Par delà ses talents de romancier, le fantasque et regretté Tom Wolfe (1931-2018) s’essaya au journalisme dit d’investigation. Non sans enthousiasme (l’Étoffe des héros), fantaisie (Acid Test), humour (Le Gauchisme de Park Avenue) ou encore verve caustique comme dans son tout dernier ouvrage intitulé “le Règne du langage”.
Parue en 2016*, cette ultime enquête ne manque pas d’ambition en s’attaquant à la théorie de l'évolution incarnée par le célèbre Charles Darwin (1809-1882), et aux thèses savantes sur la nature du langage, véhiculées par le très vénéré Noam Chomsky.
Dans les deux cas Wolfe s’amuse à mettre en parallèle la vision des pontes sus cités avec celles d’épigones certes moins connus mais tout aussi solides scientifiquement, et qui furent conduits à remettre en cause certains dogmes.
Par exemple, Alfred Russel Wallace (1823-1913) qui faillit être le tout premier à publier une théorie aboutie sur l'évolution des espèces, rejoignant sur beaucoup de points les constats faits par Darwin lors de son odyssée à bord du fameux Beagle.
Ce dernier avait en effet tardé à les relater, par crainte des réactions notamment religieuses, et fut contraint de le faire après avoir été destinataire du manuscrit de Wallace, qui lui demandait naïvement conseil sur ses propres travaux !
Sur le point d'être doublé, Darwin, toute affaire cessante, coucha sur le papier sa théorie et les deux textes furent publiés simultanément. Seul Darwin en tira la gloire eu égard à son entregent dans la haute société anglaise et dans le monde scientifique, et grâce à quelques artifices de présentation lui donnant préséance aux yeux des lecteurs.
L’affaire aurait pu en rester à ce déroulé anecdotique puisque jamais Wallace ne chercha noise à celui qu’il admirait sans limite.
C'eut été sans compter sur les analyses affûtées de Tom Wolfe...
A la différence de Darwin qui fit de l’Homme un descendant direct des grands singes et qui présenta son travail comme une théorie universelle en passe d’expliquer tout par le simple principe de la sélection naturelle, Wallace ne put s’y résoudre. Il croyait aux forces de l’esprit. Refusant de faire de l’homme un animal comme les autres, et bien qu’athée, il tenta d’expliquer le génie de la pensée humaine par quelque mystérieux dessein de la nature. Pire, ses observations contredisent certains principes darwinistes. Par exemple le fait que le volume de la boîte crânienne des Néandertaliens soit bien supérieur à celui de n’importe quel singe, attestait pour lui que l’intelligence fut donnée à l’homme bien avant qu’il soit en mesure de l’utiliser, et non par adaptation progressive. Au surplus, l’apparence chétive et glabre de l’être humain, contredit le principe selon lequel l’évolution sélectionne toujours des caractéristiques favorables à l’espèce.
Sacrilège que cela pour Darwin qui fut très contrarié par ces prises de position et adjura Wallace de se ranger à son explication, dénuée de toute interprétation téléologique ou anthropomorphique, craignant sinon “qu’il n’assassine totalement leur enfant.”
Il arriva pareille mésaventure à Noam Chomsky, que les études sur le langage, avaient amené à affirmer qu’il s’agissait d’une fonction innée de l’être humain et que derrière la multiplicité et la diversité des idiomes, il existait une grammaire universelle.
Il alla jusqu’à poser qu’une des caractéristiques essentielles de tout langage humain était la récursivité, c’est à dire la capacité à imbriquer plusieurs idées au sein d’une même phrase.
C’était sans compter sur un de ses disciples, Daniel Everett, qui alla durant de nombreuses années étudier les modes de vie et d’expression de peuplades reculées, tels les Pirahãs en Amazonie. Il constata que ces derniers utilisent un langage étrange, mi sifflé, mi chanté, plutôt rudimentaire mais précis et dans lequel il semble vain de trouver la moindre parenté grammaticale avec quelque langue que ce soit, et totalement dénué de toute récursivité et mème de temporalité. Ces gens ne connaissent que l'instant présent, méprisant aussi bien le passé que l'avenir.
Loin d’être une caractéristique innée, née de l’évolution, le langage ne serait donc, selon Everett qu’un outil, tel l’arc et la flèche, mis au point par l’intelligence des êtres humains pour répondre aux problématiques pratiques de l’existence.
Tom Wolfe s’appuie sur ces deux duos contradictoires pour souligner les lacunes de la théorie de l’évolution, laquelle explique sans doute certains phénomènes adaptatifs au cours du temps, mais ne répond aucunement à la plupart des questions fondamentales que pose le Monde dans lequel nous vivons, notamment celles relatives à son origine.
A vrai dire, l’écrivain révèle que son questionnement naquit lors la lecture d’un article de la revue Frontiers in Psychology signé en 2014 par une belle brochette de ténors de la théorie évolutionniste, dont Noam Chomsky. Dans ce texte ils avouent en choeur que “les interrogations les plus fondamentales sur les origines et l’évolution de nos capacités linguistiques restent plus insolubles que jamais.”
Cet aveu d’impuissance redonne au langage toute son aura magique qui fait de l’être humain une créature à part. Selon Tom Wolfe, “C’est le langage qui a conféré à l’animal humain la force de conquérir chaque pouce de terre ferme sur cette planète, de gouverner chaque créature discernable à l’oeil, et de se goinfrer de plus de la moitié des ressources comestibles de l’océan. Et pourtant, cette mise en coupe réglée du globe terrestre n’est qu’un résultat mineur de la puissance de la parole: son principal exploit, c’est d’avoir créé l’ego, la conscience de soi !”
C‘est aussi l’occasion de reprendre l’argumentation du linguiste et orientaliste Max Müller (1823-1900), contemporain de Darwin, qui affirmait contre ce dernier que “la science du langage permettra de repousser les théories extrêmes des évolutionnistes, et de tracer une ligne ferme et indiscutable entre l’humain et le bestial” et qui pouvait s’exclamer sans avoir été pris en défaut à ce jour : “le langage est notre Rubicon et aucun animal n’osera le franchir.”
De son côté, Tom Wolfe, assez satisfait de son exégèse mi sérieuse mi humoristique, mais toujours excitante et remarquablement bien documentée, peut conclure sur une figure de style en forme de pirouette : “Dire que les animaux ont évolué jusqu’à devenir des êtres humains revient à soutenir que le marbre de Carrare a évolué jusqu’à être le David de Michel-Ange.”
Parue en 2016*, cette ultime enquête ne manque pas d’ambition en s’attaquant à la théorie de l'évolution incarnée par le célèbre Charles Darwin (1809-1882), et aux thèses savantes sur la nature du langage, véhiculées par le très vénéré Noam Chomsky.
Dans les deux cas Wolfe s’amuse à mettre en parallèle la vision des pontes sus cités avec celles d’épigones certes moins connus mais tout aussi solides scientifiquement, et qui furent conduits à remettre en cause certains dogmes.
Par exemple, Alfred Russel Wallace (1823-1913) qui faillit être le tout premier à publier une théorie aboutie sur l'évolution des espèces, rejoignant sur beaucoup de points les constats faits par Darwin lors de son odyssée à bord du fameux Beagle.
Ce dernier avait en effet tardé à les relater, par crainte des réactions notamment religieuses, et fut contraint de le faire après avoir été destinataire du manuscrit de Wallace, qui lui demandait naïvement conseil sur ses propres travaux !
Sur le point d'être doublé, Darwin, toute affaire cessante, coucha sur le papier sa théorie et les deux textes furent publiés simultanément. Seul Darwin en tira la gloire eu égard à son entregent dans la haute société anglaise et dans le monde scientifique, et grâce à quelques artifices de présentation lui donnant préséance aux yeux des lecteurs.
L’affaire aurait pu en rester à ce déroulé anecdotique puisque jamais Wallace ne chercha noise à celui qu’il admirait sans limite.
C'eut été sans compter sur les analyses affûtées de Tom Wolfe...
A la différence de Darwin qui fit de l’Homme un descendant direct des grands singes et qui présenta son travail comme une théorie universelle en passe d’expliquer tout par le simple principe de la sélection naturelle, Wallace ne put s’y résoudre. Il croyait aux forces de l’esprit. Refusant de faire de l’homme un animal comme les autres, et bien qu’athée, il tenta d’expliquer le génie de la pensée humaine par quelque mystérieux dessein de la nature. Pire, ses observations contredisent certains principes darwinistes. Par exemple le fait que le volume de la boîte crânienne des Néandertaliens soit bien supérieur à celui de n’importe quel singe, attestait pour lui que l’intelligence fut donnée à l’homme bien avant qu’il soit en mesure de l’utiliser, et non par adaptation progressive. Au surplus, l’apparence chétive et glabre de l’être humain, contredit le principe selon lequel l’évolution sélectionne toujours des caractéristiques favorables à l’espèce.
Sacrilège que cela pour Darwin qui fut très contrarié par ces prises de position et adjura Wallace de se ranger à son explication, dénuée de toute interprétation téléologique ou anthropomorphique, craignant sinon “qu’il n’assassine totalement leur enfant.”
Il arriva pareille mésaventure à Noam Chomsky, que les études sur le langage, avaient amené à affirmer qu’il s’agissait d’une fonction innée de l’être humain et que derrière la multiplicité et la diversité des idiomes, il existait une grammaire universelle.
Il alla jusqu’à poser qu’une des caractéristiques essentielles de tout langage humain était la récursivité, c’est à dire la capacité à imbriquer plusieurs idées au sein d’une même phrase.
C’était sans compter sur un de ses disciples, Daniel Everett, qui alla durant de nombreuses années étudier les modes de vie et d’expression de peuplades reculées, tels les Pirahãs en Amazonie. Il constata que ces derniers utilisent un langage étrange, mi sifflé, mi chanté, plutôt rudimentaire mais précis et dans lequel il semble vain de trouver la moindre parenté grammaticale avec quelque langue que ce soit, et totalement dénué de toute récursivité et mème de temporalité. Ces gens ne connaissent que l'instant présent, méprisant aussi bien le passé que l'avenir.
Loin d’être une caractéristique innée, née de l’évolution, le langage ne serait donc, selon Everett qu’un outil, tel l’arc et la flèche, mis au point par l’intelligence des êtres humains pour répondre aux problématiques pratiques de l’existence.
Tom Wolfe s’appuie sur ces deux duos contradictoires pour souligner les lacunes de la théorie de l’évolution, laquelle explique sans doute certains phénomènes adaptatifs au cours du temps, mais ne répond aucunement à la plupart des questions fondamentales que pose le Monde dans lequel nous vivons, notamment celles relatives à son origine.
A vrai dire, l’écrivain révèle que son questionnement naquit lors la lecture d’un article de la revue Frontiers in Psychology signé en 2014 par une belle brochette de ténors de la théorie évolutionniste, dont Noam Chomsky. Dans ce texte ils avouent en choeur que “les interrogations les plus fondamentales sur les origines et l’évolution de nos capacités linguistiques restent plus insolubles que jamais.”
Cet aveu d’impuissance redonne au langage toute son aura magique qui fait de l’être humain une créature à part. Selon Tom Wolfe, “C’est le langage qui a conféré à l’animal humain la force de conquérir chaque pouce de terre ferme sur cette planète, de gouverner chaque créature discernable à l’oeil, et de se goinfrer de plus de la moitié des ressources comestibles de l’océan. Et pourtant, cette mise en coupe réglée du globe terrestre n’est qu’un résultat mineur de la puissance de la parole: son principal exploit, c’est d’avoir créé l’ego, la conscience de soi !”
C‘est aussi l’occasion de reprendre l’argumentation du linguiste et orientaliste Max Müller (1823-1900), contemporain de Darwin, qui affirmait contre ce dernier que “la science du langage permettra de repousser les théories extrêmes des évolutionnistes, et de tracer une ligne ferme et indiscutable entre l’humain et le bestial” et qui pouvait s’exclamer sans avoir été pris en défaut à ce jour : “le langage est notre Rubicon et aucun animal n’osera le franchir.”
De son côté, Tom Wolfe, assez satisfait de son exégèse mi sérieuse mi humoristique, mais toujours excitante et remarquablement bien documentée, peut conclure sur une figure de style en forme de pirouette : “Dire que les animaux ont évolué jusqu’à devenir des êtres humains revient à soutenir que le marbre de Carrare a évolué jusqu’à être le David de Michel-Ange.”
* Le Règne Du Langage Tom Wolfe Robert Laffont Pavillons 2016