28 avril 2024

Le Mois Ozu 10

Le Goût du Riz au Thé Vert

Il y a plus qu'une once d'amertume dans cette sympathique comédie de mœurs dépeignant la complexité des relations sentimentales et la difficulté qu'ont les êtres humains, et notamment maris et femmes, à se comprendre.
Derrière la rébellion d'une jeune fille que ses parents destinent a un mariage arrangé, c'est toute la problématique du couple, et de la place qu'y occupent l'amour et la raison, qui est posée par Ozu.
On trouve ici la retenue, la pudeur, l'élégance et l'humour qui sont la marque de son œuvre. Tous les personnages sont très attachants, même lorsqu'ils se disputent ou qu'ils pratiquent de doux mensonges pour se ménager quelque jardin secret.
En définitive, comme le dit bien le titre, le mariage, avec ses délices et ses vicissitudes a bien le goût du riz au thé vert...

1952 Noir et Blanc Shin Saburi, Koji Tsuruta, Chishu Ryu, Keiko Tsushima

27 avril 2024

Le Mois Ozu 9

Eté Précoce

Dans un Japon on ne peut plus fidèle à ses traditions et à son art de vivre, perce sous l'œil aigu de la caméra d'Ozu une liberté parfois étonnante. Après le Printemps Tardif, vient cet Eté Précoce, où l'on retrouve, comme si on était devenu familier de son univers tranquille, la charmante Setsuko Hara, alias Noriko. Elle était dévouée à son vénérable père, incarné par Chishu Ryu, elle est ici sous la tutelle bienveillante mais quelque peu étouffante du même, devenu pour la circonstance, son frère.
Sous un même toit, c'est toute une famille, et trois générations, qui semblent liées par un solide ciment affectif. Des grands-parents empreints de sagesse jusqu'aux aux petits enfants quelque peu turbulents, tout ce petit monde vit en bonne intelligence.
Mais, parce que c'est dans la nature des choses, la jeune femme, encore célibataire, devra peu à peu s'affranchir de cette douce étreinte. Le parcours initiatique obéira à la calme et toujours souriante détermination de l'héroïne, devant laquelle va s'ouvrir la perspective assumée d'une famille recomposée.
Tous les ressorts classiques de l'épopée domestique, dont Ozu est devenu le chantre, sont présents, pour le plus grand bonheur du spectateur.

1951 Noir et Blanc, avec Setsuko Hara, Chishu Ryu, Chikage Awashima, Zen Murase

25 avril 2024

Le Mois Ozu 8

Crépuscule à Tokyo

Ce film dont le titre dit assez le caractère crépusculaire, s'attache à explorer en profondeur les relations intimes sur lesquelles repose la cellule familiale dans un Japon moderne, mais encore rattaché par toutes ses fibres aux traditions ancestrales.
Où l'on voit que l'émancipation des esprits et la libération des mœurs ne se font pas sans douleur. Une fois n'est pas coutume, le foyer qu'on découvre ici est en proie à des déchirures profondes. Elles pèsent lourdement sur le quotidien, et finissent même par conduire au drame, sans qu'il soit possible de rien faire pour l'éviter.
Ici, la défaillance coupable d'un des deux parents est une des sources du mal, par la sensation du manque et les incertitudes qu'elle génère.
La photographie très soignée, tirant parti de savants clairs obscurs, la lenteur et les silences quasi hiératiques de la mise en scène magnifient tout le tragique de ce récit.
Tout n'est cependant pas désespéré car à la fin, comme souvent chez Ozu, s'imposent la figure tutélaire bienveillante du père, superbement incarnée par Chishu Ryu et celle stoïque et dévouée de sa fille ainée, non moins bien représentée par Setsuko Hara. On a là sans nul doute un vrai chef d'œuvre cinématographique, subtil, poignant, intense...

1957 Noir et Blanc, avec Chishu Ryu, Setsuko Hara, Ineko Arima

24 avril 2024

Le Mois Ozu 7

Printemps Tardif

Entre l'amour filial confinant à la dévotion pour son père, veuf, et le besoin naturel d'accomplir sa propre existence en se mariant, une jeune femme balance douloureusement.
Il en est à peu près de même pour l'homme vieillissant que tous les gestes et toutes les nécessités du quotidien rattachent à sa fille.
Par la force des choses, la raison gagnera et le déchirement s'accomplira, non sans peine.
Ozu dépeint cette confusion des sentiments avec un lyrisme aussi poignant qu'épuré. Il n'y a rien de trop dans ce récit d'une grande sensibilité et lorsque la fin du film approche, les plans fixes sur les extatiques jardins japonais, sur les intérieurs vides impeccablement rangés, et sur le mouvement répétitif des vagues au bord d'une plage, font ressentir la vanité des choses et l'éternité de l'amour, tout à la fois...

1949 Noir et Blanc avec Setsuko Hara et Chishu Ryu

21 avril 2024

Le Mois Ozu 6

Le Goût du Saké

Les thématiques abordées par Ozu tournent souvent autour de la cellule familiale, de ses tiraillements affectifs et de sa confrontation avec la modernité.
On trouve ici ces ingrédients, magnifiés par une nostalgie tout en retenue et discrétion. C'est l'ultime regard du cinéaste sur ce Japon au raz du sol, qu'il affectionne mais qui semble en voie de doux anéantissement. La faute ici au vieillissement qui marque de son empreinte croissante les êtres.
L'alcool, comme dans beaucoup de films, est très présent, et l'ivresse agit comme un lénifiant, hélas illusoire, à ces poignants rites de passage. Les femmes sont toujours émouvantes, classieuses et fortes même quand les hommes qui les aiment veulent donner un coup de pouce bien intentionné mais parfois inopportun à leur destin.
Tout cela est montré sans acrimonie, mais avec un fatalisme souriant, qui entre en harmonie avec la simplicité bien ordonnée des lieux, même lorsqu'il ne s'agit que de modestes immeubles entourés d'usines et cernés de disgracieux poteaux et fils électriques. Quelques chétives enseignes lumineuses subliment ici et là cet humble mais troublant spectacle.

1962, Couleurs avec Chishu Riyu, Keiji Sada, Shima Iwashita, Mariko Okada

19 avril 2024

Le Mois Ozu 5

Fleurs d'Equinoxe

Plus on rentre dans l'œuvre de Yasujiro Ozu, plus on comprend qu'elle constitue un ensemble de variations sur un thème unique : celui de la famille japonaise.
Elle apparaît profondément unie, mais se trouve confrontée aux mutations de la société, évoluant entre tradition et modernité.
Cet opus, filmé pour la première fois en couleurs, décrit les difficultés de compréhension inter générationnelles. On y voit s'amender le schéma patriarcal classique, et l'homme contraint de s'incliner peu à peu devant la douce et parfois malicieuse mais inflexible volonté des femmes. On y perçoit également, à travers le conflit opposant un père à sa fille, puis leur réconciliation, l'irrépressible émancipation de la jeunesse, vue par une lorgnette résolument optimiste.
Comme toujours, le récit est lent et minimaliste mais à condition d'avoir la patience de rentrer dedans, on peut savourer la sérénité, l'élégance et même l'humour distancié dont il est imprégné.


1958, couleurs avec Shin Saburi, Chishu Ryu, Nobuo Nakamura, Ryuji Kita, Keiji Sada

17 avril 2024

Le Mois Ozu 4

Fin d'Automne

On trouve dans ce film, de la dernière période, en couleurs, d’Ozou, tout ce qui fait le charme de ce cinéma japonais qui sait si bien traiter avec légèreté des sujets de société les plus graves.
Au prétexte d’une banale histoire de mariages arrangés, la caméra explore avec grâce et sérénité, les tréfonds de l’esprit humain et la relativité des sentiments et notamment des bonnes intentions. Des vues intérieures cadrées avec un art savant de la géométrie, aux tenues élégantes et soignées des personnages, en passant par leur jeu tout en retenue polie et sourires affables, tout est ordonné, clair et calme, quasi intemporel. Il y a de la gravité, de la finesse dans ces petits drames du quotidien, ce qui n’exclut pas, comme à l'accoutumée, une touche subtile d’humour.

1960, couleur, avec Setsuko Hara, Yoko Tsukasa, Mariko Okada, Chishu Ryu, Keiji sada, Shin Saburi

15 avril 2024

Le Mois Ozu 3

Voyage à Tokyo

Ozu rayonne dans toute sa splendeur, avec ce long métrage en noir et blanc, filmé au raz du sol, de manière quasi hiératique, tout en plans fixes, sublimant ces visages souriants, même dans la détresse, qui semblent parfois interroger le spectateur. Lequel ne doit pas décrocher face à cette lenteur extrême car avec un peu de patience, le spectacle devient envoûtant.
Au seuil du grand âge, un couple provincial est invité par ses enfants travaillant à la capitale. Le voyage ne se déroule pas tout à fait comme prévu et se complique même d'un drame, lequel va mettre crûment en lumière la vanité du quotidien, trop accaparant, face à l'essentiel, trop souvent négligé.
Au sein du cercle familial, confronté aux turbulences de la vie moderne, l'âme humaine est ici filmée avec pudeur, humilité, mais avec une profondeur, un sens tragique et une grâce quasi indicibles.

1953 Noir et Blanc, avec Setsuko Hara, Chishu Ryu, Chieko Higashiyama

12 avril 2024

Le Mois Ozu 2

Bonjour


Introduite par ce titre un brin désinvolte, il s'agit d'une charmante compilation de saynètes familiales se déroulant dans un village japonais traditionnel.
L'époque est marquée par l'irruption du modernisme incarné par les lave-linges, sujets de convoitise, de jalousie et de malentendus, jusqu'à provoquer de vaines querelles de voisinage, et surtout la télévision, qui fascine les enfants et interroge les parents.
Filmée de manière très minimaliste, c'est une sorte d'ode à la vie simple, bornée par des repères relevant de la sagesse et du bon sens. Le récit de ces microscopiques aventures est traité avec humour, tout en explorant, plus en profondeur qu'il n'y paraît, l'âme humaine.

1959, couleurs, avec Chishu Ryu, Kuniko Miyake, Masahiko Shimazu, Koji Shigaragi

10 avril 2024

Le Mois Ozu 1

Avril, le printemps tardif rime avec le titre d’un film du cinéaste japonais Yasujiro Ozu (1903-1963).
Opportunément signalée par un ami, la rétrospective de son œuvre, donnée par ARTE, permet de s’en faire une belle idée (disponible sur arte.tv jusqu’au 29 avril).
Pour ma part, je suis tombé, de manière totalement imprévue, sous le charme de ces portraits de famille très subtils, qui dépeignent dans le même temps la société nipponne, du sortir de la terrible guerre dont Hiroshima fut l’horrible point d’orgue, jusqu'au tout début des années soixante.

Le regard d’Ozu est très aigu et fataliste à la fois (dans l'ultime Goût du Saké, discutant avec un ami, accoudés à un bar, des conséquences qu'aurait eu la victoire japonaise, un des personnages lâche avec un soupçon de dérision : “en somme, on a bien fait de perdre...”). Mais il est également d’une grande tendresse pour cet univers élégant, impérial et pétri de tradition, qui se trouve brutalement confronté au vertige attirant mais pernicieux de la modernité et à la montée irrésistible de la technique.

A partir des dix films proposés, l’idée m’est venue de peupler ce mois printanier d’autant de commentaires critiques, aussi brefs que possible, dans l'esprit des haïkus.
L’objectif est de couper un peu avec le vacarme de l’actualité, le tumulte des polémiques, l’abrutissement des slogans et des propagandes, ne serait-ce que pour attendre le retour des beaux jours...

Dans l’ordre: