Michel Onfray a encore frappé. Après avoir tenté d'innocenter Nietzsche, son philosophe fétiche, de toute collusion spirituelle avec le nazisme qui s'en recommandait pourtant, il essaie aujourd'hui dans un essai théâtral, de style pompier néo-sartrien (Le Songe d'Eichmann), de faire porter le chapeau à Emmanuel Kant ! Au motif qu'Eichmann durant son procès, révéla (selon le témoignage d'Hannah Arendt) qu'il fut un lecteur attentif de l'auteur de la "Critique de la Raison Pratique" !
A la base, le fait est que Mr Onfray tolère à l'évidence difficilement qu'on puisse mettre en cause son maître en « athéologie » et en « gai savoir ». Il commence donc par flétrir sans nuance ceux qui colportent cette idée : « Du grand public dit cultivé aux philosophes postmodernes pourfendeurs de Mai 68, compagnons de route du libéralisme et des valeurs du catholicisme, en passant par quelques faux avertis mais vrais fourvoyés, l'auteur de Par-delà le bien et le mal fournirait la svastika, l'incendie du Reichstag, la nuit des longs couteaux, la moustache du Führer, les camps de la mort, les chambres à gaz et l'incendie de toute l'Europe. »
Certes, il paraît très excessif de faire de Nietzsche le responsable désigné de l'infamie qui se réclama de lui, et l'honnêteté exige qu'on ne confonde pas sa vision philosophique avec les monstrueux avatars qui en découlèrent et qui dénaturèrent notamment la notion emblématique de « surhomme ». Il y a infiniment plus de distance entre Nietzsche et Hitler qu'entre Marx et Lénine et Staline.
Mais à lire l'interprétation qu'en donne Onfray lui-même, il est impossible de ne pas s'interroger sur la responsabilité du Philosophe, et sur le pouvoir des mots et des idées. Dans un précédent ouvrage (« La sagesse tragique »), il dépeignait en effet le fameux surhomme de manière plutôt inquiétante, le faisant évoluer dans un monde « dans lequel les oppositions entre bien-mal, vérité-erreur, responsable-irresponsable n'ont plus de sens », n'éprouvant « ni amour, ni amitié, ni tendresse, ni compassion », et n'étant en définitive, qu'une « bête de proie qui masque sous de multiples figures l'impérialisme de l'énergie brutale et aveugle qui le conduit ».
Passe encore l'indulgence et les faiblesses qu'Onfray manifeste pour son Grand Homme. Ce qui s'avère en revanche intolérable, ce sont les manoeuvres perverses qu'il emploie pour tenter de décrédibiliser et vouer aux gémonies un autre, totalement étranger à l'affaire.
En l'occurrence, vouloir “nazifier” le Kantisme, relève d’un indicible contre-sens (le seul fait de parler de “kantisme” doit d’ailleurs faire se retourner le cher homme dans sa tombe). Quoi de plus éloigné du nazisme que cette magnifique exclamation du sage de Königsberg: « Deux choses emplissent mon esprit d’un émerveillement sans cesse croissant à chaque fois que je les considère : la voûte étoilée au dessus de moi et la loi morale au dedans de moi »
Assimiler Kant, qui fut par toutes ses fibres l’être le plus moral qu’on puisse imaginer, à cette sorte d’amoralité absolue que fut le National-Socialisme, c’est sidérant. Jusqu’où peut se nicher la mauvaise foi…
Il n'est pas besoin d'être grand clerc ni exégète pour affirmer que jamais au grand jamais, Kant ne pensa que quiconque puisse se sentir autorisé à donner à ses actes une portée universelle et à prendre ses désirs pour le souverain bien. Il a recommandé au contraire, qu’avant toute action, on vérifie qu'elle puisse s’inscrire dans le contexte de la loi morale, qu'elle se soumette au célèbre « Impératif Catégorique ». Autrement dit qu’elle soit irréprochable !
Au surplus, Kant fut plus que tout autre, un homme attaché viscéralement à la paix et ses propositions dans le domaine sont à mille lieues de toutes les horreurs dont usèrent les impérialismes païens qui ont ravagé le monde au XXè siècle. S’agissant de son essai sur la Paix Perpétuelle, dont le titre dit assez le dessein, je me permets d’en extraire un passage qui me persuade pour ma part de la nécessité du fédéralisme démocratique (et donc de l’intérêt du modèle américain…) : « Si par bonheur un peuple puissant et éclairé en vient à former une république (qui par nature doit tendre vers la paix perpétuelle), alors celle-ci constituera le centre d’une association fédérale pour d’autres états, les invitant à se rallier à lui afin d’assurer de la sorte l’état de liberté des Etats conforme à l’idée du droit des gens. » Une Europe construite sur ce modèle n’aurait vraiment rien à voir avec le monstrueux empire que l’esprit dérangé d’Hitler voulait forger dans le feu et le sang.
En définitive, Michel Onfray, qui demeure en matière politique, crispé sur des schémas quasi staliniens (il appelle régulièrement à voter pour les candidats de la Ligue Communiste Révolutionnaire), fait une fois encore fausse route en philosophie. Son raisonnement cache derrière un style clinquant, les plus vains sophismes, les plus malhonnêtes assimilations et la plus fallacieuse logique....