31 mai 2019

La Philosophie Devenue Folle (1)

Les mésaventures pathétiques de l’infortuné Vincent Lambert, qui n’en finit pas de mourir, et dont le sort est suspendu à d’interminables atermoiements médico-légaux, illustrent le dévoiement de la pensée contemporaine. Au point de voir préconisé par un corps médical réduit à l’impuissance et un Conseil d’État sans état d’âme, l’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation d’un être humain en situation de détresse.
Certes ce dernier n’est plus que l’ombre de lui-même. Il se trouve en état végétatif depuis 11 ans, suite à un accident de la voie publique. Dans un état nébuleux entre la vie et la mort. Ce n’est pas le coma mais une sorte d’absence, caractérisée par l’arrêt de toute vie relationnelle, et dont il est quasi impossible de déterminer le niveau de conscience. S’il semble raisonnable dans ces conditions de s’opposer à l’acharnement thérapeutique, que dire d’une injonction consistant à cesser de nourrir et de donner à boire à ce malheureux jusqu'à ce que mort s'ensuive ? N’est-ce pas plus hypocrite et en somme plus atroce que de proposer l’euthanasie active ?

Sous couvert de bonnes intentions, de respect de la dignité humaine, et autres considérations prétendues éthiques, notre époque a de plus en plus tendance à résoudre les problématiques les plus complexes avec un froid matérialisme, et une indifférence larmoyante dans laquelle les repères se perdent les uns après les autres et où tout se vaut en définitive.
Cette étonnante propension a été explorée avec acuité par Jean-François Braunstein dans un ouvrage au titre évocateur: “La Philosophie devenue folle” à propos de trois thématiques très actuelles: le genre, l’animal, la mort.

Prenons pour les circonstances, l’ordre inverse de celui choisi par l’auteur et arrêtons-nous à “l’enthousiasme pour l’euthanasie” qu’exprime selon lui de plus en plus bruyamment notre société. Si cette formule semble quelque peu excessive, il n’en est pas moins vrai que la mort hante notre civilisation. Tantôt occultée voire niée comme un tabou, elle s’impose de manière obsessionnelle paradoxalement en matière de santé. Directives anticipées, limitation et arrêt des thérapeutiques actives (connue des Réanimateurs sous son sigle LATA), soins palliatifs, euthanasie, suicide assisté, droit de mourir dans la dignité, on ne compte plus les démarches entreprises autour de ce qu’il est convenu d’appeler la fin de vie.
Venant après des décennies de progrès en matière médicale, ce sombre fatalisme est-il la manifestation de la profonde dépression qui a gagné l’Occident, comme le pense Braunstein ? Sans doute pour partie, mais encore faudrait-il alors chercher à connaître les raisons de ce spleen incurable. Est-ce parce que nos sociétés sont vieillissantes ? Est-ce le modèle qui est en bout de course comme on l’entend à longueur de journée ? Est-ce la profusion de biens matériels qui corrompt les esprits et pervertit l’espoir et la foi ? Est-ce enfin tout simplement l’ennui qui nous ronge peu à peu de l’intérieur, ébranle nos convictions, et nous emmène sur la pente d’une lente et irrémédiable névrose ?
Conséquence de tout cela, alors que nous avons à peu près tout pour être heureux, un froid nihilisme s’est peu à peu installé dont la première conséquence est “l’effacement radical de la dimension tragique de la vie”. Bientôt peut-être, si l’on suit Braunstein, ce seront d’obscurs comités d’éthique composés de “philosophes inoccupés et de médecins retraités” qui seront “chargés de de décider qui doit vivre ou mourir”.

Il semble que nous soyons entrés dans une ère marquée par l’utilitarisme. Un des représentants les plus radicaux de cette conception est Peter Singer, philosophe australien pour lequel la sacralisation de la vie relève de l’obscurantisme religieux contre lequel il faudrait entrer en guerre. Il appelle à remplacer la doctrine chrétienne de “la sainteté de la vie” par une nouvelle théorie, celle de “la qualité de la vie”…
Il faudrait à l’aune de ce principe, pouvoir juger si une vie mérite ou non d’être vécue.
Avec cette conception mécaniste, beaucoup de choses deviennent possibles. Par exemple d’affirmer qu’un nouveau-né n’a pas le sens de son existence donc pas de conscience. Il n’est donc pas plus un être humain qu’un fœtus. Par conséquent, si le fœtus n’a pas droit à la vie comme une personne, le nouveau-né non plus ! La logique de Singer pousse même le bouchon très loin: “il ne faut pas se laisser impressionner par l’apparence parfois mignonne des bébés”.
Terrible assertion qui conduit à penser que “l’enfant est remplaçable” et “qu’il vaut mieux tuer des enfants défectueux pour pouvoir se consacrer à produire un nouvel enfant en bon état”.

A côté de ces dérives terrifiantes, Braunstein s’interroge sur la signification de la finitude de l’être humain dans nos sociétés, et ses réflexions méritent d’être quelque peu pondérées, notamment lorsqu’il semble remettre en cause la définition moderne de la mort, entendue comme mort cérébrale. Très liée au développement des techniques de transplantations d’organes, elle prête selon lui à controverse puisque “les “morts” continuent de respirer, sont roses et ont conservé l’essentiel des fonctions de la vie végétative”. C’est évidemment méconnaissance de sa part car il est clair que dans l’état de “coma dépassé", la vie n’est qu’apparence, totalement dépendante des machines telles que respirateurs et perfusions. Ce sont précisément les techniques de réanimation qui maintiennent temporairement et artificiellement certaines fonctions vitales, alors que le cerveau a cessé irréversiblement toute activité dont celle qui commande la respiration. La nécessité de redéfinir la mort est dès lors une évidence même si elle a ouvert la voie aux transplantations d’organes en rendant possible le prélèvement d’organes encore perfusés. On peut émettre pour mille raisons des réserves sur ces techniques et notamment sur leur banalisation, mais sûrement pas parce qu’on doute de la mort du donneur !

A ces réserves près, il est difficile de ne pas se ranger au point de vue de Braunstein et notamment d’Anne MacLean, citée par ce dernier, lorsqu’ils font le constat que la forme exacerbée d’utilitarisme prônée par Singer et ses épigones, “élimine la moralité”. C’était déjà la crainte d’Auguste Comte lorsqu’il fustigeait l’abus de la logique déductive qui conduit à des conclusions certes originales, mais absolument immorales. Or sans morale, l'être humain n'est plus un être humain...

C’est tout le mérite de cet ouvrage que de pointer en les référençant précisément, les excès commis au nom d’une éthique diabolique bien qu’elle se veuille rationnelle et bien intentionnée…

Illustration : La Tentation De Saint-Antoine (détail)
(à suivre)

29 mai 2019

Une élection pour rien

En dépit d’une participation plus élevée que celle qui était attendue, ces élections européennes n’apportent guère de sujet de satisfaction. Le thème même de l’Europe est resté plus évanescent que jamais.
Aucun programme n’y faisait référence affirmée ni même un tant soit peu convaincue. Même la liste de La République En Marche était restée bien timorée sur le projet auquel personne ne croit plus vraiment, ni comme nation, ni comme fédération.
Combien de temps ce conglomérat hétéroclite d’intérêts de plus en plus divergents peut-il encore tenir ? Combien de temps l’euro peut-il continuer de faire office de monnaie unique ?
Gageons, ne serait-ce que pour maintenir les grands équilibres économiques, que cela dure quelques années, même si le grand dessein et les folles espérances s’estompent de plus en plus.

Sans surprise, le parti le plus anti-européen, a tiré une fois encore les marrons du feu. Le Rassemblement National stabilise son emprise, tandis que ses alter ego hongrois et italiens déjà au pouvoir triomphent. Signe des temps, les peuples se détournent de plus en plus des partis traditionnels et de l’ersatz démocratique qu’ils proposent.
En France où le RN est considéré comme infréquentable, toute alliance lui est interdite et il se heurte au fameux plafond de verre pour parvenir au sommet de l’État. Il lui faudrait la majorité absolue à lui tout seul ce qui peut prendre encore un bon bout de temps et serait dangereux. Pour l'heure il se contente de quelques victoires inoffensives, tel ce scrutin européen. Cela donne tout de même la mesure de son enracinement et pérénise le vrai problème démocratique auquel le pays est confronté. Dans un scrutin majoritaire à deux tours l'adversaire quel qu'il soit est à peu près certain de l'emporter...
Le parti du Président de la République en profite. Peu importe en somme qu’il soit premier ou second en nombre de voix, il sera toujours gagnant en termes de pouvoir. La synthèse Gauche-Droite a parfaitement fonctionné, permettant à Emmanuel Macron d’être brillamment élu à la tête de la république.

Au passage il a écrabouillé ce qui restait du Parti Socialiste. Cette fois, il n’avait même pas osé se présenter en nom propre ce qui en dit long sur le désastre. Quant à Mélenchon, son affreux rictus, sa mauvaise foi, sa haine recuite et ses nervis patibulaires, ils peuvent aller se rhabiller. La Gauche plus que jamais divisée aurait-elle enfin cessé de faire rêver. Dieu fasse que cela soit vrai….
La Droite classique n’est pas logée à meilleure enseigne. Coincée entre le discours martial des nationalistes et celui lénifiant de la social-démocratie, elle n’a rien trouvé de bien original à dire et malgré  la sympathie ressentie pour sa tête de liste, sa place se réduit comme peau de chagrin. Est-ce encore réversible, on peut en douter vu l’organisation actuelle du parti qui s’apparente à une armée mexicaine…
Reste le score flatteur des Écologistes. Il ne faut y voir sans doute ni élan ni vraie dynamique mais un effet d’aubaine avant tout. Faute d’avoir trouvé leur idéal dans ces 34 listes, nombre d’électeurs désabusés, notamment parmi les plus jeunes, se sont rabattus sur le candidat de la nature et les petits oiseaux… L'incroyable battage médiatique sur l'urgence climatique a fait son oeuvre dans les esprits, malgré la nullité abyssale des pretendus écolos.
Mais une hirondelle ne faisant pas le printemps, ils ne feront pas plus l’Europe que les caciques de la politique...
Quant aux Gilets Jaunes, ils ont purement et simplement disparu des écrans radars. Étrange, non ?

13 mai 2019

Or Noir et Gilets Jaunes

Tout ça pour en arriver là…
On pourrait en rire si la situation n’était pas si grotesque. Après 26 semaines de manifestations des Gilets Jaunes, les prix des carburants n’ont jamais volé aussi haut !

Principal sujet de mécontentement exprimé au début du mouvement, cette problématique est paradoxalement passée aux oubliettes, ainsi d’ailleurs que la limitation de la vitesse sur les routes secondaires. Bien malin est celui qui parvient encore à discerner ce que veulent les derniers enragés du samedi. 
Ainsi va la France. Un mouvement qui aura coûté quelques dizaines de milliards d’euros à l’État et entamé sa ligne directrice au point de la rendre définitivement illisible, ce mouvement part en eau de boudin au remugle pestilentiel d'extrême-gauche, et se dilue dans les borborygmes de la campagne électorale européenne.
Trente trois listes, dont les trois quarts n’auront pas même un député, et des programmes à la noix, sans conviction, sans ambition. C’est donc ça la démocratie post-moderne !

Pendant ce temps, le prix de l’essence sans plomb a donc connu sa plus belle envolée depuis 2013. Certes ce n’est pas la conséquence de nouvelles taxes mais de l’effet conjugué de l’augmentation du cours du baril et de la hausse du dollar. Bien que l'augmentation désespérante  de la fiscalité soit pour un temps gelée, elle  est toujours là, écrasante, et le gouvernement se garde bien de mettre en œuvre la fameuse taxe flottante qui permettrait d’endiguer les fluctuations trop importantes des prix à la pompe. Comme il semble avoir oublié de remettre en cause les 80km/h dont il avait envisagé d’assouplir l’application. Au contraire, il prévoit d’intensifier la guerre sournoise qu’il a déclarée aux contrevenants. Il s'apprête ainsi à déployer sur les routes, une armada de voitures radars privées, totalement banalisées, qui vont passer leur temps à griller du carburant à seule fin de traquer les automobilistes trop pressés !
Qui sont les dindons de la farce, on se le demande tant les débats, controverses et polémiques semblent futiles par les temps qui courent…

Cela dit, je commence à croire personnellement que la voiture électrique pourrait avoir de l’avenir. Le diabolique M. Musk qui projette de faire débouler sur le vieux continent ses Model 3 à prix cassés est somme toute assez convaincant. Il pouvait passer pendant un temps pour un hurluberlu, mais force est de constater que ses autos ont presque tout pour plaire: lignes agréables et fluides, confort et silence, système d’aide à la conduite, performances époustouflantes, elles revendiquent désormais une belle autonomie (entre 400 et 600 km). Sachant que les chargeurs ultra-rapides que Tesla installe un peu partout, permettent de retrouver 80% des capacités énergétiques en 30 minutes, la crainte de partir pour un long parcours pourrait être bientôt infondée.

N’était le problème du recyclage des batteries et le bilan carbone de leur fabrication, on serait enclin à penser que l’alternative écologique au pétrole est enfin trouvée.
Comme toujours, l'État est mauvais élève. Pas de voiture électrique ou quasi dans les administrations. Tous les bus, tous les trains express régionaux (TER) roulent au bon vieux diesel qui pue. Quant au fameux ferroutage ou aux transports fluviaux, réclamés par les Écologistes, ils sont resté dans les limbes... Combien faudra-t-il de ministres soi-disant amoureux de la nature et des petits oiseaux, pour voir enfin des propositions plus originales que le lancinant accroissement des impôts et taxes ?
Les Américains ont encore une longueur d’avance au plan technologique et l’Asie, notamment la Chine, dispose d’atouts pratiques puisque la plupart des batteries y sont fabriquées. L’Europe est une fois encore prise au dépourvu. Les grandes firmes allemandes mettent les bouchées doubles pour proposer sous peu à leur clientèle des modèles équivalents aux Tesla, mais on peut être plus que dubitatif sur l’initiative bureaucratique qui consiste à injecter des milliards d’euros dans la mise en place d’un “Airbus des batteries”.
N’est-ce pas déjà le temps de regrets ?
Et comment fera l’État pour pallier le manque à gagner dû à la désaffection pour les produits pétroliers. Va-t-il se mettre à taxer l'électricité plus qu'il ne le fait déjà ?

07 mai 2019

Glyphosate: Tout Et Son Contraire

De deux choses l’une. Soit les agences nationales sont peuplées d'imbéciles et de fieffés menteurs qui se contrefichent de la santé des contribuables qui les financent, soit la rumeur est insane, ainsi que les médias qui la véhiculent, tendant à considérer le glyphosate comme une horreur à bannir absolument, tant il est hautement cancérigène pour l’être humain.

Nul besoin de revenir sur la nocivité alléguée de cet herbicide, commercialisé (entre autre) par la firme Monsanto. On nous en rebat les oreilles à longueur d’année et c’est devenu un fait établi pour l’Opinion Publique. C’est fort de cette notion que l’État (à l’initiative de l’ineffable Ségolène Royal) a cru bon d’interdire la vente de ce produit aux particuliers et s'est fixé l’impératif catégorique de faire de même pour les agriculteurs aussi vite que possible. C’est également en excipant de cette idée reçue que les tribunaux se sont crus autorisés à condamner Monsanto à des amendes astronomiques destinées à indemniser les prétendues victimes.

On parle moins des observations d’experts, venant régulièrement non pas nier, mais au moins relativiser cette toxicité et à tout le moins à considérer qu’elle est acceptable moyennant quelques protections, en regard des avantages que le produit procure à l’agriculture.
J’avais relaté il y a quelques temps les résultats d’une très vaste étude, portant sur plus de 60.000 personnes exposées pendant 20 ans au glyphosate, et qui ne trouvait “aucun lien entre cette substance et toute tumeur solide ou lymphome...”
Plus récemment, le magazine Le Point révélait que « Toutes les agences sanitaires indiquent que le glyphosate ne présente pas de risque ». Il se faisait ainsi l’écho de Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de la revue Science et Pseudo-Sciences et membre de l’Association pour l’Information Scientifique (AFIS), dont le but est de lutter contre la désinformation en matière scientifique. Vaste programme comme dirait le grand Charles, car les sujets ne manquent pas, sur lesquels circulent les idées les plus irrationnelles voire carrément folles, car aussi péremptoires que dénuées de tout support objectif: OGM, vaccins, alimentation, énergie nucléaire, homéopathie, ondes électromagnétiques, paranormal, psychanalyse, astrologie…

Enfin tout dernièrement, c’était Le Figaro qui relayait l’information venue de l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA) selon laquelle “le Glyphosate n’est pas cancérigène !”
C’est évidemment en contradiction flagrante avec plusieurs décisions récentes de justice dont celle retentissante d’un jury de San Francisco, accordant 80 millions de dollars de dommages et intérêts à un plaignant qui accusait le RoundUp de lui avoir provoqué un cancer. Sa plainte s’appuyait sur le nébuleux avis rendu en 2015 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), classant, en vertu du principe de précaution et de quelques observations animales, le glyphosate parmi les produits «probablement cancérigènes pour les humains.»

Cette controverse édifiante illustre la versatilité des faits et croyances à notre époque. En dépit des avancées scientifiques et des facilités d’accéder aux sources d’information et de les croiser, nous n’avons en définitive guère fait de progrès depuis le moyen-âge. Il est navrant de constater que les opinions subjectives priment toujours sur celles qui se fondent sur des données objectives.
C’est extrêmement inquiétant pour l’avenir. L’Homme 
est le seul animal capable de modifier son environnement de manière consciente, ce qui lui confère une lourde responsabilité, mais il ne saurait affronter les défis qui se dressent face à lui en donnant la même importance aux suppositions qu’aux observations, aux principes qu’à la réalité, et il devrait se souvenir qu’aucun raisonnement digne de ce nom ne peut à la fois prétendre une chose et son contraire...