Or l'idée européenne à ce jour en est tristement dépourvue. Pour tout dire, elle est à l'image de la substance bureaucratique dans laquelle elle plonge ses fondements juridiques : une sorte de gros machin mou, sans forme, sans direction, englué dans un limon glissant de standards et de normes.
Comment les citoyens pourraient-ils donner à ce monstre froid et indifférent, la légitimité de gouverner leur existence ?
Le projet de Constitution proposé dans un premier temps, et rejeté en 2005 par la France et les Pays-Bas, était avec ses 448 articles et ses quelques 250 pages, un véritable assommoir à électeurs. Au moins portait-il, au sein d'un prolixe et incompréhensible jargon, quelques ferments d'union. L'Europe avait un Hymne, un Drapeau, une Devise et même un Ministre des Affaires Etrangères.
Plus rien de cela hélas ne subsiste dans le traité de Lisbonne, abusivement qualifié de « mini-traité ». Tous les emblèmes fédérateurs ont été supprimés et il ne reste qu'un texte lourd de plus de plus de 150 pages, censé modifier et non remplacer les traités de Rome et de Maastricht. Certes on n'y compte plus que 7 articles mais ils se répartissent en plus de 350 dispositions de droit primaire, auxquelles s’ajoutent 13 protocoles et 59 déclarations !
Inutile de chercher dans cette rhétorique procédurière le moindre élan, ni même un quelconque dessein commun. On ne tente ici de fédérer de manière contractuelle, qu'une nuée d'égoïsmes nationaux, crispés sur l'obsession de profiter au maximum du système tout en lui abandonnant le moins possible de « souveraineté »... La France donne le ton, en ramenant à tout propos son prétendu merveilleux « modèle social », ses ambitions universelles en matière de « Droits de l'homme », et sa volonté farouche de préserver coûte que coûte une Défense Nationale indépendante.
Résultat, à l'exception notable de la monnaie unique, nous n'avons de l'Europe que le pire : des normes et des règlements tatillons, comme s'il en pleuvait, qui vitrifient dans l'uniformité notre manière de vivre, qui interdisent à la diversité de se manifester dans ce qu'elle a de meilleur, qui semblent se moquer des initiatives locales, et qui s'avèrent incapables dans le même temps, de cimenter un édifice cohérent.
Qu'est-ce donc qu'une Europe qui ne peut adopter une politique de défense commune ? Qui ne sache tenir une position fermement définie au sein du concert des nations ? Qu'est-ce qu'une Europe qui s'exprime de manière cacophonique, et qui par exemple, s'accroche à ses deux postes au Conseil de Sécurité de l'ONU, par lesquels elle affirme trop souvent la position sectaire voire parfois contradictoire de deux pays ? Qu'est-ce qu'une Europe qui ne cesse d'élargir ses assises géographiques alors qu'elle ne maitrise toujours pas ses fondements institutionnels, et ne sait pas véritablement où elle veut aller ?
On serait bien tenté de voir dans le logo adopté à l'occasion de la présidence française, le symbole piteux de cette déconfiture : des étendards qui pendent comme de vieux torchons au milieu de symboles nébuleux...
En définitive la douche irlandaise pourrait être bénéfique si tant est qu'on veuille enfin donner à ce genre d'avertissement la portée qu'il mérite.
Mais saura-t-on le faire ?