Le temps d’un très bref aller et retour vers Paris. Juste celui de se rendre à l’un des deux concerts donnés par Bob Dylan, dans le cadre somptueux de la Seine Musicale, sur l’Ile Seguin.
Le long vaisseau de béton blanc surplombé par une sphère de métal et de verre au-dessus du fleuve, offre une salle de spectacle magnifique, sur les gradins de laquelle on se presse pour l’occasion.
Ce n’est pas tous les jours qu’on peut venir y entendre chanter un Prix Nobel de littérature !
De fait, le personnage est quasi légendaire, tant ses chansons ont marqué la seconde moitié du XXème siècle.
Après soixante ans de carrière, il est là, toujours bien là, infatigable baladin des temps modernes. Toujours inspiré, toujours créatif, il achève une monumentale tournée entreprise il y a 3 ans pour promouvoir son nouvel album, splendide : Rough and Rowdy Ways.
Sur l’affiche géante, intrigante, inquiétante, envoûtante, un couple danse en ombres chinoises, dans une lumière cramoisie, insouciant de la menace toute proche d’un personnage mortifère. Tout en haut, on peut lire cette sentence : Things aren’t what they were…
Bob Dylan est parfois difficile à suivre car il est rarement là où on l’attend. Il procède par périphrases, ellipses et symboles. Ses mélodies, en apparence très simples, sont étrangement pénétrantes et sa poésie déborde de mystères et d’allusions. Elle rebute les uns mais enchante les autres, plus nombreux, acquis à sa cause, empreinte de noblesse altière, de liberté et d’indépendance.
Aujourd’hui hélas, la vieillesse ne l’a pas épargné. A 83 ans, il est perclus de rhumatismes, sa démarche est hésitante. Mais son esprit et son génie sont intacts et son énergie force l'admiration.
Il est entouré de musiciens épatants: le fidèle Tony Garnier à la basse et à la contrebasse, l’illustre Jim Keltner à la batterie et les excellents guitaristes Bob Britt et Doug Lancio. L'ambiance est électrique à tous points de vue. Sur une rythmique infaillible, Dylan déroule son répertoire dans un clair-obscur très bluesy.
Il fera la plupart des chansons du dernier disque, auxquelles viendront s’ajouter des versions transfigurées de grands standards : All Along the Watchtower, It Ain’t Me Babe, It’s All Over Now Baby Blue, Desolation Row, Watching the River Flow.
Il a délaissé la six-cordes pour le piano dont émanent parfois quelques accords un peu lourds, voire quelques faussetés. A l’harmonica, il est fidèle à lui-même, rustique mais très expressif. Au chant, c'est plus rauque et nasonné que jamais. Les envolées se terminent parfois en murmure, voire en râle déchirant. Mais il y a encore de la puissance et surtout beaucoup de vitalité, d’émotion, et de tendresse.
L’auditoire est conquis.
Comme à l’accoutumée, il n’y aura aucun discours, aucun remerciement, aucun rappel.
A la fin, l’artiste se lève une dernière fois, chancelant. Il se tient debout, très humble face à son public, et il esquisse un sourire de gratitude et de satisfaction.
Comme tous ces gens, j’ai passé deux heures en compagnie de Bob Dylan. Je suis comblé, heureux, tout simplement.
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