26 avril 2011

Fausse bonne idée


Encore une fois le président Sarkozy démontre que sa politique est d'inspiration bien plus étatiste que libérale. Son idée d'imposer aux entreprises le versement à leurs salariés d'une prime indexée sur les dividendes, sort tout droit du catalogue des bonnes intentions dont l'enfer de l'Etat Providence est pavé.
Il s'agit d'une sorte d'ersatz de la règle des trois tiers selon laquelle une entreprise devrait répartir ses bénéfices à parts égales entre les salariés, les actionnaires et l'investissement.

Certes, en apparence, cette mesure est susceptible de donner un coup de pouce au pouvoir d'achat, en ne pesant que sur les royalties des actionnaires. Parfaitement dans la ligne de "la moralisation du capitalisme"... Et moindre mal pour les entreprises dont les versements à ce titre seront exonérés de charges.

Malheureusement le caractère obligatoire de cette initiative et son application uniforme à toutes les entreprises de plus de 50 salariés, en font le type même de fausse bonne idée.
Tout d'abord, parce que la plupart des sociétés gérées avec bon sens distribuent depuis longtemps des primes à leurs employés, souvent basées sur les bénéfices, et modulées en fonction des états de service individuels.
Ce nouveau dispositif, avec sa froide et bureaucratique rigidité, est au mieux inutile. Au pire, il risque de prendre la place des initiatives spontanée, et devenir en raison de son caractère légal, un acquis social systématique qu'il sera bien difficile de refuser, même en temps de vaches maigres.

On peut craindre de toutes manières que se mettent en place chez les plus réfractaires, des stratégies d'évitement : certains chercheront par tous les moyens à masquer les dividendes, d'autres à limiter les embauches en dessous du seuil fatidique de 50 salariés.
Plus généralement, les entreprises françaises, devenues par la force de la loi moins généreuses pour leurs actionnaires, risquent de se trouver dépréciées et donc délaissées par les investisseurs au profit des valeurs étrangères.

A défaut de satisfaire les patrons et les actionnaires, cette disposition plaira-t-elle aux salariés ? Rien n'est moins sûr...
Les syndicats ont vite fait en tout cas, de lui trouver quantité de défauts.
Selon M. Chérèque de la CFDT, il s'agit d'un nouveau "cadeau au patronat" qui va "diviser les salariés", et qui risque de se traduire en raison de la défiscalisation des versements, par "moins d'augmentation de salaires, plus de prime".

Curieusement, en même temps que cette mesure, le gouvernement annonce le gel des salaires des fonctionnaires. N'y a-t-il pas là quelque incohérence ? Surtout lorsque l'on sait que la Fonction Publique souffre précisément, en dépit de volatiles promesses, de l'absence désespérante de primes à l'initiative et au mérite.

Mais le plus grave dans cette affaire, est sans doute l'arsenal administratif qu'elle laisse entrevoir en perspective. Il va falloir encore une fois, contrôler, surveiller, mesurer, évaluer, sanctionner. Toujours plus d'Etat en somme...

19 avril 2011

L'agitation du bocal



Au moment où de sanglantes révolutions ébranlent le monde arabe, où la crise économique mine le bien-être matériel des sociétés développées, et où les colères de la nature secouent dramatiquement le rêve de puissance de l'empire du Soleil Levant, c'est un ouragan lilliputien qui agite tout à coup les médias hexagonaux, si friands de scandales.
Celui-ci est causé par une exposition intitulée « Je crois aux miracles », sise depuis le mois de décembre 2010, dans le Musée d'Art Contemporain de la ville d'Avignon.
Clou du spectacle, si je puis dire, une photo datée de 1987, signée de « l'artiste » américain Andres Serrano, et intitulée crûment Immersion (Piss Christ), représentant un crucifix plongé dans un bocal rempli d'urine (de l'artiste) !
Signalons au passage que ce photographe « majeur » (dixit les Inrocks), élevé paraît-il dans un "strict environnement religieux catholique", s'est également illustré par un remarquable travail sur les excréments, photographiés sous tous les angles et éclairages imaginables, exposé en 2008 sous le titre on ne peut plus évocateur de « Shit ». On peut lui reconnaître de ne pas cultiver l'ambiguïté...

Dans le climat de manichéisme politico-culturel et d'exacerbation des tensions religieuses que traverse actuellement le pays, le moins qu'on puisse dire est que l'initiative avignonnaise, sponsorisée par les Pouvoirs Publics et donc l'argent des contribuables, paraissait plutôt inopportune.
Mais les Chrétiens étant sans doute quelque peu accoutumés à ce genre de vilénie, il a  fallu plusieurs mois pour que s'échauffent les humeurs et que monte l'indignation. Celle-ci s'exprimait depuis quelques semaines, par des manifestations et une vaste pétition signée par plus de 80.000 personnes demandant la suppression de l'image controversée, placardée en forme d'affiche aux quatre coins de la ville.

Mais dimanche dernier, 17 avril, quelques individus déterminés décidèrent de passer à l'acte en saccageant à coups de marteau et de pics à glace l'objet du scandale.
Du coup l'indignation n'est plus chez les Dévots mais chez les Précieux. Ces derniers s'étranglent devant ce forfait, qui révèle selon eux une "France haineuse" (les Inrocks), s'inscrit comme l'expression de la "barbarie" (l'Humanité), ou comme "un acte de régression très inquiétant" (Aillagon)...

Dans cette histoire, que j'ai pour ma part tendance à considérer comme une pantalonnade, je trouve très réactionnaire, voire péjorativement bourgeoise et incohérente, l'indignation (comme dirait Stéphane Hessel...) des gardiens de la culture.
Que pouvaient-ils objectivement espérer de mieux vis à vis de cette grotesque provocation, de plus adapté à la situation ? 
La figure du Christ qui a transcendé de bien pires circonstances, ne pouvait évidemment pas être atteinte par ces niaiseries scatologiques. Quant à l'émotion artistique, elle ne pouvait en rien être sollicitée par d'aussi insignifiantes déjections.
Plutôt que se répandre en imprécations, ne faudrait-il  donc pas se réjouir de l'ardeur déconstructive avec laquelle les audacieux iconoclastes ont salué « l'oeuvre » (qui n'est de toute manière rien d'autre, au sens propre comme au figuré, qu'un cliché...).
En 1993, à l'occasion d'une exposition du fameux et dérisoire ready-made en forme d'urinoir de Marcel Duchamp, un artiste non conformiste, Pierre Pinoncelli, entreprit courageusement de le briser avec beaucoup de théâtralisme d'un coup de marteau bien ajusté, en expliquant son geste de la manière suivante : "Ce n'était pas du tout contre l'urinoir ou contre Duchamp, mais contre l'institution qui a consacré ledit ustensile en veau d'or et son auteur en Toutankhamon de l'art moderne. J'ai cassé l'urinoir au centre des mécanismes de sacralisation et des rituels du pouvoir."
Lorsque l'urine se confond avec le sacré, que les excréments se mélangent aux aspirations les plus hautes de l'art, la « barbarie » devient un acte de salubrité publique et un vrai retour au réel, quasi constructiviste. A travers l'expérience brutale de la démolition, c'est une vraie et radicale restructuration conceptuelle à laquelle on assiste... 
La destruction est une forme d'apothéose, un exutoire sublime.
Mais attention, comme tout jeu, elle comporte un risque de débordement qui peut mener au pire, si l'affaire est prise trop au sérieux...

14 avril 2011

Rameurs

Sur l'eau telle un ciel, des rameurs
Du bout de leurs pelles graciles
Dessinent des lignes fragiles
Exaltant songes et humeurs.

Au sein de ces remous rêveurs
Les souvenirs forment des îles
D'où montent lents et versatiles,
Les parfums d'antiques saveurs.

Le rythme lénifiant de l'onde
Figure la marche du monde
Et la molle avance du temps

Mais un bruit ou bien un nuage
Viennent déchirer cette image
Et tout s’arrête en un instant…
Illustration : Périssoires (Gustave Caillebotte 1848-1894). Détail

02 avril 2011

Nuit sous la pluie


Sous la pluie les pavés se chargent de couleurs
Déteignant dans la nuit le long des rues obscures.
On voit l'ombre rougie de folles aventures
Tanguer avec la foule au rythme des clameurs.

On voit des flaques bleues déchirer les noirceurs
Et jeter vers le ciel des espérances pures,
Tandis que les reflets de quelques devantures
Éparpillent dans l'air de fugaces bonheurs.

On voit sur les trottoirs d'intenses clartés vertes
Tout à coup se dissoudre en blanches floraisons
Comme un printemps éclos sur des prairies offertes.

La ville est un miroir foisonnant d'illusions
Où les réalités transformées en chimères
Renvoient l'écho flottant de mondes éphémères.