29 avril 2021

Du Protectionnisme et de ses méfaits

On oublie souvent que la science économique est régie par des lois naturelles. Point n’est besoin d’en rajouter d’autres, artificielles, l’essentiel étant de bien comprendre celles qui s’imposent d'elles-mêmes, pour les exploiter à notre avantage, comme en physique, en chimie ou bien en médecine.

Le protectionnisme fait partie de ces lieux communs qui reviennent sans cesse sur le tapis comme solution miracle alors qu’il relève des lubies dont l’inanité a cent fois été démontrée.
Supposé s’opposer au Libre-Échange, il couvre en réalité un champ beaucoup plus étendu. On le trouve aussi bien dans les lois “protégeant” les locataires de la cupidité supposée des propriétaires, on le trouve dans nombre de celles qui ont la prétention de défendre les salariés contre la rapacité des employeurs, dans celles qui encadrent de leur bienveillance asphyxiante certaines professions, et plus généralement, dans toutes celles qui rognent les libertés au nom de l’intérêt des “usagers”, en matière de santé, d’enseignement, d’installation commerciale… La quasi totalité de ces protections sont des leurres, certes bien intentionnés, mais dont l’effet aboutit souvent à l'inverse de ce qui était souhaité.
Au nom du protectionnisme, il n’est pas difficile de démontrer qu’on dénature les échanges commerciaux, en créant de l’inflation, en diminuant le pouvoir d’achat, en bridant concurrence et progrès, en alimentant la contrebande et au bout du compte, en transformant de paisibles marchands en dangereux criminels.

Le commerce reposant sur des échanges “gagnant-gagnant”, il est extravagant qu’on veuille pervertir le marché par des taxes ou des réglementations contraignantes à seule fin de faire rempart aux importations de produits étrangers. Cela conduit en effet à empêcher ses partenaires de vendre leurs produits au juste prix, c'est-à-dire celui dicté par la loi naturelle de l’offre et de la demande.
La conséquence la plus immédiate généralement constatée, est l’augmentation réciproque des taxes à titre de représailles (le protectionnisme prend
dans ce cas de figure tout son sens et sa seule légitimité…). Ainsi, ce qu’on gagne en limitant les importations, on le perd en freinant les exportations. Le bilan est nul, sauf bien sûr si l’on n’a rien à exporter, ce qui n'est certainement pas une situation enviable…
Il s’ensuit généralement une dégradation des relations internationales, et l’enclenchement d’une spirale infernale conduisant à l’augmentation des prix et à la raréfaction de l’offre, voire à la pénurie comme on le voit régulièrement dans les pays jusqu’au-boutistes en matière de socialisme.
Au surplus, ces taxations agressives masquent souvent l’incurie des Pouvoirs Publics, qui de facto en profitent pour désigner des boucs émissaires. Ainsi, on accuse régulièrement la Chine et toute l’Asie de casser nos emplois par leurs exportations massives de produits bon marché. Si c’était vrai, comment expliquer que notre voisin direct, l'Allemagne, soumise à la même pression commerciale, soit beaucoup plus épargnée que nous par le fléau du chômage, et qu’elle reste envers et contre tout une grande puissance exportatrice ?
Selon la même logique, l’opinion publique a tendance à croire que l’automatisation de certaines tâches conduit à supprimer des emplois. Mais comment se fait-il que les pays les plus robotisés au monde, le Japon, les États-Unis, et l’Allemagne, soient parmi ceux qui affichent les plus faibles taux de chômage ?

En économie, comme le faisait remarquer avec beaucoup de justesse et d’humour Frédéric Bastiat, il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Les belles théories, les gentils principes et certaines évidences apparentes sont souvent mis en défaut par la brutale réalité.
Dans un ouvrage désopilant, l’économiste et philosophe américaine Deirdre McCloskey s’amuse à pointer “les péchés secrets de la science économique” et à démêler le faux du vrai. A cette occasion, elle rappelle un épisode historique méconnu, qui montre clairement le caractère généralement malfaisant du protectionnisme.
Sur une période de dix ans au XVIIIè siècle, selon l’historien suédois Eli Heckscher, dont elle cite l’ouvrage consacré au mercantilisme, l’État français a envoyé des dizaines de milliers d'êtres humains aux galères et en a pendu au bas mot 16.000, au motif qu’ils avaient commis le crime épouvantable…. d’avoir fait venir à des fins commerciales de la toile de calicot fabriquée et imprimée en Inde !
En France, parmi les innombrables et parfois ubuesques réglementations protectrices et corporatistes promulguées par Colbert, figuraient en effet l’interdiction d’importer ces tissus. En Angleterre, des législations similaires introduites en 1700 et 1721 sévirent jusqu’en 1774.
Outre leur sauvagerie meurtrière à l’encontre de ceux qui osaient les transgresser, ces lois se révélèrent largement inefficaces, tant il y eut de contournements (notamment par le biais des futaines que la loi avait oubliées...). Au surplus, elles pénalisèrent les échanges avec l’Extrême-Orient, et contribuèrent à étouffer le dynamisme industriel, qui se réveilla, surtout chez nos voisins britanniques, dès lors que ces ukases absurdes furent abrogées…

Les péchés secrets de la science économique Deirdre McCloskey Editions Markus Haller 2017 (édition française)
Mercantilism Eli Heckscher 1935
Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas Frédéric Bastiat

28 avril 2021

Controverse vaccinale

Le COVID-19 n’a pas fini de susciter débats et controverses. Autour de ce maudit virus, la communauté scientifique s’écharpe depuis des mois et les béotiens ont pu entendre ou lire à peu près tout et son contraire. Les Pouvoirs Publics, qui doivent toujours donner l’impression de maîtriser les situations les plus difficiles et montrer en toute circonstance qu’ils ont une stratégie claire et déterminée, sont quant à eux dans une panade noire, contraints qu'ils sont de faire alterner dans la plus grande confusion ordres, contre-ordres et toutes sortes d’injonctions contradictoires.

L’arrivée des vaccins, dont l’efficacité s’impose comme une évidence, laissait entrevoir une embellie radieuse, voire la fin du cauchemar.
Las ! Alors qu’une campagne vaccinale intensive porte ses fruits dans plusieurs pays et qu’elle prend de l’ampleur en France, la confiance du public, déjà fragile, est ébranlée par une série d’aléas touchant plusieurs vaccins, dont celui produit par la firme Astra Zeneca.
Il cristallise en effet tout ce qu’on peut faire de pire, à tous points de vue. Pour tout dire, il s’agit d’un vrai fiasco dans lequel les responsabilités sont multiples. Celle du Gouvernement n’est pas des moindres...

Les premiers ennuis sont apparus très précocément, lors des études cliniques. En septembre 2020, on apprenait en effet l’interruption de l’essai multicentrique en raison de la survenue d’un incident potentiellement grave (dont on ne dévoila jamais la nature).
A peine reprise, l’expérimentation fut à nouveau chahutée suite à une erreur technique qui fit paradoxalement découvrir qu'une demi-dose était plus efficace qu’une entière…
Suivirent plusieurs micmacs dans les livraisons. Bien que le laboratoire ait fait le choix louable de commercialiser son produit à prix coûtant, de nombreux griefs lui ont été reprochés. Des commandes ne furent pas honorées à hauteur de ce qui avait été promis, et pire, des suspicions de détournement de stocks entiers ont été évoquées. Bref, c’est toute l’Europe qui s’est trouvée quasi ridiculisée.

Mais le plus grave était à venir:
En début d'année on décréta qu'il fallait éviter d’utiliser ce vaccin chez les gens de plus de 65 ans, pour cause d'inefficacité (dixit Emmanuel Macron en personne). En conséquence, on proposa le produit aux jeunes personnes “éligibles”, notamment les soignants, avant de constater des effets indésirables rares mais gravissimes. On assista dès lors à un complet revirement. On stoppa la vaccination de ces populations et on repartit sur celle des plus de 55 ans, chez lesquels on décida qu'il était redevenu efficace, mais sans que personne n'expliquât le choix de ce nouveau seuil puisque les accidents touchaient à l’évidence tous les âges... Dans la foulée, on préconisa pour les infortunés jeunes primo vaccinés un autre vaccin pour la 2e injection ! Merci pour eux, mais pas très rassurant, ce d’autant que dans le même temps, on éprouva le besoin de changer le nom du vaccin. D’astrazeneca, il est devenu l’imprononçable vaxzevria, pour faire oublier les fâcheux désagréments...

Cerise sur le gâteau, si le vaccin a une efficacité acceptable sur le variant anglais, désormais majoritaire en France, force est de constater que les variants sud-africain et probablement brésilien et indien lui sont résistants (son utilisation a d'ailleurs été proscrite en Moselle pour cette raison).
Comment justifier la poursuite de l’utilisation de ce produit alors que tout porte à croire que ces mutants constituent dès à présent la nouvelle menace ? Que dira-t-on aux gens vaccinés si la menace devient réalité d’ici quelques semaines ?
Rappelons au passage que sur les formes "classiques" du virus, l'efficacité généralement constatée n'est que de 76% alors qu’elle atteint en général 97% pour les vaccins à ARN messager.
Rappelons enfin que le vaccin d’Astra Zeneca n’est toujours pas autorisé au États-Unis, et qu’il ne le sera probablement jamais. En Europe, beaucoup de pays ont imposé des limites strictes à son utilisation et d'autres, tel le Danemark, l'ont déjà stoppée.

Décidément, les vaccins classiques n’ont plus la cote. Conçus à partir de virus vivants “non replicatifs”, modifiés génétiquement pour porter le message antigénique du COVID, ils entraînent des effets secondaires certes très rares mais très graves, possiblement par stimulation d’auto-anticorps interférant avec la coagulation. Ces accidents peuvent être mortels ce qui est difficile à accepter, sachant que les nouveaux produits basés sur l’ARN messager paraissent eux totalement dépourvus de tels inconvénients, qu’ils sont sensiblement plus efficaces, et au surplus,
 faciles à faire évoluer en cas d’apparition de variants.
Même si on nous rabâche que la fameuse “balance bénéfice-risque” reste “globalement favorable” à l'astrazeneca, comment ne pas préférer être immunisé par les nouveaux produits puisqu’il y a le choix ?
Le Gouvernement a-t-il raison de s’entêter à convaincre les hésitants et les récalcitrants de se faire injecter envers et contre tout ce vaccin (jusqu’à en imaginer la promotion par la malheureuse Sheila ) ?
Sous la férule de leur général en chef, nos sémillants ministres ont déclaré la "guerre" au virus, mais ils ont hélas à ce jour perdu toutes les batailles… Ne s'exposent-ils pas par leur obstination, à devoir affronter un nouveau scandale sanitaire ?
Heureusement, comme en 44 les Américains ont débarqué avec leurs armadas nommée Pfizer et Moderna. Puissent-ils parvenir à bouter enfin cet agent infectieux loin, très loin, au fin fond des mauvais souvenirs...

23 avril 2021

Par delà le Bien et le Mal ? (3)

A côté des grandes thématiques philosophiques dont il faut rassembler les éléments épars à la manière d’un puzzle, on trouve dans Par delà le Bien et le Mal, quantité d’incises sur des sujets très divers.
On trouve parmi celles-ci des considérations sur la femme qui pourraient rendre fou plus d’un(e) féministe. Qu’on en juge par quelques citations explicites :
“En comparant, dans leur ensemble, l’homme et la femme, on peut dire: la femme n’aurait pas le génie de la parure, si elle ne savait pas par instinct qu’elle joue le second rôle…”
“La femme veut s’émanciper: et cause de cela elle se met à éclairer l’homme sur la femme en soi. C’est là un des progrès les plus déplorables de l’enlaidissement général de l’Europe….”
“La femme dégénère… Depuis la Révolution française l'influence de la femme a diminué dans la mesure où ses droits et ses prétentions ont augmenté.. Nier l’antagonisme profond et la nécessité d’une tension hostile entre l’homme et la femme, Rêver de droits égaux, d’éducation égale, de prétention et de devoirs égaux, voilà des indices typiques de la platitude d’esprit..”
“Qu’importe la vérité à la femme ? Son grand art est le mensonge…”
“N’est-il pas vrai que, tout compte fait, “la femme” a surtout été mésestimée par les femmes et non par nous ?”
“Même les femmes, au fond de leur vanité personnelle, ont toujours un mépris impersonnel pour “la femme”...”

Et pour finir, voici quelques réflexions ciselées dans le marbre d’un froid mais étincelant nihilisme :
“Les cloîtres, maisons de correction de l'âme…”
“L’amour d’un seul est une barbarie, car il s’exerce aux dépens de tous les autres. De même l’amour de Dieu…”
“Celui qui a plongé son regard au fond de l’univers devine très bien quelle profonde sagesse il y a dans le fait que les hommes sont superficiels..”
“Vivre, n’est-ce pas précisément l’aspiration à être différent de la nature ?”
“Gardez-vous des principes téléologiques superflus”
“Personne ne ment autant que l’homme indigné”
“Tout ce qui est profond aime le masque”
“Le criminel n’est souvent pas à la hauteur de son acte: il le rapetisse et le calomnie…”
“L’objection, l’écart, la méfiance sereine, l’ironie sont des signes de santé. tout ce qui est absolu est du domaine de la pathologie”
“C’est dans la France contemporaine, comme il est facile de le montrer et de le démontrer, que la volonté est le plus malade.”
“Le philosophe en sa qualité d’homme nécessaire de demain et d'après-demain, s’est toujours trouvé et a dû se trouver toujours en contradiction avec son époque...”

Au sortir de cet ouvrage, l’impression est plus que jamais confuse, car si les idées, les concepts et les théories volent parfois très haut, c’est en toutes directions, sabrant souvent le bon sens, décapitant nombre de préjugés, tordant le cou à quantité d’idées reçues, mais ne permettant pas l’édification d’une construction solide.
Avec Gustave Thibon*, on peut faire le constat que “chez Nietzsche, la doctrine est toujours déterminée par les passions et les réactions de l'homme.” Dans son discours, on trouve de tout : “l’aigle et le serpent, l'éclair et le nuage, le démon qui ricane et l’ange qui bénit.../… La mesure apollinienne s’allie à l’ivresse dionysiaque, la lucidité, la réserve ondoyante du sceptique rejoignent l’ardeur aveugle du mystique; du pessimisme le plus sombre, jaillit l’espérance la plus radieuse; chaque chose est grosse de son contraire et tout cela alterne et se mêle dans une ronde à laquelle il faut participer pour en percevoir la mystérieuse harmonie…”

D’une seule phrase, terrible, Nietzsche révéla le superbe mais tragique isolement dans lequel il s’était lui-même enfermé : “Depuis ma plus tendre enfance”, écrivit-il à sa sœur, “je n’ai jamais trouvé personne qui partageât la détresse de mon cœur et de ma conscience.../… Je n’ai ni dieu, ni amis…” Tout est dit… A force d’avoir rejeté le monde, il se trouvait confronté à l’impossibilité de son fabuleux dessein et à l'absurdité de son projet...

* Nietzsche où le déclin de l'esprit. Gustave Thibon. Fayard.

17 avril 2021

Par delà le Bien et le Mal ? (2)

Dans sa démarche de destruction des valeurs morales, loin de s’arrêter aux considérations sociétales,
Nietzsche s’attaque à "un autre préjugé moral", qui est de “croire que la vérité vaut mieux que l’apparence.”
Cette attitude, qui ressemble à un retour en arrière anti-copernicien, l'amène, à force de pousser le raisonnement jusqu’à l’absurde, à poser une question existentielle fondamentale : “Pourquoi le monde qui nous concerne ne serait-il pas une fiction ?” et à se demander in fine, “pourquoi une fiction nécessiterait-elle un auteur ?”
Il évacue au passage la problématique du libre arbitre. Ses propos sur le sujet sont lapidaires : “Ce n’est certes pas le moindre charme d’une théorie que d’être réfutable. Je crois que la théorie cent fois réfutée du libre arbitre ne doit plus sa durée qu’à cet attrait…”
Pour Nietzsche, cette notion n’exprime tout au plus “qu’une supériorité vis-à-vis de celui qui doit obéir : Je suis libre, il doit obéir…”
Comme il n’est pas avare de contradictions, il précise que si quelqu’un s’avise de “la naïveté grossière de ce concept monstrueux, et qu’il souhaite le retrancher de son cerveau, je le prierai de faire un pas de plus et se retrancher également le concept contraire de déterminisme !” 
Mais que reste-t-il, si nous ne sommes ni libres, ni déterminés ?

Le nouveau démiurge ayant décrété que le monde était une fiction dénuée de morale et même de créateur, il peut, à la manière de Prométhée, s’arroger le droit de proclamer que “Dieu est mort”.
Dès lors que le feu sacré est tombé des cieux, tout devient permis. Il n’y a plus ni bien ni mal, et la religion doit être honnie comme étant “le sacrifice de toute indépendance, de toute fierté, de toute liberté à l'esprit. Ravalée au rang de “servilité”, “d’insulte à soi-même”, de “mutilation de soi”, la foi n’a plus de raison d’être ici-bas et pas davantage évidemment ses “trois dangereuses prescriptions: la solitude, le jeûne, la chasteté..”
Curieusement Nietzsche garde toutefois une certaine indulgence pour l’Ancien Testament. Ce qu’il ne supporte pas, c’est qu’on lui ait accolé le Nouveau, “au goût si rococo”, pour en faire la Bible. C’est à ses yeux, “le plus grand péché que l’Europe littéraire ait sur la conscience !”

Les deux religions qui ont régné durant des siècles sur l’Europe seraient donc pour l’imprécateur moustachu, “une des principales causes qui ont maintenu le type “homme” à un niveau inférieur…” Elles auraient grandement contribué à “briser les forts, affadir les grandes espérances, rendre suspect le bonheur dans la beauté, abattre tout ce qui est souverain, viril, conquérant et dominateur, écraser tous les instincts qui sont propres au type “homme” le plus élevé et le mieux réussi, pour y substituer l’incertitude, la misère de la conscience, la destruction de soi…”
Le résultat d’un tel avilissement, nous l’avons sous les yeux : c’est “une espèce amoindrie, presque ridicule, une bête de troupeau, quelque chose de bonasse, de maladif et de médiocre, l’Européen d’aujourd’hui..”
De ce point de vue, les nouveaux philosophes (issus des Lumières…) sont les alliés de facto des Églises. Ce sont des niveleurs : “ce à quoi ils tendent de toutes leurs forces, c’est le bonheur général des troupeaux sur le pâturage, avec la sécurité, le bien être et l’allègement de l'existence pour tout le monde” Les deux rengaines qu’ils chantent le plus souvent, sont “égalité des droits” et “pitié pour tout ce qui souffre”, et “ils considèrent la souffrance elle-même comme quelque chose qu’il faut supprimer.”
Après avoir éliminé Dieu, il faudrait donc abandonner le mouvement démocratique qui est “une forme de décadence, c'est-à-dire de rapetissement chez l’homme, comme le nivellement de l’homme et sa diminution de valeur”; c’est en d’autre termes, “l’abêtissement de l’homme jusqu’au pygmée des droits égaux et des prétentions égalitaires.”
Pour contrecarrer cette évolution débilitante, Nietzsche prône l’avènement du fameux “surhomme”. “Quel bien-être”, s’exclame-t-il, “quelle délivrance d’un joug, insupportable malgré tout, devient, pour ces Européens, bêtes de troupeau, la venue d’un maître absolu !”
C’est à Napoléon qu’il pense en l’occurrence, lui qui vint après “l’horrible farce” de la Révolution française, et qui résume à lui seul “l’histoire du bonheur supérieur, réalisé par ce siècle tout entier, dans ses hommes et dans ses moments les plus précieux.”

On a trop souvent assimilé ce désir d’ordre et de puissance aux diktats totalitaires qui allaient faire tant de ravages au XXème siècle, et on a fait un peu trop vite de Nietzsche le mentor de Hitler. S'il en fut hélas l'un des inspirateurs, il paraît clair que le national-socialisme ne fut qu’un avatar grossièrement dénaturé de sa pensée.
Il n’est pas difficile de s’en convaincre, car il est évident que Nietzsche détestait par avance à peu près tout ce que ces idéologies désastreuses portaient aux nues.
Il avait par exemple en horreur le nationalisme, opposé à l’union des peuples, qu’il souhaitait ardemment : “Grâce aux divisions morbides que la folie des nationalités a mises et met encore entre les peuples de l’Europe.../… on méconnaît ou on déforme mensongèrement les signes qui prouvent de la manière la plus manifeste que l’Europe veut devenir une…”
S’il voyait au sein de l'Humanité, des hommes "supérieurs", le racisme lui était manifestement étranger, et s’il faisait le constat que l’Allemagne avait “largement son compte de juif”, il ne partageait nullement l’anti-sémitisme qui commençait à monter dans l’esprit de ses contemporains. Il redoutait avec beaucoup de clairvoyance “les déchaînements et les malfaisantes et honteuses manifestations que provoque ce sentiment une fois débridé…”
Dans ses écrits, il exprime d’ailleurs une sincère admiration pour les Juifs, “incontestablement la race la plus énergique, la plus tenace et la plus pure qu’il y ait dans l’Europe actuelle !” Dans le même temps, il constate qu’ils “ont soif d’avoir un endroit où ils puissent enfin se poser et jouir enfin de quelque tolérance et de considération.” Étonnante anticipation de la création d’Israël…
On ne trouve enfin aucune sympathie pour le socialisme dont il donna dans un autre ouvrage (Humain trop humain) une définition très percutante, applicable aussi bien au national-socialisme qu’aux régimes d’inspiration marxiste-léniniste : “Le socialisme est le frère cadet du despotisme mourant dont il s’apprête à recueillir l’héritage: aussi ses efforts sont, en profondeur, réactionnaires. Il est avide en effet, de porter la puissance de l’État à un degré de plénitude que le despotisme n’a jamais connu; mieux encore, il renchérit sur tous les excès du passé, en ce sens qu’il poursuit méthodiquement la destruction de l’individu qu’il considère comme un luxe injustifié de la nature et qu’il prétend corriger en en faisant un membre bien réglé de l’organisme collectif…”
A suivre...

11 avril 2021

Par delà le Bien et le Mal ? (1)

Après avoir tourné pendant des années, qui me semblèrent des siècles, autour de cet astre tout à la fois ténébreux et flamboyant, je me suis enfin risqué à l'approcher…
J’ai donc plongé dans l’ouvrage de Friedrich Nietzsche (1844-1900) que j’avais à portée de main, afin d’explorer le monde étrange et redouté qui se situe Par delà le Bien et Le Mal.
Et j’ai découvert un étonnant patchwork anti-philosophique, fait de maximes, d’aphorismes et de sentences disparates. Une sorte de kaléidoscope multicolore dans lequel on peut trouver de vraies pépites mais aussi un foutoir confus, sans structure autre qu’une foule d’affirmations péremptoires, jetées tous azimuts, sans transition mais non sans périphrases et contradictions.
Pourquoi cette impression ?

Nietzsche commence par envoyer en enfer la philosophie et avec elle tous les philosophes qui ont eu le malheur de le devancer. De Platon à Schopenhauer, tout le monde y passe. Le premier parce qu’il a commis l’erreur d’inventer le socratisme qui introduisit l’utilitarisme dans la morale, autrement dit le ver dans le fruit....
Le ton est donné, mais ce n’est que le début du festival dévastateur.
Plus proche de nous, le vénérable Kant est méchamment tourné en dérision. Son “impératif catégorique”, et sa découverte de “la faculté morale de l’homme”, sont qualifiés “d’amphigouri germanique”, “prolixe, solennel”, “un étalage de profondeur”...
Dans la foulée, le lecteur est invité à se méfier “des jongleries mathématiques dont Spinoza a masqué sa philosophie” et des pensées de Pascal, trop marquées par la foi, laquelle s’apparente “à un continuel suicide de la raison”...
L’école anglo-saxonne n'est pas davantage épargnée. Elle est même traitée avec le plus profond mépris. Hobbes, Locke et Hume sont condamnés sans appel pour avoir été la cause, plus d’un siècle durant, “d’un ravalement et d’un amoindrissement de l’idée même de la philosophie…” Il faudrait donc, entre autres jugements expéditifs, réfuter absolument “l’esprit superficiel de Locke en ce qui concerne l’origine des idées…” mais aussi rejeter l’enseignement de Bacon, qui constitue “une attaque contre tout esprit philosophique”. Enfin, si Darwin, John Stuart Mill, Herbert Spencer sont qualifiés “d’Anglais estimables”, leur apport se cantonne à “des vérités qui ne pénètrent nulle part mieux que dans les têtes médiocres, parce qu’elles sont faites à leur mesure”...

En somme, pour Nietzsche, le péché fondamental des philosophes est de “créer toujours le monde à leur image”. Ils ne peuvent pas faire autrement car “la philosophie est cet instinct tyrannique, cette volonté de puissance la plus intellectuelle de toutes, la volonté de créer le monde, la volonté de la cause première…”
Mais comment suivre les errements d’un tel guide, fussent-ils parfois éclairés par des trouvailles géniales, fussent-elles incandescentes comme des scories sous le marteau brûlant du forgeron ? Comment trouver une cohérence à un discours aussi destructeur, aussi bourré de contradictions ? Et qu’est-il donc, s’il n’est pas philosophique ?
Son architecture a beau paraître claire, décomposée en chapitres sobrement intitulés, et subdivisée en réflexions numérotées avec un zèle d’entomologiste, il s’avère difficile d’y trouver un chemin logique. Tout au plus peut-on rassembler sous des chapeaux idéologiques les quelques constantes d’une pensée très éparpillée.

Prenons l’exemple de la Morale qui est un des sujets récurrents de l’ouvrage, dont le titre est au demeurant explicite de ce point de vue.
On comprend vite que celui qui se targuait de pouvoir faire parler Zarathoustra se positionne ailleurs qu’à l’endroit où végète selon lui le commun des mortels, en tout cas pas dans un monde régi par des canons éthiques classiques.
On a déjà vu comme il bouscule les concepts kantiens en la matière, on verra comme il piétine avec jubilation les fondamentaux religieux.
Pour Nietzsche, c’est simple, la morale, dans le sens de la “morale d’intention”, n’est rien d’autre “qu’un préjugé , une chose hâtive et provisoire peut-être, de la nature de l'astrologie et de l’alchimie…” C’est tout dire !
On a beaucoup glosé sur la distinction qu’il fait entre “morale des esclaves” et “morale des maîtres”, mais elle est tout sauf morale, et paraît tellement ambiguë dans son esprit qu’il en vient à admettre que “parfois les deux sont accommodées au sein de la même civilisation”, voire “au sein d’une même personne à l’intérieur d’une seule âme”... Comprenne qui pourra !
On ne peut toutefois pas lui retirer une certaine prescience lorsqu’il déclare consterné, que “partout où la morale des esclaves arrive à dominer, le langage montre une tendance à rapprocher les mots “bon” et “bête”...” N’est-ce pas la préfiguration de la correction politique, de la cancel culture, et du fatras de bien-pensance, de bienveillance, de remords et de mauvaise conscience qui rongent à présent nos sociétés ? (à suivre...)