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24 octobre 2023

Still Rolling


Sans transition, de Bach aux Rolling Stones !
A l’instar du chaos ambiant, rien ne s’oppose au mélange des genres, surtout s’il s’agit de musique qui, comme chacun sait, adoucit les mœurs…
Quoiqu'on en dise, un inédit des Rolling Stones, c'est un évènement. Inutile d'insister sur la carrière fabuleuse de ce groupe pop issu des sixties. Sans doute ces garçons devenus octogénaires n'ont-ils plus rien à démontrer, et sans doute leur initiative peut paraître quelque peu décalée par rapport à la mode actuelle.
N'est-ce pas l'album de trop ?

La jaquette à l'esthétique laquée mais impersonnelle et stéréotypée, n'a pas grand intérêt. Encore qu'on pourrait trouver à ce cœur de diamant brisé en mille morceaux par un couteau acéré, quelque allusion à la violence de l'actualité et l'explosion de haine à laquelle on assiste consterné.
S'agissant de la musique, en dépit d’assez nombreuses médiocres critiques, force est de constater que ça fonctionne encore, même si on a sans doute perdu un peu du grain de folie et d’ardeur juvénile qui faisait le sel du groupe de rock. Sex, drug and rock'n roll, le cocktail s'est bien affadi et le temps n'est plus celui du Flower Power.
Mais ça sonne encore bien. La musique regorge de rythme et d’énergie et le timbre inimitable de la voix de Mick Jagger est intact. Quand il n'éructe pas un rock acide et tonitruant, ses effets inimitables, mêlant lascivité et gémissement, sortent avec délectation de sa bouche à la fois sensuelle et carnassière. Les rides, l’émaciation des chairs n’ont en rien altéré la force du chant.
Dans cette collection de nouveaux titres on compte des rocks aux riffs bien agressifs, très entraînants à défaut d’être d’une originalité renversante : Angry, Get Close, Bite My Head Off (avec la participation robuste de Paul McCartney), Mess It Up, Whole Wide World.
Il y en a d’autres plus circonstanciés et pulpeux : Depending On You, Live By The Sword, Drive Me Too Hard
Il y a enfin de bonnes vieilles ballades langoureuses, telles Dreamy Skies, Sweet Sounds Of Heaven (on peut y entendre s’égosiller Lady Gaga et pour ceux qui ont l’oreille fine, le piano d’Elton John…).
Et avant de partir, deux petits blues. L’un susurré avec modestie et tendresse par Keith Richards (Tell Me Straight), l’autre résonnant comme l'oméga d’une aventure commencée dans le sillage du bon Muddy Waters : Rolling Stone Blues. En définitive; si les Stones ne se réinventent pas, ils font mieux qu’entretenir la flamme, ils l’attisent. Ça fait revenir des souvenirs enfouis des belles années passées trop vite, ce n’est pas si mal…

Par un hasard bienvenu, j’ai découvert via Youtube, un titre jamais édité, datant de 1997, Dream About. Incontestablement, il émane de cette chanson méconnue, un jus à la saveur supérieure à celle des décoctions présentes. Ligne rythmique hypnotique, petits accords acidulés à la guitare, et une mélodie ensorcelante, pour ne pas dire poignante, qui fait monter encore un peu plus la nostalgie...

09 août 2022

Dans la chaleur de l'été

C'est entendu, nous sommes foutus ! Rien ne va plus en ce trop bel été. Trop chaud, trop bleu, trop sec. Tout se conjugue pour faire de l’éden estival tant attendu un enfer. Hormis pour les vacanciers insouciants, l’avenir est sombre.
Si nous échappons à l’anéantissement nucléaire, qu'un simple malentendu pourrait provoquer, selon le secrétaire général de l’ONU, nous devrons bientôt à coup sûr faire face à la catastrophe climatique qui menace l'humanité d'extinction si l’on en croit les experts du GIEC et à leur suite nombre d’aréopages de savants.
Entre le marteau et l’enclume, et pour celles et ceux qui ne croient pas encore tout à fait à la fin du monde, il y a bien d’autres périls qui nous menacent au quotidien.
Les tensions internationales sont telles que la simple escale d’une vieille députée américaine à Taïwan déclenche un tsunami médiatico-militaire en extrême-orient. C’est un nouveau conflit qui semble s’amorcer là bas, alors que la guerre en Ukraine n’en finit pas de faire rage ! On ne sait d'ailleurs plus du tout ce qui se passe et il devient de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux lorsqu’on entend les gens d’Amnesty International, peu suspects de sympathie pro-russe, affirmer que les Ukrainiens installent des bases militaires dans les hôpitaux et les écoles ! Qui donc bombarde qui ? Qui joue avec le feu nucléaire en tirant des missiles en direction de la centrale de Zaporijia ?

Il y a bien des mystères insondables. Chez nous, les incendies ravagent des dizaines de milliers d’hectares sans qu’on sache, sauf exception, comment le feu naît. Sans doute par génération spontanée. Deux choses sont sûres, le climat a bon dos et les vrais coupables de bonnes planques. Pendant ce temps, on apprend un peu par hasard que les écolos, si bien intentionnés, s’opposent régulièrement par esprit de système, à tout projet de retenue d'eau destiné à pallier les effets des sécheresses et refusent les coupes d'arbres dans les forêts, qui permettraient pourtant de ménager des couloirs d'accès pour les pompiers et de stopper la progression des flammes.
Par un curieux retournement du fameux slogan soixante-huitard selon lequel il était interdit d’interdire, les auto-prétendus défenseurs de l’environnement se font les champions des taxes et des ukases réglementaires. Grâce à ces derniers on assiste à une pénurie inédite de moutarde et bientôt de colza, donc d'huile et de biocarburant…
Des contraintes similaires sont en train de détruire méthodiquement le secteur de la construction automobile et de faire courir le risque de carence énergétique. Ironie du sort, l'industrie pétrolière engrange des bénéfices records ! On imagine sans peine l’envie monstrueuse qui doit démanger tous les petits saints verts et besogneux de taxer ces super-profits ! Le gouvernement quant à lui ne sait plus où donner de la tête. Après s’être institué chef d’orchestre de l’inflation par ses distributions d’argent magique, il ne trouve rien de mieux à faire que de subventionner par des chèques et des ristournes la consommation de carburant !
On vit vraiment une époque formidable comme disait l’autre.

Faute de pouvoir intervenir, on se console comme on peut en ces temps de folie. On entend qu’il s’agit de l’été le plus chaud depuis 1959, mais on se souvient que l’an dernier c’était le plus humide et pluvieux depuis la même date. On attend donc sans impatience extrême le retour de la froidure et du mauvais temps.
On se lamente de voir l’État incapable de sanctionner un imam affilié en paroles si ce n'est en actes au terrorisme et coupable de malversations en tous genres, mais on se rassure en voyant la première des ministres nommer un ambassadeur aux droits LGBT+.
Et puis on regarde avec un certain émerveillement les Rolling Stones achever à Berlin leur tournée triomphale européenne marquant les soixante ans de leur carrière de rockers, même si elle a un parfum d’apothéose et de décadence…
It’s only rock n roll (but I like it) !

30 août 2021

Let It Roll, Charlie

Dire qu’il faut parfois que les gens disparaissent pour qu’on découvre l’essentiel de leur personnalité et la profondeur de leur âme...

On ne présente pas Charlie Watts, batteur en titre et membre fondateur des Rolling Stones.
ll était toutefois si discret, si modeste, qu'on remarquait à peine,
derrière le trio déchainé de rock stars embrasant l'avant scène, celui qui tenait de main de maitre les baguettes de la section rythmique. 
Pourtant, sans ce gentleman, toujours tiré à quatre épingles, toujours courtois, et aussi solide qu'un pilier de cathédrale, les Stones n'auraient sans doute pas eu la même présence, la même pérennité, la même puissance, le même panache…

Je savais que ce fameux groupe de Pop Music qui décoiffe et enchante la planète Rock depuis presque 60 ans, avait ses racines profondément ancrées dans le blues, mais j'ignorais tout de la carrière parallèle de son batteur, au service du jazz et du Boogie Woogie. Je découvre donc un peu tard mais avec beaucoup de plaisir et un brin de nostalgie les sessions endiablées auxquelles Charlie avait participé avec les pianistes Axel Zwingenberger, Ben Waters, et le bassiste Dave Green (The A,B,C & D of Boogie Woogie).
Marquées par un swing étincelant, elles s'inscrivent sans démériter auprès des légendaires et décapantes prestations du célébrissime quatuor britannique. A côté du déluge de watts célébrant avec fougue le Rock ‘N’ Roll, on trouve un Watts jazzy, tout simple, gai et rafraîchissant.

“Je suis béni”, disait Keith Richards, “le batteur avec qui j’ai commencé est l’un des meilleurs du monde. Avec un bon batteur, on est libre de faire tout ce qu’on veut !”
C'est donc un grand seigneur du Rock, du Blues, du Jazz et de la musique tout court qui s'en va...

21 juillet 2012

Fifty Years With Their Satanic Majesties


Il y a quelque chose d'assurément majestueux dans le parcours tonitruant des Rolling Stones. Ses ruptures, ses dévoiements, ses débordements insensés ne ternissent en rien la marque éblouissante qu'il a imprimée au sein de la constellation du Rock 'N Roll. 
 
Force est de reconnaître que ce qui ne devait durer qu'un instant, n'avoir pas plus d'importance dans la vie de la société que le mouvement zazou, ou bien je ne sais quelle mode éphémère, est devenu une véritable épopée. Une sorte d'effervescence versicolore devenue consubstantielle à l'univers dans lequel nous vivons, et ce depuis déjà un demi siècle !
Comme un cavalier fait corps avec sa monture, le monde contemporain chevauche une série d’événements qui l’entraînent irrésistiblement dans leur course tumultueuse et indécise. Et la musique rythme en quelque sorte cette cavalcade. Nés dans le grand capharnaüm de l'après guerre, le Blues, le Jazz, le Rock 'N Roll ont déboulé à toute allure dans le cours du monde dit moderne, voire post-moderne. Décadence diront certains, vertige poétique prétendront d'autres... 
Pour ma part j'aime à m'enivrer de ce continuum d'émotions, de rêveries et de vagabondages, que je vois éclore quelque part entre Novalis, Shelley, ou Hölderlin, passer par Poe, Baudelaire, Verlaine, ou Kerouac et se magnifier, entre autres, par l'apport des Stones. Oserais-je dire que j'éprouve parfois les mêmes frissons à l'écoute de ces derniers que de Bach, ou de Schuman ?
Allons, c'est évident, cet océan de sensations n'a pas de limite et n'a d'horizon que l'espoir et les chimères, les illusions et l'ivresse. De ce point de vue, les Stones n'ont pas peu contribué à abolir les frontières, au moins dans les esprits, tout en ébauchant les prémices d'un langage universel, indissociable de l'esprit de liberté.
Avec leurs riffs acides et leurs mélodies rustiques mais envoûtantes ils ont été l'un des moteurs d'une folle et improbable aventure, entraînant la dérisoire machine humaine jusqu'aux lisières de l'indicible. Lorsqu'une rengaine aussi simpliste que "I Can't Get No Satisfaction" fait le tour de la planète en ensorcelant invariablement et définitivement des nuées innombrables de jeunes gens, il faut se poser des questions. La rythmique au marteau pilon de cette antienne incontournable, assène en même temps que ses pulsations lascives, les effluves enfiévrés du bon vieux spleen romantique. Dans ces trépidations insatiables, il y a l'éternelle rébellion juvénile, l'impatience devant l'absurdité apparente et les mystères de l'existence...
Brian Jones (1942-1969) s'est noyé dans ce tourbillon qu'il avait voulu boire à pleins poumons. Le fou, l'intrépide aura frôlé les cimes de l'extase avant de s'abîmer dans le gouffre de la solitude . Les « Glimmer Twins », Mick Jagger et Keith Richards, en dépit de hauts et de bas, ont résisté à l'épreuve. Ils ont signé la quasi totalité des compositions qui paveront le chemin de Damas de ce groupe, des délires épicuriens d'enfants nés dans la partie prospère d'un siècle vertigineux, jusqu'à la sagesse et la résignation de vieux bonzes du blues...
S'il est un fait assuré dans cette alchimie parfois aléatoire, c'est que soutenue par les piliers bourdonnants du Rock, la musique étire en tous sens ses harmonies capiteuses et ses divagations incantatoires sur le fil ténu de ce Blues si bouleversant, si universel.
Dans une discographie foisonnante, j'ai tendance à retenir avant tout cette manière si originale d'interpréter ce questionnement récurrent sur le sens de la vie.
Ce sont bien sûr quelques perles tirées avec bonheur du répertoire classique (Love In Vain de Robert Johnson, Shake Your Hips de Slim Harpo, Prodigal Son du Rev. Wilkins, Confessin The Blues de Little Walter, You Gotta Move de F. McDowell...)
Il y a également les rocks vénéneux aux roulements lourds et entêtants dont les fameux déhanchements de Jagger décuplaient la force suggestive: Under my thumb, Rocks off, It's all Over Now, Brown Sugar, Let It Bleed, Jumping Jack Flash, Honky Tonk Woman, The Last Time, Happy, Tumbling Dice, Street Fighting Man, Dead Flowers, Can't You Hear Me Knocking, Mother Little Helper, Get Off Of My Cloud, Let Spend The Night Together...
Il y a les ballades langoureuses : As Tears Go By, Angie, Lady Jane, Ruby Tuesday...
Mais plus que nulle part ailleurs, le feeling stonien a trouvé sa plénitude expressive dans les digressions erratiques, d'où émane un spleen languide au parfum luxurieux : Wild Horses, Paint It Black, Sympathy For The Devil, Salt of the Earth, Gimme Shelter, Midnight Rambler, Sister Morphine, Heart Of Stone, No Expectations, I'm Going Home, Jigsaw Puzzle, Beast of Burden, You Can't Always Get What You Want, Let It Loose... 
Feel like a Rolling Stone !

14 juin 2010

Un été dans les caves de l'Eden

Ça s'est passé à une époque ou les grosses fortunes et les stars accouraient en France pour échapper aux rigueurs du fisc de leur pays !
Deux effets bénéfiques de ce genre d'exil doré ont été démontrés à l'occasion du débarquement en fanfare des Rolling Stones sur la Côte d'Azur lors de l'été 1971 : de belles rentrées financières pour les commerçants du coin, et surtout, une aventure musicale inouie dans les caves de la villa Nellcôte.
Autrefois propriété paraît-il de la célèbre famille Bordes, qui arma bon nombre des cap-horniers du temps de la marine à voile, ce splendide édifice d'architecture néo-héllénique, qui surplombe la rade de Villefranche est en soi un paradis terrestre. Les bandes enregistrées dans ses entrailles pour l'album Exile on Main Street, qui ressortent en CD après un complet relooking technique, témoignent qu'il s'agit aussi d'une puissante source d'inspiration artistique.
Après la réédition des disques des Beatles, après le revival de Jimi Hendrix, les aficionados des sixties peuvent retrouver dans cette compilation rénovée et enrichie, les mélodies ensorcelantes portées par des riffs mordants, et le parfum vénéneux qui sont la marque du fameux spleen stonien.

Au fond des caves chaudes et humides de la superbe villa patricienne, plongée au coeur de l'été méditerranéen, au sein des fumées délétères et des vapeurs alcooliques, dans une sorte de vertige lascif, s'établit une alchimie improbable mais parfaite entre la plainte suave du blues et les divagations hallucinées du rock'n roll.
Ça démarre en vrombissant sur la basse térébrante de Rocks Off, vite rejointe par la scansion nerveuse de Jagger, sur une rythmique d'enfer et un tonnerre étincelant de cuivres. Tout de suite le trip est engagé, impossible de renverser la vapeur.
On décolle franchement avec Rip That Joint. Crénom, c'est certain, ça ne redescendra plus. Pulsation qui nait de l'échine et parcourt en les déchirant délicieusement, les chairs jusqu'en bas des reins...
Le beat enjôleur de Shake Your Hips, emprunté à Slim Harpo fait se lever les dernières réticences.
Puis c'est dans une pâmoison continue, que s'enchainent une nuée de titres, liés par une force harmonique et une logique apodictiques : Casino Boogie, Tumbling Dice, Sweet Virginia, Loving Cup, Happy, Shine A Light... ça coule de source dans les oreilles éblouies et ça se fait parfois doux comme le miel (Let It Loose, ou le capiteux Following The River, inédit et totalement retravaillé pour la circonstance).
A certains moments, on croirait presque entendre les cigales dans l'arrière plan (Sweet Black Angel) ou le rythme régulier et lent des pales d'un ventilo géant, remuant nonchalamment l'air de ces sessions torrides (ventilator blues). Puis ça repart de plus belle en tournoyant, en éructant, en jappant, en feulant, en criant à perdre haleine.
Indicible distorsion du temps dans ce torrent idéal de musique, montée extatique de pulsions amoureuses, moiteur rubescente des nuits azuréennes, Tout se conjugue pour donner à cet ensemble le goût de plaisirs séraphiques, où l'incandescence du rêve agit comme un baume souverain, qui sublime et prolonge les sensations éphémères tirées du réel...

Illustrations : visions personnelles des nuits de Nellcôte...