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17 septembre 2012

Bonnets d'ânes

Il est bien difficile de trouver dans les actuelles mesures gouvernementales, sujet de réjouissance. Le flottement, la démagogie et les renoncements constituent le substratum de ce programme invertébré qui enferre le pays toujours plus profondément dans le marasme. Nucléaire ou pas nucléaire, gaz de schiste ou pas gaz de schiste, "j'aime pas les riches" mais je ne comprends pas qu'ils fuient quand j'entreprends de les plumer, je veux augmenter le pouvoir d'achat, et la croissance, mais je les étrangle par les impôts, je crie "vivent les Roms" mais je veux qu'ils déguerpissent, je veux davantage de sécurité mais j'ouvre les prisons, je dis vouloir plus d'Europe mais je promets à mes amis écolos et cocos d'en faire moins, je m'engage à restaurer le tissu social et à solidifier les familles mais je casse toujours plus les repères, et je les éparpille par une panoplie d'ersatz sociaux «pour tous »... En bref, c'est un déluge d'ordres et de contre-ordres, d'atermoiements et de contradictions. On dirait Ubu, dans ses oeuvres...

Les bonnes intentions du ministre de l'Education, Vincent Peillon, ne déparent pas ce spectacle à la fois absurde et tragi-comique.
Figurez-vous qu'il tente à son tour de mettre en branle le mammouth dont il est désormais le cornac. Mais il y a peu de chance que le fameux « changement » se traduise par une révolution, en dépit de la fascination qu'a le ministre pour Robespierre et ses petits copains de la terreur.
Parmi les mesures envisagées, deux sont en tout cas emblématiques d'un conservatisme au goût de renfermé.
Passons sans trop s'attarder sur le concept foireux de morale laïque : il s'agit à l'évidence d'une babiole programmatique, souvent évoquée par maints de ses prédécesseurs, mais ne ressemblant pas en pratique à grand chose. Au mieux, pourrait-on évoquer une resucée de la fameuse et désuète instruction civique, tant de fois réclamée ou promise et dont la réalité est un fiasco.
Et lorsqu'on s'élève un peu, l'inanité de la rhétorique est alors flagrante. La Morale, M. Peillon ne peut l'ignorer, est une discipline de la philosophie, jusqu'à présent enseignée dans les lycées, avec le succès qu'on connaît...
La Morale est un vaste sujet. Dans la plupart des acceptions, elle se conçoit dotée d'une dimension spirituelle, dont les prolongements amènent inévitablement aux religions ou à la métaphysique.
Il est certes une conception de la morale dénuée de ce fondement : c'est celle qui en fait un concept utilitariste. Mais cette dernière, qui veut que les actions soient bonnes en proportion du bonheur qu'elles donnent, n'a pas grand chose à voir avec le fait laïque (dont la définition est elle-même équivoque). Ce genre de principes débouchent sur une philosophie hédoniste ou pragmatique, selon le point de vue qu'on adopte, qui ne correspondent pas selon toute probabilité, à l'idée néo-constructiviste qu'a le ministre derrière la tête.
Alors, s'agit-il de la morale telle que nous l'enseigne Kant ? Pas davantage car elle ne saurait se passer de la spiritualité dont le mystère déborde largement l'idée même de laïcité.
La morale kantienne est d'ailleurs si éthérée, qu'elle fut raillée par Peguy : "Kant a les mains pures, mais il n'a pas de mains". Le concept promu par Vincent Peillon est quant à lui doté sans doute de bras et de jambes « républicains », mais il n'a pas de tête et donc pas d'intelligence ! Ça peut faire illusion, comme un canard décapité qui court encore, mais ça n'a pas de direction...

Autre volet emblématique du « changement » en matière éducative, le rétablissement de la carte scolaire, est bien pire encore, s'il est analysé à la lumière de ses conséquences.
Il paraît que Nicolas Sarkozy avait osé la supprimer. En tout cas, il s'était vanté de vouloir le faire, mais concrètement, il est bien difficile de mesurer l'impact de sa réforme.
En faire un impératif de la réorganisation scolaire est pour le coup sûr, une calamité, relevant de l'idéologie socialiste égalitaire la plus ringarde. On peut même affirmer qu'il s'agit d'un des verrous stupides, enfermant le système français dans sa logique pernicieuse et désastreuse
 
Depuis les temps les plus reculés jusqu'au futur le plus lointain, il y eut et il y aura de bons et de moins bons établissements. Sont-ce ces derniers qui fabriquent les mauvais élèves ou bien est-ce l'inverse ? Vaste question, sans plus de réponse que celle de la poule et de l'oeuf...
A quoi mène invariablement l'obligation pour les parents d'inscrire leurs enfants dans l'établissement le plus proche de leur domicile ? Non pas assurément au métissage social cher aux bien pensants néo-marxisants, ni à l'égalité des chances, mais tout simplement à la flambée des prix de l'immobilier autour des établissements bien cotés, ou tout au moins, bien fréquentés ! Ceci traduisant le désir légitime des parents un peu exigeants (même "de gauche") de faire bénéficier leur progéniture des meilleures conditions d'études. Résultat, seules les familles aisées peuvent s'offrir ce luxe, les autres étant renvoyées aux ghettos incultes. Et c'est ainsi que s'installe un cercle vicieux.
Malgré des tombereaux d'aides et de subventions, il devient quasi impossible pour un établissement « zonard » de s'en sortir. Offrant un niveau médiocre au départ, il se transforme par la force des choses, en fabrique de cancres et de délinquants, fait fuir ou décourage ses quelques bons professeurs et s'enfonce dans une spirale infernale, paralysé qu'il est par l'interdiction de trier au mérite ses élèves, et même de sanctionner les éléments les plus turbulents.
Ce système diabolique accroit mécaniquement les inégalités en tirant vers le bas des pans entiers de l'enseignement public, tout en provoquant l'exode de ceux qui le peuvent vers les établissements privés. Tout le contraire du but recherché en somme...

Combien faudra-t-il de temps en France, pour qu'enfin soit admise cette évidence, et qu'on tende vers l'objectif que les enfants puissent accéder aux études, en fonction de leurs aptitudes et de leurs mérites, et non de l'adresse de leurs parents ou de leur rang social ? Et qu'on accepte l'idée qu'une saine émulation fondée sur ce principe, permet à tout établissement de prétendre, par ses efforts et ses initiatives, à l'excellence ?

13 juin 2012

Avé Jules ! Suite...

Un commentateur me fait observer à l'occasion de mon billet sur Jules Ferry, que ce n'est pas l'école qui a été rendue obligatoire au nom des grands principes républicains, mais l'instruction. Il a évidemment raison et je m'empresse de faire amende honorable. Pour ma défense je suis toutefois tenté d'invoquer le Président de la République lui-même qui dans son discours du 15/05/12, entretenant plus ou moins la confusion, rendait hommage à « la loi du 28 mars 1882 relative au caractère laïc et obligatoire de l'école ».
C'est dire que dans l'esprit de François Hollande, et de ses disciples, l'éducation ne peut se concevoir autrement que publique, donc sous la tutelle de l'Etat. « Nous devons tant à l'instruction publique » a-t-il martelé ce même jour.
En l'occurrence, la doctrine socialiste doit effectivement beaucoup à cette politique centralisatrice et monopolistique instituée par le lénifiant Jules Ferry. Le paradigme social dit « de gauche » a en effet pu prospérer dans ce bouillon de culture idéologique, ainsi que tous les leurres de la pensée égalitaire. Résultat, loin de booster l'ascenseur social comme le souhaitaient tant de gens bien intentionnés, loin de développer « la liberté souveraine de l'esprit » à laquelle aspirait Jaurès, elle a abouti à un nivellement des esprits assez désespérant.
Contrairement à une opinion répandue, les Etats-Unis ont bien mieux réussi dans cette entreprise... en faisant à peu près le contraire de nous, tout en poursuivant le même dessein : offrir à tout citoyen l'instruction. Mais ils se sont bien gardés de centraliser ou de nationaliser leur système éducatif, et ont laissé s'exprimer et s'organiser chaque fois que possible sur le terrain, les initiatives privées, tout en garantissant une liberté quasi totale en matière de programme scolaire. Pour le coup, le système américain, fondé vraiment sur la méritocratie laisse beaucoup moins d'élèves nécessiteux sur le carreau, ou tout simplement à la dérive. C'est sans doute difficile financièrement pour certains, mais chacun peut s'en sortir s'il en a la volonté. Le self-made-man n'est pas un vain mot.

En France, on est pétri de grands sentiments. A l'instar du nouveau chef de l'Etat, on ne saurait « accepter qu'un enfant ait plus de chances de réussir s'il a grandi ici plutôt que là ». Pourtant à force de s'en remettre à l'Etat pour tout, et de tout vouloir réglementer dans l'intérêt du peuple, on est parvenu à dénaturer le grand rêve de l'éducation pour tous.
L'Education Nationale est en passe de devenir un grand vaisseau fantôme sur lequel errent, sous la conduite hasardeuse d'un capitaine sans âme, des légions de professeurs désabusés, et d'élèves abouliques. Ceux qui en ont encore la force cherchent à fuir cet endroit de perdition. De plus en plus de parents inscrivent leurs enfants dans les écoles privées, si honnies, si vilipendées. Et pendant que le temple laïque de l'instruction républicaine perd peu à peu sa substance, on y injecte toujours plus de moyens...

09 juin 2012

Avé Jules !


Le mélange de dévotion et de répulsion avec lequel les politiciens tournicotent autour de la figure emblématique de Jules Ferry (1832-1893) a quelque chose de pathétique. Les simagrées et contorsions auxquelles ils se livrent pour tenter de séparer le bon grain de l'ivraie, au sein de l'héritage intellectuel du grand homme, est un signe des temps.
C'est en effet devenu un poncif que de distinguer, à l'instar de la fable évoquant le Dr Jekyll & Mr Hyde, deux hommes bien différents en un seul. L'un serait admirable, l'autre méprisable. Le premier s'élève aux cieux pour avoir paraît-il inventé le concept d'« école gratuite, laïque et obligatoire ». Le second doit être voué aux gémonies pour avoir exhorté « les races supérieures » à « civiliser les races inférieures » et chanté les mérites de la colonisation.
Faut-il que la pensée contemporaine soit formolée pour ne pas voir qu'il s'agit des deux facettes d'un même idéal, boursouflé de prétention et de paternalisme ! D'une sorte de don-quichottisme républicain, dont l'intrépidité centralisatrice n'a d'égale que l'inconséquence normative.

Avec ses grotesques favoris en forme d'aubergine, appendus à ses tempes molles de hobereau condescendant, Jules Ferry incarne trop bien la suffisance des grands principes et la calamité des certitudes idéologiques. Quelque soit le côté par lequel on aborde le personnage et son action, le même constat s'impose. Et si le zèle colonisateur est vilipendé par les Bouvard et Pécuchet du conformisme angélique contemporain, l'ambition éducative ne vaut guère mieux. Car les deux sont puisés à la même source.
Et dans les deux cas, les bonnes intentions se révèlent désastreuses : si la pitoyable déconfiture de l'aventure coloniale française relève de nos jours de l'évidence, la lente déroute de l'Education Nationale n'en est pas moins édifiante, et irrémédiable. Sans doute, parce qu'à l'instar de la colonisation, elle est fondée sur une série de leurres. 
Elle n'a de gratuite que le nom, puisqu'elle coûte chaque année plus de 4,2% du PIB (soit en moyenne 8150€ par élève), et affiche, sauf pour ceux qui ne veulent pas le voir, un rapport coût/efficacité des plus médiocres.
Sa prétendue laïcité n'est qu'un vain mot dont on se gargarise en France, au mépris de réalités criantes. Fondée initialement sur un anticléricalisme rétrograde et borné, elle s'avère incapable d'enrayer la montée des communautarismes qui gangrènent la société.
Enfin, son caractère obligatoire n'empêche en rien la dégradation régulière du niveau général des élèves, faute de souplesse, de pragmatisme, et à force de cultiver l'indépendance vis à vis du monde du travail, voire un mépris absurde pour celui des entreprises.
Le plus grave est l'instauration, au nom de l'égalité, de programmes nationaux d'origine gouvernementale, qui exposent par nature, au risque d'endoctrinement et rentrent en contradiction flagrante avec le souci de toute démocratie de développer l'émulation intellectuelle et l'esprit critique. Le morne consensus gauchisant et anti-libéral qui règne dans notre pays, l'attrait de la jeunesse pour la condition de fonctionnaire, tout cela s'explique probablement en grande partie par cet abêtissement généralisé, d'inspiration étatique.
La profession de foi du nouveau président de la république, qui avec onction et componction a inscrit d'emblée son action dans ce moule foireux, en invoquant la « réussite éducative » comme d'autres la méthode Coué, n'augure évidemment rien de bon...

Illustration : Jules Ferry par Georges Lafosse