26 juin 2015

Une France vraiment moisie

Le déchaînement de violence dont l'actualité nous donne le navrant spectacle, à l'occasion du conflit opposant les taxis aux VTC (voitures de transport avec chauffeurs), fait resurgir l'expression de « France moisie », trouvée il y a quelques années pour un de ses éditoriaux sulfureux par Philippe Sollers.

Si le propos s'apparentait comme souvent, à un fatras dans lequel le meilleur côtoyait le pire, le titre était bon, il faut bien le reconnaître, et parfaitement adapté à la situation actuelle...
Elle est là dans toute sa réalité, cette France qui sent le vieux, l'archaïque, le renfermé.
Quoi de plus méprisable en effet que cette déferlante de haine qui anime une corporation s'estimant lésée dans ses acquis par de nouveaux opérateurs qualifiés de " délinquants sans carte pro ni assurance", venus piétiner leurs plates-bandes ? On se croirait transporté au pays des castes ou bien revenu au temps des privilèges.

Certes les chauffeurs de taxi ont payé cher leur rente de situation, leur asservissement protecteur au consortium étatisé qui réglemente depuis la nuit des temps leur profession. Les fameuses « licences » délivrées au compte-goutte par les Préfectures peuvent leur coûter jusqu'à 200.000€, tant est féroce la spéculation alimentée par la rareté absurde du sésame.

Là est d'ailleurs le vrai problème : on touche une fois encore du doigt les effets dévastateurs des régulations et des réglementions auxquelles les Français pourtant frondeurs par nature sont si attachés.
Et plus que jamais, le gouvernement se trouve pris à contre-pied par l'évolution des techniques, et de fait, est empêtré dans ses contradictions idéologiques.
Il y a un an à peine le premier ministre déplorait une « France bloquée ». Elle l'est assurément, mais à qui la faute si ce n'est à lui et à tous les gens qui partagent avec lui les mêmes idées obsolètes et doctrinaires, voire contradictoires ou incohérentes ?
Par un paradoxe bien de chez nous, alors que les taxis se livrent à des violences inacceptables, c'est la société UBER qui est mis au ban par le sinistre ministre de l'Intérieur Cazeneuve !

Le vieux mythe de l'Etat-Providence montre une fois encore toute la perversité de ses bonnes intentions. Cet épisode qui fait honte à notre pays sur la scène internationale permet de vérifier que L'Etat étouffe ceux qu'ils prétend protéger et organise la pénurie. Ce schéma est reproductible mille fois. On l'a vu avec les lois insanes dites Duflot du nom de la calamiteuse et éphémère ministresse du logement. On le voit avec l'hôtellerie,
le commerce en ligne, l'ouverture réglementée des magasins, le pléthorique code du travail...
En l'occurrence, les taxis n'ont pas tort de récriminer contre une « concurrence déloyale ». Mais ils se trompent de cible en s'attaquant à des challengers jugés trop libres. La solution n'est-elle pas de libérer un peu ceux sur lesquels pèsent des contraintes excessives plutôt que de contraindre les autres ?

Pour finir sur une note humoristique, qu'il soit permis de pointer l'inanité des prétendues bonnes actions gouvernementales, avec les récentes et grotesques initiatives de l'inénarrable Ségolène Royal, se faisant fort d'interdire au bon peuple l'usage du Nutella ou du RoundUp ! Devant tant de candeur ubuesque Alfred Jarry doit être transformé en turbine dans sa tombe...
En définitive, pour paraphraser les slogans libertaires de la fin des années soixante qui voyaient « sous les pavés la plage », on pourrait percevoir sous ceux, de plus en plus usés du socialisme, la liberté qui pousse, et rappeler plus que jamais « qu'Il est interdit d'interdire... »

21 juin 2015

Un bonheur suisse

Une brève incursion en Suisse vient de me donner l'occasion de vérifier que ce charmant petit pays (où par le plus grand des hasards je naquis), a vraiment presque tout du paradis sur terre !
Évidemment, ses paysages romantiques de lacs et de montagnes y sont pour quelque chose. Par une belle journée de Juin, une impression de tranquillité radieuse se dégage de Genève. Le panache du grand jet d'eau s'inscrit au loin comme un repère majestueux, offrant un splendide contraste aux bateaux à vapeur qui glissent avec une élégance nonchalante sur la sereine horizontalité du lac Léman.

Mais si la Suisse a des charmes géographiques indéniables, ses institutions n'en sont pas moins remarquables.
Organisée en confédération depuis le Moyen-Age, elle a évolué vers une démocratie parlementaire décentralisée, conférant l'essentiel du pouvoir et des initiatives à l'échelon local. Aujourd'hui, elle illustre de manière admirable les vertus du modèle fédératif et la démocratie participative n'y est pas un vain mot...
Dans ce système original, il faut bien chercher l'Etat pour le trouver. Pas de Président de la République, pas de premier ministre, et quasi pas de gouvernement central. Juste une collégialité de 7 personnes réunies en Conseil Fédéral. Elles se partagent la charge des grands départements correspondant, mais en moins grand nombre, à nos ministères. Le Pouvoir législatif est entre les mains d'un Parlement bi-caméral constitué d'un Conseil National de 200 membres, au prorata de la populations des cantons, et d'un Conseil des Etats de 46 membres, en règle 2 par canton (et 1 par demi-canton).
Cette organisation laisse la part belle aux initiatives populaires via des referendums - ou votations - pour se prononcer au plus près du terrain sur toutes les problématiques qui se posent au quotidien.
Résultat, la Suisse, enchâssée au coeur de l'Europe, vit avec elle et à mille lieues d'elle en même temps. Sa neutralité proverbiale la tient à l'écart de nombre de situations conflictuelles agitant le monde autour d'elle ce qui ne l'empêche pas d'héberger nombre d'instances internationales : ONU, Croix Rouge, Comité Olympique, OMS, Association Européenne de Libre Echange...

Un petit tour d'horizon de ses principaux indicateurs a de quoi en rendre jaloux plus d'un : elle dispose d'un des plus forts PIB par habitant au monde et sa croissance est régulière. Son taux de chômage est durablement au plus bas (autour de 3%). L'espérance de vie des habitants est l'une des 2 meilleures au monde. Le système de santé est excellent et s’il oblige les citoyens à contracter une couverture maladie, il leur laisse le libre choix de l’assureur. La Suisse est paraît-il, le pays où les retraités sont les plus heureux, grâce à une organisation fondée sur “3 piliers”,  faisant peser la prévoyance sur plusieurs systèmes, tantôt répartition tantôt capitalisation. Pour couronner le tout, elle se caractérise par un très haut niveau d’éducation et de culture, de bonnes performances sportives,  et elle attire nombre d’entreprises à haute valeur ajoutée technologique, qui pallient le peu de ressources naturelles. La stabilité de ses réglementations, notamment fiscales, et son excellent classement en matière de lutte contre la corruption sont sans nul doute des éléments clés de son attractivité....

Au total, cette organisation fédérale décentralisée qui a si bien réussi à l'échelle gigantesque des Etats-Unis, se révèle parfaitement adaptée à un pays de 8 millions d'âmes, répartis en 26 cantons, parlant 4 langues différentes ! Un bel exemple, qui malheureusement a peu de chance d'être suivi en France, où l'on se complaît dans le centralisme bureaucratique, les rentes de situations et la pompe oligarchique...

12 juin 2015

Loti japonisant

Le style de Pierre loti, élégant et laqué, empreint de grâce hautaine, sied très bien à l'exotisme qui caractérise sa vie et sa littérature.
En racontant ses souvenirs glanés pendant les quelques mois qu'il passa au Japon à la toute fin du XIXè siècle, cette faconde fait souvent merveille.
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De fait, le récit promène avec jubilation le lecteur au sein de ces palais silencieux et déserts, figés dans une beauté hiératique. Dans ces grands espaces, où "il n'y a pas de meuble, mais seule la précieuse laque d'or qui s'étale uniformément partout..."
Loti s'extasie par exemple devant "la nécropole des vieux empereurs japonais au pied du mont Nikko, au milieu des cascades qui font à l'ombre des cèdres un bruit éternel, parcourant une série de temples enchantés, en bronze, en laque aux toits d'or, ayant l'air d'être venus là à l'appel d'une baguette magique.../... personne alentour hormis quelques bonzes gardiens qui psalmodient, quelques prêtresses vêtues de blanc qui font des danses sacrées en agitant des éventails.../... La Mecque du Japon, le cœur encore inviolé de ce pays qui s'effondre à présent dans le grand courant occidental."

L'écrivain est impressionné par les manières pleines de distinction et de raffinement du "peuple le plus poli de la Terre". Il est sous le charme de ces adorables jeunes filles au charme mutin qu'on appelle mousmés.
Il s'amuse des djin (djin-richi-cha), ces tireurs de pousse pousse secs et musclés qui trimballent à toute allure leurs passagers, en gesticulant "comme des diablotins", "en poussant des cris de bêtes" pour se donner du courage et écarter les passants.
A Kyoto, il s'amuse également au spectacle plein de préciosité de la prostitution à la mode nipponne. De "l'exposition des femmes, alignées en devanture, derrière de petites barrières en bois ; assises, très parées, très éclairées par des lampes ; blanches comme du linge blanc, à force de poudre de riz mise à paquets sur les joues ; les yeux agrandis de noir et avant, sous la lèvre d'en bas, un rond de peinture rouge qui leur fait comme l'exagération de ce qu'on appelle chez nous la bouche en cœur.."

Au sein des paysages d'extrême orient, il est ébloui par la splendeur du Fuji Yama : "le géant des monts japonais, le grand cône régulier, solitaire, unique, dont on a vu l'image reproduite sur tous les écrans et sur tous les plateaux de laque ; il est là dessiné en traits d'une netteté profonde, surprenante – avec sa pointe blanche trempée dans la neige."
D'une manière générale, il est fasciné par la nature sauvage et fleurie qui sert d'écrin aux temples chargés d'histoire qu'il visite avec une admiration teintée de nostalgie. Il évoque ces tapis de chrysanthèmes aux douces couleurs qui ornent à perte de vue les jardins sacrés à la manière de fleurs  héraldiques qui au Japon, équivalent à nos fleurs de lys.
En plein mois de novembre, il remarque les kakis, arrivés à maturité, "seul fruit qui au Japon mûrisse en abondance, semblable à une orange un peu allongée, mais d'une couleur plus belle encore, lisse et brillant comme une boule en or bruni."

Mais le point d'orgue de ce voyage, c'est assurément la réception donnée par l'impératrice, à laquelle il a la chance d'être invité. Il n'aurait voulu rater ça pour rien au monde : "Tant que je vivrai, je reverrai cela... dans le recul profond de ces jardins, cette lente apparition, si longtemps attendue ; tout le reste de la fantasmagorie japonaise s'effacera de ma mémoire, mais cette scène, jamais..." 
Après un long moment d'attente qui lui semble une éternité, la souveraine enfin apparaît entourée de nombreuses dames de compagnie. "Elles sont très loin, très loin ; il leur faudra plusieurs minutes pour arriver jusqu'à nous ; vues de la colline où nous sommes, elles paraissent encore toutes petites comme des poupées – des poupées très larges par la base, tant sont rigides et bouffantes leurs étoffes précieuses qui ne font du haut en bas qu'un seul plis. Elles semblent avoir des espèces d'ailes noires de chaque côté du visage – et ce sont leurs chevelures gommées, éployées suivant l'ancienne étiquette de cour. Elles s'abritent sous des ombrelles de toutes couleurs, qui miroitent et chatoient comme leurs vêtements. Celle qui marche en tête en porte une violette, ornée de bouquets blancs qui doivent être des chrysanthèmes : c'est elle évidemment, l'impératrice !..."

Pourtant au fil des pages s'installe un sentiment curieux, mélange de fascination et de satiété devant cette profusion de trésors, de dédain et d'incompréhension pour ce peuple qui vit sous ses yeux, mais dont il ne parvient à percer l'âme. Il l'avoue d'ailleurs dés le début du récit : "J'ai l'impression de pénétrer dans le silence d'un passé incompréhensible, dans la splendeur morte d'une civilisation dont l'architecture, le dessin, l'esthétique me sont tout à fait étrangers et inconnus."
D'ailleurs, lorsqu'il rencontre des autochtones au cours des cérémonies et nombreuses réceptions qui émaillent son parcours, "Nous nous dévisageons les uns les autres avec ces curiosités froides et profondes de gens appartenant à des mondes absolument différents, incapables de jamais se mêler ni se comprendre...."
On songe d'abord à Stendhal devant les merveilles de Florence : "à la longue, on éprouve une lassitude à voir tant d'or, tant de laque, tant d'étonnant travail accumulé ; c'est comme un enchantement qui durerait trop..."
Mais au fond, c'est plus grave, car si Loti éprouve un profond respect pour le Japon d'hier, il raille celui de son temps, déja perverti selon lui, par les moeurs occidentales. Une phrase parmi cent, suffit pour s'en convaincre "c'est dimanche aujourd'hui – et on s'en aperçoit parfaitement : ils commencent à singer nos allures et notre ennui de ce jour là, ces païens. C'est surtout la mauvaise manière qui leur a servi de modèle, à ce qu'il semble, car beaucoup de boutiques sont fermées et beaucoup de gens sont ivres..."
Plus terrible encore, ce commentaire un tantinet réducteur et franchement méprisant dans lequel il se dit "agacé pas ces sourires , ces saluts à quatre pattes, cette politesse fausse et excessive. Comme je comprends de plus en plus cette horreur du Japonais chez les Européens, qui les ont longtemps pratiqués en plein Japon ! Et puis la laideur de ce peuple m'exaspère, ses petits yeux surtout, ses petits yeux louches, bien rapprochés, bien dans le coin du nez, pour ne pas troubler les deux solitudes flasques de joues.."

On se demande ce qu'il aurait pensé du Japon qui peu de temps après ce témoignage, se lança dans une politique brutale de colonisation, et provoqua des conflits insensés ? Qu'aurait-il dit en voyant à la suite de cette folie expansionniste, ce pays vaincu, détruit, ruiné, renaître tout de même de ses cendres, accéder à la démocratie et devenir un phare du progrès technique ?
Aurait-il pensé que ce peuple avait définitivement perdu son âme, ou bien serait-il parvenu à l'idée qu'il avait en définitive réussi à surmonter ses vieux démons en restant lui-même, au terme des terribles mutations et des mésaventures qu'il endura, beaucoup par sa faute ?

Pour rester sur une impression moins défavorable, qu'il soit permis de terminer en évoquant un petit souvenir, microscopique mais touchant. Alors qu'il se promène aux alentours de Nikko, il croise un enfant déguenillé d'une huitaine d'années. Ce dernier vient vers lui. "Il porte attaché sur son dos, un petit frère naissant, emmailloté et endormi. Il me fait une grande révérence de cérémonie, si inattendue, si comique, et si mignonne en même temps, que je lui donne des sous. 
Plus tard dans la journée, il le rencontre à nouveau, et l'enfant lui tend avec un sourire craquant,  un bouquet de campanules pour le remercier : "c'est le seul témoignage de cœur et de souvenir qui m'ait été donné au Japon, depuis tantôt six mois que je m'y promène.../... seul souvenir désintéressé qui me restera de ce pays."


Pierre Loti. Japoneries d'automne. La Découvrance éditeur. 2014.

31 mai 2015

The Sound Of Jazz

Ce cliché crépusculaire, débordant d'émotion, pris dans un studio de la maison CBS à la fin de l'automne 1957, est tout simplement dévastateur...
On y retrouve nonchalamment installés dans un troublant clair obscur si propice à la révélation du blues, Bille Holiday, Lester Young, Coleman Hawkins et Gerry Mulligan, réunis pour une sublime session.
Fine and Mellow comme dit la chanson de Lady Day. Moment d'intense communion s'il en fut. Regards complices, sourires déchirants, tendresse et suavité… Si émouvant lorsqu’on songe que Billie et Lester, ces deux fragiles et merveilleux génies de la constellation black and blue, ne se retrouveront jamais plus pour faire de la musique ensemble, avant leur disparition prématurée deux ans plus tard, à quelques mois d'intervalle.
Ce moment de grâce absolue, n'est qu'un des joyaux qui sont rassemblés sur ce bluray magique intitulé fort opportunément The Sound of Jazz.

Une bonne vingtaine de standards tous plus juteux les uns que les autres se succèdent au cours de cinq séquences magiques. Quant aux artistes, ils sont si nombreux et tous si intensément liés au coeur du jazz qu’on serait bien en peine de distinguer les uns comme plus glorieux que les autres. Il en manque certes, et non des moindres, mais ceux qui sont ici parlent pour les absents. Quelle pléiade mon Dieu !
Laissons nous aller à évoquer tout de même le swing si inimitable de l’orchestre de Count Basie au grand complet, qui fait merveille sur The Count Blues, Dickie’s dream, I left my baby...
Ou bien Henry “Red” Allen qui anime tantôt à la trompette tantôt au chant, une version vitaminée de Rosetta, avec autour de lui Vic Dickenson au trombone, Pee Wee Russel à la clarinette et une section rythmique de compétition (Danny Barker guitare, Nat Pierce piano, Milt Hinton basse et Osie Johnson batterie.
Mentionnons également l’intervention courte mais qui ne peut laisser indifférent du si subtil Thelonious Monk en trio. Il nous livre un Blue Monk tout en dérapages contrôlés...

Remontons encore un peu dans le temps, pour nous retrouver en 1944 avec The Prez au meilleur de sa forme. Avec son chapeau plat, son petit air penché qui contribue sans doute à donner aux émanations mélodiques issues de son sax, une saveur empreinte de délicieuse mélancolie. On retient notamment le fameux On The Sunny Side Of The Street avec la charmante chanteuse Mary Bryant. Avec eux, Illinois Jacquet, quasi alter ego de Lester, Harry Sweet Edison à la trompette, Barney Kessel à la guitare, Big Syd Catlett à la batterie, Marlowe Morris au piano, et Red Callender à la basse. Quel velouté, quelle légereté !

Viennent ensuite quelques petits trésors qui permettent de voir ou de revoir des artistes inoubliables dans une atmosphère parfaite, où les cuivres et les bois jouent dans une pénombre feutrée par les fumées de cigarettes. Par exemple, au cours d’une session particulièrement excitante, de Miles Davis avec le soutien superbe mais trop bref de John Coltrane (So what).
Ou bien encore Charlie Parker, Dizzie Gillespie, Roy Eldridge, Coleman Hawkins, Ben Webster, Vick Dickenson, Dicky Wells, Benny Morton, Pee Wee Russel, Jimmie Giuffre, Mal Waldron, Ahmad jamal, Hank Jones, Buck Clayton, Wyton Kelly, Paul Chambers, Gil Evans et j’en passe !
Oh, bien sûr il ne faut pas attendre de miracle. Les images capturées il y a plus d'un demi-siècle sont empreintes à jamais du flou originel et la musique restera pour toujours étouffée par les insuffisances techniques de l'époque.N'empêche, qu'il est doux de revoir et d'entendre une fois encore la fine fleur du jazz réunie sur ce disque absolument indispensable...

20 mai 2015

The Blues Fades Away...

Juste une rivière noire
s'écoule sans fin l'eau
Comme un obscur tombereau
De langueur et de mémoire.

Dans les replis de sa moire
Le mystère du berceau
Rejoint celui du tombeau
Indifférent à la gloire.

Avec pour seul bruit, le chant
Qui s'élève humble et touchant
Léguant des notes moelleuses

Et la guitare en douceur
Qui confère à la douleur
Des inflexions bienheureuses...





In memoriam B. B. King 1925-2015

12 mai 2015

Trois ans au pays bas

Ce pays bas c'est évidemment la France de M. Hollande, le si bien nommé ! 
Et les trois années sont celles pendant lesquelles la nation a été consciencieusement aplatie sous le rouleau compresseur de sa politique inepte.
Le bilan est vite fait tant il est calamiteux.
Tout est raté à commencer bien sûr par la lutte contre le chômage dont il avait fait soi-disant une priorité absolue. Aujourd'hui, il semble s'en moquer éperdument et c'est désormais avec indifférence et condescendance qu'il contemple le désastre chronique qui grossit chaque mois d'une nouvelle charrette la triste foule des demandeurs d'emplois.
Comme toutes ses vaines et ronflantes promesses, il a oublié qu'il avait par avance affirmé qu'il ne mériterait que la honte s'il ne parvenait à obtenir l'inversion de cette fameuse courbe dont il a nourri la crédulité de l'opinion publique.

Ce petit bonhomme aux rondeurs bourgeoises, n'aime rien comme inaugurer les chrysanthèmes... Il porte les gerbes et les couronnes avec une sorte de jubilation, teintée de componction, à la manière de ces notables d'autrefois, confits dans la roublardise.
Il faut dire qu'en la matière, il ne rate aucune occasion. A chaque catastrophe, il accourt pour verser ses larmes de crocodile. De toute manière, son mandat n'est qu'un cimetière d'illusions pour ceux qui ont commis la fatale imprudence de voter pour lui !
Rien ne l'arrête. Aujourd'hui encore il se répandait en hommages glauques au chevet du tyran cacochyme de Cuba, en tentant rituellement de faire porter la responsabilité des malheurs du peuple qu'il a ignoblement opprimé, au blocus américain ! Qui peut encore croire ces fadaises épouvantables ?

Triste bilan donc, sur lequel il est inutile d'épiloguer. Mensonges, inconstance, incompétence, népotisme, muflerie, malversations, démagogie, tout s'inscrit à l'encontre de sa fameuse litanie du « moi je » arrogant avec laquelle il a enfumé les électeurs.
La France asphyxiée dans une idéologie lénifiante, s'enfonce dans le marasme, à l'inverse de tant de nations en train de sortir de la crise.
Après celle d'Angela Merkel en Allemagne il y a quelques mois, la victoire électorale éclatante au Royaume Uni, de David Cameron, est comme une colossale gifle donnée à ces bonimenteurs qui promettent le changement et les lendemains qui chantent comme certains barbiers filous annoncent que "demain on rase gratis..
." Comme le constatait récemment le jeune économiste Nicolas Bouzou (C dans l'air), la politique mise en œuvre à Londres pourrait être opposée point par point à celle concoctée à Paris. Et comme par hasard, les résultats outre-Manche suivent une tendance exactement contraire à celle qu'on observe en France...
Mais dans ce pays étonnant, peu importe que le président de la république soit, assez logiquement et durablement, discrédité par 80% des Français. Lui croit toujours qu'il parviendra envers et contre tout, par le jeu de stratagèmes et de manipulations, à se faire réélire !
Comme dirait Père Ubu : « Merdre ! »

08 mai 2015

Spiritualité

Voyageant dans l’espace au bleu phosphorescent
L'esprit se laisse aller sous de longues caresses
Prodiguées par les mains d'impalpables déesses
Au regard plein d’amour et très compatissant.

L'Art, la Science et la Grâce arrivent en dansant
Moquant d’un air mutin les charnelles faiblesses
Tandis qu'au loin, très haut, de joyeuses kermesses
D’oiseaux illuminés égaient le firmament.

Tout ça vit et se meut sans peine matérielle,
D'une manière en somme un peu surnaturelle,
Le sensible n'étant qu'un pesant supplément.

Mais quoi ? L'âme n'aurait donc pas de vraie substance
Et le temps qui s'enfuit pas la moindre existence ?
Ce serait sans ce cœur qui bat fidèlement...

23 avril 2015

Dernières nouvelles du royaume d'Ubu

Avec la nouvelle loi de santé, qui rituellement portera le nom dérisoire de sa ministre « de tutelle », une fois encore, le dinosaure sans foi ni âme de l’Etat-Providence continue d’avancer de son pas lourd et maladroit.

Chaque point voté par ces diaphanes fantômes de la liberté que sont devenus les Députés, chaque point, chaque article trahit cette propension à l’infantilisation du peuple contre laquelle Tocqueville tenta, hélas vainement, de mettre en garde ses compatriotes.

Passons en revue le catalogue très décousu des mesures proposées :
En premier lieu, le gouvernement donne un nouveau coup de pouce à l’interruption de grossesse pour convenance personnelle. Non content de l’avoir fait prendre en charge intégralement par la Sécurité Sociale comme une maladie, voilà qu’il presse les femmes d’y recourir davantage en supprimant le délai de réflexion de 7 jours. A une époque où l'on continue de compter une IVG pour 4 accouchements, quoique jamais la contraception ne fut plus efficace et d'un accès facile, « c'est un scandale », comme dirait feu Marchais... Et cela, toute considération morale ou religieuse mise à part naturellement (qui peut décréter en toute certitude à quel moment le foetus devient un être humain ?).

La République n'a que faire de délais, et ne s’embarrasse pas d'explications, de concertation. Foin de tous ces artifices risquant de gripper la mécanique sociale.
Ainsi pour faciliter les prélèvements d’organes, on supprime avec le même état d'esprit, tout dialogue avec la famille. Tant pis pour le drame qui se joue dans ces circonstances, l'urgence semble avant tout de produire des pièces détachées, coûte que coûte. Puisque personne ne s'enquerra des sentiments non formalisés, que vous auriez pu exprimer de votre vivant, il ne reste qu'une seule alternative pour freiner cette folie matérialiste, si vous avez un doute, demander son inscription au registre national du refus du don d'organe ! A moins qu'une loi ne change d'ici là les règles, il en sera peut-être tenu compte par les Autorités Compétentes le moment venu...

A côté de cet assèchement en règle des relations humaines, le nouveau texte contient nombre de pis allers contraignants ou au contraire permissifs sensés mieux réguler le champ de la Santé Publique. Mais rien à coup sûr, qui soit de nature à qualifier ce fatras de mesurettes sulpiciennes de « grande loi » comme certains vantards le prétendent. Aucun souffle, aucune inspiration, mais surtout des préoccupations de boutiquiers de la santé

On pourrait rire des gesticulations autour de la nouvelle présentation imposée des paquets de cigarettes. Qu'ils soient neutres, qu'ils portent des inscriptions macabres ou d'horrifiques illustrations, qui espère-t-on vraiment convaincre par ces procédés débilitants ? Peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse en somme, et ne doutons pas que d'ingénieux commerçants auront tôt fait de proposer des étuis plus attrayants !
D'ailleurs cette mesure rentre en contradiction flagrante avec l'expérimentation annoncée des fameuses salles de shoot où les toxicomanes invétérés pourront s'adonner à leur doux vice en toute quiétude et hygiène, après avoir acheté leur came sur le trottoir d'en face ! Ah qu'elles étaient belles en comparaison, les fumeries d'opium qui envoûtèrent Baudelaire, De Quincey, Loti ou Huxley !

Rien n'arrête le zèle législatif. On va faire passer désormais les mannequins de mode sur la balance à bestiaux pour s'assurer que leur indice de masse corporelle est bien dans les normes ! Jusqu'où faudra-t-il aller dans le ridicule ? Imagine-t-on vraiment pouvoir ainsi diminuer le nombre d'anorexiques ? Croit-on vraiment que ce soit avec de tels artifices qu'on amènera le peuple à se montrer plus responsable ?
Du même tonneau, si l'on peut dire, il faut évidemment citer les sanctions pour ceux qui inciteraient les jeunes et notamment les mineurs au binge drinking (beuverie express), qui fait de plus en plus de ravages dès la fin de semaine (c'est à dire désormais à peu près tous les jours). Ainsi, le plus sérieusement du monde la ministre au regard illuminé, annonçait récemment sur Europe 1 «qu'il sera désormais interdit de vendre des produits qui rendent sympathique l'alcool », et que pour «protéger les jeunes contre les intérêts mercantiles», seront sous peu interdits à la vente «des protections pour les téléphones portables ou des tee-shirts avec des scènes un peu amusantes autour de l'ivresse !»

Pendant ce temps, la consommation d'alcool s'affiche totalement impunément sur la voie publique. Que dire par exemple de l'emblématique « fête de la Musique » de M. Lang, qui se termine invariablement pour tant de ces jeunes, sur un brancard dans les services d'Urgences des hôpitaux...
Ne s'agit-il pas d'une évidente incitation à l'ivresse festive ?

PS : s'agissant des mesures plus consistantes, mais pas moins insensées de la loi, je renvoie à de précédents billets :

19 avril 2015

Ode au vent d'Ouest

Au delà du challenge il y a le symbole...
En 1780, parmi les navires armés par la France pour aller secourir les insurgés américains en lutte pour leur indépendance, figurait l'Hermione.
Cette frégate est restée tellement emblématique du combat pour la liberté, et de l’amitié franco-américaine, que de nostalgiques mais intrépides entrepreneurs ont imaginé de la reconstruire à l’identique, quelque deux siècles plus tard.

Cette initiative assez folle et romantique commença dans les radoubs du port de Rochefort en 1997 et s’est achevée en 2015, avec le départ vers l’Amérique du nouveau vaisseau, flambant neuf, samedi 18 avril.
 
Il fallut donc près de 20 ans pour mener le projet à bien, là où les chantiers navals du XVIIIè siècle avaient mis 11 mois,  !

Mais, c'est un fait, il a belle allure incontestablement ce trois-mâts carré, réalisé avec amour et opiniâtreté, en respectant le plus fidèlement les techniques d’autrefois.
Un détail pourtant s’avère anachronique, et bien visible : le grand drapeau tricolore qu’il arbore fièrement en poupe.
Ce n’est évidemment pas la France républicaine qui se fit l’alliée des Etats-Unis naissants mais celle du pauvre roi Louis XVI, arborant un pavillon fleur-de-lysé d’une blancheur éclatante. Il serait bon de se souvenir de temps à autre que cette France n’a pas démérité devant l’Histoire, en dépit du sort affreux et immérité qu’on réserva à ses dirigeants…
C'est d'autant plus choquant que dans cette reconstitution, le pavillon américain reprend lui, l’aspect d’antan (13 étoiles en cercle).

Constat troublant, l’étendard de la République porte les trois mêmes couleurs que celui de la nation américaine. On peut certes y voir le bleu de la liberté, le blanc de l’unité, mais pour le rouge hélas c’est autre chose. Tandis qu’il rappelle
outre-atlantique le sang des héros, il restera marqué de manière indélébile ici, par celui des victimes de la terreur sur laquelle est fondée notre régime...

Plus légèrement, on pourrait ironiser en voyant le Chef de l’Etat saluer en grande pompe ce nouveau départ. L’Hermione d’autrefois avait à son bord le marquis de La Fayette, celle d’aujourd’hui accueille le Président La Faillite...

17 avril 2015

The Killing Fields

Sinistre date Anniversaire, ce 17 avril 2015.
Celle de la prise du pouvoir par les Khmers dits "rouges" au Cambodge, il y a tout juste 40 ans.
Ce génocide idéologique commis au nom du socialisme, sous les yeux indifférents voire complices des nations libres restera à jamais comme une honte incommensurable. Près de deux millions de morts, dans un pays qui en comptait à peine 7, c'est proprement ahurissant !

En 1975, après les horreurs du stalinisme, du maoïsme, et de tant de régimes se réclamant du socialisme sous toutes ses formes, l'incapacité de l'Occident vis à vis de ces crimes abominables fut impardonnable (on se souvient entre autres des vivats d'une partie de la presse française, célébrant "Phnom Penh libérée").
Durant ce XXè siècle sanguinaire, seul le nazisme fut réellement combattu et ses dirigeants punis, mais qui se souvient ou simplement reconnaît qu'il ne s'agissait en définitive là aussi, que d'un avatar du socialisme ?

Impardonnable complaisance qui se prolonge d'une quasi indifférence de l'opinion publique encore de nos jours. Où nous tolérons que des atrocités similaires soient commises depuis si longtemps en Corée du Nord. Où l'on voit le Président des Etats-Unis d'Amérique serrer chaleureusement la main ensanglantée du dictateur cubain. Où l'on peut encore entendre
dans notre pays, sans que cela paraisse choquant, des politiciens ou des soi-disant philosophes prônant l'application radicale de cette idéologie infâme. Où certains se réclament même sans vergogne du communisme tandis que d'autres se gargarisent toujours du socialisme qui occasionna tant de malheur sous toutes les latitudes !
Cette complaisance vis à vis d'une doctrine cachant sous de vertueux principes son abjection, est décidément un grand mystère. Quand donc les yeux se dessilleront-ils sur sa nature perverse ? Quand pourra-t-on dire que les innombrables victimes sacrifiées sur l'autel de ses prétendues bonnes intentions ne sont pas mortes pour rien ? Quand comprendra-t-on que les tyrannies établies au nom de l'humanisme sont les pires ? Quand donc l'être humain sera-t-il assez émancipé pour résister aux folles lubies qui germent dans son cerveau ?

Evidemment, lorsque l'on revoit les images de cette période effrayante, ces hommes en noir se ruant comme des diables sur Phnom-Penh, et sitôt les premières heures de liesse passées, installer partout leur indicible barbarie, on ne peut s'empêcher de penser aux islamistes radicaux, ivres d'absolu et de prétention, commettre avec un horrible théâtralisme, sous les yeux des caméras, leurs exactions.
Qu'elles soient perpétrées au nom de Dieu ou de l'idéalisme athée, les abominations inventées par le génie humain sont plus terribles que n'importe quelle calamité. Même s'il faut en toute circonstance garder l'espoir rivé à la Liberté, les mots manquent face à de telles horreurs, et de telles absurdités.
« A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse
Seule le silence est grand, tout le reste est faiblesse... »


Illustration : crânes de victimes des Khmers Rouges à Choeung Ek (Wikipedia)
Rappel d'un billet antérieur : Les obscurs fondements de la haine

04 avril 2015

Un parfum de printemps

Dernier dimanche de Mars à Montpellier. Au jardin des plantes, l'air printanier verse d'agréables tiédeurs ensoleillées à travers les feuillages tendres. D'un arbuste tout juste sorti de la torpeur hivernale, à peine encore verdi, les délicates orbes fleuries émettent une adorable senteur, fraîche comme l'aurore aux doigts de rose, telle que la chantait le vieil Homère.
Quel est donc cet arbrisseau plein de charme et de candeur ? M'est avis, sans pouvoir l'affirmer qu'il s'agit d'une variété de viburnum, ou plus vulgairement viorne. De Corée peut-être (viburnum carlesii)... Malheureusement c'est une supposition car aucun panneau ne signale l'essence en question contrairement à d'autres.
Dommage, car les parcs botaniques, bien entretenus, sont une mine d'enseignement et une source inépuisable de ravissement pour l'amateur des merveilles subtiles dont nous gratifie généreusement la nature. Au sein des villes souvent turbulentes, ce sont des havres de quiétude propices aux songes et à la méditation. Celui-ci est à ce qu'il paraît, le plus ancien de France, fondé en 1593 par Richer de Belleval sur instruction du bon roi Henri IV. Grâce lui soit rendue, même si en cette sortie d'hiver, rares sont les floraisons, et si un petit défrichage s'impose dans les allées un peu en désordre.

J'aime les fleurs qui embaument. La fragrance est un peu la musique de la végétation. C'est son côté abstrait, qui porte à toutes les supputations, qui vous élève et vous suggère tant de choses, fait resurgir tant de souvenirs... 

Les parfums des roses sont sans doute parmi les plus envoûtants, bien que les variétés odoriférantes soient de plus en plus difficiles hélas à trouver chez les fleuristes.
Mon préféré toutefois est sans doute le jasmin. Je ne peux résister à cette belle efflorescence blanche, à la fois explosive et contenue, qui fait vibrer l'air alentour comme dans un rêve exotique. J'aime aussi les lys aux traînées capiteuses, les œillets et les giroflées porteurs de délicates épices, ou bien encore les daphnés, émouvants comme l'est pour un amoureux transi l'haleine de sa bien-aimée, les chalefs (elaeagnus ebbingei) étonnants arbustes évoquant les lauriers, mais qui donnent une saveur un peu méridionale aux rivages océaniques d'Oléron, les clérodendrons de Chine à senteur jasminoïde, dont les grappes graciles prolongent suavement l'été dans l'automne et qui finissent en beauté sous la forme de perles bleues enchâssées dans des calices de pétales pourpres...

Ce dimanche était aussi jour d'élection. Qu'importe, je n'avais pas trop la tête à ça. Et puis que dire ? Que la Gauche se prend comme prévu une sévère raclée amplement méritée, ce qui ne l'empêchera sûrement pas de continuer à donner des leçons. Que la Droite tire les marrons du feu sous la houlette avisée de Nicolas Sarkozy. Décidément, si cet homme ne brille pas par la constance de ses convictions, il faut bien reconnaître qu'il possède les qualités et l'énergie d'un chef ! Que le Front National enfin recueille un quart des suffrages exprimés, mais en définitive à peine une poignées d'élus et aucun département, confirmant, quoiqu'on pense de ce parti, que la démocratie française est bien malade...

25 mars 2015

Le Carrousel Sicilien

C’est toujours une joie de suivre Lawrence Durrell dans ses nombreuses et ensorcelantes pérégrinations méditerranéennes.
Aussi, lorsqu’il convie ses lecteurs à le suivre bord d’un petit autocar rouge, à la découverte de la Sicile, on ne peut que s’exécuter et se réjouir à l’avance.
Le carrousel sicilien, c’est le nom du programme organisé auquel il souscrivit auprès d'une agence de voyages, à la fin des années soixante-dix. Rien de plus convenu a priori, pour des vacances. Et pourtant, sous sa plume tout s’enchante et l’on parcourt non seulement des lieux, mais aussi le temps…

Au départ c’est d’ailleurs une sorte de retour dans son propre passé auquel il se livre, et l’occasion de faire revivre un peu le souvenir d’une femme, Martine, dont on devine qu’elle fut bien plus qu’une amie, et qui avait fait de cette île sa terre d’élection. Pour l’écrivain, c’était l’occasion “d’exorciser la tristesse d’une mort qui ôtait tout sel à la vie…” 

A maintes reprises, le lecteur est donc amené à partager cette complicité, via les lettres échangées jadis, que Durrell relit à chaque étape du périple.

Vue d’avion, avant même d’y mettre le pied, la Sicile impressionne : “jetée en travers du détroit comme un piano de concert, elle apparait menaçante comme sur la défensive.../… Une île à la dérive, comme la Crète, comme Chypre…” C’est pourquoi, en la voyant ainsi surgir par le hublot, cet incurable islomaniaque qu’est Durrell, ressent “une espèce de serrement de coeur, d’inquiétude.”
Bien vite toutefois ce trouble se dissipe, et en sillonnant ce pays, une foule d’impressions et d’idées vont se succéder dans sa tête, faisant de ce récit, une délicieuse mosaïque littéraire. Une galerie de portraits bien sûr avant tout : compagnons de voyage, gens de rencontre, figures rêvées à partir de souvenirs, se succèdent et se croisent sans vraie chronologie : Deeds, "ancien de l‘armée des Indes, avec ses chaussures montantes, l’imperméable cachant une saharienne délavée, le foulard de soie noué autour du cou, la valise fatiguée et patinée…", une famille de touristes français “à l’air chagrin qui ressemblaient à des microscopes bon marché”, un prêtre un peu exotique, et, last but not least, Roberto le guide à la faconde intarissable.

Il y aura dans ce voyage des moments de joie, des drames aussi. Par exemple le spectacle incongru, au détour d’un virage, d’un terrible accident d’auto, frappant les esprits comme un tragique rappel à la réalité sur cette route joyeuse, baignée d'azur et de soleil.
Et puis naturellement les digressions mi-géographiques, mi-historiques sur ce pays étonnant plus qu’aucun autre à la croisée des chemins, des cultures, des religions. Entre autres, des considérations érudites sur les monnaies antiques : celle d’Athènes portant l’effigie d’une chouette évoquant “les skops qui occupent toujours les anfractuosités de l’Acropole et poussent à l’aube et au crépuscule, leur cri étrange et mélancolique…”. Ou bien la rose qui donna son nom à Rhodes et qui ornait délicatement au temps antiques, les espèces sonnantes et trébuchantes…

Et bien sûr le grand carrousel des cités, plus ou moins marquées par moultes aventures et mésaventures à travers les siècles...
Catane, pour commencer, mais sans intérêt majeur, il faut bien dire. Longue digression en revanche sur Syracuse, un peu désenchantée tout de même : “une coquille vide dont l’esprit s’est enfui. les temples eux-mêmes ont pour la plupart disparu, usés jusqu’à leurs fondations comme les molaires d’un vieux chien”. Ce qui n’empêche la cathédrale d’éveiller l’émotion : “un lieu sacré bien avant les Grecs. où l’on n’a pas fait table rase du passé, on l’avait au contraire accepté et adapté avec une générosité et un goût qui faisait plaisir à voir.” Pour la première fois, concède Durrell,” je ne me sentais pas anti-chrétien” !
Agrigente. Pas “l'affreuse ville moderne horrible fatras de taudis crasseux et anonymes”, mais ces ruines muettes qui témoignent de l’esprit grec, lorsque cinq siècles avant Jésus Christ,” il imposa, une fois pour toutes, ses lumières au monde, et affirma sa résolution de briller de tout son éclat”. Et le souvenir d’hommes illustres, tel Empédocle, savant, philosophe, et médecin, sur lequel on fit courir des légendes de nécromancie ou de sorcellerie et que Bertrand Russell fit passer pour un mythomane, alors qu’il fut, comme le rappelle Durrell, respecté par Aristote et qu’il influença Lucrèce ! Ou Eschyle, fameux dramaturge qui écrivit plus de 80 pièces de théâtre dont seules 7 parvinrent jusqu’à nous, et qui tomba éperdument amoureux de la Sicile où selon toute probabilité il monta son Prométhée enchainé et son Prométhée déchainé.
Une foule de noms se succèdent ensuite : Selinonte qui tire son nom du selinon, celeri sauvage, puis Erice, Segeste, Palerme, et enfin Messine, et sa cathédrale, reconstruite après un tremblement de terre, avec simplicité, modestie, et la lumineuse spontanéité d’une aquarelle zen, l’un des plus intéressants et somptueux édifices de l’ile.
Et au terme du voyage, impossible évidemment, de ne pas passer quelques instants éblouis dans la douce Taormina qui s’ouvre sur le plus beau théâtre du monde : l’Etna !
Bref, une vraie cure d’intelligence et de poésie, que délivre une fois encore le plus méditerranéen des écrivains anglais, avec ce mélange inimitable de fantaisie, de grâce, d'humour et de légèreté !

Illustration : Nicolas de Staël. Sicile.

23 mars 2015

Une question de taille


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Par un paradoxe troublant, tandis qu'à l'échelle vertigineuse de l'univers, notre monde n'a jamais semblé plus petit et isolé, l'organisation des sociétés modernes semble atteinte de gigantisme. Urbanisme, fortunes, entreprises, tutelles étatiques, administrations, consommation, santé, tout s'emballe.
C'est à cette problématique  qu'a entrepris de s'attaquer Olivier Rey dans son ouvrage bien nommé « Une Question de Taille » : selon lui, en effet, jamais on ne fut si préoccupé de tout mesurer alors que dans le même temps, on a perdu le sens de la mesure...


Il faut reconnaître évidemment la pertinence d'un certain nombre de constats sur lesquels il s'appuie, même s'ils ne sont pas franchement nouveaux.
L'auteur évoque en introduction à son propos quelques délires urbanistiques révélateurs  de cette folie des grandeurs. C'est presque devenu un pont-aux-ânes, mais on ne peut que partager l'horreur que lui inspire certaines réalisations immobilières concentrationnaires : barres, tours, immeubles où l'on entasse des milliers d'individus, avec les meilleures intentions « sociales » du monde !
Autre exemple de la course à la démesure, l'automobile. Fantastique instrument de liberté dans l'absolu, elle est devenue par sa multiplication folle, un objet de contraintes, de perte de temps et d'argent. Inutile d'insister sur les monstrueux embouteillages obstruant aux heures de pointes l'entrée ou la sortie des mégalopoles, ou bien les routes des vacances. Chacun en a fait l'expérience....

Non sans justesse, Olivier Rey se livre ensuite à quelques observations touchant à l'organisation même de la société dont il fustige les exigences individuelles toujours plus grandes et une dépersonnalisation des institutions. Il en profite pour remettre au goût du jour les critiques faites en son temps par Ivan Illich, dont le nom revient dès lors comme un leitmotiv, tout au long de l'ouvrage. S'agissant par exemple de l'instruction publique qu'il compare à une « intoxication », il se désole sans complexe du fait que « les parents, les familles, les adultes en général, par paresse, facilité, découragement, ou simplement parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, renoncent à éduquer les enfants et les jeunes, laissant ce soin à l’institution scolaire qui prétend si bien s’en charger… »
Sur le système de santé devenu pléthorique, il n'est pas plus tendre. Il commence par pointer l'extravagance de la définition proposée par l'OMS en 1946, qui fait de la santé « un état de complet bien-être physique, mental et social, ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Toujours sur les traces d'Illich, il part en guerre, à contre-courant des credo actuels, contre les politiques de protection sociale, en affirmant que « ce n'est pas une bonne nouvelle pour les liens familiaux et l'amitié que, lorsque quelqu'un est malade, il soit pris en charge, non par sa famille ou ses amis, mais par la sécurité sociale... »
Élargissant son propos, il en vient à contester la conception matérialiste du bonheur, telle que la connaissent les pays développés, qu'il assimile à une accumulation stérile de satisfactions. Ainsi, écrit-il, « une vie humaine n’est pas un sac où les épisodes viendraient s’entasser (une abondance sans plénitude) mais une chaîne qui les relie faite de moments successifs mais réclamant un sens à cette succession et une fin : la mort. »

Après Illich, c'est Leopold Kohr, qui est appelé à la rescousse, et notamment son ouvrage The Breakdown of Nations, dans lequel il tentait de démontrer qu'il n'y a qu'une seule cause derrière toutes les formes de misère sociale : la taille excessive ! Olivier Rey rappelle le slogan resté fameux, « Small is beautiful » dont s’inspira toute une école de pensée économique et qui servit de titre au manifeste publié dans les années 70 par Ernst Friedrich « Fritz » Schumacher. Ces gens furent en quelque sorte les précurseurs de l'alter-mondialisme qui fleurit de nos jours en marge des chemins officiels et qui se targue de proposer une nouvelle voie, répudiant à la fois les canons marxistes et les sirènes libérales...
Et c'est là que le bât blesse évidemment...

Car l'ouvrage à cet instant bascule dans la charge anti-libérale, pour laquelle l'auteur se met à déverser un argumentaire où l'esprit partisan l'emporte sur l'objectivité et le spécieux prend souvent la place du sérieux.
Derrière le légitime questionnement sur la taille des structures, des institutions, des organismes et des sociétés, surgissent hélas nombre d'a priori dont on subodore qu'ils tiennent beaucoup plus de la vision gauchisante, voire parfois anarchiste du monde.
Passons sur la thèse farfelue d’Ivan Illich, préconisant de limiter la vitesse des déplacements de manière à ce qu'elle n'excède pas 25 km/h, car de son point de vue, les grandes vitesses entraînent une concentration néfaste des pouvoirs !
Comment adhérer au principe posé par Kohr, supposant que n’importe quel petit état, monarchie ou république, serait par nature démocratique à l'inverse des grands, qui ne pourraient pas l'être, du seul effet de leur taille ! Les USA sont là pour rappeler qu’une grande nation peut très bien se fonder durablement sur la liberté, et à l’inverse, on pourrait citer des foules de petits régimes totalitaires…
On ne peut davantage être convaincu par les démonstrations en forme de tautologie sur l’impossibilité pour les organismes d’être invariants lorsqu'ils changent d’échelle. En d’autres termes, un homme de 10 mètres de tiendrait pas même debout s’il était proportionné comme nous. C’est certain, mais cela ne prouve en rien qu’une structure doive nécessairement se faire petite pour être viable. Le modèle fédéral sur lequel est bâtie la Suisse s’adapte sans souci aux Etats-Unis…
Enfin, que dire des réflexions de l’auteur lorsqu’il affirme arbitrairement que les trop grands nombres ont quelque chose de satanique, évoquant la colère de Dieu punissant David pour avoir tenté de dénombrer de son peuple ? Que dire de cette étonnante assertion qui voudrait que « la masse semble attirer sur elle les catastrophes et appelle le massacre ? » Surtout lorsque le raisonnement conduit à faire de la dévaluation massive du mark dans les années 30 le facteur déclenchant du génocide hitlérien....

On se retrouve de fait, embarqué dans un discours confus et quelque peu pédant dans lequel émerge à maintes reprises la philosophie de la décroissance, de l'anti-libéralisme et de l'anti-capitalisme dont on nous rebat les oreilles.
L'auteur s'en garde en voilant son propos de maintes précautions oratoires, mais il ne peut par exemple s'empêcher de revenir sur les vertus de la division du travail qui permit à l’industrie de prospérer. Contre celle-ci, Olivier Rey voudrait réhabiliter « les bons outils "conviviaux" de M. Illich, qui augmentent l'autonomie en permettant de faire davantage par soi-même que ce qu'on pourrait accomplir sans eux, au contraire des outils industriels, devenus si démesurés, qu'ils paralysent les facultés personnelles d'agir sur le monde. »
Bien sûr l'artisanat et la conception vernaculaire de la production sont des causes sympathiques, mais il est certain que si chacun devait lui-même fabriquer ses chaussures ou sa voiture, le monde serait quelque peu transfiguré...

Plus graves sont les attaques incessantes et plutôt primaires qu’il adresse à tout bout de champ au libéralisme, dont il voit les méfaits partout, à tel point qu’on peut inférer de cette approche, qu'elle s’inscrit hélas dans l’ignorance méprisante dont il souffre dans notre pays.
On peut en juger sur quelques truismes grotesques, dénonçant par exemple à propos de la condition féminine, « la ruse du système économique moderne, après avoir ruiné l’ancienne position des femmes, de ne leur avoir fait entrevoir une libération qu’à travers une concurrence avec les hommes et un enrôlement dans les rangs des travailleurs salariés ! »
Parfois c’est à la caricature qu’il se laisse aller, quand il dépeint « la force de l’idéologie libérale qui, une fois implantée, anéantit si radicalement la faculté, psychique et sociale, à admettre une limite et à la respecter, qu’elle ne peut que continuer à régner jusqu’à ce qu’intervienne la main invisible de la catastrophe », ou bien encore « le libéralisme prôné par Mandeville au XVIIIème siècle, qui au lieu d'exhorter les individus a la vertu et à la tempérance, les pousserait à rivaliser de richesses, à la soif illimitée d'avoir.»

Tout ça ne fait qu'aboutir au paradoxe de Voegelin, qui en 1950 constatait « le déclin de l'Occident et les progrès inouïs qu'il accomplit dans le même temps », pour conclure sous la forme d’un oxymore, que « c'est le succès même qui entraine le déclin...

Au total, cette longue digression, se caractérise avant tout par son incohérence et ses clichés idéologiques. Partie sur des prémisses intéressantes, elle est menée au terme d’un raisonnement erratique, vers une conclusion nébuleuse, et dénuée de débouchés concrets.
Olivier Rey, se borne à produire un nième pamphlet anti-libéral, sans grande originalité. Il en vient même à remettre en cause le sens des responsabilités sur lequel se fonde l’amour de la liberté, en faisant sienne l’argumentation inepte d’Illich : "quand je me comporte d'une manière responsable, je m'inscris moi-même dans le système". A l’instar de son mentor, il lui préfère la décence, mais malheureusement, il semble l’avoir largement oubliée présentement…

Olivier Rey. Une question de taille. Stock. 2014.

13 mars 2015

Crise de repères

En France, on sait les politiciens versatiles.
Ceux qui se prétendent de droite, se plaisent à mettre en oeuvre une fois élus, une politique de gauche, et d'aucuns voient chez ceux de gauche au pouvoir, une tendance à promouvoir les recettes libérales…
En définitive, plus personne n’y comprend rien et à force d’être dupés, les électeurs renoncent de plus en plus à se rendre aux urnes. Résultat, le Front National en apparence tout au moins, ne cesse de progresser.
Il lui reste difficile de s’imposer, car il faudrait à lui tout seul qu’il emporte un peu plus de 50% des voix, ce qui semble encore hors de portée, vu qu’il cristallise contre lui la haine vindicative de tous les partis auto-prétendus républicains. Cette suprématie viendra-t-elle ? Nul ne le sait, mais une chose est sûre, ces derniers n’auraient alors que leurs yeux de crocodiles pour pleurer.
A l’instigation machiavélique de Mitterrand, la Gauche a tout fait pour créer et faire enfler le phénomène, et sous l’égide de Jacques Chirac, la Droite a entrepris de lui donner corps et de le radicaliser en clamant haut et fort qu’elle n’avait rien à voir avec lui, tout en exploitant parfois les mêmes thématiques...
Le problème est désormais insoluble et le débat démocratique est durablement envenimé par ces manoeuvres coupables.

Aujourd’hui, Manuel Valls qui n’a vraiment pas grand chose à vanter dans l’action menée par le Président de la République et lui-même, s’énerve puérilement devant la montée de ce qu’il qualifie de péril contre lequel risque "de se fracasser le pays." Belle inconséquence en réalité, puisque lui et les siens n’ont de cesse d’apporter à pleins tonneaux de l’eau au moulin de l’extrême droite.
Et qui confine à la stupidité lorsqu'il attaque notamment Michel Onfray, à qui il reproche de perdre ses repères, au motif “qu’il préfère une idée juste, fut-elle de droite, à une idée fausse même si elle est de gauche, surtout si elle est de gauche.”
Cette tournure de pensée est effrayante, car elle témoigne d’un archaïsme idéologique à peine croyable. Le premier ministre se croit sans doute encore à l’époque où l’on pouvait “préférer avoir tort avec Sartre que raison avec Aron” ou encore mentir effrontément "pour ne pas désespérer Billancourt."

Onfray répliqua en traitant familièrement Manuel Valls de “crétin”, et force est de reconnaître que le qualificatif est approprié, face aux propos incohérents et aux actions contradictoires du chef du gouvernement, même s'il n’est pas le seul à utiliser cette rhétorique ampoulée autant qu’insignifiante, qui dit les choses sans les dire tout en les disant, et en affirmant tout et son contraire.

Quel dommage en somme que Michel Onfray se prétende encore de gauche ! Il a des convictions, il a une certaine droiture et un courage indéniable, dont il fit preuve lors des attentats de janvier dernier, en disant sans détour quelques vérités bien senties au sujet de l'islam radical tandis que le Président de la République et le Premier Ministre soutenaient que les atrocités commises par des gens hurlant « Allah Akbar » n’avaient rien à voir avec la religion musulmane !
Pourquoi resterait-il donc accroché par principe, à cette forfaiture idéologique qu’est le socialisme ? C’est évident, lui le philosophe libertaire individualiste et épicurien pourrait avoir sa place sans trop de peine, parmi les amoureux de la liberté ! Un jour peut-être...
Décidément, les repères sont en crise....

02 mars 2015

Sentimental Journey

Je suis parfois tenté de t'appeler mon ange
Pour ta manière d'être et ce que tu me fais,
Je suis parfois ému par ces instants parfaits
Que pas un désaccord au monde ne dérange.

Dans ma tête rêveuse un peu tout semble étrange
Alors que j'erre seul dans le silence frais,
L'hiver encore en neige et le printemps tout près
Se confondent au sein d'un suave mélange.

Le temps présent s'échappe en tremblantes vapeurs
Accrochant dans l'air bleu mes craintes et mes peurs
A la blancheur atone, immobile des arbres.

Promeneur indécis, je soupire en marchant
Tandis que mon esprit s'égare, chevauchant
Le fil flottant d’un songe, entre pierres et marbres
Illustration : Vivian Maier

24 février 2015

L'aimable farce Macron

Lorsque Emmanuel Macron fut nommé ministre par le Président de la République, il était loisible de s’interroger sur ce que venait faire dans un gouvernement socialiste dirigé par un prétendu ennemi des Riches et de la Finance, un genre de trader dont le principal titre de gloire fut d'avoir amassé en 18 mois quelques 2,4 millions d’euros de salaire chez Rothschild, en jouant au Monopoly avec les entreprises.

Et bien désormais on sait : il y fait des lois en s’amusant, l’air de rien, comme d’autres feraient des bulles. Légères, légères, si légères qu'il suffit d'une brise parlementaire, à peine une petite fronde, pour les disperser, les ventiler, les éparpiller par petits bouts, façon puzzle…
De fait, annoncée comme étant d’inspiration libérale, cette loi qui porte le nom du sémillant ministre de l’Economie fit couler beaucoup d’encre, pour étaler en définitive une grande vacuité sur pas moins de 200 articles.

Au terme d’interminables débats à l’Assemblée Nationale, et à l’issue de l’accouchement au forceps du 49.3, que subsiste-t-il ? Rien ou presque, si l’on en croit les experts qui se sont plongés dans cette jungle légale.
A peine retient-on un assouplissement des règles ubuesques interdisant aux compagnies d’autocars inter-urbaines de concurrencer la SNCF. Encore, fallait-il savoir que dans notre malheureux pays, on en était encore à ces ukases ahurissants…
A peu près rien de changé sur la réglementation du travail la nuit et le dimanche puisque l’assouplissement annoncé a fait pschiiit, l’Etat s’en remettant, de manière on ne peut plus tarabiscotée, au bon vouloir des maires et des intercommunalités, pour autoriser ou maintenir l’interdiction d’ouvrir 12 dimanches par an au lieu de 5...
S’agissant des notaires, dont on a beaucoup parlé, il n’y a rien qui vaille vraiment d’être mentionné, à part un accroissement de la complexité administrative fixant les tarifs de leurs actes. Va-t-on payer moins cher, rien n’est moins sûr.
Le reste touche, sans cohérence apparente, à quantité de sujets abscons pour le commun des mortels : permis de conduire, justice prud’hommale, cession d’actifs de l’Etat, règles de licenciement collectif, statuts des avocats d’entreprises, et même location de matériel militaire par l’armée…

Il est bien difficile dans ces conditions de déterminer si ce texte confus comporte ou non de réelles avancées. Et tout aussi ardu de savoir si l’opposition devait ou non le voter. Puisqu’il avait un vague parfum, certes éventé, de liberté, le bon sens politique poussait sans doute à y être favorable. Cela permettait de préserver l’avenir, en ne risquant pas de se trouver en porte-à-faux quant à de futures propositions de lois allant dans le même sens. Surtout, cela aurait coupé court à la procédure du 49.3, et contribué à fragiliser et à décrédibiliser un peu plus le gouvernement et sa majorité auprès de son électorat dit “de gauche” et de ses frondeurs internes. C’était donc bon à prendre pour des partis en mal d’inspiration.
C’est sans doute pour ça qu’ils se sont massivement opposés au texte...

22 février 2015

Face au chaos, Bush avait raison...

J’ai bien peur une fois encore, de ramer à contre courant de l’opinion publique en prenant la défense de George W. Bush !
Tant pis, s’il n’en reste qu’un, je serais celui-là. Et si je me trompe, j’en demande pardon par avance aux tribunaux de l’Histoire !
Pour l’heure, face à l’embrasement du terrorisme islamique, et à la déstabilisation progressive du monde, il ne m’a jamais paru plus évident que la stratégie de l’ancien président était la moins pire, à défaut d’être la meilleure…

Pour en arriver là, il faut reprendre l’histoire au début et notamment accepter de se replacer dans le contexte du millénaire naissant, à savoir plus précisément, en 2001.
A cette époque sont survenus, comme des coups de tonnerre dans un ciel d’azur, les épouvantables attentats du 11 septembre. Trois-mille morts en une seule journée ! La folie humaine à l'état pur...
Pour beaucoup, c’était la surprise et l’incompréhension totale. On a d’ailleurs comparé ces évènements à l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941.

En réalité, pas plus que cette dernière, l’effondrement des tours du WTC n’était totalement imprévisible. Les deux signaient une préparation méticuleuse, une froide préméditation, et les signes prémonitoires ne manquaient pas pour ceux qui auraient voulu les voir… D’ailleurs, dans les deux cas, ce constat fut en définitive celui des commissions d’enquêtes concluant a posteriori, à de nombreuse négligences et à une insouciance coupable.

Le fait est, que bien avant ce 9/11 terrible, des foyers de terrorisme s’étaient allumés. Le plus important s’était installé dans les montagnes afghanes, sous les houlettes complices des Talibans et de Ben Laden. L’Afghanistan que les troupes soviétiques n’étaient pas parvenues à vassaliser, avait été peu à peu transformé en une enclave moyen-âgeuse. Personne ne pouvait ignorer que les femmes étaient soumises à une loi religieuse rétrograde avilissante, et chacun avaient entendu parler des destructions ignobles du patrimoine culturel, auxquelles se livraient tranquillement des hordes de fanatiques. Les exactions et les menaces vis à vis de l’Occident, avaient débordé de ce chaudron mortifère au point de devenir monnaie courante, et plusieurs attentats furent commis, dont un premier, comme un avertissement, au World Trade Center en 1993.
Au Proche Orient, Saddam Hussein de son côté, pour des raisons différentes mais tout aussi maléfiques, narguait également le Monde dit civilisé. Défait en 1991 par une première coalition, après son annexion ratée du Koweit, il reconstituait progressivement ses forces et sa capacité de nuisance. Plusieurs centaines de milliers d’hommes étaient stationnés aux frontières de l’Irak pour le surveiller en permanence, et le contraindre à respecter les termes du traité qu’il avait signé, en particulier l’interdiction de toute action contre les Kurdes. Des inspecteurs de l’ONU, chargés de vérifier qu’il ne se réarmait pas, étaient régulièrement dupés par le tyran qui prenait un malin plaisir à faire le contraire de ce qu’il disait.
Bien qu’il n’eut pas d'accointances directes avec Ben Laden, il fut le seul chef d’Etat au monde à se féliciter des attentats du 9/11 !
La dangerosité croissante de toutes ces menaces, fut sous estimée par la Communauté Internationale. Seuls les Etats-Unis, alors dirigés par Bill Clinton, s’inquiétèrent réellement de la situation, mais en répliquant mollement par des mots ou quelques opérations militaires de portée limitée, et donc inefficaces. Il fallu attendre l'électrochoc de septembre 2001 pour qu’enfin des actions de grande envergure soient entreprises sous la conduite de George W. Bush, qui a l’évidence ne les avait pas prévues dans son programme…
Pour ambitieuses et périlleuses qu’elles fussent, il faut être de mauvaise foi pour prétendre qu’elles n’avaient qu’une justification pétrolière.
L'argument massue du « mensonge délibéré de la présence d'armes de destruction massive », rabâché comme une scie par les adversaires du président américain fut largement mensonger lui-même. Saddam se vantait de posséder ces armes, et ne cachait aucunement sa volonté de les utiliser ! De toute manière qu'entend-t-on par armes de destruction massive ? Les machettes qui ont fait 800.000 morts au Rwanda dans l'indifférence générale, n'en sont-elles pas ? Saddam Hussein n'en était-il pas une à lui tout seul, lui qui fut responsable de plus d'un million de mort ?
En réalité, on a agité des contre-vérités et des leurres de part et d'autre, comme lors de tout conflit. Et cela a permis aux uns de justifier l’entrée en guerre, et aux autres d’éviter de préciser ce qu’il aurait fallu faire…

L’objectif de l’Administration américaine, pour contestable qu’il fut, avait le mérite d'être clair : il s’agissait de s'attaquer à des dictatures obscurantistes et sanguinaires, d'abord en Afghanistan, puis en Irak, avec à l'esprit la théorie des dominos. L'enjeu était de faire tomber ces régimes affreux de proche en proche, en aidant les peuples libérés à construire un modèle de société plus ouvert et respectable.
Les premières étapes furent franchies, non sans mal. Des élections libres avaient vu le jour dans ces contrées qui n'y étaient guère habituées, personne ne peut le nier, mais plus de 4000 soldats sont morts pour cet idéal, qui n'avait en soi rien de différent de celui poursuivi par les armées venues libérer l'Europe en 1944. Au demeurant, s’agissant des raisons qui poussent l’Amérique à faire la guerre, qu’est-ce qui permet de penser qu'il en soit autrement aujourd'hui qu’hier, et pourquoi agirait-elle avec les autres différemment de ce qu'elle a fait pour nous ?
Qu’il soit permis encore une fois, d'évoquer ici les termes émouvants de la « lettre aux amis américains », qu 'écrivit Saint-Exupéry en mai 1944 : «Si la guerre est toujours gagnée par les croyants, les traités de paix quelquefois sont dictés par les hommes d’affaires. Eh bien si même un jour je forme dans mon cœur quelques reproches contre les décisions de ceux-là, ces reproches ne me feront jamais oublier la noblesse des buts de guerre de votre peuple. Sur la qualité de votre substance profonde je rendrai toujours le même témoignage. Ce n’est pas pour la poursuite d’intérêts matériels que les mères des Etats-Unis ont donné leurs fils. Ce n’est pas pour la poursuite d’intérêts matériels que ces garçons ont accepté le risque de mort... »

Hélas la belle alliance des démocraties que le président George W. Bush espérait mettre en œuvre a fait défaut, et la trahison de la France fut une des plus saillantes et des plus consternantes.
L'oeuvre resta donc inachevée et les successeurs, repris par les vieux démons pacifistes, ont préféré la stratégie hasardeuse des coups d'épée dans l'eau, ou carrément l'inaction.
A partir de 2008, l’Irak a été peu à peu abandonné par la nouvelle administration américaine, et en Afghanistan, c’est à un service minimum que le président Obama cantonna ses troupes.
En Libye, on a renversé un dictateur mais sans accompagner le peuple, ce qui n'a servi à rien d’autre qu’à installer le chaos. En Syrie, on a laissé s'installer le désordre, et renaître les foyers de terrorisme qui ont bien vite essaimé un peu partout, comme les mauvaises herbes proliférant dans un jardin délaissé.
Résultat, les quelques acquis ont été quasi réduits à néant, et tout le travail est à refaire ! Il faudra tôt ou tard sans doute s’y atteler à nouveau, au risque sinon, de voir nos propres sociétés gravement menacées. Elles sont déjà, notamment la France, ébranlées économiquement par le boulet socialiste qui les endettées jusqu'au cou sans la moindre efficacité sur la misère ! Bientôt, si l'on n'y prend garde, c'est le modèle démocratique qui risque de s'effondrer. Tout amoureux de la liberté, ne peut qu’être extrêmement préoccupé par cette funeste évolution.
René Girard, d’habitude mieux inspiré, considéra l’échec du président américain, comme dû à «son incapacité de penser de façon apocalyptique ». Curieux contresens, s'agissant de George W. puisqu'on lui reproche habituellement d'avoir eu un dessein tenant précisément de la révélation, empreinte de connotation religieuse (que n'a-t-on glosé sur la lutte du bien et du mal !). Pour le coup, si la vision de Bush en était dépourvue, le mépris avec lequel on la traita, risque d’avoir une portée apocalyptique au sens effrayant du terme…

Plus de dix ans ont passé et avec le recul, il apparaît légitime de penser envers et contre tout, que cette politique était la bonne, car il semble clair que son abandon a conduit au désastre auquel on assiste aujourd'hui.
L'apathie du monde prétendu civilisé face à la barbarie qui étale ses indicibles atrocités chaque jour sous nos yeux est une grande honte, et rappelle hélas les époques précédant de grands désastres. Ce n'est vraiment pas la peine de ressasser les méfaits passés du nazisme, en récitant la rengaine contrite du « plus jamais ça », si l'on est incapable de combattre sérieusement les horreurs qui empestent le présent !
A l'inverse de ce qu'on prétend, Bush est parvenu à endiguer cette spirale pour un temps, mais les remparts qu'il avait érigés étaient fragiles. Faute d'entretien, ils sont en train de céder.
Et qu'on ne dise pas que le messianisme démocratique dont l’ancien président américain était porteur, soit contradictoire avec le respect du passé et des cultures locales. En l’occurrence, quatre mille ans d'histoire, de divisions, de luttes tribales, ethniques ou religieuses, ne sauraient conduire au fatalisme et encore moins servir de justification aux dictatures. Ces peuples n'ont pas moins de droit que nous à la Liberté et ne méritent pas moins que nous de pouvoir vivre paisiblement, avec un peu de prospérité... On voit les minorités enragées, mais on n'entend jamais les majorités silencieuses…
Pourrait-on admettre une fois pour toute que l'intérêt principal des USA soit tout simplement que les peuples vivent libres ? Et que l’intérêt de toute nation libre soit de les rejoindre sur cet objectif ?

Mais les grandes démocraties croient-elles encore vraiment à leur modèle, chérissent-elles encore cette Liberté pour laquelle de valeureux aïeux ont donné leur sang ? C'est bien là la question...
Plus que jamais la fameuse citation de Churchill s'impose : " Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. "