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26 juillet 2024

The Mists of Time

John Mayall
 (1933-2024) chanta avec tant d’intensité dramatique et d’émotion
la mort de J.B. Lenoir (1929-1967), qu’il mérite assurément sa place au panthéon du Blues.
Il vient, à l’âge respectable de 90 ans, de rejoindre son maître à penser dans l’immensité enchantée de l’Eden de la Note Bleue.
On doit à ce natif de Macclesfield, tout près de Manchester, la création de la merveilleuse constellation du British Blues dont il fut le héraut désarmant de simplicité, de rusticité et d’humilité.
Son groupe mythique des Blues Breakers fut une vraie pépinière de talents. Nombre d’artistes y ont fait leurs armes. A tout seigneur tout honneur, citons l’illustre Eric Clapton. Dans son poignant hommage au disparu, il affirme qu’il lui doit tout ce qu’il a fait de bien en musique.
John Mayall fut également le découvreur de l'hypersensible Peter Green, qui fonda avec Mick Fleetwood, et John McVie, le groupe Fleetwood Mac.
Il révéla Mick Taylor, qui magnifia pendant un temps, de ses riffs dévastateurs, la carrière des Rolling Stones.

Au bout du compte, toute une génération de musiciens anglais ont été imprégnés du style Mayall et ont bénéficié de son élan très inspirant. Rien que pour les guitaristes c’est une pléiade de célébrités. Outre Eric Clapton, Peter Green, Mick Taylor, il y eut Jimmy Page, Jeff Beck, Gary Moore, Alvin Lee et j’en passe…
C'est une vraie gageure de résumer en quelques mots une carrière de plus de 50 ans et une soixantaine d'albums. Bornons nous donc à quelques étapes emblématiques.

En 1968, après l’aventure Blues Breakers, Mayall publie en solo son magnifique album Blues from Laurel Canyon, aux rythmes languides opérant la fusion du Blues, du trip beatnik et de l’esprit Hippie. A cette époque bénie, il choisit de s’installer en Californie d’où il continua de rayonner tranquillement et en toute liberté, parcourant avec joie et bonne humeur les scènes internationales jusqu’à un âge très avancé.
En 1969, avec The Turning Point, il inscrit un disque d’or au palmarès des ventes US et se déleste d’un Room to Move aussi jouissif qu’endiablé qui reste comme un repère incontournable dans son parcours.

En 2002, il enregistre quelques très belles pistes inédites avec ses born-again Blues Breakers comprenant notamment l'excellent guitariste texan Buddy Whittington. Parmi les perles, captées lors de ces sessions parues sous le nom de Stories, figure la bouleversante élégie The Mists of Time. Avec sa voix si caractéristique, de gorge, chaleureuse et haut perchée, il laisse un legs splendide aux amateurs de Blues…

02 février 2021

Winter Blues

Le temps est comme suspendu.
On ne parle que du virus mais celui-ci ne fait jamais comme on prévoit qu’il fera. Au moment où on annonçait une nouvelle déferlante, il paraît vouloir soudain s’assagir. Alors que les variants se multiplient, les contaminations à travers le monde marquent le pas. Le vaccin est arrivé, fondé sur une technique immunisante innovante dont l’efficacité s’annonce redoutable. Et sans nul doute, bientôt les beaux jours reviendront…

Dans cet espace quelque peu confiné, aux contours fuyants, et à l’empreinte imprécise, s’insinue le blues. Baudelaire aurait parlé de spleen et aurait décrit cette sensation de manière jubilatoire. Tout paraît vain dans ce vague à l’âme, hormis l’étrange et pénétrante euphorie triste qu’on pourrait en somme appeler quiétude.
Il y a du chagrin, de l'angoisse et du tragique, mais tout cela peine à s’accrocher sur des choses déterminées, et le mélange contient une joie indéfinissable qui dit qu’il y a quelque chose au bout du chemin. C’est dans ces instants, que la musique n’a pas d’égal pour exprimer ce qui passe à travers l’esprit.

Récemment découverts par la magie d’Internet et de Youtube, trois blues m’ont bouleversé suffisamment pour me conduire à écrire ces lignes. Ils s’inscrivent à merveille dans ces détours pris par ma pensée au cœur des frimas et de la froidure.
Mists of Time, ça commence par les brumes du temps, léguées avec tendresse par John Mayall. Ce vétéran du blues, qui du haut de ses 87 ans, incarne largement  le renouveau du genre à partir de l'Angleterre, a mis toute sa puissance émotionnelle dans cette mélopée suggestive. Il est au chant et il est servi par ses Bluesbreakers, notamment par le jeu fluide du pianiste Tom Canning et par celui, hypersensible, du guitariste Buddy Whittington.
Guitare et piano, l’association fait mouche également dans Sometimes I’m Right chanté par Hubert Sumlin (1931-2011) et ponctué de riffs acides, juste adoucis par le ressac langoureux du clavier, le tempo clair de la section rythmique et les sonorités veloutées de la basse.
Floyd Lee (1933-2020), dont j’ignorais jusqu’au nom, avec sa voix rauque mais chaude, profonde et puissante se déleste quant à lui d’un Mean Blues, aussi pesant que la solitude, obsédant comme l’incommunicabilité des êtres et la douleur accompagnant la perte de ceux qui sont chers, mais transcendant l’obscurité comme une lueur au bout du tunnel... 

Je croyais assez bien connaître les quatuors de Beethoven. Je les ai tant écoutés qu’ils habitent mon for intérieur et participent de mes sensations comme une décoration et un mobilier donnent vie à une demeure. Pourtant j’ai eu un choc en écoutant l’adagio du 15ème, en La mineur, interprété par le Danish String Quartet. Incroyable exercice d’équilibre et de subtilité, duquel émane un sustain extatique de près de vingt minutes. C’est absolument poignant, sublime et magnifique, déchirant tout ce qui avait pu advenir auparavant. Quelle indicible douceur dans la vibration de ces cordes ! Quelle insoutenable légèreté de ces archers vibrionnant, comme s’ils étaient en apesanteur, et comme si toutes les peines depuis la nuit des temps s’effaçaient par magie. Sitôt achevée, on voudrait que cette mélodie recommence sans délai, car elle fait tant de bien... 
Et pour finir, Bach bien sûr. Tout simplement la transcription pour piano de la sonate pour orgue en Mi mineur BWV 528, exécutée par Vikingur Olafsson. Il est islandais, et il importe des sonorités vaporeuses de banquise dans ce tranquille lamento, dont on s’imprègne de la fraîcheur idéale, comme on se laisse envelopper par l’air trouble et réfrigérant de l’hiver...

 Illustration: Paysage. Nicolas de Staël