29 décembre 2009
Méditation
22 décembre 2009
Much ado about nothing
Une fois encore les mots de Shakespeare s'avèrent les plus à propos. Tout ce bruit pour rien ou presque. Si encore toutes ces gesticulations affolantes faisaient un peu de vent dans les éoliennes...
En tout cas, ce grand barnum (pour reprendre les mots de Nicolas Hulot) a donné l'occasion de relever un certain nombre de sentences et de contradictions qui méritent de rester dans le bêtisier universel de la politique.
Tout d'abord naturellement, l'endroit et le moment choisis pour parler du réchauffement climatique : Copenhague, à l'orée de l'hiver, au moment même où, comme pour narguer les experts et les chefs d'états réunis dans les salons feutrés du Bella Center, on annonçait une vague de froid sur l'Europe et les Etats-Unis, (jusqu'à -33°C en Allemagne !), les premiers blocages sur les routes, sur les voies ferrées, les pannes gigantesques d'électricité, et les premiers morts...
Et puis, les pitreries involontaires de certains responsables imbus de leur mission au point d'oublier la triviale réalité. Madame Duflot par exemple, qui s'embarque pour le Danemark en train (15 heures de voyage), sous les flashes des journalistes, avec à la bouche des mots dignes de Tartarin : "Vous ne me verrez jamais dans un avion lorsqu'il m'est possible de prendre le train"... et qui revient discrètement... en jet, pour ne pas manquer d'autres caméras, sur le plateau de France 2...
La comédie grinçante d'autres dirigeants, beaucoup moins drôles assurément. Les déclarations d'Ahmadinejad, président en exercice de l'Iran, classé troisième plus gros vendeur de pétrole au monde, vantant « l'énergie verte » de l'uranium, tandis qu'il prépare au vu et su de tous, la fabrication de bombes atomiques.
Les leçons arrogantes de Chavez, à la tête d'un abject régime marxiste, assis sur les royalties de l'or noir dont son pays regorge, et qui réclame sans rire d'en limiter de manière drastique la consommation. Tout en ânonant son sinistre couplet néo-stalinien : « Le capitalisme, ce modèle de développement destructeur, est en train d’en finir avec la vie, il menace de détruire définitivement l’espèce humaine.../... Cette planète est régie par une dictature impériale, et depuis cette tribune, nous continuons de le dénoncer. A bas la dictature impériale, et vivent les peuples, la démocratie et l’égalité sur cette planète! »
Lula, le Brésilien ne vaut guère mieux lorsqu'il juge « inacceptable que les nations les moins responsables du changement climatique en soient les premières victimes ». Son pays est en effet le champion de la déforestation depuis des années, laquelle serait responsable de 18 à 20% des émissions de gaz à effet de serre. Dans le même temps, s'il s'avère assez rentable, le fameux pétrole vert qui est produit à partir de la canne à sucre sur les terres débarrassées des arbres, n'a pas fait la preuve d'un quelconque bénéfice en terme de pollution.
Nicolas Sarkozy enfin, accouru à la fin du sommet, n'a pas lésiné dans la surenchère, en annonçant ni plus ni moins, la fin du monde : "L'échec de Copenhague serait catastrophique pour chacun d'entre nous", "Nous sommes la dernière génération à pouvoir faire quelque chose. On ne pourrait plus ensuite, arrêter le processus de destruction complet".
Quelle mouche a donc piqué le président pour qu'il se laisse aller à de si noires prédictions ? Comment prendre au sérieux ces politiciens qui ont tant de mal à anticiper les crises économiques ou à contrôler les dépenses publiques, et qui prétendent pouvoir maîtriser la météo et parvenir à en réglementer les caprices à coup de taxes et de normes bureaucratiques ? Tel un sublime Don Quichotte des temps modernes, N. Sarkozy martèle qu'il faut absolument « Réduire de moitié la production de CO2 avant 2050 », en espérant ainsi « limiter la hausse des températures à 2° dans le siècle qui vient, sinon c'est la catastrophe absolue ».
Evidemment, il ne risquait pas grand chose à s'avancer avec tant de témérité. Tout au plus, d'apparaître comme un des plus sincères défenseurs de l'environnement, seul ou presque contre tous... Il a peut-être aussi quelques arrières pensées pratiques, à quelques semaines des élections régionales. Sans doute se sentirait-il mieux s'il parvenait par exemple enfin, à désolidariser les Ecologistes des Socialistes qui exercent on ne sait trop pourquoi sur eux un si fort magnétisme...
10 décembre 2009
Napoléon Obama
Inutile de dire qu'elle se heurta ce soir là, comme souvent la politique américaine, à une hostilité générale.
Passons sur le discours assez confus du philosophe radical, plus ou moins marxisant, Jacques Rancière. Sur le sujet il se déclara de toute manière incompétent. Tout comme les écrivains "de gauche" (ils s'en vantent), Philippe Besson et Saphia Azzedine.
Il faut dire que pour lui l'affaire est réglée comme du papier musique : l'opération afghane ne peut désormais plus être autre chose qu'un échec. Reprenant une antienne bien connue, dans ce conflit qui s'éternise, l'Occident selon lui s'embourbe. Tous les symptômes du désastre vietnamien sont réunis. Les contingents militaires sont ressentis comme des forces d'occupation par la population. Pire encore : faute d'avoir mis en place une « coopération sociale et culturelle », et à cause de la « méconnaissance des réalités locales », et de « l'injustice que nous faisons régner », « nous contribuons à entretenir la corruption ».
C'est bien simple, « en croyant agir pour le bien, c'est le mal que nous faisons... »
Pour ce Politique si audacieux, il faut donc partir au plus vite, afin d'aiguillonner le gouvernement afghan pour qu'il s'organise vraiment, en espérant que les pays avoisinants deviennent « acteurs et partenaires » d'un hypothétique renouveau régional.
De manière un peu prétentieuse, il commença par se lamenter sur le fait qu'à l'évidence et pour son malheur, le président américain n'avait lu ni ses livres à lui, ni ceux de M. de Villepin.
Pour M. Tulard en effet, le parallèle avec l'expédition espagnole de Napoléon s'impose clairement. Pas plus que ce dernier, Obama ne peut gagner, car les analogies foisonnent à ses yeux : Napoléon en Espagne « apportait les principes de la révolution et la démocratie »... mais à la force des baïonnettes. Il installa un gouvernement à sa botte; il rencontra des difficultés liées à un terrain accidenté et montagneux, et pour finir une rébellion armée par des puissances étrangères, en l'occurrence l'Angleterre.
Evidemment tout ça peut faire mouche au premier abord.
Mais au fond même si, comme le fit remarquer finement M. de Villepin, « les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets », l'Histoire se répète rarement à l'identique. Ça serait un peu trop facile.
Comparer d'autre part, le népotisme de l'Empereur, qui plaça sur le trône d'Espagne son propre frère Joseph, avec les conditions qui ont permis l'accès d'Hamid Karzaï au pouvoir à Kaboul, est également excessif, en dépit d'une réélection entachée d'irrégularités.
Enfin, même si la guérilla en Afghanistan est sans doute alimentée de l'extérieur, aucune nation n'apporte officiellement son soutien armé aux Talibans. Autre différence notable, les armées de l'Empire se livraient en Espagne à une vraie agression. Faut-il le rappeler, la coalition en Afghanistan, répond à l'horreur du 11 septembre 2001, et aux actions terroristes menées par les Talibans et leurs amis. D'ailleurs il faut souligner que Napoléon était très isolé face à une coalition internationale, tandis que c'est l'inverse pour Obama, même si hélas, ses alliés manquent singulièrement de détermination.
Ce fut certes un succès facile, mais peu glorieux et en tout cas impopulaire en Espagne, puisqu'il s'appuya sur les forces les plus rétrogrades du pays, et qu'il permit au roi rétabli dans ses prérogatives, de se livrer à des représailles sanglantes sur les élus du peuple.
Dernier point discutable, Jean Tulard laisse entendre que l'expédition fut pacifique ce qui est faux. Elle nécessita la mise sur pied d'une armée de 100.000 hommes, « prêts à marcher en invoquant le nom de Saint Louis pour conserver le trône d'Espagne à un petit-fils d'Henri IV », pour reprendre l'exclamation de Louis XVIII. Autrement dit un vrai « surge »... Précisons également qu'après la victoire, il fallut laisser sur place un contingent de 45.000 hommes durant 5 ans, jusqu'en 1828...
Le succès de l'intervention afghane dépendra surtout de la capacité du peuple et de ses dirigeants à s'organiser, et de la conviction et de la détermination dont fera preuve la coalition internationale.
Il est vrai, s'agissant du Vietnam, que l'aventure s'est terminée par un échec cuisant. Ce n'est pourtant pas d'un manque de légitimité que les Américains, à l'époque très seuls hélas, ont le plus souffert, mais d'une stratégie trop hésitante, et d'un mouvement d'opinion international dévastateur, orchestré de main de maître par la propagande soviétique. Le malheur de ce pays (et du Cambodge à la suite), n'a en tout cas, pas été causé par la présence occidentale mais avant tout par son retrait, brutal et définitif. En revanche, là où la détermination fut plus forte, comme en Corée et à Taiwan, les populations n'eurent qu'à s'en féliciter.
En tout état de cause, déclarer comme on l'entend si souvent, qu'il est strictement impossible d'imposer la démocratie par la force, est un non sens absolu. L'exemple de l'Allemagne et du Japon, entre autres, sont là pour en témoigner...
08 décembre 2009
Retour de boomerang
Alors que s'ouvre le sommet international de Copenhague, le débat sur le climat prend un tour nouveau. Hormis la voix isolée de Claude Allègre, on n'entendait en France depuis quelques années qu'un seul son de cloche, véhiculé par le biais de personnalités très médiatisées ou par la bouche des politiciens, tous plus ou moins enclins au suivisme démagogique. Une cloche quant à elle alarmiste, puisqu'elle sonne tous azimuts le tocsin de la fin du monde prochaine, en l'attribuant aux méfaits du progrès scientifique et économique.
Et puis tout à coup, à l'occasion de fuites en provenance du site internet d'une université influente, on prend conscience que ce discours reposait en partie sur un gigantesque bluff. Première révélation, le fameux GIEC qui soi disant s'inspirait des travaux convergents de l'immense majorité des scientifiques mondiaux, prenait en pratique ses informations à une source quasi exclusive, celle du Centre de Recherche sur le Climat de l'université britannique d'East Anglia !
Et quelle source ! Peu scrupuleuse sur l'objectivité, elle « arrangeait » manifestement les constats scientifiques pour qu'ils puissent coller au mieux à la thèse dominante. Les chercheurs convertis à la nouvelle religion écologique, mettaient en somme de côté les évidences scientifiques qui les dérangeaient, à la manière de ceux qui opposaient aux découvertes de Pasteur, le credo de la génération spontanée. De fait, l'argument massue mille fois lu et entendu, ressemblait étrangement à celui des docteurs d'autrefois, faisant foi scientifique d'un consensus, qui dit en substance : « Plusieurs milliers de chercheurs pensent la même chose, à savoir qu'il y a un réchauffement climatique, qu'il est forcément néfaste et qu'il a 9 chances sur dix d'être lié à l'activité humaine. » CQFD.
Coïncidence, un sondage réalisé avant cet épisode, et publié par le magazine The Economist, révèle que les mentalités sont justement en train de changer. La question posée était : "Faut-il privilégier la protection de l'environnement au prix d'une baisse de la croissance économique, ou bien donner la priorité à cette dernière au risque de dégrader l'environnement". Depuis 1999 la première option de l'alternative était préférée par la majorité des sondés, en 2009 les proportions s'inversent (Gallup).
Évidemment, faut-il le préciser, la réponse qui s'impose, et qui n'est pas proposée au choix, se situe au milieu, consistant à trouver un compromis entre la croissance et le respect de l'environnement...
Certes la Crise qui est une réalité tangible, a tendance à influencer les avis, pourtant, il n'était pas vraiment besoin de cette affaire de mails détournés pour douter de la véracité du nouveau diktat malthusien, prônant la décroissance. Avec force arguments, certains pointaient déjà depuis quelque temps, les méthodes peu rigoureuses des tenants du réchauffement climatique. Il n'est d'ailleurs que de voir le comportement outrancier et sectaire des militants de Greenpeace, qui encore dernièrement n'ont pas hésité à prendre d'assaut l'Assemblée nationale, pour mesurer le degré de fanatisme atteint par certains écologistes. Ils discréditent leur cause bien plus qu'ils ne la défendent.
Il est bien connu que chez nous, où le bon sens prévaut, « la question ne se pose même pas », pour reprendre les termes de M. Colombani sur France Inter le 4 décembre. Et de citer à l'appui de sa démonstration le débat escamoté sur la peine de mort. Sur un vrai sujet de société, la question n'a effectivement pas été posée, au simple motif qu'on redoutait que la réponse ne soit pas politiquement correcte. On a donc préféré imposer le principe de l'abolition par la force des godillots des « élus de la république », et pour être à peu près certain qu'il ne puisse jamais être rediscuté, le graver dans le marbre de la Constitution. Curieuse conception de la démocratie...
Évidemment, la radicalisation du débat religieux est inquiétante. Mais en l'occurrence, qui a peur de qui et qui rejette qui ? La vraie question est sans doute de savoir pourquoi et comment on en est arrivé là. Plutôt que de jeter l'opprobre sur le peuple, plutôt que de s'insurger contre le poujadisme de certains politiciens, il conviendrait d'affronter la réalité sans tabou ni a priori. Aux yeux d'une quantité croissante de gens, l'islam apparaît sous un jour de plus en plus intolérant, dogmatique et conquérant. La plupart des pays à dominance musulmane affichent sans vergogne leur mépris pour les autres croyances et veulent ériger les leurs comme lois de gouvernement. Il y a de quoi s'alarmer. Il est plus que temps pour les Musulmans raisonnables de parler clairement et de montrer leur ouverture d'esprit qui conduira à chasser ces craintes dignes du Moyen Age.
Avec la décision d'y envoyer un contingent de 30.000 hommes supplémentaires, c'est un triplement des effectifs que le nouveau président américain aura ordonné depuis son élection ! Ils étaient 35.000 il y a un an, ils seront près de 100.000 soldats sous peu.
On pourrait s'amuser de la modération des réactions en provenance de ceux qui auraient agoni d'injures George W. Bush s'il avait fait la moitié de ce que met en oeuvre son successeur. On pourrait être dubitatif devant la stratégie qui consiste à accroitre très progressivement la présence militaire, et les hésitations à prendre les décisions en les accompagnant de moultes précautions de langage, qui pourrait rappeler le Vietnam sous Johnson. On pourrait s'interroger sur le besoin éprouvé par M. Obama de préciser à l'avance la date de repli de ces troupes. S'il s'agit comme il le soutient, d'un objectif vital, comment peut-il être certain de pouvoir si rapidement s'en désengager ?
On pourrait enfin savourer à sa juste valeur l'appel pressant des USA à l'Europe pour envoyer conjointement un renfort d'au moins 7000 hommes. Comment va réagir la France qui adule tant le président américain ?
Objectivement, l'Afghanistan ne peut être abandonné après tous les efforts consentis pour le libérer de l'oppression des Talibans. Et à l'évidence, plus le nombre de nations engagées sera grand, plus forte sera la légitimité de la présence militaire. Le choix de M. Obama est donc logique et pas trop surprenant, sauf pour les gogos prompts à s'enticher de n'importe quelle faribole pour peu qu'elles soit couverte d'effets de style clinquants...
01 décembre 2009
L'introuvable réforme de la santé
Et il est de bon ton de fustiger au passage l'abominable système ultra-libéral en vigueur là bas, qui empêche paraît-il les pauvres gens de se soigner, et de condamner vigoureusement le lobbying forcené et forcément très « réactionnaire » qui s'oppose au noble dessein présidentiel.
Il n'est pourtant pas besoin de parcourir très longtemps la presse américaine, pour se rendre compte qu'en réalité le débat est beaucoup plus complexe qu'on ne le présente habituellement, et surtout moins imprégné des clichés idéologiques dans lesquels certains tentent plus ou moins consciemment de l'enfermer.
Je ne me souviens plus comment j'ai échoué dans mes pérégrinations à travers le Web, sur un article du Pr Jeffrey Flier, doyen médical de la prestigieuse Harvard School. J'ignore en tout cas totalement de quel côté politique il penche, et le Journal of Clinical Investigation dans lequel il s'exprime, n'est pas connu pour le caractère partisan de ses prises de position. Mais le fait est qu'il donne en la circonstance, un point de vue plutôt décapant sur la question.
A partir de ce fil conducteur, j'ai découvert et pas par les traditionnels canaux néo-conservateurs si honnis, que nombre de voix s'élevaient pour dénoncer sans tabou, et avec force argumentation, les tares du système de santé actuel en proposant des solutions assez éloignées du projet « obamanien »,.
Je serai sans doute accusé de prendre un parti sectaire puisque mon propos, à la lumière de ces derniers, s'inscrit dans la réticence vis à vis de cette initiative louée presque unanimement dans l'Hexagone, et pour laquelle le Sénat US après beaucoup de tergiversations, vient d'ouvrir le débat. Tant pis.
S'agissant des défis auxquels sont confrontés les pays développés, tout le monde est pourtant à peu près d'accord. Il faut dire qu'ils relèvent de l'évidence et n'épargnent aucune nation. Ils se concentrent schématiquement autour de trois constats : l'inflation vertigineuses des dépenses de santé, les difficultés croissantes pour pérenniser des systèmes d'assurances abordables pour tous, et les disparités de plus en plus flagrantes entre le coût et la qualité des soins.
Aux USA, les dépenses de santé, qui représentaient 5% du PIB en 1960, ont atteint 16% en 2007 selon l'OCDE, et les projections les fixent à 37% pour 2040. La part des fonds publics dans ces dépenses ne cesse de croitre. Les deux grands programmes Medicaid et Medicare, pour les personnes les plus démunies d'une part et âgées de l'autre, auxquels le gouvernement fédéral consacrait 1% de son budget en 1966, en absorbent désormais plus de 20.
La France est dans la même logique. Avec 11% du PIB, elle s'inscrit désormais dans les statistiques de l'OCDE, en deuxième position des nations les plus dépensières au monde.
Parallèlement, les systèmes d'assurance maladie sont de plus en plus dépassés par l'inflation de la demande de soins. Comme chacun sait, aux Etats-Unis, une frange croissante de la population vit plus ou moins durablement sans vraie couverture. Il faut toutefois préciser qu'elle n'est pas obligatoire et qu'un bon tiers des personnes concernées, souvent jeunes et en bonne santé, auraient les moyens de s'offrir cette protection mais font le choix d'y surseoir.
En France, le régime de l'Assurance Maladie obligatoire, couvre la majeure partie des frais de santé, mais son périmètre a tendance à se restreindre, en laissant un pan grandissant aux Assurances Privées, auxquelles il n'est pas non plus obligatoire d'adhérer. Pourtant, en dépit de la hausse régulière des cotisations et du désengagement ou du déremboursement d'un nombre croissant de prestations et de médicaments, la Sécurité Sociale patine de plus en plus dans les déficits.
Parmi les principales causes identifiées par les quelques observateurs dont j'ai lu les analyses, figure avant tout le caractère pervers de l'organisation du système d'assurance maladie.
Tout d'abord, on assiste à un dévoiement pur et simple du principe même, de l'assurance. Celle-ci pour bien fonctionner, doit couvrir un risque dont la probabilité de réalisation pour l'individu est faible mais dont le coût de réparation est très élevé. La mutualisation raisonnée de ce risque permet à l'assureur de ne demander à tous ses clients que des cotisations modestes, pour couvrir les frais énormes, destinés à indemniser les quelques victimes de sinistres.
Hélas, en matière de santé, la définition du risque a considérablement évolué au fil des ans. L'extension par l'OMS du domaine caractérisant la « bonne santé », à celui du « bien être total et permanent », et le consumérisme galopant, conduisent à recourir de plus en plus facilement aux services des prestataires de santé.
Chacun estimant de son bon droit de se faire rembourser les frais liés à des soins, en règle courants, et qu'il aurait le plus souvent les moyens de payer, le système confine à l'absurde. Les assurances n'ont pas d'autre choix que d'augmenter drastiquement les cotisations ou bien de devenir déficitaires. Imaginez, écrit David Goldhill, que nous demandions à notre assurance auto de prendre en charge l'entretien courant du véhicule et le carburant qu'on met dedans !
Le principe, habituel aux USA comme en France, qui consiste à interposer l'employeur entre l'assureur et l'assuré aggrave encore cet effet. Puisque le salarié ne paie, quoi qu'il arrive, qu'une faible partie de la cotisation, il ignore bien souvent le prix réel de la protection dont il bénéficie (au point parfois de croire qu'elle est gratuite...). Par voie de conséquence, il ne mesure pas vraiment l'ampleur des dépenses qu'elle couvre. Au surplus, il n'a en réalité pas le libre choix de son assureur, ce qui nuit à l'émulation et à la maitrise des coûts. On sait qu'entre les entreprises et les compagnies d'assurances la concurrence est assez limitée, particulièrement en France où la Sécurité Sociale jouit d'un quasi monopole.
Dernier avatar de ce système, il est susceptible de laisser des vides dangereux lorsque un salarié est amené à changer d'emploi, et se volatilise en cas de chômage.
Les Assurances ont la tentation naturelle de réagir à cet état de fait en instituant un contrôle a priori des prix des prestations, qui se révèle à l'usage très contraignant et assez inefficace. Par exemple, en diminuant le remboursement de certains médicaments, elles poussent en effet mécaniquement les médecins, sous la pression conjointe des patients, et souvent des publicités de l'industrie pharmaceutique, non pas à diminuer les prescriptions mais à proposer les mieux remboursées donc les plus onéreuses... La promotion de génériques, s'avère quant à elle souvent un frein à l'innovation et à la concurrence.
Le projet de loi de Barack Obama, qui étend le champ de la couverture maladie sans en réformer en profondeur l'organisation, pour bien intentionné qu'il soit, ne peut pour nombre d'observateurs, qu'aggraver les maux dont le système souffre aujourd'hui.
Son application va mécaniquement augmenter les dépenses pesant sur l'Etat Fédéral, puisque le nouveau plan sera en très grande partie à sa charge. Mille milliards de dollars constituent le surcoût annoncé par les promoteurs de la loi eux-mêmes. Nul doute qu'il sera supérieur si l'on se souvient des prévisions largement dépassées des programmes Medicare et Medicaid. Selon David Goldhill, étendre la couverture tout en contraignant les remboursements, équivaut à gonfler un ballon tout en le comprimant tant bien que mal : il grossit quand même mais avec une forme de plus plus biscornue...
Parallèlement, même si tout le monde ou presque sera assuré, rien ne permet d'affirmer objectivement que la qualité des soins sera meilleure. L'absence de corrélation entre les dépenses de santé et la plupart des indicateurs de « bonne santé » est assez bien établie.
Or selon un article du Boston Globe, ce plan est un échec. Trois ans après son application, il reste encore plus de 200.000 personnes non assurées. Les dépenses de l'état affectées à la santé ont fait un bond, passant de 1,4 milliards de dollars en 2006 à plus de 2 milliards prévus en 2009. En moyenne le coût moyen des cotisations pour une famille à augmenté de 12% entre 2006 et 2008. Un certain nombre de personnes, pas assez pauvres pour bénéficier de subventions, peinent à s'affranchir du coût élevé des contrats proposés. Il en est de même pour les petites entreprises qui doivent supporter cette charge nouvelle.
Le paradigme de l'assurance « de papa » a vécu, dans le domaine de la santé. La préoccupation n'est donc pas tant d'élargir la couverture que de la responsabiliser et de l'adapter au nouveau contexte. De ce simple changement de cap, devrait s'ensuivre une réduction raisonnée de la demande de prise en charge financière, et une limitation des soins, basée sur une vraie réflexion coût-efficacité. Aujourd'hui on peut certes encore mourir faute de soins, mais aussi sans nul doute d'excès.
Exiger comme on l'entend souvent que la santé soit gratuite, est plus que jamais irresponsable, et fait courir le danger de terribles désillusions. Les acquis sociaux soi-disant garantis par l'Etat semblent solides mais ils cachent de grandes failles et s'ils venaient à péricliter, la chute serait plus cruelle que tout. Il ne resterait plus de toute manière qu'une solution, qu'on veut pourtant éviter à tout prix : la maitrise comptable pure et dure...
22 novembre 2009
Contes de la folie ordinaire
On avait déjà vu cette soif de vengeance, ce parti-pris aveugle vis à vis d'entreprises incarnant semble-t-il par axiome, le mal. Les laboratoires pharmaceutiques endossent régulièrement ce rôle. Ils furent par exemple condamnés pour avoir provoqué la sclérose en plaques, par le biais du vaccin contre l'hépatite B. Tout portait à croire pourtant, qu'il n'y avait aucun lien entre les deux, mais en vertu d'un principe de précaution poussé à l'extrême, leur culpabilité fut tout de même prononcée, discréditant dans le même temps, un traitement essentiel dans une maladie grave. Il ne faut pas trop s'étonner que le doute se saisisse des foules, au moment où on leur demande de se faire vacciner en masse contre le virus H1N1, responsable d'une simple grippe, par un produit qui peut paraît-il provoquer la neuropathie de Guillain-Barré,...
La tendance a faire des brigands des héros romantiques est ancienne et s'inscrit dans ce qu'on pourrait appeler la « fascination du pire » (pour reprendre le beau titre d'un mauvais livre de Florian Zeller). C'est assez niais en général, mais lorsque s'ajoute la complaisance manifestée ces dernières semaines à propos de Treiber, cela devient effectivement obscène.
20 novembre 2009
Drôle de bilan (2)
Nicolas Sarkozy est rituellement taxé d'ultra-libéral. Non seulement cette critique est inopportune, mais elle relève le plus souvent de la mauvaise foi.
Que fait-il donc de si libéral ? Certes il tente de contenir un peu la pression fiscale énorme qui pèse sur le pays, mais pour le reste, on le voit surtout pratiquer le bon vieux culte du centralisme étatique si en vogue chez nous depuis Louis XIV.
Pour s'attaquer à la Crise, c'est on ne peut plus clair : il utilise en la circonstance des recettes beaucoup plus proches de celles de la social-démocratie que des théories de Hayek, Mises ou Friedman.
La vérité est que sur une voie étroite, le Président cherche à l'évidence à naviguer sans casse entre les écueils de l'actualité, avec la hantise d'une crise sociale de grande ampleur. De ce point de vue, prétendre comme on l'entend si fréquemment, qu'il a des dogmes apparaît particulièrement exagéré. Il montre tous les jours qu'il est capable d'adapter sa politique aux faits. Cela ne contribue d'ailleurs pas peu à altérer la lisibilité de sa stratégie.
S'agissant par exemple du "paquet fiscal", qu'on agite comme un épouvantail, mais qui figurait dans le programme sur lequel il fut élu, il s'agit d'un ensemble de mesures loin d'être destinées uniquement aux "plus riches". Détaxer un peu le travail par le biais des heures supplémentaires, réduire les droits de succession, et protéger les contribuables contre l'appétit illimité du fisc semblent des mesures de salubrité publique, même si le recours par l'Etat à un "bouclier", destiné à protéger ses victimes de sa propre avidité, peut paraître surréaliste (il faut rappeler cependant, que l'inventeur du concept fut Dominique de Villepin). En réalité, pour les classes les plus aisées, Nicolas Sarkozy s'est contenté de pondérer quelque peu l'ISF tout en le compliquant encore un peu plus, alors que tous les autres pays l'ont purement et simplement supprimé...
La diminution de la TVA sur les restaurants, qui était une promesse électorale, relève du simple bon sens et avait été réclamée à corps et à cris par nombre de gens peu suspects d'être liés à je ne sais quel lobby ultra-libéral.
La suppression de la taxe professionnelle se heurte quant à elle à un vrai tir de barrage des élus locaux, y compris au sein de l'UMP. Pourtant chacun sait l'impact désastreux de cette ponction sur le chiffre d'affaires des entreprises, qui freine leur dynamisme et leurs investissements, tandis qu'elle encourage le gaspillage au niveau des Collectivités Territoriales. Un récent reportage du magazine télévisé Capital (15/11/09) objectivait clairement les excès, et les redondances qui caractérisent la gestion prodigue de ces assemblées. Dans un des derniers numéros du Point, on rappelait que La France avec son fameux mille-feuilles géographico-administratif entretient plus de 6000 conseillers régionaux et généraux aux fonctions mal définies, et recrute plus de 36.000 nouveaux fonctionnaires par an ! Enfin, chacun peut constater la surenchère parfois délirante à laquelle se livrent villes et villages en matière de voirie ou d'installations socio-culturelles dont l'utilité paraît le plus souvent, rien moins qu'évidente.
Les Collectivités Territoriales ont hérité certes de quelques tâches autrefois dévolues au Gouvernement mais, outre l'accroissement parfois sidérant de la fiscalité locale, les dotations de l'Etat sont elles-mêmes en augmentation constante : plus de 51% entre 2004 et 2008 pour les régions, et plus 12,3% pour les départements.
La simplification proposée est susceptible d'améliorer le fonctionnement de cette formidable machine, tout en produisant de substantielles économies. Mais s'il faut "compenser" la disparition de la taxe professionnelle, comme certains le réclament, une bonne partie de l'effet escompté s'envolera, et il faudra trouver d'autres cochons de payeurs pour éponger cette gabegie.
Au plan de la stratégie générale, notamment vis à vis de la Crise financière, Nicolas Sarkozy insiste depuis plusieurs mois sur le rôle bienfaiteur de l'Etat et la nécessité de renforcer les régulations. La logique voudrait sur ce point, qu'il trouve au moins un début d'approbation du côté des Socio-Démocrates et un certain désaccord de la part des Libéraux dignes de ce nom. Paradoxalement, il semble que cela soit quasi l'inverse !
Pour un Libéral, rien ne prouve que la crise soit l'effet d'un manque de régulations. Vu leur nombre ahurissant, en croissance perpétuelle, on serait tenté d'affirmer le contraire, tout en déplorant qu'elles sont de toute manière à l'évidence fort mal faites, et cela, même aux Etats-Unis. Comment se fait-il notamment que les organismes mis en place à grands frais pour contrôler les marchés (SEC, COB..) aient été bernés si longtemps par Madoff and Co ?
Quant au rôle bénéfique de l'Etat, il est permis d'en douter lorsqu'on mesure sans a priori l'ampleur vertigineuse des déficits de tous les budgets dont il a la charge en France. Il est d'ailleurs cocasse de constater que ceux-là mêmes qui attribuent l'essentiel de la Crise à l'excès de crédit et à l'endettement incontrôlé, encouragent résolument l'Etat à s'engager toujours plus loin sur cette pente scabreuse. Soulignons enfin que si la plupart des systèmes sous responsabilité étatique sont profondément déficitaires, leur fonctionnement n'a rien de modèles. Justice, Education, Recherche, Protection Sociale, Prisons et même Hôpitaux, le malaise est partout, depuis maintenant des années, en dépit (ou à cause) de la folie réformatrice qui les ensevelit chaque années sous de nouvelles lois et réglementations.
En réalité, un certain nombre de mesures proposées par le Gouvernement actuel pourraient être susceptibles d'apporter une bouffée d'air frais (au moins pour un Libéral), mais elles sont noyées dans des schémas législatifs très complexes, et souvent pondérées pour faire bonne mesure par des contre-feux « socialement corrects ». Leur impact s'en trouve ainsi émoussé avant même leur application. Au point qu'on se demande parfois si elles ont bien été entérinées...
On évalue mal pour l'heure, l'incidence pratique de prétendues ruptures, qu'on agite comme des chiffons rouges :
-Service minimum dans la réforme de la Fonction Publique,
-Ouverture des commerces le dimanche dans celle du Code du Travail
-Suppression de la carte scolaire et autonomie des Universités dans celle de l'Enseignement
-Simplification du système ANPE/ASSEDIC au sein du Pôle Emploi
-Suppression du juge d'Instruction dans la réforme de la Justice
-Taxe carbone dans la politique fiscale et le nébuleux Grenelle de l'environnement
-Rôle accru du Parlement dans la réforme de la Constitution
-Suppression de la publicité sur la TV d'Etat, dans le cadre de la modernisation de l'audio-visuel...
Sont-ce les balises d'une vraie révolution, ou bien des leurres dispersés dans un océan sans vrai horizon ?
D'une manière générale les projets de lois de l'ère Sarkozy peinent à s'extraire de la logique bureaucratique qui prévaut dans l'Administration française. Plusieurs « paquets » législatifs restent d'une grande opacité et font la part belle à la centralisation et à la tutelle de l'Etat-Providence si honnies par les Libéraux, notamment d'inspiration jeffersonienne ou tocquevillienne. Il en est ainsi de la loi HADOPI qui met en place une sorte de soviet mou censé réguler les téléchargements sur l'internet. Et plus encore de la loi HPST en matière de santé publique qui transforme les Agences Régionales de l'Hospitalisation du funeste Plan Juppé, en Agences Régionales de Santé, mastodontes administratifs encore plus pléthoriques, tout en pérennisant le règne des calamiteux plans quinquennaux (Schémas Régionaux d'Organisation Sanitaire) !
Au total, du point de vue libéral, la présidence de Nicolas Sarkozy se révèle à ce jour assez largement à côté de la plaque. A mesure que le temps passe, elle paraît même s'inscrire de plus en plus dans le médiocre conformisme socialisant auquel nous ont habitué ses prédécesseurs. Rien de bien significatif en matière fiscale, impuissance face au poids démesuré des Services Publics, conservatisme en matière d'organisation de la protection sociale, pérennisation du centralisme bureaucratique, généralisation du principe de précaution...
En matière d'identité nationale enfin, dernier "débat" à la mode, l'alternative reste envers et contre tout désespérante, n'offrant en pratique au pays que le nationalisme borné d'une part, ou la dissolution dans le communautarisme de l'autre...
De timides espérances persistent quand même, fondées sur un discours qui reste volontariste même s'il a été édulcoré, et quelques principes d'action dénués de tabou.
Le plus étonnant demeure la nature et la violence de la plupart des critiques dont le Président est la cible. Même si chacun a sa vérité, les outrances qui s'adressent à sa personne et à sa politique sont vraiment indignes de gens se réclamant de la démocratie.
Car enfin, quoiqu'on en dise il n'a pas démérité de cette dernière, et ne peut être considéré à l'évidence, ni comme ultra-libéral, ni comme dictatorial, ni comme aucun des qualificatifs insultants et contradictoires dont on le gratifie à longueur de jours...
18 novembre 2009
Drôle de bilan (1)
Aux Etats-Unis à mi mandat, la légitimité du Président de la République est soumise à l'épreuve des élections du mid-term, qui conduisent à renouveler rien moins que l'ensemble de la Chambre des Représentants (435 députés) et un tiers du Sénat (33 des 100 sièges).
Rien de tel en France. Pour jauger l'opinion publique, il faut se contenter des sondages dont on connait la fiabilité assez médiocre.
Si l'on en croit l'étude LH2 récemment publiée par le Nouvel Observateur, 58% des Français seraient déçus par l'action du Président.
L'idée me vient de tenter une petite rétrospective personnelle, que certains trouveront sans doute subjective mais qui veut s'inspirer de faits tangibles. Le débat en France est si souvent passionnel ou idéologique qu'il néglige souvent la réalité ou bien au contraire l'exagère, ce qui confine au manichéisme. La moindre petite phrase devient sujet de polémique stérile. Et en matière de réflexion, il est difficile d'y trouver quelque substance, autant dans les rangs de la majorité présidentielle, que dans ceux de l'Opposition. Exemple, le Chef de l'Etat parvient à maintenir une assez forte cohésion dans les rangs de sa propre majorité, ce qui s'apparente parfois à une sorte de navrant monolithisme. Mais lorsqu'un sujet fait question, c'est au détour de mésaventures foireuses qu'on apprend les dissidences (votes sur la loi Hadopi, sur la taxation des banques, coups de gueule stériles d'Alain Juppé, de Rama Yade... ) Pendant ce temps dans l'opposition, on se répand en controverses qui tiennent davantage de l'a priori ou de l'invective que de la critique constructive.
Il est difficile de nier que le Président soit un homme actif. En deux ans et demi c'est même un peu l'impression de tournis qui domine. Peut-être est-ce du à la multiplicité des chantiers entrepris, mais aussi probablement à la ligne stratégique un peu confuse qui les sous-tend, et à certains revirements ou reculades.
SUR LA FORME
La présidence de Nicolas Sarkozy est marquée par une vraie rupture avec les manières de ses prédécesseurs. La gestuelle débridée et dénuée de protocole, l'expression directe et sans fioriture, particulièrement en début de mandat, n'était pas personnellement pour me déplaire, même si elle révélait une tendance hâbleuse voire parfois un certain mauvais goût. On avait tant vu par le passé, d'hypocrisies, de lâchetés, d'incurie dissimulées derrière le rite amidonné du Pouvoir !
Hélas, l'incompréhension et la violence des réactions manifestées par celles et ceux qu'il faut bien qualifier de vieilles cocottes républicaines, a eu raison de cette liberté de ton. On a vu à cette occasion avec effarement, comment la plupart des médias, des partis politiques, de l'opinion publique, et même des humoristes, restaient en définitive très largement attachés aux traditions compassées de l'ancien régime...
S'agissant de l'action elle-même, sa caractéristique principale et assez inattendue, fut d'emblée de s'inscrire dans une franche et large ouverture à des anciens adversaires politiques. Elle surprit par son ampleur, surtout qu'on avait catalogué un peu vite sans doute, Nicolas Sarkozy comme l'homme d'un clan. Loin d'être réduite à une médiocre manœuvre politicienne sans lendemain, l'ouverture révéla une indéniable largesse d'esprit en même temps qu'une belle habileté politique. La voie de la réforme étant en France tellement étroite et pavée de chausses-trappes, c'était en somme une nécessité que de faire appel à des bonnes volontés d'horizons divers. Encore fallait-il oser, et l'intelligence du Chef de l'Etat a consisté à ne pas lésiner, et à confier aux personnes sollicitées, de vraies responsabilités. Rien à voir avec les éphémères combines de Mitterand dans les années 80 (Tapie, Soisson, Schwartzenberg...), ni avec la simagrée des « juppettes » de Chirac.
En la matière, l'option la plus culottée fut l'appel à Eric Besson. Cet homme qui faisait figure d'obscur apparatchik, partisan jusqu'à la caricature, s'est mué en un vrai homme d'Etat, s'attelant à des tâches ingrates avec détermination et apparente conviction.
Pour autant, l'ouverture aussi audacieuse soit-elle, ne suffit pas à faire une vraie politique. Aussi faut-il juger aux actes concrets. Il n'en manque pas assurément depuis deux ans et demi, même s'ils n'emportent pas tous la conviction. On peut voir de vraies avancées, mais on peut également s'interroger sur le bien fondé ou la logique de certaines mesures. Le principal reproche d'ensemble qu'on pourrait faire à Nicolas Sarkozy, est de pratiquer une stratégie plus velléitaire et ambitieuse que déterminée et pragmatique.
POLITIQUE ETRANGERE
Une des meilleures initiatives fut sans conteste à mon sens, de relancer la dynamique européenne. On peut certes émettre de sérieuses réserves sur la nature du traité de Lisbonne, guère moins absconse que celle du Projet de Constitution, mais le fait est là : on est sorti de l'impasse. L'Europe reste à l'évidence encore bien floue et beaucoup trop technocratique mais elle se remet à bouger, c'est là l'essentiel.
Dans le même ordre d'idées, le rapprochement avec les Etats-Unis fut une saine décision. Là encore, eu égard à l'ahurissant consensus hostile qui sévissait en France, Nicolas Sarkozy a fait preuve d'un certain courage dès le début de son mandat, et notamment sans attendre le changement de président aux Etats-Unis.
Le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN relève de la même politique et il faut vraiment avoir une idée étroite et artificielle de notre pays pour regretter le superbe et tragique isolement dans lequel Jacques Chirac et ses prédécesseurs le maintenaient. Cette alliance n'empêche pas l'actuel président de dire sans détour son fait à son homologue américain, à propos de l'Iran par exemple. Sans acrimonie, sans mépris, mais avec sincérité.
Les gesticulations sarkoziennes lors de l'intervention russe en Georgie, furent moins convaincantes, même s'il faut bien reconnaître qu'il était difficile d'opposer davantage que des mots à la force de frappe de Moscou.
Enfin, le projet d'Union de la Méditerranée, pour intéressant qu'il soit, révèle bien des lacunes, et une bonne dose de naïveté. S'agissant du Proche Orient, l'attitude du chef de l'Etat reste ambiguë. Il cherche astucieusement à resserrer les liens avec certains pays (Arabie, Emirats) mais reste farouchement opposé à le faire avec la Turquie. Dans le conflit israelo-palestinien, il reste prudent ce qui est sans doute sage. Enfin son discours fort vis à vis de l'Iran est assez convaincant, mais sa portée paraît affaiblie par l'indulgence qu'il manifeste à l'égard de la Libye, voire de la Syrie..
11 novembre 2009
In memoriam Victor Kravchenko
Il n'est donc pas étonnant qu'imprégné dès son plus jeune âge par ce vent de révolte, il fisse le choix d'adhérer aux komsomols.
En s'enrôlant dans les jeunesses communistes, il se sent comme investi d'une mission : « Ma vie avait maintenant un nouveau but, une nouvelle orientation, une nouvelle et puissante raison d'être : j'allais me dévouer à une grande cause. J'appartenais à cette élite, choisie par l'Histoire, qui devait tirer de l'obscurité le pays et le monde tout entiers pour les éclairer des lumières socialistes. »
Aucun sacrifice ne lui semble alors excessif : « En ma qualité de membre de l'élite, j'avais le devoir de travailler plus dur que les autres, de dédaigner l'argent et de ne poursuivre aucune ambition égoïste. »
Son engagement dans l'action amène Victor à être assez rapidement témoin direct de brutalités, commises notamment sur les Basmatchis, ces musulmans d'Asie Centrale que le Tsar avait tenté de soumettre, et qui furent impitoyablement pourchassés et massacrés comme « bandits », par les Bolchéviques. Mais il ne s'en formalise guère, et tandis qu'il est en garnison à Bakou, il observe non sans dédain, certaines coutumes islamiques : « Dans les rues étroites et odorantes des quartiers musulmans, je vis pour la première fois des femmes en paranjas, espèces de linceuls qui les enveloppe de la tête aux pieds, avec un petit voile de crin triangulaire à la hauteur du visage. Ainsi affublées, les femmes n'ont plus de forme : on dirait des sacs qui marchent. »
Mais sitôt Trotski hors jeu, Staline, totalement dénué de scrupules, fait sienne la politique radicale de son ex-adversaire et parvient à écarter sans peine Boukharine et ses amis, qui peuplaient "l'aile droite" du Parti.
Dès lors la voie est libre pour la réalisation de l'absolu communiste dans sa forme la plus pure, la plus folle, consistant ni plus ni moins, à déraciner « les vestiges de l'économie et de l'état tout entier », et surtout, les vestiges de l'état d'esprit capitaliste, « afin de pouvoir enfin diriger la Russie vers l'industrialisation et le collectivisme agricole ».
UN CHAUD PARTISAN
C'est à cette époque qu'il adhère au Parti Communiste, contre l'avis de son père. Bien que ce dernier eut plusieurs fois l'occasion d'y entrer, il s'y était toujours refusé, comme s'il avait eu quelque sombre pressentiment : « Il ne se sentait aucun goût pour la dictature et la terreur » avoua-t-il tout crûment à son fils, « même enveloppée dans les plis d'un drapeau rouge. »
Qu'importe les conseils paternels, l'ardent Komsomol y croit encore : « A cette époque, écrit-il, je menais une vie de travail, de luttes et de privations et je m'irritais de voir les Libéraux à la mode d'autrefois critiquer nos efforts sans y participer... »
PREMIERS DOUTES
Paradoxalement Staline y sacrifie bon nombre de valeurs égalitaristes et transforme sans vergogne la condition ouvrière, déjà peu reluisante, en véritable aliénation : « En juin 1931 il fait un discours qui bouleverse profondément l'industrie soviétique et qui va modifier de fond en comble la vie des ouvriers et des employés d'usines. Ce discours renfermait les fameux six points destinés à augmenter le rendement et dont les plus importants étaient les suivants : calcul au plus serré des prix de revient, direction plus centralisée des entreprises, accroissement des responsabilités en cas d'échec et augmentation de l'écart existant entre les diverses catégories de salaire. »
De fait, les nouveaux nantis deviennent bientôt plus privilégiés que l'ancienne bourgeoisie, tandis que la classe ouvrière se voit totalement méprisée et ravalée ni plus ni moins au rang d'esclaves. Les rythmes de travail sont de plus en plus ahurissants, et tout écart ou tout retard, est sanctionné avec la plus extrême sévérité. Quant au principe de responsabilité, il prend des allures de tragi-comédie : « Une erreur de jugement commise en toute bonne foi ou une expérience technique dont l'application se révélait malheureuse pouvait fort bien être considérées comme des actes de sabotage est sanctionnées par l'exil ou la prison.../.. voilà pourquoi l'horreur des responsabilités paralyse complètement notre gigantesque effort de développement économique. » Souvent ce sont d'ailleurs les lampistes qui endossent les erreurs faites par leurs supérieurs, bien en cour.
HOLODOMOR
Tout de suite Kravchenko devine le drame qui commence à se nouer: « On colportait de bouche à oreille des histoires de cruauté incroyable, commises dans les villages à l'occasion de la liquidation des koulaks. De longs trains formés de wagons à bestiaux remplis de paysans traversaient Kharkov, se dirigeant vraisemblablement vers les toundras du Nord : c'était la, encore, une conséquence de la liquidation. »
Soit qu'on les exécute sur place, soit qu'on les déporte, soit qu'ils meurent de faim, c'est un massacre de plus de 6 millions de malheureux que le pouvoir soviétique planifie méthodiquement en Ukraine et dans le Caucase du Nord. A ce jour, beaucoup de pays ont reconnu cet effroyable génocide, connu sous le nom d'Holodomor, mais toujours pas la France...
Il constate avec dépit que l'objectif de l'égalité universelle promise est bien loin et voit avec rage s'installer la nouvelle Nomenklatura : « la corruption de l'esprit, chez ces privilégiés, avait atteint un degré incroyable ; ces gens qui quelques années plus tôt n'étaient eux-mêmes que de pauvres paysans, avaient déjà perdu tout souvenir de leur condition d'origine. Ils formaient maintenant une caste à part, une clique nettement scindée du reste de la population où chacun s'épaulait l'un l'autre; pratiquement, ils formaient une véritable bande de complices, ligués contre la communauté. »
SOVIETISATION PAR LA PURGE
Cette période terrible fut annoncée sans détour par les Commissaires du Peuple : après la « réussite » de la collectivisation des campagnes et le « succès » du premier Plan Quinquennal, il fallait désormais liquider les « éléments étrangers », les « ennemis du peuple », les « réactionnaires », qui selon eux, pullulaient encore un peu partout et risquaient de freiner « la marche vers le socialisme intégral et la vie heureuse pour tous. »
Lorsque le candidat à la « purge » avait victorieusement subi cette première épreuve, on en venait à l'examen de sa vie privée et de ses opinions les plus intimes sur toute chose, ce qui fournissait d'innombrables occasions de l'attaquer publiquement. »
Du reste, il affirme que personne ne prenait au sérieux le spectacle sinistre des grands procès staliniens qui déciment alors les quelques élites qui avait échappé aux précédents massacres : « Je puis certifier que personne, parmi les gens que j'eus l'occasion de rencontrer à Moscou, n'attachait la moindre valeur aux prétendus « aveux ». On comprenait parfaitement que ces malheureux n'étaient que des marionnettes obligées de tenir leur rôle dans une sinistre farce politique, entièrement dépourvue de vraisemblance. Poursuivant l'extermination de ses adversaires personnels, Staline avait réussi à les acculer au suicide. »
L'ampleur de ce nouveau génocide dépasse l'entendement : « En 1938 les camps de concentration et les colonies de travail forcé étaient plus florissants que jamais. Parmi les Communistes qui fréquentaient les milieux du Kremlin, on chuchotait que le nombre des condamnés aux travaux forcés dépassait 15 millions, et peu d'années après on l'estimait voisin de 20 millions. »
« Dans toute l'histoire de l'humanité, je ne connais rien de comparable, s'exclame Karvchenko, ne fût-ce que par son ampleur, à cette impitoyable persécution volontaire que l'on fit subir, directement ou par ricochet, à des dizaines de millions de Russes. À côté de Staline, Genghis-Khan lui-même n'était qu'un apprenti, un amateur... C'est une guerre sauvage contre son propre pays et son propre peuple que la clique du Kremlin a mené jusqu'au bout. »
L'HISTOIRE REECRITE
Les derniers restes de liberté sont piétinés, même pour les plus dévoués esclaves de l'Ogre : « Tout communiste désireux de quitter une ville ou une région pour aller se fixer dans une autre, même si son changement de résidence résultait d'un ordre supérieur, devrait attendre désormais une décision formelle de son comité urbain, l'autorisant à se déplacer. Le Parti devenait donc une espèce de prison ; il est vrai qu'on y jouissait d'agréments et de privilèges refusés aux autres occupants de cette prison plus vaste appelée Russie, mais ce n'en était pas moins une prison. »
Cette cage, même dorée pour les plus privilégiés, pouvait toutefois se transformer du jour au lendemain en disgrâce sans appel, et de toute manière avilissait toute dignité : « Comment aurait-on pu conserver la moindre dignité humaine quand le caprice de quelques mandarins moscovites ou le zèle de quelques fonctionnaires du parti ou du NKVD pouvait, à tout instant et sans que rien ne fit prévoir, consommer notre perte ? Comment conserver la moindre trace de respect humain sous l'incessant espionnage de mouchards vulgaires et trop souvent malveillants ? »
ALLIANCE ET GUERRE DES EXTREMES
Sur ce sujet, Kravchenko est catégorique, l'accord Germano-Soviétique n'était en aucune manière une ruse destinée à gagner du temps. Staline, "de bonne foi", crut bon de se rallier à Hitler, de peur qu'un pacte soit conclu entre ce dernier et les pays occidentaux, à l'encontre de l'URSS. La meilleure preuve est qu'il négligea totalement l'hypothèse d'un retournement de situation : « De tous les mensonges répandus par la propagande communiste, le plus honteux, parce que le plus faux, et celui qui voudrait faire croire que Staline mit à profit les 22 mois que lui valut son pacte avec les nazis pour se préparer à leur faire la guerre. Ce mensonge constitue une injure pour des millions de Russes qui souffrirent et moururent précisément parce que ce laps de temps avait été gaspillé. »
En réalité « cette théorie faisait bon marché de l'aspect le plus significatif de l'arrangement conclu entre Staline et Hitler, à savoir l'aide économique considérable apportée à l'Allemagne par la Russie, aide qui priva cette dernière des produits, des matériaux et de la capacité productive nécessaire à ses propres préparatifs de défense. »
En contrepartie de cette pseudo-alliance très chèrement payée, puisqu'elle aggrava la pauvreté des populations déjà privées de tout, il y avait la perspective de pouvoir annexer à bon compte quantité de voisins : Pologne, pays baltes, Finlande, Bessarabie roumaine, Moldavie, tout en rejetant vers l'Allemagne des hordes de communistes qui avaient fui le régime de Hitler et qu'on renvoyait ainsi à une mort certaine, parce qu'ils étaient jugés trop peu fiables par Staline.
En dépit de ces conquêtes faciles, l'armée rouge était en piteux état, dénuée d'armement moderne et sans encadrement digne de ce nom, et Staline ne fit rien pendant le répit qu'il avait obtenu, pour réparer ses forces. Il se consacra à persécuter les régions annexées de la pire manière en y installant sans ménagement le carcan communiste. A cette époque s'inscrit l'affreux massacre de Katyn en Pologne où sur ordre écrit du Comté Central, périrent, assassinés froidement d'une balle dans la nuque au bord de gigantesques fosses communes, plus de 14.000 officiers et civils au seul motif qu'ils avaient été jugés par principe, anti-communistes.
Staline fut totalement pris au dépourvu par la trahison allemande, et ne finit par remporter la victoire, qu'aidé par les conditions météo qui avaient déjà fait reculer Napoléon, par l'aide occidentale qui afflua massivement après ce revirement, et surtout en transformant une fois encore son peuple en chair à canon : « Malgré notre victoire finale, l'histoire retiendra à la charge du régime stalinien qu'il fut incapable de préparer le pays à l'épreuve qui l'attendait. Ce régime porte la responsabilité de millions de vies humaines sacrifiées sans nécessité et de souffrances inimaginables. Pourquoi la population de Stalingrad ne fut-elle pas évacuée ? Cette négligence de Staline est passée sous silence par ses admirateurs. Pourtant à la date du 1er mai 1943 1.300.000 habitants de cette ville avait succombé à la faim et au froid et ceux qui survécurent porteront jusqu'à la fin de leurs jours les stigmates de souffrances effroyables qu'ils endurèrent pour un siège qui dura trois hivers consécutifs. »
Dans le même temps, il dépêcha sur le front des unités spéciales du NKVD chargées d'éliminer sans pitié tout défaitiste et naturellement tout déserteur : « Que de fois nous vîmes des camions de déserteurs sortir des prisons, escortés par des Tchekistes ! Il est probable qu'on les conduisait dans quelque endroit écarté où l'on procédât à leur exécution en masse. Ils avaient les cheveux coupés ras, les visages d'un gris terreux ; c'étaient des misérables, hâves et tremblant dans leurs uniformes déchirés. Je sais de source sûre que la proportion des désertions chez nous était extrêmement élevée. »
En tout cas Kravchenko est formel : « J'affirme, une fois de plus, que la justification que l'on se plaisait à fournir du pacte conclu avec les nazis, à savoir la possibilité de gagner du temps, ne fut pas autre chose qu'un conte de fées, un mensonge pur et simple, accrédité par une propagande cynique. »
EPILOGUE
On sait désormais que tout ce qu'il a raconté est vrai, même si la réalité est sans doute plus noire encore que le tableau qu'il en fit. Et puis sa lecture est facile, car contrairement aux calomnies, Kravchenko qui manifesta d'ailleurs ce talent très tôt, savait parfaitement écrire. Même traduit deux fois (en anglais d'abord, puis en français par Jean de Kerdéland) son propos est d'une puissance descriptive rare.
« En Russie même, j'avais souvent remarqué cette tendance à rejeter sur un seul homme la responsabilité de tant de morts, mais cet état d'esprit était encore plus répandu aux États-Unis. Le malheur, c'est que ces horreurs sont inhérentes au système soviétique lui-même et que ce système, bien certainement, ne mourra pas en même temps que Staline. Un autre dictateur lui succédera – une nouvelle clique de dictateur... »
Par un curieux paradoxe enfin, les rares fois où à l'occasion d'évènements sanglants l'expérience socialiste avorta (Espagne, Chili), les pleureuses bien-pensantes, affreusement myopes et partisanes, mais tranquillement à l'abri dans les démocraties occidentales, prirent sans nuance, fait et cause pour ceux qui prônaient le marxisme-léninisme...