec nostalgie mais elle ne s'inscrit pas dans une vision pragmatique de la réalité présente et des temps à venir…


* Mémoricide. Fayard 2024

15 mai 2025

Faut-il suivre Antigone ?

On voit souvent dans le mythe d'Antigone, fille d'Oedipe, raconté par Sophocle puis revisité par Jean Anouilh (1910-1987), l'exaltation de l'esprit de résistance. On admire la bravoure, la force de caractère, la détermination de la jeune princesse, tragiquement “destinée à mourir”.
Mais dans sa volonté inflexible de s'opposer à son oncle, le roi Créon, on peut voir tout et son contraire.
Rappelons que pour son malheur, elle estima de son devoir de rendre les hommages funéraires à son frère Polynice mort en un combat fratricide.  Elle enfreignit ainsi l'ordre formel de Créon de laisser sa dépouille pourrir dans l'indignité, en raison du crime dont il fut accusé, d'avoir trahi et déchiré sa patrie, Thèbes. 
Le contexte dans lequel a été écrite cette pièce, en 1942, prête certes à privilégier une interprétation. L'auteur n'écrivit-il pas que L'Antigone de Sophocle avait été un choc pour lui pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges, le poussant à la réécrire à sa façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre."
L'ennui est qu'il a procédé à cette réécriture bien avant la publication de la fameuse affiche rouge, datant de 1944.
D'ailleurs s'il avait fait une œuvre de résistance explicite à L'occupant allemand, comment expliquer qu'il ait obtenu l'imprimatur de ce dernier en 1942 ?
Toujours est-il que la pièce fut jouée pour la première fois le 6 février 1944 et qu'elle reçut un accueil favorable assez unanime, sachant que des officiers allemands assistaient à la représentation. Les vraies polémiques ne vinrent qu'après, les uns y voyant une allégorie de la résistance, les autres une incitation à la collaboration.

Avec le recul, il est permis de penser que la pièce se situe au dessus des polémiques partisanes, posant bien plus de questions qu'elle n'apporte de réponses et plaidant en définitive avant tout contre les jugements trop manichéens.
A l'instar des tragédies antiques, le drame s'inscrit dans une logique fataliste des plus implacables. A partir du moment où Antigone viole la loi, elle se condamne elle-même et provoque en toute conscience un enchaînement qui va la conduire à la mort. Son amoureux Hémon, qui est le fils de Créon, est si désespéré qu'il ne voit d'autre issue que de mettre fin à ses propres jours, suivi de près par sa mère, Eurydice. Ainsi Créon demeure maître en son royaume mais il est désespérément seul.

Dans cet engrenage terrible, qui a tort, qui a raison, il est bien difficile de conclure. Antigone est dévouée corps et âme à des principes immanents tandis que Créon est prisonnier de sa fonction et de la Loi qu'il incarne. Aucun des deux n'est un monstre et chacun éprouve même de l'affection pour l'autre. Mais chacun obéit à sa propre logique. Il semble au début qu'un moyen terme raisonnable soit possible, mais au fil du temps et des arguments, les positions deviennent irréconciliables et conduisent à une extrémité absurde. Voilà ce qu'il en est de beaucoup de comportements humains lorsqu'ils confinent à l'entêtement.
C'est pour avoir montré cela de manière simple et crue à partir d'un mythe millénaire, qu'Anouilh a fait une œuvre durable, intemporelle, et en même temps novatrice. Enfermer son propos dans une logique partisane ou dans un contexte trop étroit ne fonctionne pas. Le mythe d'Antigone et de Créon est au fond de chacun d'entre nous. En prendre conscience marque peut être le début de la sagesse...