28 mai 2008

Smooth Operator

De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare... Et dans le silence de la nuit profonde, les notes s'égrènent en chantant avec une douceur veloutée.
Comme une neige imperceptiblement parfumée, tombant moelleusement sur les grands arbres de Central Park, comme le bruit chuinté de patineurs qui s'élancent sur la glace en cabrioles joyeuses...
Mais dans la nuit, le jazz qui enrobe en réchauffant les âmes esseulées, s'évapore trop vite, avec les volutes suaves des fumées de cigarettes.
Maudite fumée qui sans doute causa la mort du musicien, foudroyé par une crise cardiaque à 45 ans.
Sa vie s'apparente à une trajectoire éphémère mais étincelante, qui cache dans sa clarté un nombre infini d'heures de travail, une énergie incroyable, pour donner le meilleur de lui-même, pour parvenir à capter et domestiquer cette grâce fragile et, last but not least, pour donner à sa famille un statut enviable...
Wes Montgomery (1923-1968) fut un autodidacte de génie, enragé de musique, qui transforma la médiocre banalité du destin auquel il paraissait condamné, en un parcours illuminé. Pendant des années, pour devenir un nouveau Charlie Christian, et surtout pour faire vivre sa femme et ses huit enfants, il cumula travail à l'usine 8 heures par jour, entrainement infatigable sur les cordes, et en plus, les prestations musicales, excitantes mais harassantes, en clubs et cabarets, de la soirée jusqu'à l'aube.

Il occupe toutefois une place de choix dans la nébuleuse noire et bleue du swing.
Inventeur paraît-il du Smooth Jazz, on retient avant tout son jeu inimitable au pouce, faisant voltiger avec une ineffable légèreté, les octaves et les accords feutrés, qui forment comme le contrepied sublime des épreuves de la vie, endurées avec une admirable et secrète détermination. Et toujours
, comme le fait remarquer Pat Metheny, admirateur inconditionnel, avec un sourire empli de gentillesse et de mansuétude...
Captées au cours de l'année 1965, dans l'intimité de répétitions en Hollande, et au cours de deux concerts magiques en Belgique et en Angleterre, ces images sont un vrai régal. S'il ne faut pas attendre ici, une qualité optimale d'enregistrement, l'ensemble est néanmoins très correct, bien restitué à partir de films d'époque.
On bénit les gens qui eurent l'idée géniale d'immortaliser ces instants précieux. Le guitariste, qui reste pour nombre d'amateurs comme l'un des plus fins et distingués de l'histoire du jazz, est au mieux de sa forme, très détendu. Avec des musiciens de rencontre qui l'accompagnent parfaitement, il se déleste de quelques bijoux magnifiques, indémodables, extraits d'un filon idéal : a love affair, twisted blues, full house, west coast blues. A ne manquer sous aucun prétexte.

Attention, d'autres productions semble-t-il de la même veine sont déjà disponibles dans cette collection bien nommée, Jazz Icons (chez Naxos ): Chet Baker, Louis Armstrong, John Coltrane, Count Basie, Duke Ellington, Dave Brubeck... Une avalanche black and white qui risque de faire beaucoup de bien !

24 mai 2008

La soupe libérale


A l'image de la photo de couverture, fortement retouchée pour rajeunir et dynamiser le personnage, cet ouvrage prend place sur la haute, très haute pile de livres, dont le seul but est de (re)dorer le blason d'un homme politique tenté par un « grand destin ».
D'un ouvrage de circonstance, il n'y a donc guère à attendre, et les prétendues révélations fracassantes sont en général des pétards mouillés. En l'occurrence, l'actuel maire de Paris démontre quant à lui une dialectique bien huilée de tartufe de la politique.
Bertrand Delanoë revendique tout à trac l'appellation de libéral, la belle affaire !
D'abord ce n'est pas très original puisque Ségolène Royal a déjà fait le coup il y a quelque temps (Dominique Strauss-Kahn l'avait précédée sur le chemin et maintenant d'autres proclament carrément la mort du vieux socialisme: Bockel, Valls...).
Ensuite, il a beau tenter de convaincre le lecteur que ses convictions à lui seraient très anciennes ("Je n'ai jamais été marxiste"), ce n'est pas très crédible. Car il noie sous des tonnes de pondérations oratoires, sa prétendue conviction, et la place bizarrement sous le parrainage quelque peu suranné du trio Jospin, Vaillant, Estier. Dans le genre libéral on a vu mieux.
De fait, la démonstration s'avère des plus confuses et ambigües.
Essayant de faire oublier la filiation longtemps revendiquée par ses amis, de Trotsky, Marx ou Che Guevara, le maire de Paris clame qu'à gauche, ils sont désormais « les défenseurs de la liberté, y compris dans le domaine économique », et qu'à titre personnel, il souhaite que le PS devienne un « parti de managers », s'appropriant au passage non sans un certain culot, les dividendes de la gestion de Tony Blair en Angleterre.
Mais dans le même temps, il récuse le « libéralisme sauvage », synonyme de « désengagement de l'Etat » et de « laisser-faire », et juge «inacceptable pour un progressiste, de hisser le libéralisme au rang de fondement économique et même sociétal ». Comprenne qui pourra...
Au bout du compte, il tue les dernières illusions en assénant lourdement que la Gauche doit « rester le parti de l'impôt ». Excitant programme, et réellement novateur...
Pour le reste, il se borne avec une solide mauvais foi, à discréditer méthodiquement les adversaires qui pourraient lui faire de l'ombre. Nicolas Sarkozy tout d'abord, traité de Bonaparte anti-libéral (!!), « pondéré par la désinvolture », Ségolène à laquelle il donne le coup de pied de l'âne en massacrant gentiment tout le dispositif de Démocratie Participative qu'il feignait d'approuver pourtant lors de la campagne électorale.
Sans oublier de se tresser une couronne de lauriers pour sa bonne gestion de la ville de Paris, et plus généralement de louanger sans réserve le travail du Parti : « C'est le respect de la vérité qui m'oblige à rappeler que les plus grandes réformes de ces trente dernières années, celles qui ont modifié en profondeur la société française, celles qui ont fait avancer notre pays, ont été inspirées par la gauche. » Au total une soupe vraiment fadasse, avec beaucoup de vilains grumeaux...
On se consolera en pensant que lui et ses coreligionnaires sont enfin engagés sur la bonne voie, qui les mènera peut-être, un jour lointain, à appréhender le vrai libéralisme. En tout cas c'est mieux que le temps où ils se gargarisaient des vieilles lunes collectivistes, de la révolution prolétarienne et où ils nous bassinaient avec l'ultralibéralisme...
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Addendum :
Un des poncifs les plus répandus au sujet du Libéralisme consiste à distinguer deux concepts, généralement pour mieux les opposer : le libéralisme philosophique et le libéralisme économique. Cette distinction désormais classique est artificielle. Le libéralisme bien compris n'est rien d'autre que l'amour de la liberté. Cette dernière est indivisible et toute conception qui établit des clivages est forcément néfaste. Le vrai problème est de ne pas confondre liberté et permissivité, démocratie et démagogie.
Nous savons bien hélas qu'à l'intérieur d'une société humaine, la liberté totale est impossible tant que les hommes ne parviennent à se gouverner eux-mêmes, comme le souhaitent tous les grands penseurs libéraux (Kant, Locke, Hume, Tocqueville, Mill, et j'en passe...). Et encore y parviendraient-ils qu'ils devraient s'imposer quelques contraintes individuelles, ne serait-ce que pour respecter les autres (le fameux Contrat Social...).
Pour un Libéral, chaque fois qu'il s'agit de rogner sur une liberté, il est fondamental de se poser la question de l'utilité de la contrainte. Si elle n'apparaît pas clairement, il faudrait y renoncer. Par exemple : est-il utile comme le prétend Delanoë, libéral opportuniste, de vénérer l'impôt par principe ? Y a-t-il une loi, à l'image des vases communicants, qui dise qu'en appauvrissant les riches on enrichit systématiquement les pauvres ? Y a-t-il une loi qui dise que l'Etat soit le meilleur garant de la redistribution et de l'utilisation efficaces des sommes prélevées sous contrainte ?
Autre exemple, s'agissant de l'interruption de grossesse pour convenances personnelles (IVG), y a-t-il une loi incontestable qui permette de savoir si et quand le foetus devient un être humain ? Y a-t-il un impératif évident en terme d'utilité publique à interdire cette pratique ? Y a-t-il une utilité à en faire prendre en charge le coût par la collectivité, via le remboursement « Sécurité Sociale » ?
Voilà le genre de questions que toute personne sensée devrait se poser en évitant surtout de recourir aux a priori idéologiques ou aux grands principes immanents...

22 mai 2008

Méditation transcendantaliste


Il y a des mots étranges, nimbés naturellement d'une sorte d'aura philosophique, qui les rend si ce n'est inintelligibles, pour le moins bardés de mystère. Transcendantal est de ceux-là. S'il donne à celui qui l'emploie une posture supérieure quasi séraphique, il intimide le béotien qui l'entend, et le plonge dans le désarroi. Car il comprend vaguement qu'il s'agit d'un concept extra-sensoriel, susceptible de traverser la réalité matérielle comme une sorte de diamant céleste, à la recherche de l'immanence absolue du Monde. Il comprend aussi que pour entrouvrir les portes énigmatiques de la Métaphysique il impose préalablement, de se soumettre à d'austères méditations et de s'imprégner de lectures hermétiques.
Au surplus, la définition qu'en donne Emmanuel Kant, maître en la matière, n'est pas faite pour apaiser les esprits inquiets : « J’appelle (transcendantale), toute connaissance qui s’occupe en général non pas tant des objets, que de notre mode de connaissance des objets en tant que celui-ci doit être possible a priori»
Pourtant, par un surprenant paradoxe, le transcendantalisme d'apparence inaccessible au commun des mortels, caractérise aussi la philosophie de l'Amérique naissante, rustique, triviale, celle des fermiers et des cowboys. Il est même devenu le point commun de toute une école d'écrivains tels que Ralph Waldo Emerson (1803-1882), Henry David Thoreau (1817-1862) ou Walt Whitman (1819-1892).
Mais, en quoi l'Amérique, pays réel s'il en est, peut-elle être transcendantale ?
Celui qui cherche la clé de cette énigme, constatera rapidement que ces gens, avec une âme de pionniers, s'étaient donnés pour mission première de transcender au sens propre, la notion de littérature, allant jusqu'à revendiquer tout simplement la re-création du genre.
De ce point de vue, il n'est pas indifférent de noter que le Centre de Gravité de cette nébuleuse intellectuelle qui vit le jour un peu avant le milieu du XIXè siècle, se situe à Concord, petite ville campagnarde du Massachusetts, proche de Boston.
Cette cité est emblématique aux yeux des Américains. C'est ici que débuta la Guerre d'Indépendance en 1775. C'est ici, selon le vers fameux d'Emerson, que retentit « Le coup de canon que le Monde entier entendit ».
Episode annonciateur de la libération américaine de ses attaches européennes, le début des hostilités contre l'Angleterre reste le vibrant symbole de l'émancipation du Nouveau Monde. Les transcendantalistes étaient imprégnés de cette aspiration gigantesque. Après celle du pays en 1776 dont Jefferson fut un des principaux artisans, Emerson se fit un devoir de rédiger « la déclaration d'indépendance des lettres américaines».
Non pas qu'ils fussent ignorants ou ennemis de l'Europe, mais les pères fondateurs de la Pensée Américaine entendaient inscrire leur oeuvre dans une vraie logique de rupture. Première explication à la transcendance : c'est le dépassement de l'ordre ancien des choses.



Si l'on voulait résumer cette nouvelle foi de bâtisseurs, à quatre notions cardinales, on pourrait y voir Dieu, l'Individu, la Nature, et enfin l'Optimisme.
S'agissant de Dieu
tout d'abord, il est difficile d'en avoir une conception plus libre que celle des transcendantalistes.
Emerson descendait d'une longue lignée de pasteurs unitariens, au service d'une secte chrétienne qui réfute le dogme de la trinité et considère le Christ avant tout comme un homme. Emerson rompit pourtant avec cette tradition familiale assez émancipée et déclencha pour sa part un beau scandale à Harvard en s'exclamant : «être un bon pasteur, c’est quitter l’église !»
Rejetant en somme ce qui fait l'essence même du christianisme, il s'affranchit de tout dogme, tout rite, et même de la notion de péché originel « Je ne souhaite pas expier, mais vivre» révèle-t-il dans « La Confiance en Soi ».
La conception de Dieu s'apparente chez lui à une sorte de panthéisme. Ce qu'ils appelle Dieu est l'unique réalité qui forme avec la nature un tout indivisible. Et l'homme se conçoit comme étant une parcelle de ce tout universel. Une de ses remarquables contributions à la philosophie repose sur la conviction que le fondement de l'Univers est la conscience, et non la matière.
En cela il est vraiment transcendantaliste, tout en se distinguant nettement de certains penseurs allemands desquels on le rapproche parfois, notamment les idéalistes Fichte, Schelling, Hegel, et, bien qu'il sublime dans son discours la force de l'Homme (« C’est seulement lorsqu’un homme rejette toute aide extérieure et qu’il lutte seul que je le vois fort et vigoureux »), il est à mille lieues de l'athéisme de Nietzsche.
Pas de surhomme ici. Le culte de l'homme fort, chez les transcendantalistes s'inscrit dans une démarche résolument individualiste, terriblement américaine. On a pu dire non sans raison qu'elle est à la racine du mythe qui anime le Western. Car c'est en lui-même et nulle part ailleurs que l'homme peut espérer trouver le plein épanouissement : « Celui qui sait que l’âme est le siège de la puissance, qu’il n’est faible que parce qu’il a cherché le bien en dehors de lui-même, et qui, s’apercevant de son erreur, se rejette sans hésiter sur sa pensée, reprend à l’instant son équilibre, se redresse, comme ses membres, et fait des miracles. »( Nature).
Quelle plus belle expression de cet individualisme universaliste, que celle de Walt Whitman, dans son « chant de moi-même » :
« Je me célèbre moi,
Et mes vérités seront tes vérités,
Car tout atome qui m’appartient t’appartient aussi à toi. »
Toutefois si Emerson s'en remet à l'Homme, il le fait avec on ne peut plus de modestie et de simplicité. Il ne réclame surtout pas trop de hauteur : « I ask not for the great, the remote, the romantic ». Au contraire, il veut « s’asseoir aux pieds du bas ».
Comme le fait remarquer très justement Sandra Laugier : « Emerson prend position du côté de ce que des philosophes comme Berkeley et Hume ont appelé le vulgaire, the vulgar, et contre toute une lignée de penseurs qui va de Platon à Heidegger en passant par Nietzsche, pour qui la véritable pensée requiert une sorte d’aristocratie spirituelle.

Cela dit, si l'individu ne doit compter que sur lui-même (« En chaque homme, un État »), il n'est pas dit pour autant qu'il ne puisse parfois s'appuyer sur les autres. Ou plutôt qu'il ne puisse aider les autres. puisqu'il est indissociablement lié à eux, faisant partie d'un seul grand ensemble, la Nature.
Il faut comprendre que c'est de cette manière et d'aucune autre, que peuvent pleinement s'exprimer les notions d'amour et de respect. On est assurément ici, très proche de l'Impératif Catégorique de Kant.

Par leur amour de la nature, Emerson et Thoreau furent des écologistes avant l'heure, c'est certain. On se souvient naturellement du « voyage » de 2 ans entrepris par Thoreau dans une cabane perdue dans la propriété d'Emerson, sur le site sauvage et isolé de Walden Pond. Mais leur perspective dépasse de loin le culte niais et rétrograde de l'environnement que l'écologie semble être devenue de nos jours. Emerson n'a jamais rejeté les bénéfices des découvertes scientifiques. Il manifestait la volonté d'une application raisonnée, responsable.
Car la Nature, bien que précieuse et belle, n'est pas une entité extérieure, qu'on doit vénérer sans y toucher. Elle interagit avec les êtres humains et donc évolue avec eux. Charge à ces derniers de pousser dans le bon sens...
En somme, on peut être tenté de réduire le transcendantalisme à une sorte de pragmatisme moral et poétique. Il est de toute manière selon Gérard Deledalle, « mal nommé, car ce que propose Emerson est une forme particulière d’empirisme, qu’on appellerait volontiers empirisme radical si la dénomination n’avait été proposée par William James. Mes perceptions sont plus fiables que mes pensées, car fatales, indépendantes de ma volonté d’agripper le monde. »
L'optimisme de cette théorie et sa foi en un monde en amélioration constante, recèle évidemment quelques lacunes. On peut reprocher notamment une tendance à l'égarement rousseauiste et surtout une grande naïveté. Selon Nietzsche, « Emerson a cette gaieté bienveillante et pleine d'esprit qui désarme le sérieux »...
Dans la bouche de l'auteur du "Gai Savoir" c'était un compliment; mais pour Nathaniel Hawthorne, disciple des premiers temps, l'expérience d'utopie rurale vécue à la Brook Farm, sorte de communauté hippie avant l'heure où chacun cultivait son potager en philosophant, fut un échec : « De tous les lieux haïssables, celui-ci est le pire. Je pense que l’âme d’un homme peut être enfouie et périr sous un tas de crotte ou dans un sillon, exactement comme sous une pile d’argent. »
En définitive la voie transcendantale, tracée par Emerson et ses disciples est parfois difficile à suivre tant elle est préoccupée avant tout par son « aversion de la conformité ». Pour tenter de conclure en quelques mots, je dirais que de manière éclectique elle prend sa source dans la morale Kantienne, est vivifiée par l'empirisime pragmatique de Hume, extrait le meilleur de Rousseau, se gorge d'idéalisme poétique, le tout pour donner naissance à l'homme simple et responsable, conscient de l'importance de son destin, à qui incombe la tâche immense de construire et de pérenniser le Nouveau Monde !


Pour ceux qui voudraient aller plus loin sur cette voie :
Revue Française d'Etudes Américaines
avec les contributions de Gérard Deledalle et de Sandra Laugier
Un peu de tourisme à Concord
Enfin les oeuvres en ligne d'Emerson.

18 mai 2008

Un peu de lumère à travers les nuages


Les chiffres et les faits tombent à la manière d'une averse de lumière à travers le gris de la morosité, prenant au dépourvu la multitude de prophètes au nez en forme de trompette (les « sachant ») qui arpentaient sans relâche depuis l'élection de Nicolas Sarkozy l'espace public, en claironnant la fin du monde. Pan ! 2,2 points de croissance l'an dernier au lieu des 1,9 annoncés par les experts en sinistrose. Déjà 0,64 pour le premier trimestre 2008. Paf ! Contre toute attente, le Pouvoir d'Achat des Français a augmenté de 3,3% en l'espace d'un an. Plouf ! Le chômage est au plus bas depuis 25 ans, et la hausse des prix, en dépit d'une conjoncture internationale difficile, reste contenue autour de 3,5% l'an...
L'ondée statistique arrose les têtes gluantes des colporteurs professionnels de mauvaises nouvelles. Ils sont contraints de s'éparpiller en bourdonnant méchamment leur déconvenue comme de grosses mouches pendant l'orage.
Alors quoi, tout ce qu'ils nous disaient était donc faux. Si certains prix augmentent, c'est donc que d'autres baissent forcément. Si les salaires stagnent, les revenus croissent tout de même. Et si la Pression Fiscale écrase les plus modestes, le Paquet Fiscal « pour les plus riches » redonne malgré tout un peu d'oseille au gens. Peut-être même en somme l'action volontariste du président commence-t-elle à produire avant l'été ses premiers fruits...
Il ne s'agit peut-être que d'une embellie passagère, et ne soyons pas naïfs, le rôle de l'actuel gouvernement ne doit pas être exagéré dans la circonstance. La tendance demande à être confirmée et le rythme, l'audace et la lisibilité des réformes doivent sans aucun doute s'en trouver stimulés. Mais on a tellement glosé, dès le lendemain de son élection, sur les méfaits que ne manquerait pas de provoquer la politique réputée "inique" de Nicolas Sarkozy, qu'il pourrait sembler naturel de lui accorder à la faveur de ces bons chiffres, désormais un minimum d'attention bienveillante...

17 mai 2008

Un oiseau de mauvais augure


Parmi les nombreux donneurs de leçons et autres chantres du Déclin qui pullulent impunément dans l'espace médiatique et fatiguent les oreilles à force de péroraisons ronflantes et de pseudo-prédictions sentencieuses, il en est un qui mérite assurément une palme : Emmanuel Todd. « Si les andouilles volaient, il serait chef d'escadrille », comme disait finement mon grand-père...

Fort de sa prétendue « prophétie » annonçant à grand bruit la « chute finale » de l'URSS, il y a une trentaine d'années (tant d'autres l'avaient faite avant lui...), ce Diafoirus de l'analyse politique, se plait avec la complicité niaise des médias, à jouer doctement les oracles devant des auditoires peu exigeants. Il est en quelque sorte à la politologie ce que madame Soleil fut à l'étude des Astres : un habile charlatan. Et par un étrange paradoxe il est convenu de qualifier ses prises de positions « d'iconoclastes », alors qu'elles s'inscrivent médiocrement dans le marais tiède des idées reçues.

C'est bien simple, il fait siens tous les poncifs de la pensée franchouillarde, chauvine et recroquevillée frileusement sur elle-même, niant pour ainsi dire le reste du Monde.
Par exemple, depuis un an, il joint sa voix au concert assourdissant des anti-Sarkozy, maniant à grands moulinets désordonnés, un argumentaire à peu près aussi raffiné et nuancé que celui des Communistes les plus rétrogrades et bornés. Rien ne trouve grâce à ses yeux dans l'action du chef de l'état : représentant le microcosme « hyper-riche de Neuilly », il est « anti-jeune », se situant "dans l'agression permanente", jusqu'à foutre sciemment « le feu aux banlieues »; il instrumentalise l'immigration de telle manière qu'on pourrait croire que « le Front National est au pouvoir »; enfin, il ne séduit les gens qu'en « faisant appel à ce qu'il y a de plus mauvais en eux », et s'échine par une politique ultra-libérale, à provoquer "la baisse des salaires" et celle du niveau de vie (9/5/08 France-Info). Le vibrionnant analyste emporté par son élan va même jusqu'à comparer l'actuel président de la république à un « Chirac lent » ou « au ralenti », au motif saugrenu, « qu'il renonce à son image d'homme du mouvement plus lentement que son prédecesseur ». Comprenne qui pourra...
En matière de prescience, il n'est pas inutile de rappeler qu'en avril 2007, Todd annonçait que Nicolas Sarkozy ferait lors de l'élection présidentielle un mauvais score...

S'agissant de la politique internationale, Todd manifeste un anti-américanisme d'une banalité et d'une vulgarité affligeantes : « Si la France devient le caniche des USA, elle cesse d'exister » (marianne2.fr 3/4/08). Naturellement il trouve stupide l'intervention militaire en Irak et qualifie celle en Afghanistan de « guerre perdue ». Obsédé par la grandeur et l'indépendance de la France, il se lamente de la voir cultiver des convergences avec les pays anglo-saxons, et suggère plutôt de le faire avec l'Inde, la Russie ou l'Iran (en feignant de croire que l'un exclut l'autre et en oubliant au passage que les USA eux-mêmes sont bien plus avancés dans ces relations que la France...).
Au plan économique, il se rabat sur des arguties confuses et contradictoires, empruntées à la bimbeloterie des alter-mondialistes, et propose en guise d'audacieuse stratégie, de revenir aux vieilles lunes protectionnistes qui condamneraient à coup sûr l'Europe à l'asphyxie, et porteraient immédiatement un coup fatal au fameux pouvoir d'Achat des Français les plus modestes.

Et lorsqu'il essaie d'être original c'est vraiment n'importe quoi : la montée de l'islam radical serait selon lui, "un signe de la modernisation du monde musulman" (Marianne2.fr 17/09/07). Quant aux émeutes dans les banlieues, elles sont le signe patent de la réussite de la politique d'assimilation française : « quoi de plus français pour un jeune que de balancer des pavés sur la police? » (Fête du Livre de Limoges en mars 2008)
Bref, A côté des plates réflexions d'Emmanuel Todd, celles de monsieur Jourdain pourraient sans peine passer pour de la haute métaphysique...


15 mai 2008

La France s'amuse


Mai le joli mois de mai. Retour des grèves dans la Fonction Publique. On ne sait plus trop bien pourquoi. Qu'importe, puisque c'est l'usage.
Et puis les vitrines des librairies se couvrent d'ouvrages commémorant avec émotion les grandes et riches heures de la petite révolution bourgeoise nombriliste de 1968. C'est follement tendance et si touchant cette nostalgie du doux bordel festif qui masque depuis des décennies la vacuité de la pensée et sert avec ses leitmotivs lénifiants d'ersatz philosophique à notre pauvre pays : « sous les pavés la plage », « il est interdit d'interdire ». Vaste programme comme dirait le grand Charles...
On continue envers et contre toute évidence, de croire que le Monde pourrait être meilleur grâce aux idéologies et aux bons sentiments.
Si la Gauche se raccroche avec une incurable idiotie aux vestiges fumants de ses illusions perdues, le gouvernement et sa majorité quant à eux cafouillent quelque peu. Il faut dire que la ligne stratégique est plutôt nébuleuse, erratique, mêlant les contraires et passant sans cesse du coq à l'âne.
La pantalonnade récente à l'Assemblée Nationale au sujet des OGM donne la mesure de ces atermoiements. Faute de détermination et d'assiduité des Parlementaires de la Majorité, un texte déjà très édulcoré et timoré (un simple projet de transposition d'une directive européenne datant de 2001...) se trouve rejeté pour un mot mal placé. Le lendemain, repêchage en catastrophe par une obscure « commission mixte paritaire », avant de repasser pour un vote devant le Sénat et la Chambre des Députés. Que de temps perdu pour des broutilles !
Vingt-quatre heures après, rebelote mercredi 14 mai avec le projet de loi sur la Réforme des Institutions, retoqué par des députés UMP en commission des Affaires Etrangères...
Pendant ce temps, le Chef de l'Etat semble lui-même bien perdu. Après l'enthousiasme guerrier des premiers mois et les frasques sans complexe façon « jet-set », le voilà qui fait profil bas. Il paraît selon les observateurs avertis, que cette nouvelle manière colle davantage au « style » qui sied à un président de la république. De fait, lors de sa dernière rencontre officielle avec les journalistes le 25 avril, tout ce qui fait le décorum propre à la fonction était là : salon élyséen, dorures rutilantes et lourdes tentures, plateau somptueux doté d'une table gigantesque, pompe et circonstance, questions empesées, et réponses déclinées en majesté, avec un brin de théâtralisme.
Hélas, pour ma part je préférais sa désinvolte décontraction, ses manières directes mais un peu triviales, et même ses fautes de goût, qui ne me choquaient guère. Il est vrai que je préfère de loin un dirigeant sans allure mais conduisant un vrai projet pragmatique, qu'un dignitaire plein de prestance, mais vide d'esprit pratique et de volonté.
Pour l'heure, bien malin celui qui pourrait décrypter le fin mot de la politique gouvernementale. Certes il y a bien quelques avancées (L'Europe, les relations internationales notamment avec l'Angleterre et les Etats-Unis ), beaucoup de réformes ébauchées (retraites, heures supplémentaires, service minimum, autonomie des universités, carte scolaire) mais peu d'aboutissement (rien de probant dans le domaine de la Santé par exemple, une bureaucratie toujours galopante, le grand principe stérile de l'Etat omnipotent toujours prééminent...), quelques reculades et des coups d'épée dans l'eau (le rapport Attali, l'affaire Bétancourt, les enfants martyrs de la Shoah), et surtout pas de cap lisible...
Il souffle certes un vent de réformes, mais obéissent-elles à une stratégie cohérente et déterminée propre à rénover et dynamiser le pays ?