26 octobre 2012

Le Grand Manichéisme

C'est un fait connu. En France on a les idées bien arrêtées au sujet des Etats-Unis et tout particulièrement à propos de leur système politique. Tellement arrêtées d'ailleurs, qu'elles semblent pétrifiées, incapables pour tout dire de la moindre évolution (un vrai os dans la théorie de Darwin).

Depuis des lustres en effet, un étrange glacis intellectuel englue les esprits, qu'on pourrait schématiquement qualifier d'aversion primaire et irréductible pour tout ce qui vient du monde Yankee.
Tout y passe dans cette affolante détestation . Citons pêle-mêle : Wall Street, les habitudes alimentaires, le système de santé, celui des retraites, les OGM, la peine de mort, la vente libre d'armes, les convictions religieuses, le racisme, les lobbies pétroliers, les gaz à effets de serre, le bœuf aux hormones, l'impérialisme culturel, le bellicisme, et en définitive tout ce qui fait l'american way of life...
Tout cela est jeté aux orties sans la moindre retenue, témoignant d'une méconnaissance hallucinante de ce qui fait la richesse de cette nation, et d'un parti-pris grégaire qui ferait honte aux moutons de Panurge. Jean-François Revel (1924-2006) avait magnifiquement traité ce thème dans un ouvrage décapant, qui hélas n'a pas pris une ride (L'obsession anti-américaine).

Le comble est habituellement atteint lorsqu'on aborde le champ de la politique. Dans l'ensemble les gougnafiers à œillères jugent le système US, par nature inique, corrompu, imbécile, voire anti-démocratique, et j'en passe... Les pires injures étant réservées en général aux personnalités osant se réclamer de l'idéologie libérale ou du capitalisme, et en particulier à celles ayant le malheur d'appartenir au Parti Républicain. On a vu cette propension portée jusqu'à l'hystérie pour évoquer les personnes de Ronald Reagan et George W. Bush. Inutile alors de tenter de faire pénétrer le moindre fait positif dans les cervelles, même en apparence douées de raison, au sujet de ces deux présidents. Ils sont maudits au moins jusqu'à la septième génération !
Par opposition les gens du camp opposé dit « démocrate », sont auréolés d'une sorte de grâce nébuleuse. Tout ou presque leur est pardonné car dans l'imaginaire franchouillard, ils représentent peu ou prou l'idéal intouchable du progressisme de gauche. Il est de bon ton pour les prétendus intellectuels, et les soi-disant artistes de déclarer leur sympathie pour les dignes représentants du parti à l'âne. Le sommet de cette exaltation a culminé lors de l'élection en 2008 du quasi-messie Obama.
Nul doute que certains lecteurs me taxeront d'extrémisme. Pourtant les faits sont là, et ils sont têtus comme disait le camarade Vladimir Illitch... Et aujourd'hui encore, même si le soufflet du Yes We Can est assez piteusement retombé, le culte est encore vivace. Assez pour que les grands prêtres de la Pensée Correcte recommencent leurs litanies à sens unique.
Deux exemples suffiront me semble-t-il à donner la mesure de ce manichéisme insensé.
Le Nouvel Observateur faisait tout récemment sa couverture en évoquant « l'Amérique qu'on aime et celle qui nous fait peur » illustrée comme par hasard des portraits de Barack Obama et de Mitt Romney ! Pour des gens qui reprochent habituellement à leurs adversaires d'instrumentaliser les peurs, chapeau !
A l'intérieur du canard de la cuistrerie bien-pensante, figurait un article d'un certain Philippe Boulet Gercourt assénant le message à coup de massue, en décrivant notamment : « L'Amérique des crésus contre celle des pauvres, l'Amérique d'Obama contre celle qui le vomit. L'Amérique tolérante, bigarrée, ouverte au mariage gay, contre celle de l'obscurantisme et du puritanisme religieux. » 
 
Dans le même temps, le journal Le Monde sortait une édition spéciale consacrée à l'élection américaine intitulée tout simplement "L'Amérique d'Obama". Sans doute le Comité de Rédaction a-t-il trouvé superflu d'évoquer ne serait-ce que l'existence d'une opposition...

Celle-ci est d'ailleurs littéralement éviscérée par les révélations de deux « chercheurs » Thomas Mann et Norman Ornstein, qui expliquent doctement que « La vie politique américaine est marquée par une crispation partisane contraire à l'intérêt du pays », assurant « que les dysfonctionnements du système politique sont provoqués par l'évolution du Parti républicain, qui a complètement dérivé à droite dans son refus d'admettre qu'Obama exerce le pouvoir. »
Le seul titre de leur ouvrage, en dit plus long qu'un discours, tant il exprime de nuance et d'impartialité : "C'est même pire qu'il n'y paraît"...

Avec une Presse et une littérature aussi indépendantes, aussi clairvoyantes, aussi mesurées, aussi ouvertes d'esprit, les Français sont assurés d'être bien éclairés !

23 octobre 2012

Le gouvernement s'amuse


A défaut d'efficacité, on peut reconnaître au gouvernement un certain sens de l'humour. Assez spécial, il est vrai, car il cultive la contradiction et le paradoxe à tel point, qu'on serait tenté de penser qu'il relève davantage de l'acte manqué que de l'esprit d'à propos...
A tout seigneur, tout honneur, rendons hommage à François Hollande qui déclarait il y a quelques jours que nous étions "tout près de la sortie crise". Au moment même où le FMI revoyait à la baisse ses prévisions de croissance, au moment où les plans sociaux se multiplient dans le pays, et où l'horizon européen n'a jamais été aussi sombre, il fallait quand même oser ! A moins que le chef de l'Etat n'ait à l'esprit, une acception très particulière de la "sortie". Un peu dans la lignée de cet inénarrable leader qui se vantait : "l'an dernier nous étions au bord gouffre mais depuis, nous avons fait grand pas en avant..."

Juste après cette aimable diversion dans la morosité, vient l'initiative désopilante du ministre du Redressement Productif Arnaud Montebourg, consistant à poser en couverture du Parisien Magazine, sur fond tricolore, affublé d'une marinière, et une cafetière électrique à la main, pour faire de "la réclame" aux produits made in France.
Faut-il qu'il soit démuni ou bien totalement largué pour en être réduit à recourir à des subterfuges aussi clownesques.
Evidemment, il avait bien prévenu qu'il tenterait tout pour relancer l'industrie française. Probablement pense-t-il qu’au point où nous sommes rendus, le risque de se couvrir encore un peu plus de ridicule ne doit pas arrêter l’élan...

Pendant ce temps Vincent Peillon, ci-devant ministre de l'éducation Nationale, en profitait pour réintroduire avec un sérieux à la Buster Keaton, le débat sur la dépénalisation du cannabis, en insistant même sur le retard pris par notre pays par rapport à nombre d’autres.
Là aussi, il fallait être culotté ou inconséquent pour remettre sur le tapis une question écartée une première fois par François Hollande pendant la campagne présidentielle, et une seconde par le premier ministre, quelque semaines à peine après l’installation du gouvernement, en réponse à une brillante initiative de Cécile Duflot.
Le trait est d’autant plus saillant que le même Peillon, revendiquait il y a peu un retour de la morale dans les écoles ! Lui qui n'avait pas de mots assez durs pour fustiger la manière dont Nicolas Sarkozy avait "cassé" l'éducation, se disait donc prêt à laisser libre cours aux dépravations haschischines dans les collèges et les Lycées, sans toucher au fructueux commerce des dealers aux portes des mêmes établissements, puisqu’il n’évoquait qu’une simple dépénalisation ! Sans doute n’a t-il pas encore bien pris la mesure du public dont il a la charge.
Cette bourde monumentale fut soulignée par l’incroyable micmac agitant le microcosme politique parisien avec la mise en cause d’une élue écologiste dans un vaste réseau de blanchiment de l'argent de la drogue (et de commerce de sex toys au goût nature…)
Enfin, comme si cela ne suffisait pas, c’est Marisol Touraine la sémillante mais légèrement évaporée ministre de la santé, qui crut opportun d'annoncer l’ouverture de « salles de shoot », promettant d’être aux toxicomanes en goguette, ce que les salons de thé sont aux rombières inoccupées.

Ces perles sont tellement peaufinées que d’autres semblent presque fades, à côté. La récente fanfaronnade d’Aurélie Filippetti à l’encontre du géant Google vaut pourtant son pesant de cacahuètes. Elle s’offusque du fait que GOOGLE menace tout simplement de boycotter les médias français en riposte aux taxes que le gouvernement décidément expert en la matière, propose d’imposer aux moteurs de recherches pour protéger le monde de l’édition. Fière comme un petit cheval de bois elle a affirmé haut et fort que « Ce n'est pas avec des menaces qu'on traite avec un gouvernement démocratiquement élu ». Elle n’oublie qu’une chose : Google n’est pas un de ces contribuables captifs en forme de poires qu’il est si facile de pressurer pour en sortir le délicieux jus fiscal dont le socialisme nourrit ses bourrelets généreux… Google est libre, lui. Il peut référencer qui il veut après tout…
On pourrait ajouter à ce catalogue ébouriffant les reculades de Manuel Valls qui sous les caméras avance menton en avant et sourcils froncés, et qui dans son bureau s'affale dans le laxisme et décide un beau matin, d’assouplir les règles d’acquisition de la nationalité française, "surtout pour les salariés précaires et les étudiants". Nul doute que ce mouvement de tango loufoque plaira à ceux qui auraient pu avoir l’idée saugrenue de tenter d’enrayer la progression des dépenses sociales…
Enfin, pour terminer et revenir au point de départ, qu’il soit permis de rendre hommage au comique de mots que François Hollande a su manier avec tant de dextérité à propos du Traité Budgétaire Européen et de la Règle d’Or, si décriés hier, et plébiscités aujourd’hui. Le contraste est en effet saisissant entre les belles envolées martiales d’avant l’élection, et les circonlocutions visqueuses avec lesquelles lui et ses disciples tentent de faire passer la pilule auprès d’un électorat passablement floué, pour ne pas dire autre chose…
Il y a des jours, où l’on voudrait être petite souris, pour avoir le bonheur d’assister aux rencontres du Chef de l’Etat et de madame Merkel…

17 octobre 2012

Honni soit Goldman Sachs !

Pour les habitants de notre malheureux pays, vitrifié par la pensée socialiste, et plus que jamais rétif au capitalisme et à l'initiative privée, la banque Goldman Sachs (GS) constitue une sorte de pandémonium effrayant. L'antre infernal de la Finance, sans âme ni cœur !
Songez donc ! Il s'agit d'une banque privée, américaine, de taille gigantesque, et qui parvient, même durant la crise, à engranger de somptueux bénéfices !

Un récent « documentaire » diffusé par la chaîne ARTE a permis de mieux appréhender cette espèce de colique frénétique qui s'est emparée de tout un peuple, à la seule évocation du mot « capitalisme ». Il paraît qu'il a fait un tabac en terme d'audience...
Quelqu'un qui m'est très cher, et qui fut impressionné par les révélations édifiantes qui y sont faites, m'a demandé de le visionner pour en débattre ensuite.
Il me connaît bien, donc il se doute que j'ai quelque a priori sur l'objectivité de ce genre de réalisation, dont la petite chaîne culturelle nous gratifie régulièrement. Chat échaudé craint l'eau froide...

Comment être objectif face à une telle accumulation d'accusations et d'affirmations à sens unique ? Comment seulement croire à la neutralité des auteurs, dont on connaît avant même d'avoir vu la première image, le parti pris.
Jérôme Fritel est journaliste à l'Agence CAPA. Il est difficile de parler à son propos d'impartialité lorsque l'on sait qu'elle fut créée par Hervé Chabalier qui par ailleurs compta parmi les fondateurs de la Ligue Communiste Révolutionnaire, avant de travailler pour des journaux aussi apolitiques que Le Matin de Paris ou le Nouvel Observateur...
Marc Roche, quant à lui est correspondant du Monde. Il s'est fait connaître par des ouvrages ne laissant guère de place à l’ambiguïté, tel « Le Capitalisme Hors La Loi ». Surtout, il fut le co-auteur d'une grotesque enquête sur la mort de la Princesse de Galles, accréditant notamment la thèse d'un complot, et dont le seul titre est plus explicite qu'un long discours: « Diana, une mort annoncée »...

Partant sur de telles bases, la vigilance est plus que jamais requise.
Le générique ouvrant le film donne le ton : images crépusculaires de New York façon Gotham City, sur fond de musique électronique térébrante. Première sentence, surgissant au milieu de scènes de guérilla urbaine, évoquant l'ambiance de crise : « Face aux excès des banques, les peuples manifestent leur colère »
Première contre vérité : réduire d'emblée la crise aux seules banques est une caricature. Quant aux peuples montrés, il ne s'agit que d’énergumènes extrêmement minoritaires, cassant tout sur leur passage : joli symbole !

Hélas, tout est dit ou presque : ce prétendu documentaire n'est en réalité qu'un pamphlet, exclusivement à charge. A aucun moment on n'entendra le moindre propos contradictoire avec la thèse matraquée de bout en bout : à savoir Goldman Sachs est une forteresse « au secret impénétrable », une « pieuvre » maléfique étendant ses redoutables tentacules sur le Monde. Et quiconque commet l'imprudence de lui faire confiance, se place dans la position de « l'agneau dans la gueule du loup », pire, il scelle « un pacte avec le diable. »

La méthode est désormais bien connue, qui permet d'ourdir ce qu'il faut bien appeler un procès en sorcellerie, en lui donnant l'apparence d'un reportage objectif. Elle consiste à monter soigneusement des bouts d'interviews, parfois juste une phrase, la plupart du temps extraites de leur contexte, sans jamais offrir la moindre contradiction, ni même pondération, le tout parsemé d'affirmations « choc ».
Les personnes interrogées sont à peu près toutes démissionnaires ou exclues de l'entreprise, et leur discours est univoque. Les autres sont des personnalités politiques, opposants notoires ou membres, à charge, de commissions d'enquêtes. Pour expliquer l'absence de tout contradicteur, on nous dit gravement qu'aucun n'a accepté de répondre aux questions. Mais doit-on croire ces allégations sur parole ? Quelles furent les conditions dans lesquelles les propositions ont été faites ?
Et selon le bon vieux truc de Michael Moore, on extrapole la preuve de la malfaisance de Goldman Sachs, de réactions embarrassées de personnalités officielles telles Jean-Claude Trichet ou Mario Draghi, prises au dépourvu par des questions abruptes, en forme d'accusation.

Devant tant de mauvaise foi, et d'esprit partisan, la tentation est grande de rejeter en bloc les analyses présentées. Il faut beaucoup d'effort et d'abnégation pour aller jusqu'au bout de ce réquisitoire qui ressemble fort à la fabrication d'un bouc émissaire.
Qu'on en juge par quelques exemples où des faits, publics mais complexes et hypothétiques, sont transformés en certitudes à l'emporte-pièce par les procureurs « journalistes » :
Selon eux, Goldman Sachs, en plus d'avoir une gestion opaque, se livrerait au trafic d'influence, cherchant à circonvenir si ce n'est corrompre les gouvernements et à s'infiltrer dans toutes les administrations, pour mieux les contrôler.
C'est avec une sombre délectation qu'ils rappellent les liens qu'ont eu certains éminents responsables politique. L'incontournable Henry Paulson, qui avant d'être secrétaire au trésor dans l'administration Bush, dirigea le département des investissements de GS. On lui reproche d'avoir abandonné à la faillite Lehman Brothers, concurrent de GS, et dans le même temps d'avoir engagé l'argent des contribuables pour sauver l'assureur AIG, qui avait partie liée avec la banque honnie. Mais il est fait peu de cas des résultats de la commission d'enquête qui sauf erreur ne mit pas en cause de conflit d'intérêt ni de manœuvre frauduleuse. Il est fait peu de cas surtout de l'accueil favorable quasi unanime, au plan qu'il présenta en 2008 pour enrayer les effets dévastateurs de la crise...
En définitive, pour les auteurs, toute personne ayant approché de près ou de loin Goldman Sachs devrait sans doute être considéré comme un pestiféré. Et à ce titre, écarté à vie de toute responsabilité publique. Dans le même temps, ils admettent pourtant que la banque se caractérise par une excellente et durable santé financière et qu'elle est même parfois considérée comme une sorte d'université tant elle imprègne les économistes qui passent par ses officines.
Comment d'ailleurs expliquer que même le président Obama, arrivé en chevalier blanc décidé à nettoyer les écuries d'Augias, ait cédé aux sirènes enjôleuses de GS ? Comment expliquer qu'après avoir mis en garde contre les fameux excès de la finance, il ait faibli et livré son administration à son emprise ? A-t-il de la m... dans les yeux ou bien est-il lui aussi, acheté ?

L'hydre de Goldman Sachs a donc aux dires de M. Roche et Fritel, une tête partout et des fers à tous les feux. Mais bien pire encore, dès qu'elle est dans la place, elle n'hésiterait pas à se livrer aux pires spéculations à l'encontre même de ses clients.
On nous présente ainsi le projet Abacus, dans lequel fut impliqué le trader d'origine française Fabice Tourre, comme « le casse du siècle ». GS aurait en effet parié sur la baisse de titres, pendant qu'elle les vendait à tour de bras à une clientèle naïve en lui faisant miroiter de substantiels bénéfices. Il est pourtant bien difficile de démêler le vrai du faux, et de déterminer la part des responsabilités reposant sur chacun des acteurs impliqués, tant ce genre d'opération est complexe. Elle évoque l'affaire qui toucha la Société Générale et son courtier Jérôme Kerviel, et qui vit cinq milliards d'euros s'évaporer à l'occasion de placements hasardeux. Qu'il y eut des imprudences, un excès d'optimisme, c'est un fait certain. Mais il n'était pas besoin d'être expert pour constater que cette euphorie était largement répandue, touchant les banques, les Etats, mais également les citoyens.
La bulle des subprime fut un autre exemple de cette inconscience collective. Du gouvernement qui les encouragea, aux petits propriétaires qui y crurent, en passant par les banques qui les mirent en œuvre, tout le monde s'aveugla sur ces opérations immobilières insensées. L'ennui pour M. Roche et Fritel, c'est qu'à la fin « GS s'en sort toujours ». Est-ce le signe d'une bonne gestion ou bien celui d'une diabolique malhonnêteté ?
Les auteurs n'ont à l'évidence aucun doute. Pour enfoncer leur clou ils n'hésitent pas à se livrer aux pires insinuations, en affirmant par exemple qu'en septembre 2001, au moment même des attentats, les dirigeants de GS donnaient des directives à leurs subordonnés pour « spéculer en direct ». Sans qu'on nous éclaire d'ailleurs sur la nature de ces machiavéliques tractations...
Enfin, si l'on suit M. Roche et Fritel, GS aurait par ses obscures machinations contribué largement à la faillite de la Grèce. Ici encore, il ne faut pas compter sur le film pour démêler l'écheveau dans lequel s'est perdu cet infortuné pays.
Le scénario ressemble surtout à celui tristement classique du surendettement, où, de déficit en emprunt, on s'enfonce en suivant une spirale infernale. Sans doute y a-t-il une responsabilité des organismes prêteurs, mais sans créance, il n'y aurait pas de créanciers...
Imagine-t-on que les banques soient des institutions philanthropiques ?
Qui en l'occurrence est le plus coupable : le gouvernement grec, qui profita de son adhésion à la zone euro pour vivre au dessus de ses moyens, sans mesurer les conséquences à long terme de ses actes sur la confiance de ses créanciers...? Ou bien ceux qui l'ont aidé, pour passer un cap, à présenter sous un jour favorable mais fallacieux ses comptes, en recourant aux astuces les plus secrètes de la sophistication financière ?
Et surtout, comment imaginer si GS était coupable de toutes les malversations dont on l'accuse, de tous les abus de confiance dont on l'incrimine, qu'elle parvienne encore à trouver des clients acceptant si facilement à être les dindons de la farce ?

Le film ne le dit pas évidemment...

En conclusion, ce documentaire partisan, dans lequel le fantasme occulte largement la réalité, n'apporte aucune vraie réponse. Il sème en revanche un doute mortifère sur tout un système dont le bien fondé, qu'on le veuille ou non, se mesure aisément au niveau de prospérité inégalé que nos sociétés ont atteint.
Il n'en reste pas moins certain qu'il est difficile de vouer une sympathie immodérée aux organismes bancaires, auxquels la plupart des gens sont liés, plus par obligation que par affinité. Il est vrai qu'on peut souvent avoir le désagréable sentiment que leurs courtiers cultivent davantage l'intérêt de leurs employeurs que celui de leurs clients. Il est évident enfin, lorsqu'on est dans la situation d'emprunteur, que le retour régulier des échéances, s'associe en règle, à une contrainte plutôt désagréable, voire angoissante.
Mais qui n'a jamais au moins une fois dans sa vie, été heureux de bénéficier d'un prêt bancaire pour réaliser un projet ?

On pourrait toutefois espérer des débats moins manichéens et plus constructifs. 
Il y aurait beaucoup à dire par exemple sur le gigantisme excessif de certaines entreprises notamment bancaires. Il fait craindre l'inflation de la bureaucratie, et l'installation de monopoles préjudiciables à l'émulation et à la saine concurrence. Et pire, il amène des difficultés croissantes de gestion, rendant celle-ci de plus en plus obscure, voire inintelligible, en faisant in fine, courir le risque de faillite monstrueuse, l'ensemble illustrant l'adage anglo-saxon « Too Big To Fail »; et justifiant les aides massives mais extravagantes que durent fournir in extremis aux banques, des Etats eux-mêmes au bord de la banqueroute.
Une des rares remarques de bon sens pêchées dans ce film vient d'un ancien économiste du FMI, Simon Johnson qui déclare que « ce n'est pas tant sur la banque qu'il faut s'interroger que sur son gigantisme... »

On pourrait enfin réfléchir sur les avantages et inconvéneints respectifs des régulations et des dérégulations. Il n'est pas certain en effet que ce soient ces dernières qui aient occasionné la crise comme on l'entend à tout bout de champ. Un jeu est d'autant mieux pensé que ses règles sont simples et faciles à mettre en œuvre. Un des fléaux de notre époque est l'accumulation hallucinante de textes de lois, d'incitations, d'interdictions, de niches, de dérogations, d'obligations en tous genres. Plus personne ne s'y retrouve.
Si l'anarchie n'est pas souhaitable, un peu de clarté et de bon sens s'impose. En l'occurrence, seul l'Etat a la maîtrise de cela...
Je ne me lasserai jamais de répéter le fameux adage de Tocqueville, qui définit si bien à mes yeux l'essence de l'esprit de liberté : «Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui...»

13 octobre 2012

La liberté a-t-elle un avenir ?

Lorsque je suis tombé par hasard sur le récent ouvrage d'Edouard Balladur, en dépit d'une certaine prévention, j'ai eu envie de l'ouvrir. Le titre ne pouvait que m'émouvoir. Un brin désabusé mais si révélateur de ce sur quoi chaque jour je m'interroge !
Dès les premières pages, ma curiosité fut attisée, notamment par les accents déchirants de l'avant-propos: « ma vie prendra fin au début du XXIè siècle ; de celui-ci je ne connaîtrai pas grand-chose. Ce que j'en vois m'inquiète : années des illusions perdues les unes après les autres, sans rien qui les remplace, comme si renaissaient sans cesse les vieux débats stériles. On l'observe bien aujourd'hui, c'est à qui ira le plus loin dans l'éloge du rôle salvateur de l'Etat. Cela passera... »

Malheureusement la suite ne me parut pas à la hauteur de l'enjeu.
Certes Edouard Balladur mérite de figurer parmi les très rares politiciens en France ayant un tant soit peu la fibre libérale.
Certes, il peut avec quelque raison se vanter d'avoir mené une action inspirée de ces principes, notamment lorsqu'il fut ministre des finances, durant la première cohabitation, entre 1986 et 1988. Songeons que le gouvernement à l'époque osa supprimer l'ISF !
Hélas, deux ans, ce fut un peu court pour livrer tous les effets attendus, et pour de très mauvaises raisons, les Français infligèrent un cuisant désaveu à la politique entreprise à l'époque.
Il y a de quoi refroidir les convictions les mieux ancrées.
Jacques Chirac qui pour sa part n'en eut jamais beaucoup (de convictions) n'hésita pas longtemps à faire machine arrière. Changeant son fusil d'épaule, il contribua à enterrer définitivement toute velléité d'aspiration à la liberté dans notre pays. A partir de 1993, il se mit à verser de belles et démagogiques larmes de crocodile sur la « Fracture Sociale », tout en chantant les pseudo-vertus du mythe de l'Etat-Providence, et finit même par vouer aux gémonies le libéralisme, qu'il jugea aussi délétère que le communisme ! Au passage, il écrabouilla les ambitions de son vieil ami Balladur, lequel s'était monté un vite le bourrichon à propos de sa destinée politique nationale...

Il y a de bons moments dans ce livre, et quelques vérités toujours bonnes à dire. Par exemple sur l'essence du libéralisme: « c'est l'histoire du progrès et de l'émancipation individuelle ; c'est la lutte contre l'autorité exclusive de la tradition qui s'imposerait comme allant de soi, le refus du conformisme ; c'est le libre examen qui conduit à la liberté d'agir. »
Il y a également la volonté de démasquer ses adversaires: « on veut déguiser l'hostilité au libéralisme en soif de justice, en besoin d'organisation, en refus du désordre ». Il y a même le courage de s'attaquer au paradigme consensuel de la social-démocratie : « elle utilise des mécanismes si pesants et complexes qu'elle peine aujourd'hui à s'adapter à l'évolution du monde. Elle n'y parviendra pas ».
Il y a enfin quelques évidences sur lesquelles il paraît opportun d'enfoncer le clou: « la liberté politique sans liberté économique est un leurre », « la démocratie locale constitue l'un des caractères d'une société libérale ».

Mais l'ensemble est trop répétitif, et surtout trop amorti, trop pusillanime pour emporter la conviction.
Pire, pour tempérer un propos pourtant guère audacieux, M. Balladur se croit à maintes reprises, obligé d'affaiblir sa propre thèse. A l'instar de la quasi totalité de la classe politique française, il se démarque par exemple de l'Amérique dont il juge «qu'il n'est pas évident qu'il faille imiter sans précaution l'exemple » ou d'une manière générale des pratiques anglo-saxonnes dont il juge dangereux de se « rapprocher »...
A d'autres moment il semble étrangement vouloir éreinter l'idée libérale elle-même :« le libéralisme s'accompagne de désordres de toutes natures, d'inégalités, d'injustices, d'une concentration excessive des revenus, d'entraves aux lois de la concurrence. Il doit se réformer », « le libéralisme n'a su ni organiser, ni harmoniser le fonctionnement du marché.. », « l'égoïsme est la tentation permanente du nationalisme comme du libéralisme... », « notre société est-elle trop libérale ? Elle en donne des signes multiples ; à peu près tout est dit, justifié, loué... »
Le comble est atteint lorsqu'après avoir chanté « l'efficacité de la liberté », il avertit que « l'ultralibéralisme met en danger la liberté », et qu'il se met à vanter le mérite de l'Etat, sans lequel « il n'y aurait eu ni industrie nucléaire, ni industrie pétrolière de rang international. Le libre jeu du marché ne conduisait ni à l'existence d'Elf, et de Total, ni à celle d'AREVA et d'EDF »

Tous ces atermoiements nuisent singulièrement à la clarté et à la force du propos, même s'ils sont bien à l'image de rondeur molle et prudente du personnage. Il y a peu de chances hélas que cette démonstration soit de nature à convaincre quiconque...
Sur les problèmes de société, ces faiblesses deviennent criantes. Dans le bouillon de périphrases et de concessions à la pensée unique, rien ne surnage vraiment. Exemple édifiant, le fameux PACS, contre lequel il avoue avoir voté, non par conviction, mais parce qu'en raison « de l'état d'esprit d'une partie de l'opinion et des contraintes de la vie politique », il s'est « laissé circonvenir !»
Aujourd'hui il est hostile au mariage homosexuel. Mais s'agit-il de ce qu'il pense ou bien de ce qu'il croit bon de penser ?

Au chapitre de la mondialisation, on retrouve les mêmes contradictions.
Le titre du chapitre résonne même comme un oxymore : « Contrairement à l'idée courante, la mondialisation menace la liberté des nations. » M. Balladur n'oublierait-il pas des temps pourtant pas bien reculés, lorsque le monde était cloisonné par d'épaisses murailles qui étouffaient la liberté de dizaines de pays !
Lui qui chante la liberté, rêve aujourd'hui d'une « autorité mondiale s'imposant aux Etats, encadrant leurs comportements, proscrivant les excès de leur indépendance, limitant le champ dans lequel ils peuvent agir à leur guise », « un pouvoir de décision s'imposant à tous ».
Si l'on peut admettre que l'absence de coordination pourrait faire craindre une mondialisation trop anarchique, il y a au moins autant à appréhender d'une centralisation extrême du pouvoir. En tout cas l'argumentation plaidant pour cette dernière paraît bien faible, rejoignant presque l'antienne des alter-mondialistes qui prétendant que «la mondialisation ne profitera qu'aux plus forts ». C'est tout l'inverse que l'on voit se produire sous nos yeux : grâce à la liberté, les pays émergents, même petits, se développent à toute vitesse, tandis que les nations dites puissantes s'essoufflent...

A propos de l'Europe enfin, dont on ne peut douter qu'il souhaite l'édification, il se borne hélas à constater l'incapacité chronique et s'interroge sur sa représentation concrète : « quel organisme, quelle personnalité, avec quels pouvoirs ? »
Il déplore la dispersion des énergies, et des modes d'expression, notamment le fait qu'au niveau des instances, l'usage officiel de plus de vingt langues soit autorisé. Mais à aucun moment il ne propose l'emploi de l'anglais qui s'imposerait pourtant à l'évidence, mais qui répugne aux Français. A aucun moment, il n'évoque le mot même de Fédération, et on le sent en définitive beaucoup plus proche de l'idéal assez répandu mais vain, d'un concert « d'Etats-Nations », que d'une véritable union...

Au total, ce livre est un peu le chant du cygne de quelqu'un sans doute pétri de bon sens, mais qui n'osa jamais vraiment aller jusqu'au bout de ses idées. Ça nous vaut un un plaidoyer un peu tiède, rempli de bons sentiments, mais aussi de redondances, voire de contradictions, au service d'une thèse qui jamais ne se dessine clairement.
Sur tout ce qui fait l'essence de l'esprit de liberté, M. Balladur se prononce du bout des lèvres. Et on en vient parfois à se demander ce qu'il pense vraiment. Et malheureusement, si avec de tels défenseurs, la liberté peut encore avoir un avenir...

La liberté a-t-elle un avenir ? Edouard Balladur. Fayard 2012

08 octobre 2012

Sommes-nous égaux en matière de santé ?

Un billet récent du professeur Flahault, directeur de l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP), attire l'attention sur une controverse passionnante en matière de santé publique. Une de celles en tout cas que j'affectionne...
A partir d'un travail réalisé récemment par le professeur Johan Mackenbach, titulaire de la chaire de Santé Publique à l'Université Erasmus de Rotterdam, elle se focalise sur l'incapacité des pays à haut niveau de protection sociale, à réduire significativement et durablement les inégalités en matière de santé.


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La santé est-elle conditionnée avant tout par la facilité de l'accès aux soins ? C'est la question cruciale qui se pose en l'occurrence.
Oui, serait-on tenté de répondre, si l'on suit l'idée communément répandue, qui sous-tend à peu près toutes les politiques de tous les gouvernants dans notre pays depuis des années.
Non, selon la conception libérale qui m'est chère, et que je défends dans ce blog. Qui fait de la liberté une valeur plus haute que l'égalité, et de la responsabilité un concept préférable à celui d'assistance. Et qui distingue l'égalité des droits et celle des conditions, en faisant de la première un objectif, et de la seconde une chimère.

En lisant l'analyse du Pr Flahault, je me suis réjoui car elle apporte de l'eau semble-t-il au moulin libéral, en diagnostiquant l'échec, au moins relatif, des systèmes de santé des pays à haut niveau de protection sociale, dans leur efforts pour réduire les fameuses inégalités de santé.
Un des constats majeurs faits par le Pr Mackenbach est en effet qu'« il n’y a pas de corrélation entre le niveau de protection sociale et les inégalités ».
Le paradoxe n'est qu'apparent. Et s'il répond sans doute à des raisons multiples, une d'entre elles paraît relever de l'évidence : parmi les facteurs qui concourent à une bonne santé, figurent avant tout les habitudes de vie individuelles, lesquelles ne se répartissent pas de manière égalitaire. D'où il découle que, même si toute la population jouit de la même « assurance maladie universelle obligatoire », cela n'empêche pas certains d'être plus malades que d'autres. De la même manière, bien que tous les automobilistes soient assurés, on observe que certains ont plus d'accidents que d'autres...
Il est même tentant d'aller plus loin en évoquant le caractère déresponsabilisant d'un système qui procure une couverture automatique, en apparence gratuite puisque prélevée à la source, sur les salaires. N'incite-t-elle pas à prendre des risques ? N'encourage-t-elle pas à abuser des bienfaits dudit système ?

Au surplus, il y a un corollaire : rien n'indique qu'un système égalitaire rime nécessairement avec la qualité des soins qu'il dispense. On eut une illustration de ce fait lors de la publication retentissante par l'OMS d'un classement des systèmes de santé, fondé non pas sur la qualité mais sur la facilité d'accès aux soins. Il relégua ainsi les USA dans le bataillon des pays sous-développés, alors que chacun connaît le rayonnement et la capacité à innover des établissements de santé et des universités outre atlantique. Certes il existe là bas des inégalités en terme de santé, qu'on se plaît en Europe et particulièrement en France, à monter en épingle, parfois jusqu'à la caricature. On oublie généralement de préciser qu'une des causes de cet état de fait réside dans l'absence de couverture maladie obligatoire. Les Américains qui jusqu'à présent ont privilégié la liberté à l'égalité considèrent qu'il relève de la responsabilité individuelle de souscrire un contrat d'assurance pour se protéger soi-même. Ont-ils tort, ont-ils raison ? Vaste débat, que le président Obama s'efforce d'éteindre en instituant un système à l'européenne, duquel il sera sans doute quasi impossible de sortir, et qui soulève une question fondamentale. Sur le long chemin qui mène à la démocratie éclairée, est-il préférable pour améliorer la maturité des citoyens, de recourir à la contrainte ou plutôt à la persuasion ?

Au total, partant du constat navrant que « nos sociétés contemporaines très développées ont failli à éliminer – ou même seulement de réduire – les inégalités sociales de santé », M. Flahault aboutit logiquement à une interrogation : «Faut-il une redistribution encore plus radicale que celle réalisée par les pays considérés aujourd’hui comme parmi les plus avancés de la planète dans ce domaine ? »
Il y répond de manière pragmatique en proposant une « évaluation rigoureuse plutôt qu’idéologique ».
Sur ce point, comment ne pas le suivre totalement, même si force hélas est de déplorer qu'en France, nous sommes plus que jamais sur la mauvaise voie, puisque le choix suivi par les Pouvoirs Publics est manifestement celui de l'idéologie...

04 octobre 2012

Ratages Scientifiques

La récente publication d'un article arguant de la toxicité des organismes génétiquement modifiés (OGM) a permis une fois encore, de mesurer l'incroyable pression médiatique dirigée à sens unique contre les fabricants de tels produits, et en particulier contre le groupe industriel américain Monsanto qui en a fait l'essentiel de son fonds de commerce. Elle a démontré une fois encore la crédulité effarante de la presse, et a mis en évidence la facilité qu'il y a de nos jours de colporter de très douteuses controverses en leur donnant les apparences de l'objectivité.
Rarement on aura vu autant d'a priori et de mauvaise foi servis à l'appui d'une thèse. A tel point que ce qui se présentait comme un travail scientifique rigoureux a tourné au véritable procès en sorcellerie, si ce n'est à la pantalonnade, ne faisant guère honneur à ses auteurs, au premier rang desquels figure Gilles-Eric Seralini, chercheur en microbiologie à Caen.

Avant même de s'intéresser au contenu de l'article, l'orchestration insensée qui a entouré sa publication plaidait contre lui.
Dans la presse Grand Public, ce fut en effet un déluge de titres aussi définitifs que partisans, pour saluer ce travail de manière unanime. Dès le 18/09/12, jour même de la parution de l'article dans le journal Food And Chemical Toxicology, alors que personne n'avait pu raisonnablement en faire une lecture un peu approfondie, le ton fut donné par le Nouvel Observateur, toujours prompt à promouvoir des supercheries, qui s'exclamait victorieusement : « Oui les OGM sont des poisons ».

Le plus élémentaire bon sens aurait pourtant incité à la retenue face à une étude portant non sur l'homme mais sur le rat. La prudence aurait conseillé d'y regarder à deux fois eu égard au petit nombre d'animaux étudiés (200 parmi lesquels seuls 20 étaient considérés comme groupe « témoin », c'est à dire non soumis à une alimentation à base d'OGM). Le questionnement aurait du s'imposer devant le caractère spectaculaire pour ne pas dire la monstruosité des tumeurs atteignant les animaux, exhibées comme preuves absolues de la nocivité du maïs transgénique NK603.
Comment expliquer en effet une telle toxicité, alors que jamais on n'entendit parler de surmortalité chez les millions animaux de laboratoire ni le bétail, couramment nourris depuis plus de 20 ans par ce type de produits. Et comment expliquer que les Américains qui eux-mêmes les consomment au quotidien depuis plus de 10 ans ne présentent pas plus de maladies cancéreuses que les Européens qui n'y touchent pratiquement pas ?
En bref, comment peut on être aussi affirmatif sur la foi d'une seule étude ? C'est un tel non sens scientifique, qu'il paraît à peine croyable qu'on ait pu lui accorder si vite autant de crédit.

Ce qui devait arriver arriva. Il ne fallut que quelques jours pour que les critiques fusent de toute part à travers le monde. Ce fut bientôt évident : l'étude était entachée de biais méthodologiques en si grand nombre qu'il était impossible d'en accepter les conclusions, sauf à en être convaincu d'avance ! Le seul choix des animaux inspire la suspicion : la littérature scientifique montre en effet qu'au bout de deux ans, 90 % des rongeurs de la variété dite "Sprague-Dawley" attrapent un cancer. Qu'ils aient mangé ou non des OGM !
L'opinion publique étant par nature versatile, le revirement fut brutal. Les mêmes qui avaient tambouriné haut et fort les conclusions alarmantes de l'essai, se firent du jour au lendemain l'écho du scepticisme montant.
En revanche, la réaction des auteurs face à cette bronca, aggrava leur cas. Non seulement ils ne firent pas amende honorable mais ils se braquèrent en se prétendant "attaqués de manière extrêmement malhonnête par des lobbies" et en refusant toute contre-expertise, même par des organismes aussi officiels et indépendants que l'Agence Européenne Chargée de la Sécurité des Aliments (EFSA).
S'agissant de l'indépendance revendiquée des auteurs, elle pourrait quant à elle prêter à sourire si l'enjeu n'était pas aussi sérieux. M. Seralini est le président du Comité Scientifique du CRIIGEN, qui se consacre exclusivement à la recherche des effets toxiques des organismes transgéniques. Et il n'est entouré que de gens qui ne font pas mystère de leur militantisme: entre autres, Joël Spiroux de Vendemois, médecin homéopathe et acupuncteur, Corinne Lepage, figure bien connue d'une écologie qui ne fait pas dans la nuance....

A quelque chose malheur est bon. Cette pitoyable controverse pourrait se révéler utile. Puisque l'expérimentation animale s'avère capable de produire des résultats inadéquats au but qu'elle se fixe et, plus grave encore, puisque ceux-ci sont manipulables, il s'avère délicat d'en tirer des extrapolations trop affirmatives. Aussi bien à l'appui d'une thèse qu'à son discrédit.
On mesure par là même, la difficulté qu'il y a de mener des expérimentations crédibles, pourtant indispensables au progrès. 
Si après plusieurs décennies d'utilisation, la toxicité des OGM fait toujours débat, leurs bénéfices sont légions. Les retombées de ces techniques s'étendent d'ailleurs largement au delà de l'alimentation. Nombre de médicaments sont obtenus à partir de bactéries transgéniques, et les essais de thérapies géniques modifiant les gènes de l'homme ne choquent personne. Ils sont même régulièrement présentés comme une source d'espoir et donnent lieu à de vibrants appels à la charité publique (téléthon).
Il n'en reste pas moins que la vigilance doit rester de mise. La fable de l'apprenti sorcier doit toujours hanter l'esprit des scientifiques. Mais sans paralyser leur génie inventif, et sans prendre le masque sectaire de l'idéologie. « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » disait en son temps le bon Rabelais. Science livrée à la passion n'est que perdition, pourrait-on renchérir...
Aujourd'hui même, on apprenait, après l'incroyable tohu-bohu déclenché par l'affaire dite du Mediator, que 85% des demandes d'indemnisation avaient jusqu'à présent été retoquées faute de preuve. Alors que certains accusateurs, sans disposer de données objectives suffisantes, n'avaient pas hésité à évoquer 500, puis1000 voire 2000 morts....