Un des ponts aux ânes les plus sujets à controverses reste bien sûr cette fameuse séparation de l'âme et du corps. Kambouchner épingle deux saillies illustrant cette question: “l'âme n'a pas besoin du corps pour penser”, et “le corps est pure machine.”
Dans le souci de justifier la position de Descartes, M. Kambouchner s’attache à la pondérer, en posant qu’affirmer la différence de nature entre le corps et la pensée ne revient pas à considérer nécessairement que l'âme puisse exister en dehors du corps. Cette proposition pose problème, car alors on se demande bien pourquoi Descartes aurait jugé primordial d’établir cette distinction, qui relève, il faut bien le dire, de l'évidence ?
Le cerveau est sans doute le siège de la pensée mais on ne peut pas dire qu'il la sécrète comme le fait le pancréas de l'insuline. Et donc, après tout, puisqu'il n'y a pas de substratum physique à la pensée, rien n'interdit d'imaginer qu’elle puisse s'extraire de cette machine dans laquelle elle paraît incarcérée et par les organes sensoriels de laquelle elle communique avec le monde matériel.
Plutôt que d’approfondir cette hypothèse, M. Kambouchner se sort du dilemme en adoptant une position mitigée qui affadit le propos du philosophe. Celle-ci consiste à admettre de manière un peu elliptique que la pensée soit en mesure de s’affranchir des contingences du corps sans se détacher toutefois de lui. Mais on retombe, de fait, dans une quasi évidence.... Nous en faisons tous l'expérience à l'instant où la sérénité et la quiétude nous envahissent, lorsque notre carcasse charnelle ne ressent ni douleur ni tracas, et qu'elle se trouve à l'abri des stimuli perturbateurs. Ce n’est jamais que l'illustration du vieux diction mens sana in corpore sano. Evidemment, cela n’autorise pas à confirmer pour autant que notre pensée puisse exister en dehors de notre corps puisque nous ne pouvons pas prolonger plus avant l'expérience, sauf à être mort…
Ce type d'arguments, n'est donc pas vraiment contributif, ni même de nature à servir la cause de Descartes. Cela en montrerait plutôt une des faiblesses en confirmant que la simple raison est insuffisante pour conclure sur les questions d'ordre métaphysique auxquelles il s’attaque.
Il est certain, comme tente de le démontrer M. Kambouchner qu'une pensée désincarnée n’aurait pas grand chose à voir avec celle siège en nous et qui par la force des choses se trouve en contact étroit avec le monde physique, ressent des émotions tirées du réel, et s’exprime dans un langage fait de conventions formelles artificielles. Mais en quoi cela interdit d’imaginer cette éventualité quand même ? De l'au delà, personne ici bas ne peut rien dire, c'est bien là où le bât blesse.
Ni Descartes, ni Damasio, ni Kambouchner ne nous apportent de vraie réponse. Sur ce coup Pascal est plus convaincant car sa foi lui permet de transcender les raisonnements, et le conduit à des certitudes intangibles, reposant sur une expérience indiscutable: son vécu de Dieu…
Autre écueil auquel est confronté M. Kambouchner : au fil de sa plaidoirie, il se heurte à beaucoup d'archaïsmes devenus criants au regard de l'évolution scientifique et plus encore sans doute, de l'évolution des idées. Puisqu'il s'est donné pour but de restaurer la pureté originelle de son modèle, il se voit donc contraint de contourner quantité de concepts surannés et pire parfois, d'en dévoyer le sens pour essayer de les intégrer dans la modernité.
On sait par exemple que Descartes ne nourrissait guère de sentiments pour les animaux qu’il considérait comme des êtres inférieurs, sans âme ni conscience. Est-ce pour autant nécessaire de nous convaincre qu’il n’a pas affirmé comme la rumeur tendrait à le faire croire, que sur ces derniers l'homme a tous les droits?
M. Kambouchner cherche à combattre naturellement cette idée reçue mais peu importe en définitive car même si c’était vrai, on est prêt à parier spontanément que cela n’impliquait pas dans l’esprit du philosophe le droit de les maltraiter. Même si Descartes se moquait des “rêveries d’un Pythagore” prônant la réincarnation et le végétarisme, il eut certainement désapprouvé les brutalités inutiles constatées dans certains abattoirs. Ici encore, l'apologie à laquelle se livre l'avocat manque de pertinence, à force de vouloir faire rentrer la pensée cartésienne dans le moule de la correction politique.
Pourquoi ne pas en rester à ce que Descartes a exprimé et privilégier l’esprit plutôt que la lettre ? Descartes voyait une différence fondamentale entre l’être humain et l’animal, quoi de choquant ? Sans doute n’eut-il pas désavoué Kant qui s'émerveillait du spectacle de la voûte céleste étoilée au dessus de sa tête, et de la loi morale qu'il portait en lui. Sans doute aurait-il estimé dans le même temps qu’aucun animal jamais ne pourrait avoir de tels sentiments. Cette position reste aujourdhui tout à fait défendable, même si certains voudraient nous faire croire le contraire au nom de l’antispécisme ou du véganisme. Non seulement la position de Descartes reste défendable mais elle pourrait également faire son actualité car le même raisonnement est susceptible de s'appliquer aux formes variées d’intelligence dite artificielles dont on nous rebat les oreilles. Jamais une machine aussi perfectionnée soit elle ne pourra faire sien le double émerveillement de Kant qui définit si bien le mystère de l’être humain et qui caractérise tout ce qu’il y a de sublime et d’unique dans sa conscience. Aucun animal, aucun végétal, aucune machine, aucune chose ne peut atteindre cette plénitude énigmatique.
Cela dit, même si l’on peut considérer ici que Descartes a anticipé Kant, il reste loin toutefois de l'élévation de pensée du sage de Königsberg. Les principes sur lesquels il fonde sa méthode sont trop tranchés, trop mécaniques, trop universalistes. Le ciseau et le burin de la raison ne peuvent s’attaquer à la matière métaphysique et dans l’illusion de tout pouvoir expliquer, Descartes dresse un édifice massif et imposant, mais chimérique. Comme il ne s’inscrit pas non plus dans l’empirisme, ses raisonnements tiennent du mirage. De loin, ils paraissent solides, mais en y regardant à deux fois, tout s’évanouit hormis quelques tautologies assez vaines.
A force trop vouloir la défendre, M. Kambouchner ne parvient qu’à pervertir la pensée de Descartes. Il voudrait lui retirer la gangue dogmatique qui l’alourdit et lui donne son aspect archaïque, mais il en dénature l’essence, car il ne s’attaque pas tant à la forme qu’au fond.C’est aussi sans doute le problème de Descartes, de n’être pas parvenu à hisser la philosophie à ce niveau de transcendance. Descartes n’est pas Kant...
Dans le souci de justifier la position de Descartes, M. Kambouchner s’attache à la pondérer, en posant qu’affirmer la différence de nature entre le corps et la pensée ne revient pas à considérer nécessairement que l'âme puisse exister en dehors du corps. Cette proposition pose problème, car alors on se demande bien pourquoi Descartes aurait jugé primordial d’établir cette distinction, qui relève, il faut bien le dire, de l'évidence ?
Le cerveau est sans doute le siège de la pensée mais on ne peut pas dire qu'il la sécrète comme le fait le pancréas de l'insuline. Et donc, après tout, puisqu'il n'y a pas de substratum physique à la pensée, rien n'interdit d'imaginer qu’elle puisse s'extraire de cette machine dans laquelle elle paraît incarcérée et par les organes sensoriels de laquelle elle communique avec le monde matériel.
Plutôt que d’approfondir cette hypothèse, M. Kambouchner se sort du dilemme en adoptant une position mitigée qui affadit le propos du philosophe. Celle-ci consiste à admettre de manière un peu elliptique que la pensée soit en mesure de s’affranchir des contingences du corps sans se détacher toutefois de lui. Mais on retombe, de fait, dans une quasi évidence.... Nous en faisons tous l'expérience à l'instant où la sérénité et la quiétude nous envahissent, lorsque notre carcasse charnelle ne ressent ni douleur ni tracas, et qu'elle se trouve à l'abri des stimuli perturbateurs. Ce n’est jamais que l'illustration du vieux diction mens sana in corpore sano. Evidemment, cela n’autorise pas à confirmer pour autant que notre pensée puisse exister en dehors de notre corps puisque nous ne pouvons pas prolonger plus avant l'expérience, sauf à être mort…
Ce type d'arguments, n'est donc pas vraiment contributif, ni même de nature à servir la cause de Descartes. Cela en montrerait plutôt une des faiblesses en confirmant que la simple raison est insuffisante pour conclure sur les questions d'ordre métaphysique auxquelles il s’attaque.
Il est certain, comme tente de le démontrer M. Kambouchner qu'une pensée désincarnée n’aurait pas grand chose à voir avec celle siège en nous et qui par la force des choses se trouve en contact étroit avec le monde physique, ressent des émotions tirées du réel, et s’exprime dans un langage fait de conventions formelles artificielles. Mais en quoi cela interdit d’imaginer cette éventualité quand même ? De l'au delà, personne ici bas ne peut rien dire, c'est bien là où le bât blesse.
Ni Descartes, ni Damasio, ni Kambouchner ne nous apportent de vraie réponse. Sur ce coup Pascal est plus convaincant car sa foi lui permet de transcender les raisonnements, et le conduit à des certitudes intangibles, reposant sur une expérience indiscutable: son vécu de Dieu…
Autre écueil auquel est confronté M. Kambouchner : au fil de sa plaidoirie, il se heurte à beaucoup d'archaïsmes devenus criants au regard de l'évolution scientifique et plus encore sans doute, de l'évolution des idées. Puisqu'il s'est donné pour but de restaurer la pureté originelle de son modèle, il se voit donc contraint de contourner quantité de concepts surannés et pire parfois, d'en dévoyer le sens pour essayer de les intégrer dans la modernité.
On sait par exemple que Descartes ne nourrissait guère de sentiments pour les animaux qu’il considérait comme des êtres inférieurs, sans âme ni conscience. Est-ce pour autant nécessaire de nous convaincre qu’il n’a pas affirmé comme la rumeur tendrait à le faire croire, que sur ces derniers l'homme a tous les droits?
M. Kambouchner cherche à combattre naturellement cette idée reçue mais peu importe en définitive car même si c’était vrai, on est prêt à parier spontanément que cela n’impliquait pas dans l’esprit du philosophe le droit de les maltraiter. Même si Descartes se moquait des “rêveries d’un Pythagore” prônant la réincarnation et le végétarisme, il eut certainement désapprouvé les brutalités inutiles constatées dans certains abattoirs. Ici encore, l'apologie à laquelle se livre l'avocat manque de pertinence, à force de vouloir faire rentrer la pensée cartésienne dans le moule de la correction politique.
Pourquoi ne pas en rester à ce que Descartes a exprimé et privilégier l’esprit plutôt que la lettre ? Descartes voyait une différence fondamentale entre l’être humain et l’animal, quoi de choquant ? Sans doute n’eut-il pas désavoué Kant qui s'émerveillait du spectacle de la voûte céleste étoilée au dessus de sa tête, et de la loi morale qu'il portait en lui. Sans doute aurait-il estimé dans le même temps qu’aucun animal jamais ne pourrait avoir de tels sentiments. Cette position reste aujourdhui tout à fait défendable, même si certains voudraient nous faire croire le contraire au nom de l’antispécisme ou du véganisme. Non seulement la position de Descartes reste défendable mais elle pourrait également faire son actualité car le même raisonnement est susceptible de s'appliquer aux formes variées d’intelligence dite artificielles dont on nous rebat les oreilles. Jamais une machine aussi perfectionnée soit elle ne pourra faire sien le double émerveillement de Kant qui définit si bien le mystère de l’être humain et qui caractérise tout ce qu’il y a de sublime et d’unique dans sa conscience. Aucun animal, aucun végétal, aucune machine, aucune chose ne peut atteindre cette plénitude énigmatique.
Cela dit, même si l’on peut considérer ici que Descartes a anticipé Kant, il reste loin toutefois de l'élévation de pensée du sage de Königsberg. Les principes sur lesquels il fonde sa méthode sont trop tranchés, trop mécaniques, trop universalistes. Le ciseau et le burin de la raison ne peuvent s’attaquer à la matière métaphysique et dans l’illusion de tout pouvoir expliquer, Descartes dresse un édifice massif et imposant, mais chimérique. Comme il ne s’inscrit pas non plus dans l’empirisme, ses raisonnements tiennent du mirage. De loin, ils paraissent solides, mais en y regardant à deux fois, tout s’évanouit hormis quelques tautologies assez vaines.
A force trop vouloir la défendre, M. Kambouchner ne parvient qu’à pervertir la pensée de Descartes. Il voudrait lui retirer la gangue dogmatique qui l’alourdit et lui donne son aspect archaïque, mais il en dénature l’essence, car il ne s’attaque pas tant à la forme qu’au fond.C’est aussi sans doute le problème de Descartes, de n’être pas parvenu à hisser la philosophie à ce niveau de transcendance. Descartes n’est pas Kant...