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20 novembre 2012

A quand la fin du sommeil dogmatique ?

A l'heure où l'on apprend que l'agence Moody's dégrade à son tour la note de la France, le récent ouvrage de Nicolas Baverez, "Réveillez-vous !" trouve un nouvel écho, si cela était nécessaire.
Son diagnostic sur la situation de notre pays est tranchant comme une lame. Les saillies aiguës comme des dagues. Et le tableau, sombre comme un abîme...
Nicolas Baverez n'est certes pas un optimiste de nature. La période n'y incite pas de toute manière, et la solidité de son argumentation, la cohérence des analyses impressionnent. Mais il persiste dans le titre de l'ouvrage une once d'espoir, sous conditions. 
Même s'il paraît bien mince au regard du constat quasi désespéré, sur quoi repose-t-il ? Avant tout du bon sens, et du réalisme, ce qui n'exclut pas à certains endroits quelques menues contradictions...


Relativiser la mondialisation
Au rythme où vont les choses, Nicolas Baverez annonce que « La France quittera les dix premières puissances du monde à l'horizon 2030 ». Sans doute cela pourrait paraître excessif. Pourtant, contrairement à ce qu'on entend seriner lorsque est évoqué le modèle social français, rien n'est jamais acquis. L'Argentine figurait parmi les 10 premières puissances économiques du monde dans les années 1930, avant de faire faillite au début des années 2000.
A l'inverse, la Corée était un des pays les plus pauvres de la planète dans les années cinquante. Aujourd'hui sa seule partition du sud, soumise à l'horrible capitalisme, est dans ce peloton de tête !

En définitive, on peut s'étonner de voir la mondialisation si décriée, alors qu'elle lève les blocages, ouvre les frontières et abat les murailles. Elle laisse en somme sa chance à tous. A chacun de s'en saisir.
En attendant le point d'équilibre, on assiste évidemment à un gigantesque et un peu inquiétant tourbillon, un vaste système de vases communicants. Qu'en sortira-t-il ? D'ici 2050 la part de la Chine dans les échanges mondiaux pourrait progresser de 8,2 % 20,2, celle de l'Inde de 2,1% à 9,3%, celle de l'Afrique de 2,6 à 13%, celle de l'Amérique Latine de 7,7 à 7,9% tandis que celle de l'Europe passerait de 25 à 8,6% et celle des Etats-Unis de 26,5 à 10,3%... 
Dans un monde libre, les cartes sont rebattues sans cesse. Rien n'est jamais perdu, rien n'est jamais acquis. Après avoir été détruite par la guerre, divisée par l'impérialisme socialiste, l'Allemagne réunifiée et modernisée au terme d'énormes efforts, assume désormais seule le leadership de l'Europe...


La zone euro en danger
D'une manière générale, le constat fait par Nicolas Baverez dépasse largement le cadre de notre pays. Il concerne l'ensemble européen. Selon lui, « la zone Euro, extrêmement fragilisée, est devenue une menace majeure pour l'économie mondiale. Son éclatement pourrait conduire à une grande dépression, comparable à celle des années 1930. »
Plusieurs nations sont au bord du gouffre à l'heure actuelle, mais la France s'en rapproche dangereusement, et pourrait-on dire inéluctablement, eu égard à l'insouciance apparente des politiques menées par les dirigeants. En la matière, ils se suivent et se ressemblent...

La sottise des rengaines anti-capitalistes
Le fond du problème est que « La France et les Français se mentent à eux-mêmes ». Qu'elles soient de droite ou de gauche, les stratégies mises en œuvre par les Pouvoirs Publics, communient dans un même credo anti-libéral et anti-capitaliste: « A force de s'enivrer d'antilibéralisme, la France a perdu le goût et le sens de la liberté. La devise de la République a été pervertie. La liberté, que la France a contribué à inventer en 1789 est dénoncée comme contraire à l'égalité et ne cesse d'être laminée par l'étatisme. » Au plan de la politique économique, ce n'est pas mieux : « convertie au modèle du tax and spend qui a ruiné la Suède dans les années 80, elle s'achemine vers une faillite de grande ampleur. »
Face aux enjeux majeurs auxquels est confronté le pays, « La campagne présidentielle de 2012 n'a produit ni idée nouvelles, ni stratégie de sortie de crise ». Or en démocratie, on a les dirigeants qu'on mérite. C'est au peuple français dans son ensemble, que revient la faute « d'avoir congédié le réel pour mieux s'enfermer dans l'utopie et les mythes du passé »

Les médias y participent largement en colportant complaisamment des niaiseries qui semblent faire hélas consensus. On trouve dans l'ouvrage quelques exemple de cette désinformation plus ou moins consciente.
On nous dit souvent que les grandes entreprises, coupables de faire d'énormes bénéfices et de choyer leurs actionnaires, ne paieraient pas, ou quasi, d'impôts. Or, « en 2011, les groupes du CAC40 ont versé 40 milliards d'euros d'impôts contre 36 milliards de dividendes ! »
Combien de fois entend-on le couplet rabâchant que dans le monde cruel du capitalisme, les pauvres ne cessent de s'appauvrir tandis que les riches continuent de s'enrichir. Un seul exemple met à mal cette antienne fumeuse : « La Chine représente le quart de la croissance mondiale et a vu le niveau de vie de sa population passer de 278 à 6200 dollars par habitant depuis 1980. »
Mais comment faire sortir de leur surdité ceux qui ne veulent pas entendre et qui cherchent par pure idéologie, «à ranimer la lutte des classes.../... et miment les très riches heures des révolutions passées en s'inventant de nouveaux aristocrates à pendre à leurs lanternes ?»


L'ombre d'un doute
Le propos de Nicolas Baverez n'est toutefois pas exempt de cette curieuse tendance à la rétractation, lorsqu'il s'agit de plaider pour le modèle libéral, capitaliste. Il y comme une réticence à affirmer les thèses.
Alors que l'essentiel du discours consiste à flétrir l'Etat-Providence, notamment dans sa tendance à la bureaucratie et à la réglementation à tout va, l'auteur ne peut s'empêcher de fustiger dans le même temps « les mythes de l'auto-régulation du capitalisme, de la toute puissance des marchés... »
Au sujet des Etats-Unis, il s'attaque principalement à la « politique néo-conservatiste » qui aux yeux de quantité d'observateurs incarne justement le modèle capitaliste, et qui selon lui, aurait « sapé leur puissance au fil de 2 longs conflits enlisés, affaibli leur économie, miné la confiance des citoyens dans la Constitution et déligitimé leur leadership ». outre la contradiction, c'est faire peu de cas du mouvement des Tea Parties, réclamant justement le retour à l'esprit des Pères Fondateurs de cette constitution.


Perspectives
A la fin de son ouvrage, Nicolas Baverez esquisse quelques perspectives d'actions susceptibles d'inverser la tendance qu'il déplore. Il les décline selon trois axes qu'il qualifie de pactes.
Au titre du pacte productif, il réaffirme la nécessité pour la France de « faire le choix du capitalisme, car l'entreprise est la clé de la croissance, de l'emploi et de l'innovation, et donc de la puissance de l'Etat et de la souveraineté de la nation » Au passage, il enterre « le schéma keynésien d'une croissance tirée par des dépenses publiques financées par la dette »
Il insiste sur l'importance qu'il y a de maîtriser le coût du travail, donc de limiter le poids des charges sociales qui le plombe. Il considère notamment que le financement des allocations devrait relever de l'impôt (TVA ou CSG) et non des charges pesant sur l'entreprise. Le hic est qu'il ne s'appesantit guère sur l'accroissement des impôts que cela impliquerait pour les citoyens. Il n'y a pas non plus de réelle réflexion sur la nature de ces charges ni sur l'utilité réelle de ce qu'elle couvrent.

S'agissant du pacte social, où cet aspect des choses pourrait être évoqué, Baverez en reste à des principes très généraux. Il s'alarme de la centralisation et de la bureaucratisation extrêmes de l'Education Nationale, il remet même en cause l'autonomie des universités mise en œuvre par Nicolas Sarkozy car il la juge « fictive ». Mais il ne précise pas comment avancer (privatisation?)
S'agissant du système de santé, il en reste à un quasi statu quo : « La santé doit mêler une assurance obligatoire financée par les entreprises et des assurances complémentaires individuelles ». Quel est le changement avec la situation actuelle ? Quid d'une réforme de la Sécurité Sociale ?
Même constat au sujet du système des retraites pour lequel il envisage de manière évasive «une part obligatoire financée par les charges sur les salaires, et une retraite par point »
Enfin, il regrette la balkanisation de la société (5,2 millions d'immigrés et l'éclosion des cimmunautarismes : un défi qu'il juge comparable à la réunification allemande), mais il n'est pas très précis lorsqu'il s'agit de repenser les politiques de solidarité...

Enfin, le pacte citoyen et le pacte européen n'apparaissent pas beaucoup plus décisifs.
L'auteur insiste sur le rôle essentiel du citoyen, en prenant les exemples de la mobilisation de la nation allemande lors de la réunification, ou du peuple japonais après la catastrophe de Fukushima.
Mais lorsqu'il s'agit de la mise en œuvre, ce sont soit des mesures ponctuelles abruptes, soit des principes dénués de logique pratique. Il faut dire que la tâche est immense vu l'interprétation très particulière, presque intégralement étatisée, qu'ont les Français de la responsabilité citoyenne.
Faute de mieux, il propose ainsi en matière d'organisation territoriale, « la suppression des départements » qui à ses yeux « n'est plus une option mais une obligation ». Hélas, il n'inscrit pas cette mesure dans une vision plus générale, qui lui eut donné une vrai sens et une vraie cohérence.
Lorsqu'il en arrive à l'échelon européen, bien qu'il alerte sur le danger et le paradoxe d'une déconstruction de l'union européenne, il se borne à nous redire que « l'euro est confronté au choix entre le fédéralisme et l'éclatement .» Le sujet aurait pourtant mérité de plus amples développements...
J'ai noté à cette occasion, deux autres exemples du syndrome de Pénélope, consistant à défaire la nuit ce qu'on tisse le jour. Mais autant il est aisé de comprendre ce qui poussait l'épouse d'Ulysse, autant il paraît difficile de suivre ceux qui se livrent à l'exercice lorsqu'il s'agit de démonstration intellectuelle.
Ainsi Nicolas Baverez, qui fustige le caractère massif des prélèvements obligatoires, accepte tout à coup en matière de fiscalité « des niveaux confiscatoires », à condition « que la situation soit provisoire et que la totalité des nouveaux prélèvements soit affectée au désendettement. » Serait-il naïf ou bien inconséquent ?
Autre incongruité, il revendique « une conception de la liberté modérée et pluraliste, mais qui soit différente du modèle américain, régulièrement menacé par la démesure ». Encore faudrait-il qu'il précise comment on peut concilier la modération et le pluralisme, en quoi la liberté qui règne en Amérique s'apparente à de la démesure, et en quoi cette démesure est néfaste...

En bref, si un ardent défenseur du libéralisme peut rester un peu sur sa faim, il n'empêche que cet ouvrage qui se veut davantage analyse que pamphlet, a de quoi ébranler. Et à défaut de proposer des solutions très concrètes, il suggère qu'on se tourne enfin vers d'autres perspectives que celles éculées, suivies depuis des décennies. De ce point de vue, le propos relève plus de l'optimisme que du désespoir. Son titre le dit mieux qu'un long discours. Rien n'est sans doute définitivement perdu mais le temps presse !
Parmi les citations qui viennent le plus naturellement à l'appui de la thèse, qu'il soit permis de terminer avec celle de Benjamin Franklin, recommandant à qui veut l'entendre, de ne pas galvauder la liberté et qui reste parfaitement d'actualité :« Celui qui sacrifie une liberté essentielle à une sécurité aléatoire et éphémère ne mérite ni la liberté, ni la sécurité... » Espérons qu'elle ne résonne pas comme un glas étant donné l'état des mentalités.

16 novembre 2012

Le règne des Pinocchio

L'avantage, lorsqu'on n'a pas de convictions, est qu'on peut en changer comme de chemise, voire dire sans gêne, tout et son contraire en fonction du contexte, ou bien du temps qu'il fait...
Lorsque ce genre d'inconstance caractérise un esprit enclin à la démagogie, ça donne l'homo politicus à la française, social-démocrate voire socialiste tout court.

Depuis quelques six mois maintenant, les nouveaux gouvernants dont s'est doté le pays, à l'occasion d'un funeste moment d'égarement, incarnent à tel point cette versatilité, que cela confine au guignolesque. Ou plutôt au tragi-comique.
On ne sait s'il faut en rire ou en pleurer...
Le pire est qu'on serait presque tenté de s'apitoyer du navrant spectacle donné par ces malheureux politiciens au sourire béat, confrontés à l'implacable brutalité des faits et aux dures réalités de terrain. Avaient-ils imaginé ce qui les attendait ? On espère que oui, et pourtant l'insolente fatuité qu'ils affichaient avant de parvenir au Pouvoir, leur arrogance vis à vis de leurs adversaires, et leurs auto-congratulations anticipées tendent à prouver le contraire !

A gauche on a toujours eu tendance à penser que les faits devaient se plier aux idées et non l'inverse. Et puisque ces gens ont des théories toutes faites sur tout, ils imaginent que les problèmes doivent se résoudre comme par magie, rien qu'en soufflant dessus, avec leur grosse machinerie législative, bien huilée par les bonnes intentions et les grands principes. Hélas pour eux, ça ne fonctionne jamais comme ils l'avaient prévu ! Il y a toujours à un moment donné, un rouage qui se grippe, voire plusieurs, voire tous. Parfois, ils s'obstinent, et même de manière délirante. Ils se font alors un devoir d'éliminer tout ce qui entrave la voie lumineuse vers le progrès, sur laquelle ils ont la prétention de mener l'humanité : biens matériels, nature, animaux, êtres humains... Tout peut y passer, pourvu que le cap idéologique soit tenu. Ça se termine invariablement en hécatombe, en ruine ou en désastre...
D'autres hésitent à proclamer le Grand Soir, ou bien la Solution Finale. Est-ce un retour à la raison qui prévaut alors, ou bien la couardise devant l'épreuve, on ne saurait dire. Du coup, c'est la débandade dans les cervelles. Comment avouer qu'on s'est trompé ? Comment dire au peuple que le chemin ne mène à rien ?
Une seule solution : mettre de l'eau dans son vin. Autrement dit, du capitalisme dans le socialisme. Naturellement, les bougres déconfits voudraient bien diluer le moins possible la potion originelle. Ne serait-ce que pour éviter de passer pour des branquignols ou bien des renégats à la cause. Mais en temps de crise, on n'a pas toujours le choix...

Faut-il donc se féliciter que M. Hollande, plongé dans le grand bain du « Monde pour de vrai », joue plus que jamais les Pinocchio, racontant un peu tout et son contraire pour essayer de sauver une mise bien mal partie dès le départ ? C'est peu de dire qu'il se répand en mensonges et en revirements. Un jour il nous chante l'air de la Marquise, affirmant que la crise est presque finie, un autre, il reconnaît l'avoir sous-estimée. Un jour il affirme que rien ne fera fléchir sa détermination face au traité budgétaire européen et à la règle d'or, dont il dit pis que pendre; le lendemain, il supplie ses partisans interloqués de les voter massivement ! Un jour il clame les vertus de l'Etat omnipotent, le lendemain, il convient piteusement que dévorant 56% du PIB, il est devenu un fardeau insupportable pour la Nation. Il devait pourtant en savoir quelque chose, car la part principale de la charge est représentée par les collectivités locales, qu'il détient depuis des lustres avec ses amis, en quasi totalité !
Un jour il insulte les entrepreneurs et les gens fortunés, dont il dénonce la cupidité et le manque de patriotisme. Il leur promet que les foudres fiscales s’abattront sans pitié sur leurs têtes, et juste après avoir commencé de les assommer, il se met à les flagorner servilement, dépêche même un ministre qu'il déguise en marin d'eau douce, pour leur porter secours, et sur la fois d'un rapport administratif, leur promet soudain 20 milliards d'allègement de charges (tout en réhabilitant au passage le projet de TVA sociale qu'il trouvait si injuste) ! Tout à coup, il se met à prôner la compétitivité, alors qu'il s'agissait il y a quelques mois encore d'un mot imprononçable par toute bouche socialiste.
N'en doutons pas, d'ici quelques semaines, il va nous donner des leçons de libéralisme ! Il entrouvre déjà la porte à la renégociation de la loi sur les 35 heures, vante l'industrie nucléaire à laquelle il voulait mettre fin dans les plus brefs délais, et ouvre la perspective de l'exploitation du gaz de schiste !

Pendant ce temps, ses affidés décontenancés hésitent sur la posture à prendre. Le camarade Mélenchon, les Ecologistes, les Syndicats réunis et toute la compagnie, limitent l'expression de leur mécontentement à quelques ruades assez dérisoires. Comme ça part dans tous les sens, sans vraiment bouger, ils ne savent sans doute pas trop où donner de la tête. En attendant, ils bouffent du chapeau et avalent des couleuvres longues comme le bras !


Terrible dilemme en tout cas pour les personnes éprises de pragmatisme : faut-il se délecter des atermoiements des pontifes intolérants qui vous traînaient hier dans la boue, ou bien se satisfaire de les voir lorgner vers le bercail de la Liberté, comme des brebis effarées, découvrant enfin la méchante inanité du pandemonium collectiviste ?
Faut-il se réjouir de cette ambiance suspendue, erratique, irréelle, mais en apparence un peu moins folle que ce qu'on pouvait craindre ? Aujourd'hui même, le magazine The Economist alerte pour la troisième fois, sur la bombe à retardement que représente la France pour l'Europe. Fasse le ciel que cette étrange accalmie ne soit pas le signe avant-coureur d'un cyclone !

06 juillet 2012

Des bosons et de la politique


Le changement, c'est pour un autre jour...
Où va-t-on, personne n'en sait plus vraiment rien. Mais peu importe car pour l'heure, une sorte de molle indifférence s'est emparée de l'opinion. Rien ne va plus pourtant. Chaque jour amène son lot de mauvaises nouvelles, notamment sur l'emploi.
Face à la déferlante qui se profile à l'horizon, le ministre du « redressement productif » a perdu de sa superbe. C'est à peine si on entend ses admonestations dans le brouillard qui plombe le climat politique. Quant au premier ministre il anone péniblement un discours de politique intérieure bourré de poncifs, de truismes et de bonnes intentions. Le gargarisme à base de mots tente de pallier l'extinction de l'inspiration. Exemple tiré de l'actualité de ce jour : ils veulent « refonder l'école ». Vaste programme pour Vincent Peillon, (auteur faut-il le rappeler, d'un opuscule ineffable prétendant que « la révolution française n'est pas terminée »).
Refonder, la belle affaire... Avec une pointe inattendue de bon sens, le ministre s'interroge quand même sur la nature de l'ambition : "l'expression est forte, elle peut même paraître excessive". Un peu, mon neveu...

A ce jour, hormis les savantes tergiversations sur les hausses d'impôts et les taxes destinées « aux plus aisés », l'imagination des dirigeants est au plus bas.
A titre personnel, si je n'appréciais guère la politique erratique de Nicolas Sarkozy, je déteste bien davantage celle de François Hollande, bourrée de béates certitudes, et imprégnée d'une morale à la fois arrogante et lâche (dure pour les autres, tendre pour soi).
Pendant que madame Merkel caracole dans les sondages, le président de la république et ses ministres, à peine entrés en fonction, s'effondrent. Parti de soixante, il y a deux mois, c'est tout juste si le nouveau chef de l'état parvient à rassembler plus de 50% d'opinions favorables !
Bien qu'il bénéficie encore d'une certaine indulgence en provenance du « peuple de gauche », même les plus ardents défenseurs de l'Etat-Providence ne semblent plus beaucoup croire aux théories qui le sous-tendent. Beaucoup ont dores et déjà pris conscience que les ressorts de la relance étaient morts. Que le moteur de la croissance s'étouffe à force d'avoir trop tiré sur le starter étatique (tout en gardant le pied crispé sur le frein...)

Reste qu'on peine encore à accepter le retour au pragmatisme et au réalisme. Les récentes avancées scientifiques à propos du mystérieux boson de Higgs devraient pourtant aider à cette conversion. En physique des particules comme ailleurs, la théorie n'a de valeur que lorsqu'elle peut être vérifiée expérimentalement, et qu'on est prêt à en revoir les fondements si quelque chose ne se passe pas comme prévu. « Une expérience qui réussit dans l'air ne réussit pas toujours dans le vide » écrivait avec sagesse David Hume. Plus généralement, « est vrai ce qui réussit », affirmait de son côté William James....

12 décembre 2011

L'Europe dans la tempête


Que de circonlocutions, que de manœuvres dilatoires, que de vœux pieux dans les résolutions qui émanent des sommets à répétition au chevet de l'Europe !
Le dernier en date promet un nouveau train de mesures visant à restaurer la confiance et à renforcer la cohérence budgétaire de l'Union. Mais malgré les évidentes bonnes volontés, et la détermination affichée, les contours des résolutions restent toujours des plus flous.
On est encore bien loin d'une vraie logique fédérale sans laquelle il paraît illusoire d'espérer enfin une véritable cohésion. Bon nombre d'états "souverains" doivent présenter les nouvelles dispositions à leur parlement. Et en dehors des incantations à la fameuse règle d'or, il est bien difficile en lisant la presse, de savoir concrètement de quelle nature sont les avancées du nouvel "accord inter-gouvernemental", dont on ne voit pas très bien en définitive, s'il amende, complète, ou invalide le traité de Lisbonne. En tout état de cause, on est encore loin d'un gouvernement européen, et encore plus d'une Nation Européenne avec un vrai dessein commun et une ambition partagée...
Dans ce capharnaüm, on ne peut que rester sceptique sur les missions et prérogatives conférées à la BCE, et on imagine mal par quel biais elle pourrait trouver de nouvelles ressources pour colmater les déficits monstrueux que beaucoup de pays, dont la France, continuent de faire. On ne comprend pas mieux l'intérêt des allers et retours de centaines de milliards d'euros – virtuels – entre l'Europe, le FMI, puis à nouveau l'Europe...
Bref, cette dernière s'effrite de plus en plus, l'euro est de plus en plus fragilisé, et malgré le duo solide que paraît constituer l'Allemagne et la France, les dérapages continuent.
Le nouvel accord instaure des "sanctions automatiques" applicables aux pays qui laisseraient filer leur déficit au delà de 3% du PIB. Mais sans dire quand elles seront susceptibles d'entrer en vigueur ni de quelle manière. D'ailleurs à peine revenu de Bruxelles, le président français a annoncé que chez lui, la règle d'or attendra l'élection présidentielle... Heureusement, puisque le déficit sera au mieux de 5% du PIB en 2011 et probablement encore supérieur à 4% en 2012 ! Ces chiffres ne donnent pas vraiment la mesure de la dérive. Rien que pour cette année, 100 milliards d'euros de déficit, c'est 33% des dépenses publiques qui ne sont pas financées...
Comment accorder dans ce contexte, quelque crédit à la parole donnée ? Il y aurait de toute façon beaucoup à dire sur ce carcan réglementaire, qui faisait déjà partie du traité de Maastricht et qui n'a pas vraiment été respecté. En l'occurrence, si une situation déficitaire prolongée est une calamité, son encadrement rigide peut s'avérer inutilement contraignant en période d'investissements, et nettement insuffisant en période de grand endettement. Pour l'heure, ce n'est pas 3%, mais 0% de déficit qu'il faudrait atteindre au plus vite. Encore resterait-il le fameux service de la dette, à savoir les intérêts des emprunts contractés. Chacun peut comprendre la gravité d'une situation qui contraint à emprunter pour rembourser les intérêts de prêts en cours !
Mais pour s'en extraire, il faudrait proposer de sévères mesures d'économie, ce qui est pour le moins délicat en période préélectorale. D'autant que pas un homme politique ne semble disposé à changer les credo idéologiques sur lesquels repose notre modèle en perdition. Si Nicolas Sarkozy paraît sur le sujet assez timoré, aucun de ses adversaires politiques ne risque de lui faire de l'ombre tant ils se cantonnent tous à des pis-aller démagogiques ou à des balivernes rétrogrades...

Illustration : Claude Joseph Vernet. tempête et épaves (détail)

01 décembre 2011

Prophètes du trou noir


Autour de la crise qui n'en finit pas de s'aggraver, les charognards s'enhardissent. Espèrent-ils tirer quelque avantage ou quelque gloriole des décombres d'un système auquel ils promettent sans aucune retenue la fin toute proche ? Éprouvent-ils une sorte de morbide jubilation à l'idée que l'objet de leur ressentiment risque enfin de s'abîmer définitivement ? Il est difficile de trancher, mais en l'occurrence, dire qu'ils haïssent ce système - le capitalisme bien sûr - serait un doux euphémisme. C'est une détestation viscérale qui les anime. Ils bavent d'exaltation devant les soubresauts de la bête, selon eux enfin moribonde.

Un exemple édifiant de cet étrange rituel, qui tient plus du vaudou que de la science économique, fut donné le 30 novembre dernier au matin, par Paul Jorion, invité de France Culture. Ce gentil savant à la barbe blanche, anthropologue paraît-il de son état, a commencé son exposé de manière très pateline, mais il a basculé peu à peu dans la diatribe à sens unique, voire dans un vrai délire monomaniaque, faisant se succéder les affirmations abruptes, les slogans les plus éculés (évoquant de manière compulsive ces "1% de la population qui détiennent 40% des richesses..."), le tout arrosé d'un contentement de soi ineffable, et d'une intolérance ahurissante, n'acceptant aucune contradiction à ses propos.
Puisqu'il décrète une fois pour toutes "qu'il fait partie des gens ayant les yeux un peu plus ouverts que les autres", ces derniers sont par nécessité des aliénés défendant une cause perdue.
En bref, selon ce monsieur très "initié", la crise actuelle s'inscrit comme point d'orgue à "la destruction ultime du capitalisme". Qu'on se le dise, tout est bel et bien fini : "Le système financier américain est terminé, le délitement de l'euro s'achève". Inutile de se battre, car "la machine est cassée.../... le cœur est fondu.../... les marchés, c'est un cadavre."
Il y a d'ailleurs d'autant moins d'espoir que "c'est la panique au sommet" et que "les gens au sommet n'ont pas la moindre idée comment ça fonctionne." Comme les tribus primitives devant une machine en panne, à laquelle ils ne comprennent rien, les experts gesticulent, ou pire, font de vains sacrifices : un chevreau, une vache, puis des  êtres humains..."

Comment peut-on avoir la permission de proférer de pareilles insanités, avec un ton aussi doctoral, sur les ondes de chaînes radiophoniques respectables, c'est un grand mystère. D'autant plus grand que personne ou presque n'osa contredire le mage illuminé. Exception faite de Brice Couturier qui eut l'audace de lui faire remarquer qu'à l'heure actuelle certains pays se portaient plutôt bien du capitalisme, et qui eut l'impudence de lui demander par quoi il songeait à le remplacer. Il fut aussitôt refroidi par la logorrhée intarissable qui s'abattit avec un mépris dévastateur sur ses timides remarques.
M. Jorion n'aime ni les contradictions ni les questions gênantes. Bien qu'il s'exclama à plusieurs reprises qu'il était urgent de "reconstruire un système financier à partir de zéro", il se refusa à fournir ne serait-ce qu'une esquisse d'ébauche de début de piste aux auditeurs dépités, allant dans un rare élan de modestie à concéder "qu'il n'était pas Dieu..."

Il y a pourtant une autre manière de voir les choses, moins immanente, moins déclamatoire, mais sans doute plus réelle.
Non le capitalisme n'est pas mort, malgré les incantations de ceux qui espèrent sa déroute depuis si longtemps. Au contraire même pourrait-on dire, les pays qui s'en sortent le mieux à ce jour sont ceux qui s'y sont convertis de fraîche date et pratiquent donc le capitalisme, dans sa version la plus sauvage (c'est à dire très peu sociale). Paradoxe, ils émergent pour la plupart du socialisme le plus noir...
A l'inverse, dans les pays qu'on croyait acquis depuis longtemps au capitalisme, notamment les démocraties occidentales, il traverse une crise grave. Est-il en train de mourir, on peut toutefois en douter, et il serait tragique de le souhaiter. Les crises sont inhérentes à ce système qui est en perpétuelle régénération, comme l'avait brillamment montré Schumpeter.
Est-ce pour autant une phase de destruction créatrice à laquelle nous assistons ? Rien n'est moins sûr, car le mal actuel ne réside pas dans la substance du système, mais dans ses à-côtés supposés lui servir de pondération, de régulation.
Parmi les causes de son actuelle déconfiture, il faudrait précisément reconnaître certains torts contre lesquels le même Schumpeter avait mis en garde, par exemple d'avoir cédé à la tentation de l'Etat-Providence, d'avoir promu une politique de concentration des moyens de production (fusions, trusts, monopoles) et d'avoir laissé proliférer une bureaucratie envahissante, produisant à tout vent des ribambelles de législations et de réglementations, au détriment de l'application de lois et de règles simples visant à minimiser la spéculation hasardeuse, la corruption et la malhonnêteté.
Résultat, force est de constater que le système, devenu adynamique, s'asphyxie lui-même dans ses boursouflures et dans ses redondances.

Curieusement, si l'Etat Providence est dans la panade, les politiciens qui sont les premiers à l'avoir mené là, ne s'estiment pas responsables, et pas davantage les apôtres de l'alter-pensée qui préconisaient et continuent de réclamer plus de dépenses publiques et une redistribution autoritaire et égalitaire des richesses. Pour eux, les boucs émissaires du jour, ce sont d'obscurs et insaisissables financiers, et les banquiers, qui ont prêté sans compter (certes imprudemment) aux irresponsables qui portaient aux nues avec démagogie le leurre enchanteur de la "justice sociale".

Si une chose apparaît clairement à ce jour, c'est bien l'endettement monstrueux de la plupart des Etats occidentaux. Endettement souvent structurel, car non pas causé par des investissements, mais par le financement de prétendus acquis sociaux qu'il faut indéfiniment abonder. Endettement si massif, qu'on ne voit pas bien comment il pourrait être résorbé. D'autant que le déficit, générateur direct de la dette, ne cesse de croître, en dépit des belles résolutions (prises lors du traité de Maastricht notamment). Il avoisinait récemment 8% du PIB en France et sera proche de 6% cette année. Les prévisions les plus optimistes le voient toujours autour de 4% l'an prochain et à 3% à partir de 2013. Mais dans tous les cas cela signifie que l'Etat continue de s'endetter. Derrière ces pourcentages théoriques, il y a des chiffres faramineux. Cette année, le déficit de la France sera de près de 100 milliards d'euros ! En regard des quelques 50 milliards d'euros que produit l'impôt sur les revenus, c'est assez effrayant. Et en regard des 200 milliards constituant la totalité des recettes de l'Etat, ça donne la mesure de la dérive budgétaire ! Chaque année, un tiers des dépenses de l'Etat ne sont financées que par l'emprunt. Comment songer au désendettement dans ces conditions ? Même en élevant indéfiniment  les taux d'imposition pour les plus riches (qui ne représentent comme chacun sait qu'un pour cent de la population), ça ne serait qu'une goutte d'eau versée dans le gouffre...
Comment s'étonner dans ces circonstances, que les fameuses agences de notations dévaluent les notes des Etats impécunieux ? On se demande d'ailleurs pourquoi elles ne l'ont pas fait plus tôt. Contrairement à ce qu'on pense parfois, elles ne sont pas nées de la dernière pluie, ni de la dernière crise, puisque leur création remonte à plus d'un siècle aux Etats-Unis (Standards and Poor fut fondée en 1860, Moodys en 1909, et Fitch en1913). Elles ont été somme toute plutôt indulgentes, tout comme les banquiers, tant le capital de confiance des "Etats souverains" semblait à tout le monde "intouchable".

Aujourd'hui, il faut déchanter. Hélas, c'est un abîme vertigineux autour duquel nous tournons. Allons nous parvenir à nous en extraire ?
Les mesures de relance keynésienne ont été comme il était prévisible, un fiasco. Elles ont fait flamber les déficits et l'endettement, sans doper ni la croissance ni l'emploi.
Les taxations et impôts supplémentaires sont un pis aller, vu le niveau déjà très élevé des prélèvements obligatoires. Comme le déplorait Jean-Baptiste Say (1767-1832) : "L'impôt est une amende sur la production, sur ce qui fait exister la société."
Reste la réduction drastique des dépenses publiques, qui signifie l'austérité et l'appauvrissement de tout ce qui vit au dépens de l'Etat (en France, ça fait beaucoup...), mais à laquelle on ne voit pas comment échapper malgré les dénégations des dirigeants. Et in fine, "l'effacement de la dette", qui loin d'être magique, conduira à ruiner ceux qui ont fait confiance à l'Etat.

En tout état de cause, s'il y a des gens qui ont des raisons de "s'indigner" de l'état de fait actuel, c'est bien ceux qui alertaient sur ces dérives du capitalisme et de la démocratie, sur l'instillation démagogique du venin sournois de pseudo "justice sociale" dans le moteur. Mais sûrement pas ceux qui n'ont jamais aimé le capitalisme et qui jouent aujourd'hui aux prophètes, ou pire, aux pompiers pyromanes.

17 octobre 2011

L'indignation n'est plus ce qu'elle était


Depuis qu'un vieux diplomate en mal d'originalité et de notoriété l'a relancée avec une mauvaise foi mielleuse d'archevêque confit dans les bondieuseries, l'indignation est devenue le dernier concept à la mode. Elle court les médias, se consomme à toutes les sauces, et sert les causes les plus diverses, pour ne pas dire les plus saugrenues ou contradictoires.
Même la malheureuse Ségolène a essayé in extremis de s'en faire une jouvence idéologique. Sans grand succès...
Grâce à un sens plus aigu du racolage, l'ineffable porteur de Burberry Montebourg a réussi quant à lui à faire venir vers les urnes du PS, quelques bataillons de mélenchonistes, cocos, alter et autres nostalgiques du Grand Soir en faisant siens les slogans de la dé-mondialisation et de la nationalisation générale des banques. Il s'est ainsi donné à peu de frais l'illusion éphémère d'être un fin stratège.

Nietzsche qui parfois voyait juste, avait mis en garde : "Personne ne ment autant que l'homme indigné" (Par delà le bien et le mal).
De fait, si l'on écoute un peu les vitupérations hargneuses mais confuses qui émanent de ces hordes disparates "d'indignés", il y a de quoi être effaré. Il en sort en effet vraiment tout et n'importe quoi, pourvu que ça tienne de l'envie de foutre ce qui reste de société par terre, et que ça soit puisé au tonneau des vieilles utopies gauchistes. C'est donc ça ! Après les innombrables désastres engendrés par tous les avatars grandiloquents du socialisme, c'est dans l'eau de boudin spumeuse d'une révolte débile que surnagent à la manière de grumeaux, les restes idéologiques de la lutte des classes. Mince consolation...

Entre autres impostures, ces manifestants, qui contestent les élections "piège à c..." et dont l'arrogance cherche à dissimuler qu'il ne s'agit que de groupuscules, brandissent - entre deux pillages de vitrines - l'étendard de la "vraie démocratie" et n'hésitent pas à se surnommer "les 99 % qui ne tolèrent plus la cupidité des 1 % les plus favorisés".
Aujourd'hui toute la Presse s'émeut, et fait semblant de considérer cette sinistre pagaille comme un mouvement de fond qui monte, qui monte... Le besoin désespéré de spectacle occulte quasi totalement l'analyse de fond. Le Point par exemple considère que ces turbulences insanes sont "inspirées par les révolutions arabes" ! De grandes figures du consensus doré telles Michel Drucker jugent "très intéressant" le phénomène (Salut les Terriens du 15/10). Aux Etats-Unis, les éternels débiteurs de truismes bien-pensants essaient de récupérer la rébellion, peut-être pour faire oublier qu'ils sont de fieffés profiteurs du système. On voit ainsi ressortir tout à coup en se tapant d'indignation la bedaine les Al Gore, Michael Moore, Alec Baldwin, Sean Penn and co...

Devant cette toile de fond miteuse s'agite le théâtre de guignol des primaires socialistes, dont la Presse décidément à court d'inspiration décortique les minuscules péripéties comme s'il s'agissait d'événements de portée internationale.
Après les soporifiques débats démontrant au moins une chose, à savoir que le socialisme français n'a ni idée ni leader naturel, voilà enfin sacré candidat, au terme de la pitoyable kermesse, le prototype même de l'inamovible apparatchik, dont la principale originalité est de s'être relooké de fond en comble le portrait et la silhouette.
Restent quand même, pour ne pas totalement désespérer, quelques perles de bon sens, comme cette chronique de Claude Imbert, parue dans Le Point, dont je livre cet extrait édifiant :
"Notre Etat-providence, son modèle social, ses "avantages acquis" sacralisés n'ont que trop demandé à l'emprunt pour emplir leur panier percé. Au fil des ans, une culture de l'assistanat a décervelé la Nation. Le socialisme français, le plus à gauche de tous les socialismes européens, est de surcroît enkysté dans les tréfonds de l'Etat : la droite d'un Chirac fut plus socialiste que le socialisme d'un Blair à Londres ou d'un Schröder à Berlin..."

A bien y réfléchir, on se prend à imaginer à la lumière de ces propos que derrière les écrans de l'actualité médiatique, une autre indignation monte peut-être, en silence, plus profonde, plus contenue, mais plus irrépressible, et qu'elle réserve  quelques surprises...

04 octobre 2011

Autumn : A Dirge


Etrange période où la tiédeur mordorée de l'automne, venant cueillir en douceur un été qui ne veut pas finir, forme un écho saisissant à la lente et désespérante déconfiture de notre médiocre société.
"Fin de règne" titrent Le Nouvel Obs et Le Point, réunis dans un affligeant consensus. De son côté, Marianne qui fait de l'invective son unique source d'argumentation, et qui en tira des rouges durant des années sur sa victime, se permet d'évoquer lourdement "Le boulet", à propos de la disgrâce dans laquelle patauge le Chef de l'Etat.
C'est peu de dire que le débat plane au ras des pâquerettes. A longueur de journée on entend les mêmes âneries sur les méfaits du capitalisme, sur la relance et autres fariboles d'inspiration plus ou moins keynésiennes. Pourquoi faut-il toujours entendre et réentendre de la bouche de piteux donneurs de leçons, les erreurs les plus grossières, ressassées sans souci des enseignements du passé ?

L'époque est troublée, sans nul doute. Vers quel destin sommes-nous embarqués ? Il est bien difficile de le prévoir mais l'inquiétude grandit à mesure que les fissures s'élargissent et que le sol se dérobe à chaque pas. Le yoyo des indices financiers, saluant avec l’énergie du désespoir toute nouvelle initiative des Etats empêtrés dans la crise, donne le tournis. Hélas, en dépit de sursauts, de plus en plus éphémères, rien ne semble y faire : la courbe n'en finit pas de s'effondrer.

Une chose en tout cas ne laisse pas d'étonner : l'impopularité dont fait l'objet Nicolas Sarkozy, pour ne pas dire la haine qui accompagne désormais la moindre de ses actions.
Durant cinq ans, un vrai déluge d'insanités partisanes fut déversé sur son compte. Depuis cinq ans, tout ce que le pays compte de hordes gauchisantes de tous poils et de toutes obédiences, se tordent de manière pathétique les boyaux à son seul nom (cf l'innommable pamphlet d'un certain Badiou).
Accusé de faire le jeu des "riches", de ses prétendus complices de la Finance Internationale, et du grand Capital, il est devenu le paradigme du Loup Garou pour les nostalgiques du Grand Soir. A ses pieds, ils jappent dans la fange d'une presse de caniveaux, comme des clebs excités par les remugles de leurs propres excréments. La seule question qui vaille, est de savoir si cet état d'esprit primitif a durablement déteint sur l'opinion publique.

C'est un curieux paradoxe que de devoir prendre la défense de quelqu'un qui vous a déçu, et qui relève de critiques qu'on juge diamétralement opposées à ce qu'on lui reproche communément !
Il serait vain sans doute de tenter de démontrer face au vent dominant, qu'il n'y a pas une once de libéralisme dans l'action du gouvernement français depuis 2007 (pas plus qu'auparavant, en tout état de cause). Qu'il n'a cessé de chercher à préserver envers et contre tout, à l'instar de tous ses prédécesseurs, l'Etatisme et le Modèle Social à la française, qu'il préconisa la relance dans le plus pur esprit socialiste-de-81, qu'il acheva de soviétiser le système de santé ...
En ré-entendant récemment lors d'un documentaire télévisé, les vibrantes déclarations de mai 2007 "Je ne vous décevrai pas.../... je ne vous trahirai pas...", je ne pouvais m'empêcher de penser que si des gens pouvaient se sentir floués par les temps qui courent, c'était bien ceux qui crurent un instant qu'une vraie "rupture" était sur le point de se produire; qu'enfin on allait un peu sortir des sentiers battus et rebattus de l'économie et de la pensée administrées...
L'échec, si ce n'est l'escroquerie, est certes patent. Pourtant un rapide tour d'horizon de ses opposants suffit pour se convaincre que si cette politique est la pire, c'est plus que jamais, à l'exception de toutes les autres...

The warm sun is falling, the bleak wind is wailing,
The bare boughs are sighing, the pale flowers are dying,
And the Year
On the earth is her death-bed, in a shroud of leaves dead,
Is lying...
Percy Bysshe Shelley (1792-1822)

29 septembre 2011

Cimetière des illusions


De crise en catastrophe et de dette en faillite,
Vingt ou trente nations frappées du même mal,
Se mettent à pousser un long cri animal
Au bord de l'abîme où le sort les précipite.

Des peuples enfumés par un étrange mythe,
Croyaient hier encore au bien-être intégral
Distillé par l’État et son Pouvoir Central.
Ils n'ont plus que leurs yeux pour pleurer, sans limite.

Comprendront-ils bientôt que ce grand trou béant
Qui pompe goulûment leurs illusions perdues
Fut creusé par le vent de promesses indues ?

Verront-ils à leurs pieds dans ce fatras géant,
Tels les éclats tombés d'un kaléidoscope,
Les restes sans dessein d'une introuvable Europe ?

Illustration : Salvador DALI. Vestiges ataviques après la pluie

13 août 2011

Plus d'Europe, ou plus d'Europe ?

A mesure que l'Europe s'enfonce dans la crise, et que les uns après les autres en cèdent les maillons, on perçoit de mieux en mieux la fragilité de cette chaîne, sans vraie homogénéité ni cohésion.
Si l'on fait le compte des pays encore en mesure de secourir les autres, on ne trouvera plus guère que l'Allemagne et la France ! Encore faut-il garder à l'esprit que la situation de cette dernière semble de plus en plus précaire. La croissance y est léthargique, le chômage élevé, la dette colossale. Facteur aggravant, aucun véritable effort pour réduire les dépenses publiques n'a été produit et malgré une fiscalité parmi les plus lourdes du monde, le déficit budgétaire est devenu une affligeante habitude depuis plus de 30 ans, atteignant une profondeur inquiétante. Pire, on ne voit guère le moyen d'inverser la tendance eu égard aux discours irresponsables, démagogues ou franchement utopistes de la plupart des dirigeants politiques.
L'Allemagne quant à elle, fait penser à une fourmi au milieu de cigales. Elle a consenti beaucoup de sacrifices pour réunir ses deux moitiés séparées par le communisme (sans demander la participation d'autres pays). Grâce à sa rigueur et à une conscience aigue des réalités, elle bénéficie aujourd'hui d'une forte croissance et d'une réduction significative de ses déficits. Elle reste malgré tout très endettée et ne pourra accepter sans contrepartie sérieuse de risquer d'altérer sa bonne santé actuelle.

C'est le mérite de Nicolas Sarkozy il faut le reconnaître, d'avoir réussi, en dépit de la faiblesse de sa position, à maintenir un axe fort Paris-Berlin. Et même de donner l'apparence d'un jeu égal avec le voisin d'outre Rhin.
Il serait pourtant illusoire d'imaginer que cette situation puisse perdurer très longtemps. Ni les coûteux plans de relance, ni les récents plans de sauvetage n'ont eu l'effet escompté et les ressources mobilisables deviennent de plus en plus virtuelles. Le dernier renflouement de la Grèce a alourdi la dette publique française de 15 milliards d'euros. Le comblement des dettes par la création d'autres s'apparente de plus en plus à de la cavalerie.

Au moment présent, plus que jamais l'Europe est au pied du mur.
La preuve est faite qu'elle ne peut plus affronter les périls en ordre dispersé. Elle ne peut plus s'abandonner à cette tiède cacophonie d'intérêts divergents, régie par une froide et tatillonne bureaucratie normative, dont le seul but semble être de distribuer des subventions.
Si le concept a un sens, il est grand temps que la Nation Européenne devienne autre chose qu'une simple façade. Et qu'elle réponde enfin a un dessein ambitieux, cohérent et solidaire.
Laissons de côté les oiseaux de malheurs qui réclament ou prophétisent la fin de l'euro et le retour des nations souveraines. Il est certain que cette issue ferait beaucoup plus de mal que de bien à la grande majorité des pays "libérés". Hormis l'Allemagne, la plupart se retrouveraient aussitôt appauvris et le passé nous a appris les dangers représentés par l'hégémonie d'une nation au sein d'un tel chaos.
Méprisons les gens qui vitupèrent contre les marchés, et qui exigent toujours davantage de dépenses et d'impôts (pour les autres qu'eux...) Ce sont soit des nostalgiques du Grand Soir, soit des nigauds qui imaginent sans doute qu'on leur cache une corne d'abondance quelque part.
Mais ne soyons pas dupes de ceux qui préconisent comme remède miracle la mutualisation des dettes accumulées en une seule, mesurable en euros-bonds. Cet artifice très "tendance" évoque furieusement les mirifiques rachats de crédits proposés aux personnes surendettées. Mais voilà : l'économie ne ment pas, comme le soutient Guy Sorman. La dette reste là, rendue juste un peu moins douloureuse parce qu'étalée sur plus longtemps ou bien répartie sur plus de débiteurs. Cet allègement apparent est même pervers car il pousse à pérenniser l'incurie budgétaire.
Au point où nous sommes rendus, la priorité est donc d'apurer la dette et de résorber les déficits qui l'entretiennent et pire, ne cessent de la faire enfler.
La mutualisation, pour avoir une chance de réussir, implique de resserrer une fois pour toute, les boulons de cette machine un peu déglinguée qu'est d'Europe. C'est à dire de faire enfin un pas décisif vers une vraie fédération. E pluribus unum...
Cela suppose d'accepter une perte significative des souverainetés nationales, une harmonisation des politiques économiques et fiscales, et in fine, la contrainte de devoir passer sous les fourches caudines d'une autorité de réglementation et de régulation dominée par l'Allemagne.
Il est évident que cette stratégie aurait dû être mise en œuvre bien avant la crise précisément pour en prévenir la survenue autant que possible.
Est-il encore temps de procéder à cette union sacrée, c'est la seule vraie question qui vaille par les temps qui courent.
Si le défi peut être relevé, au prix, n'en doutons pas, de gros efforts et de beaucoup d'humilité, alors nous aurons plus d'Europe, sur la voie laborieuse d'une prospérité retrouvée. Si c'est un échec, alors le risque est grand qu'il n'y ait plus d'Europe du tout...

09 août 2011

Pathétique

Pathétiques les efforts de Nicolas Sarkozy pour tenter de faire croire qu'il a encore un semblant de maîtrise sur les événements qui font la crise financière actuelle.
Pathétique le sérieux quasi pontifical avec lequel il martèle au fil de ses discours sa volonté inflexible de mettre absolument tout en œuvre pour conserver la confiance des marchés et garantir la pérennité de l'euro, tout autant que la cohésion européenne.
Pathétiques ses efforts pour faire adopter la fameuse "règle d'or" supposée graver dans le marbre constitutionnel la rigueur budgétaire, alors que son propre gouvernement s'avère incapable de respecter les impératifs du traité de Maastricht.
Pathétique la BCE qui rachète à tour de bras des obligations d'état pour tenter d'endiguer l'inexorable progression du glissement de terrain économique.
Pathétique enfin, le Président Obama lorsqu'il affirme, contre l'avis de l'Agence Standard & Poor's que "les Etats-Unis resteront toujours un pays triple A" (Nouvel Obs).

On pourrait certes avoir quelque indulgence pour ces chefs d'état désemparés devant une situation qui se dérobe de plus en plus à leur bonne volonté...La méthode Coué est un moindre mal...
Ce qui est navrant en la circonstance, c'est le peu d'imagination dont ils font preuve et surtout l'opiniâtre refus d'appréhender les réalités.
Niant ou occultant l'inefficacité des coûteux plans de relance déjà entrepris, ils continuent sur la même voie. Sans doute par peur de voir éclater des désordres sociaux, ils rechignent à réduire vraiment les dépenses publiques. Ils en sont donc réduits aux expédients classiques consistant à augmenter toujours plus la pression fiscale, et par voie de conséquence, à pérenniser le problème.
Le président américain est dans son rôle, lorsqu'il évoque "des augmentations d'impôts pour les Américains les plus riches" (Le Parisien). C'est en effet peu ou prou son programme, même s'il se heurte à une opposition grandissante de ses concitoyens qui sont avant tout des gens pragmatiques. On ne la leur fait pas. L'action politique pour eux n'a pas pour but de satisfaire des principes mais de produire des résultats. Or depuis bientôt trois ans, ces derniers sont bien maigres au regard du fameux "Yes We Can"...
Le problème est différent pour Nicolas Sarkozy. Lui revient sur tout ce qui faisait soi-disant ses convictions. Incapable de supprimer l'absurde ISF, il n'a même pas eu le cran d'imposer durant plus de quatre ans le fameux bouclier fiscal auquel il semblait si attaché. Aujourd'hui, comme s'il faisait sien le projet de M. Mélenchon, il n'a de cesse de vouloir augmenter les impôts des personnes les plus fortunées, et voudrait plafonner les salaires des grands patrons.
En plus de l'inefficacité de ce genre de mesures sur la crise actuelle, il y a fort à parier qu'elles soient de nature à miner ce qui reste de confiance parmi les décideurs de ce pays. Probablement le Chef de l'Etat espère-t-il un retour favorable en terme de popularité. Pari plutôt risqué et loin d'être gagné si l'on en juge sur les sondages...
On sait que sur sa gauche, il n'a pourtant guère à craindre. L'inspiration y manque en effet cruellement pour trouver une solution à l'équation financière qui désespère en ce moment le monde occidental. Alors que la conjoncture est paraît-il propice à un renouveau de l'idéologie socialiste, elle s'effondre un peu partout, ou bien se désagrège en de sordides histoires de mœurs et d'affligeantes guerres de coteries.
Quant à M. Borloo, président du parti radical et candidat putatif à la présidence de la république en 2012, il détient le pompon ! Alors que les principales places boursières ont le moral en berne et que le krach menace, il en est à invoquer la bonne vieille taxe Tobin comme panacée. Et pourquoi pas le sirop Typhon tant qu'on y est, dans le genre euthanasie évidemment...

Dans ce déferlement de mauvaises nouvelles, il y a pourtant des occasions de sourire un peu, ou tout au moins d'être dubitatif.
Dans le même temps où l'obscure agence Standard & Poor's dégrade la note de confiance des Etats-Unis, on apprend que la société Apple, formidable fabrique de rêves et de désirs, dispose d'une meilleure trésorerie que l'Etat Fédéral US (76 milliards de dollars vs 74) ! Mais différence de taille : une entreprise privée sait que rien n'est jamais acquis, elle travaille sans relâche pour faire rentrer l'argent dans les caisses. L'Etat quant à lui, ne semble avoir qu'un souci, celui de dépenser l'oseille qu'il sait pouvoir puiser impunément, et croit-il indéfiniment, dans les poches des contribuables......

25 juillet 2011

Ô Mânes d'Athènes et de Missolonghi

Il fut une époque où la Grèce était rayonnante. Ce passé bien lointain servit de berceau à la grande idée démocratique.
Portée par la puissance souveraine de la Ligue de Délos, elle culmina dans ce qu'il est convenu d'appeler le siècle de Périclès. Malheureusement, cette ère porteuse de progrès et d'espoir, s'effrita tragiquement dans la calamiteuse guerre du Péloponnèse. Celle-ci déchira la belle unité attique, et plongea le monde dans des siècles d'obscurantisme, peuplés de monarchies rétrogrades et de nationalismes chauvins.
Après une longue errance, l'idéal de liberté et le paradigme de société ouverte revinrent heureusement par une nouvelle Athènes, sise cette fois sur les rives occidentales de l'Atlantique. En 1789, tandis que quelques sans-culotte décérébrés se livraient à d'affligeantes exactions dans Paris, 13 états libérés de la tutelle britannique, fédérés à la manière des cités égéennes, promulguaient la Constitution des Etats-Unis d'Amérique, pour "au moins mille ans", selon le voeu du poète Walt Whitman.
En quelques deux siècles, ce nouveau phare apporta la lumière de l'émancipation à de nombreuses nations, même si à l'Est, un rideau de fer refusa longtemps de la laisser passer, enfermant des millions d'êtres humains dans le plus effroyable des totalitarismes.
Aujourd'hui, tandis que le Monde semble enfin finir de s'ouvrir dans une grande déflagration, tandis que des peuples trop longtemps opprimés se réveillent au soleil de la liberté, d'autres semblent paradoxalement s'enfoncer dans une tiède pénombre crépusculaire.
L'Occident des Lumières est-il en train de s'évanouir dans l'émolliente certitude de la prospérité, de la facilité, et des avantages acquis ?
Par excès de confiance en soi, a-t-il surestimé ses forces ? Est-il en train de tuer la poule aux oeufs d'or d'un modèle auquel il ne semble plus croire, ni être vraiment attaché ?

Devenue fille, un peu frivole, de l'Europe, la Grèce moderne, qui conservait dans ses ruines incandescentes le souvenir d'une épopée glorieuse, incarne aujourd'hui avec une cruelle acuité ce mou désastre contemporain. Cigale de l'Europe, elle apparaît tout à coup exsangue et sans ressort. Et le Parthenon lui-même semble un vestige insignifiant, tout juste digne d'illustrer les cartes postales. Sans âme et à la merci paraît-il des nouveaux prédateurs de la Finance Internationale.

Pourtant la Grèce fut, il n'y a pas si longtemps, menacée d'anéantissement par des périls plus terribles. Entre 1822 et 1830, elle sut trouver sur l'emblématique champ de bataille de Missolonghi, l'énergie du désespoir pour gagner son indépendance. Des poètes fameux, mêlant audace et lyrisme accoururent pour la secourir, en souvenir de son magnifique passé. Lord Byron (1788-1824) y perdit même la vie. L'Europe émue apporta comme un seul homme son aide désintéressée. Et la Grèce, pour un temps, redevint la Grèce...

Aujourd'hui l'Histoire se répète, même si le fracas des armes a laissé place aux turbulences monétaires.
La Grèce contemporaine saura-t-elle résister aux nouveaux démons qui menacent à nouveau son intégrité ?
Sans doute, à condition qu'elle affronte l'ennemi là où il est, et qu'elle le combatte avec autant de courage et de détermination qu'au moment du siège de Missolonghi.
Cette fois les vrais ennemis sont en elle. Et ils sont dans la place depuis longtemps, comme les métastases rampantes d'un mal invisible, minant la société dans son ensemble. La laxité des principes, la pléthore bureaucratique, la démagogie ruisselante, l'abandon progressif des vraies libertés minent les fondations d'un système qui se fissure dangereusement. La dette publique, accumulée avec insouciance, masquée par lâcheté, sous-estimée pour ne pas déplaire au peuple, a envahi toutes les institutions, le coeur même de la nation, qui risque de s'étioler irrémédiablement.

Hélas, beaucoup d'augures semblent atteints d'une étrange myopie par les temps qui courent. Ils voient autour de ce grand corps malade des signes qu'ils interprètent comme la cause du fléau, alors qu'ils n'en sont que la conséquence. Voudraient-ils donc nous faire croire que les vautours sont la cause des charniers au dessus desquels ils tournoient lugubrement ? Ou bien que les mouches sont responsables de l'agonie des mourants dont elles convoitent la chair afin de nourrir leur progéniture ?

Encore une fois l'Europe se presse au chevet du moribond. C'est la moindre des choses, mais elle-même est hélas contaminée largement par les mêmes pestes. Tous ses membres ressentent peu ou prou les mêmes symptômes. Médecins d'eux mêmes par la force des choses, ils proposent jusqu'à présent, en guise de remèdes, surtout des expédients, allant jusqu'à soigner le mal par le mal. 
L'aimable communauté veut éteindre la dette avec de la dette ! Elle prétend boucher un trou en approfondissant les autres .
C'est pourtant la tentative de la dernière chance nous dit-on. Nous n'avons "plus le droit à l'échec" clame Nicolas Sarkozy. Mais pourra-t-on sortir de cette spirale en se contentant de bonnes paroles et de cataplasmes lénifiants. Pourra-t-on guérir sans souffrir un peu, sans affronter la dureté des réalités, sans les dire comme elles s'imposent, sans faux-semblant, ni manoeuvre dilatoire ? Et in fine sans opter enfin pour une vraie fédération forte, unie et rigoureuse, gage de puissance et de prospérité. Le doute m'étreint.

Il n'y a pas de fatalité. A la fin de la seconde guerre mondiale, la Corée était un des pays les plus pauvres de la planète. Quelques décennies plus tard, même réduite d'une moitié elle figure parmi les plus dynamiques et florissantes, sans avoir abandonné son âme...
O mânes d'Athènes et de Missolonghi, donnez à la Grèce et aux Européens, l'énergie du désespoir et la force de revivifier l'avenir...

Illustration : La Grèce sur les ruines de Missolonghi par E. Delacroix