31 août 2008

Non, non, rien à Changé


C'est d'une voix enrouée, mal assurée, énervée, que Nicolas Sarkozy a tenté de justifier le financement du futur Revenu de Solidarité Active. A l'évidence, sa prestation du 28 août, révélait un manque inhabituel de conviction et d'enthousiasme.
Il faut dire que ce n'est pas facile d'avoir à se déjuger en affirmant exactement le contraire de ce qu'on clamait haut et fort peu de temps auparavant.
Comme par une ironie du sort il choisit la petite ville de Changé en Mayenne, pour faire ces navrantes révélations. Est-ce à dire qu'il voulait signifier un revirement fataliste de stratégie, ou bien est-ce au contraire à l'enterrement du « Changement » qu'il conviait la France ? Dans les deux cas l'évènement incite à la tristesse et au découragement.
Sur la réforme elle-même, pas trop de difficulté à craindre pour le président, tant il joue sur le velours moelleux du consensus. Le principe même de ce RSA est en effet à peu près unanimement approuvé : « Une mesure formidable » a même déclaré l'orfèvre en langue de bois droitière qu'est Jean-François Copé (France Info 29/08). Le même Copé se réjouit sans rire, du fait que désormais les bénéficiaires du RMI « ne perdront pas d'argent lorsqu'ils retrouveront un travail payé à hauteur du SMIC horaire » !
A croire l'ancien ministre du Budget, pour pallier les effets néfastes d'un système bancal et incroyablement pervers qui impose une norme salariale inférieure aux largesses accordées aux personnes sans travail, on ne fait donc rien d'autre que lui coller une rustine légale supplémentaire compliquant encore un peu les choses et grevant le budget de l'Etat. Magnifique logique que n'aurait pas désavouée le Savant Cosinus.
Rien ne permet d'affirmer à ce jour que cette nouvelle allocation sociale soit plus efficace que les innombrables dispositifs ingénieux et bien intentionnés issus de l'imagination fertile des bureaucrates de l'Etat-Providence. Un fait est sûr : elle coûtera cher, et comme d'habitude, probablement plus que prévu.
Car le plus grave dans cette affaire est en effet le revers de la médaille. Même si la mesure se nourrit de bons sentiments et – soyons optimiste – procure quelque amélioration à ses destinataires potentiels, quel en sera le bénéfice global si pour la financer on crée un inconvénient au moins égal en valeur absolue ? Peut-on commettre une bonne action avec le fruit d'une mauvaise, fût-ce en lui donnant le joli nom de "solidarité active" ?
Une fois encore, les leçons de
Frédéric Bastiat sur « ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas » devraient s'imposer à nos dirigeants. On se souvient de la fameuse parabole du carreau cassé qui décrit si bien cette problématique universelle. Je préfère toutefois citer ici les propos sombres mais prémonitoires que le grand économiste libéral tenait à son ami Courdroy le 2 février 1848, trois semaines avant la révolution qui vit la monarchie de Juillet partir en capilotade : « Depuis dix ans, de fausses doctrines, fort en vogue, nourrissent les classes laborieuses d’absurdes illusions. Elles sont maintenant convaincues que l’Etat est obligé de donner du pain, du travail, de l’instruction à tout le monde. Le gouvernement provisoire en a fait la promesse solennelle ; il sera donc contraint de renforcer tous les impôts pour essayer de tenir cette promesse, et, malgré cela, il ne la tiendra pas. Je n’ai pas besoin de te dire l’avenir que cela nous prépare…».
Hélas force est de constater que Nicolas Sarkozy, peut-être affolé par les mauvais chiffres actuels, peut-être sous la pression d'un entourage très cul-béni mais peu inspiré, est en train de tourner complètement casaque. Après l'invraisemblable taxation des chaines de télévision privées pour financer leurs homologues du « Service Public », après le racket sur les Assurances Mutuelles de Santé pour tenter de combler le déficit abyssal de la Sécurité Sociale, voici la petite épargne asséchée pour abonder « la rosée fécondante de l'impôt de solidarité ».
L'embellie n'aura donc guère duré plus d'un an. Encore faut-il insister sur le fait que le torrent de réformes audacieuses se résume surtout à des mots et à un immense chantier à peine entrepris. En la circonstance, Sarkozy se vante d'avoir redonné de l'argent « en haut » en créant le bouclier fiscal et en allégeant l'ISF. Mais dans le premier cas il n'a fait qu'imposer à l'Etat une barrière ubuesque contre ses propres attaques et dans le second, qu'édulcorer un impôt que tous les gens sensés savent stupide et que tous les pays voisins, même socialistes, ont aboli. Il n'y a vraiment pas de quoi se féliciter et sûrement aucune légitimité à en tirer pour ressortir de plus belle la massue fiscale sur le plus grand nombre.
Au moment où la France s'enfonce dans le marasme économique, Sarkozy qui se targuait pour l'en sauver, de franchir le Rubicon des idées reçues, s'arrête avant même le milieu du gué, ne sachant plus vers quelle rive aller. Calamiteuse hésitation surtout s'il s'inspire du funeste Guizot qui face au libéralisme se comporta comme l'âne de Buridan, s'il écoute une épouse richissime qui a le coeur sur la main mais ignore totalement le monde réel à la manière de Marie-Antoinette, ou bien des conseillers experts en oeuvres de bienfaisance et pétris de bonnes intentions, mais persuadés qu'il n'est de richesses que d'Etat ! Le pire est que les sondages, de nouveau en ascension, l'encouragent à abandonner la proie pour l'ombre...
PS : Pendant ce temps les Etats-Unis, dont tous les experts réunis annonçaient une fois encore le déclin et la récession économique, enregistrent un rebond imprévu de croissance . Dixit Le Monde du Jeudi 28 août : "Le département américain du commerce a révisé en forte hausse la croissance de l'économie des Etats-Unis au deuxième trimestre. Le produit intérieur brut (PIB) de la première économie mondiale a finalement progressé de 3,3 %, en rythme annuel, d'avril à juin, bien au-dessus de l'estimation initiale de 1,9 %". Il faut préciser que dans ce pays, le président qu'il est de bon ton de qualifier "de plus mauvais et de plus impopulaire de tous les temps", n'a pour sa part, jamais fléchi dans sa détermination et ses convictions...

28 août 2008

Comediante ! tragediante !


Je ne sais plus quel commentateur a récemment ironisé sur le président de la république, en évoquant notamment le contraste entre ses discours toniques et ses actions plutôt timorées, et en le comparant à un « Chirac avec des piles neuves ». Je commence pour ma part à craindre que cela soit vrai.
Au fil des mois la fameuse rupture avec le passé semble s'estomper pour laisser place à un théâtralisme dont le classicisme est hélas trop connu. Les vieux démons qu'on pouvait croire en passe d'être enterrés reviennent de plus belle.
Qu'on en juge sur trois exemples tirés de l'actualité :
On se souvient que Nicolas Sarkozy, durant la campagne présidentielle avait clamé sa "détestation de la repentance", que son prédécesseur avait fini par ériger en véritable culte. Et bien voilà qu'il se croit obligé à son tour, de se répandre en larmes tardives et inefficaces, à l'occasion d'une visite lundi dernier à Maillé, village martyr de la dernière guerre mondiale, où périrent en un jour sous les balles nazies, 124 des quelques 500 habitants. Certes il est difficile de reprocher la commémoration d'un drame du passé, mais on peut s'interroger sur la nécessité de se culpabiliser à nouveau, plus de soixante ans après : « En ignorant si longtemps le drame de Maillé, en restant indifférente à la douleur des survivants, en laissant s'effacer de sa mémoire le souvenir des victimes, la France a commis une faute morale".
En politique étrangère, dans un contexte de plus en plus tendu, ce n'est guère mieux. Après avoir tenté au nom de l'Europe, de négocier un accord entre les belligérants, le voici qui se livre à une dangereuse et probablement inconséquente escalade verbale au sujet de l'attitude des Russes en Georgie. Devant les ambassadeurs réunis expressément pour la circonstance à l'Elysée, il s'insurge : « C'est tout simplement inacceptable ». Il se fait même comminatoire : «Les forces militaires (russes) qui ne se sont pas encore retirées sur les lignes antérieures au déclenchement des hostilités doivent faire mouvement sans délai». Mais que pourra-t-il donc proposer si ces dernières n'obtempèrent pas, ce qui pour l'heure semble être le cas ? Espère-t-il vraiment impressionner les dirigeants moscovites au moment même où les maigres forces françaises essuient un tragique revers en Afghanistan?
En matière économique enfin, c'est le pompon. Sauf retournement de dernière minute, il s'apprête en effet à annoncer la mise en oeuvre prochaine de l'emblématique « Revenu de Solidarité Active », en le finançant au moyen d'une nouvelle taxe sur les revenus de l'épargne , jusques et y compris ceux de l'Assurance Vie ! Cette dernière, sur laquelle beaucoup comptent pour améliorer leur retraite, et qui est déjà grevée à hauteur de 11% par les multiples "prélèvements sociaux", rapportera donc probablement moins qu'un livret A et peut-être même moins que le coût de l'inflation ! Comme le fait remarquer narquoisement l'ancien ministre délégué au budget, Alain Lambert : "Augmenter les impôts sur le capital alors qu'on a baissé il y a un an les droits de succession, j'ai besoin de quelques minutes pour comprendre..." A voir la mine réjouie des Hollande, Ayrault et compagnie qui se félicitent par avance, on mesure avec dépit l'absurdité de la situation.
Décidément, il y a du mouron à se faire, face à ces gesticulations pour le moins désordonnées. Un an après l'arrivée au pouvoir de Sarkozy, le magazine The Economist trouvait ce mandat globalement décevant et qualifiait le président de "showman who talks the talk but seldom walks the walk". Aurait-il raison ?

17 août 2008

Ombres chinoises, poupées russes

A Pékin, les jeux sont quasi faits. Le ballet des protestataires s'est dispersé, pas un athlète ne manque à l'appel et après une cérémonie d'ouverture époustouflante, la quête de médailles occupe désormais entièrement les esprits.
Elles paraissent bien lointaines les vitupérations des anciens maoïstes, comparant les Jeux Olympiques de 2008 à ceux de 1936 en Allemagne.
J'entends encore Daniel Cohn Bendit sur France Inter, la veille de la cérémonie d'ouverture, s'étrangler de rage à propos de ce qu'il considérait comme un scandale inacceptable.
Même s'il refuse à titre personnel, l'étiquette d'ancien « mao », il ne paraissait pas trop gêné de défiler avec eux en 68, le poing tendu, sous le portrait du Grand Timonier... A l'instar de nombre de benêts qui se targuent d'être des consciences éclairées, mais qui encensaient de sinistres dictateurs à une époque où il n'était pas permis d'ignorer leurs méfaits, ils trouvent aujourd'hui que la Chine ne se débarrasse pas assez vite de leurs méthodes infâmes... Autre temps, autres moeurs !
Ces gens, qui n'ont pas tiré grand enseignement de leurs erreurs passées, continuent donc de pérorer leurs leçons, à cheval sur les grands principes.
Reprenant la bonne vieille rhétorique de la reductio ad hitlerum, ils comparent le communisme de 2008, en pleine déconfiture
au national-socialisme de 1936, en pleine ascension. A Berlin, c'était Hitler qui paradait. Aujourd'hui, à Pékin, les dirigeants chinois font plutôt profil bas. Ils n'ont plus d'idéologie à faire valoir et le communisme est à l'état vestigial. La Chine qui a certes encore de grands progrès à faire pour ressembler à une démocratie moderne, n'a fort heureusement plus grand chose à voir avec le pays de Mao. L'immense paquebot que constitue cette nation a changé de cap, mais le mouvement se fait avec lenteur et inertie.
Les sages du Comité Olympique ont pris une lourde responsabilité en accordant à Pékin les Jeux. Mais ils l'ont fait en connaissance de cause et une fois la décision prise, il n'y a plus vraiment lieu de continuer les jérémiades. A bien y regarder, ce n'est d'ailleurs pas Berlin en 1936 qui fut la cause de tant de malheur mais plutôt Munich en 1938.
Mieux vaut agir lorsque cela est raisonnablement envisageable, plutôt que de se répandre en récriminations vertueuses mais inefficaces. S'agissant du Tibet, à l'instar du Dalaï Lama lui-même, il y a lieu de saisir toutes les occasions pour tenter d'infléchir la position des dirigeants chinois, mais il convient d'éviter la politique du chiffon rouge, génératrice de crispation.
A peine, l'affaire des Jeux s'estompe-t-elle qu'une nouvelle arrive, mettant en scène un autre ancien bastion du communisme. La Russie, au mépris de toutes les règles internationales envahit brutalement la Georgie, pays démocratique, sous prétexte que cette dernière réprimait trop durement les velléités d'indépendance d'une de ses composantes sécessionnistes : l'Ossétie du sud.
L'Ossétie et ses quelques 70.000 habitants ne pèse pas lourd sur l'échiquier international et son désir d'indépendance en dit long sur le degré de fragmentation de l'ex-empire soviétique. La Georgie qui compte elle-même moins de 5 millions d'âmes n'est qu'un petit pays. Avant d'accéder à l'indépendance, elle faisait partie intégrante de la Russie dès le début du XIXè siècle. Elle fut la terre natale de Staline... De nos jours encore, malgré la tenue d'élections libres, des allégations font état de comportements douteux de la part des dirigeants : violence, coups bas, corruption... Il faut d'ailleurs convenir que les répressions auxquels ils se sont livrés
en Ossétie, relèvent d'une stratégie plutôt expéditive...
Mais voilà, la Georgie, comme l'Ukraine, et beaucoup d'autres républiques autrefois asservies à l'URSS, aspire désormais à rejoindre le club des démocraties occidentales. Elle n'a d'yeux que pour l'Europe et a demandé en 2007 son intégration à l'OTAN. Depuis des années, elle défie ouvertement sa grande et menaçante voisine.
Derrière ces conflits locaux se profile donc une confrontation bien plus gigantesque, opposant en réalité la Russie à l'Amérique, avec au milieu l'Union Européenne. En d'autres termes, d'un côté l'Est pantelant, humilié, dont les rouages s'éparpillent, mais dont le coeur est encore battant à Moscou, de l'autre l'Ouest triomphant et parfois arrogant ou inconséquent.
En matant la Georgie, la Russie trouve une belle occasion d'affirmer sa volonté de puissance et d'hégémonie sur ses anciens vassaux. Elle veut manifestement continuer de rayonner sur la région et faire contrepoids à l'Alliance Atlantique. Elle ne craint guère en la circonstance l'Europe dont elle connaît derrière les discours, la langueur, et les faiblesses pacifistes. Certes Nicolas Sarkozy en tant que président de l'Union n'a pas ménagé sa peine pour parvenir à une solution négociée, mais dans l'ensemble peu de voix se sont élevées pour réprouver l'intervention russe. Quant aux Etats-Unis, à la veille de l'élection présidentielle, il y a peu de chances qu'ils puissent rétorquer de manière très forte. Au surplus, la Russie a beau jeu de rappeler les interventions en Serbie, en Afghanistan, en Irak. En accourant au secours de l'Ossétie, elle estime répondre en quelque sorte au zèle mis par toutes les nations occidentales à reconnaître l'indépendance du Kosovo, il y a quelques mois.
Le risque est qu'elle s'enhardisse à la suite de cette opération qui s'annonce comme un succès, et qu'elle cherche alors peu à peu à reprendre son emprise sur ses voisins. Sans être aussi pessimiste qu'Yvan Rioufol sur les intentions réelles des dirigeants russes et sur les capacités de réaction des démocraties occidentales, la question angoissante face à l'agression d'un pays dit ami, est tout de même de déterminer où se situe la limite extrême au delà de laquelle il deviendrait incontournable d'envisager une riposte armée, sous peine de voir se reproduire une situation rappelant fâcheusement 1938...

07 août 2008

Machines à penser


C'est une évidence, on attache de plus en plus d'importance à l'informatique. On lui délègue un nombre grandissant de tâches, on tend plus ou moins délibérément à « humaniser » les robots, et on en vient parfois même à leur imputer une certaine responsabilité, notamment lors de la survenue de dysfonctionnements (qui n'a pas entendu un jour devant une défaillance, une expression fataliste du genre : « désolé, c'est l'informatique » ?).
De fait, il devient de moins en moins absurde d'imaginer dans un futur plus ou moins lointain, l'avènement d'ordinateurs doués d'intelligence, voire de conscience. Ce qui revient en définitive à réactualiser la fameuse problématique soulevée autrefois par Turing (1912-1954), et qu'on peut résumer par la question : « une machine peut-elle penser ? ».

Pour ma part, j'ai tendance à répondre par l'affirmative, à condition de réduire la conscience humaine à une simple fonction mathématique ou logique (même s'il s'agit de processus très complexes).
D'une certaine manière, une calculette « pense » les chiffres sur lesquels elle effectue des opérations. Elle n'a pourtant à l'évidence pas de pensée autonome et pas de « moi ». Un computer doté d'un programme permettant de jouer aux échecs « pense » la partie. Son raisonnement peut même souvent se révéler plus efficace que celui de son adversaire humain. Et à en juger par la seule succession des coups, il serait pour un observateur attentif, bien difficile à l'instar de la proposition de Turing, de déterminer s'ils sont élaborés par une machine où par un être fait de chair et d'os.

Ça peut paraître effrayant mais, il n'y a pourtant qu'une différence de degré et pas de nature, entre un ordinateur qui raisonne mieux que le cerveau et un simple marteau, beaucoup plus efficace que la main pour enfoncer un clou...
Car la machine n'est rien sans l'homme (même si elle est possible, la confrontation de deux ordinateurs devant un échiquier n'a pas plus de sens qu'un « marteau sans maître »)
La conscience quant à elle, va manifestement bien au delà des algorithmes aussi élaborés soient-ils. Elle implique des considérations émotionnelles, morales, ontologiques, plus généralement subjectives et irrationnelles, totalement étrangères aux machines. De ce point de vue, Descartes avait donc tort avec son « cogito ergo sum ». Il ne suffit pas de penser pour être...

En définitive, même si elle s'appuie sur des processus logiques, la conscience relève très largement de l'indicible. En dehors de toute connotation spirituelle, elle pourrait bien, pour l'être qui en est doué, faire partie des notions qui lui sont « indécidables », en application du théorème de Gödel (1906-1978) décrivant les systèmes de logique formelle... Le « connais-toi toi-même », objectif louable s'il en fut, est probablement impossible stricto sensu.

Ne connaissant donc pas précisément la nature du principe qui les gouverne, et n'ayant sur ce sujet fait quasi aucun progrès depuis la nuit des temps, comment les êtres humains pourraient-ils le conférer à leurs propres « créatures » ? Il faudrait en ce cas admettre que l'homme devienne en quelque sorte le Dieu des machines... Mais quel Dieu approximatif, mon Dieu (si je puis dire...)
Il semble donc que la conscience artificielle soit un mythe. Ce dernier peut nourrir les histoires de science-fiction mais n'est pas près d'occulter le tragique constat de Socrate : « La seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien »... Et l'Homme reste donc totalement responsable de ses actes et de ses créations. A l'oublier, il risque fort de nier sa propre humanité, tout comme le prédisait Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme... »

05 août 2008

Soljenitsyne : un géant s'efface


La disparition d'un tel homme pourrait inspirer des pages de commentaires, des flots de louanges ou d'exégèse, tant l'oeuvre est immense et ses vertus incommensurables. Plutôt que de chercher par quel bout attaquer ce géant, peut-être suffit-il de rappeler quelques évidences, trop souvent niées ou occultées.
Alexandre Soljenitsyne (1918-2008), l'homme tranquille, fut conçu non pour l'instant fugace, ni même pour la gloire, mais pour servir de phare au monde. Et avant de s'élever en majesté au dessus du XXè siècle, il s'échina des années durant, envers et contre tous les périls, à mettre sur pied dans l'ombre et la solitude, la somme terrible qui contribua à renverser la pire calamité qui fut jamais conçue par l'être humain.
Depuis que sa mission était accomplie, il n'aspirait plus qu'au calme et au détachement. Toujours fuyant la vanité du monde, il ne voulut jamais faire autre chose de sa vie qu'un fatum humble et puissant, consacré tout entier au service de la lumière et de la liberté.
De ce point de vue, Soljenitsyne est un peu comme l'obsidienne. Il est sombre, mystérieux, presque insondable parfois, mais ses écrits brillent avec une intensité sublime, et sa résistance est quasi parfaite. Lorsqu'on cherche à le briser, il éclate en morceaux encore plus tranchants, encore plus étincelants, plus terriblement efficaces.
Pour l'éternité sa belle figure de commandeur rappellera donc aux hommes de bonne volonté qu'il ne faut jamais cesser d'espérer.
Elle rappellera aussi qu'il est essentiel de garder bien pleine son âme. Comme l'attestent les réflexions roboratives, trouvées sur un blog inspiré, qu'il livra il y a quelques années (1998) à Alexandre Sokourov. Recommandant notamment de se défaire des croyances sans fondement, de savoir se repentir de ses erreurs, de connaître ses limites, d'être conscient de la misère de ses passions, et de lutter contre elles, surtout contre la pire de toutes, la cupidité : « E
st-elle moins fâcheuse que la cruauté ? Elle détruit la race humaine. Elle peut détruire chaque être. Si seulement les hommes pouvaient s'arrêter un moment et se dire : c'est bon; J'en ai assez. Je suis complètement satisfait.... »
Mais, alors que Soljenitsyne s'en va, comment résister à l'envie de rappeler le terrible fléau qu'il combattit si vaillamment, et de le faire naturellement avec ses propres mots, écrits en 1990, alors qu'enfin les abominables murailles tombaient : « Qui d'entre nous ne connaît aujourd'hui nos malheurs, même dissimulés sous des statistiques mensongères ? Pendant les soixante-dix ans où nous nous sommes traînés à la remorque de l'utopie marxo-léninienne, aveugle et maligne de naissance, c'est le tiers de notre population que nous avons soit délibérément supprimé, soit naufragé dans une « Grande guerre nationale » conduite de manière obtuse et même suicidaire.
Perdant l'abondance de jadis, nous avons anéanti la classe paysanne et ses villages, nous avons retiré aux hommes jusqu'au goût de faire pousser le blé et à la terre l'habitude de donner des moissons – une terre que nous avons de surcroît, noyée sous d'immenses retenues marécageuses. A force d'y rejeter les déchets d'une industrie primitive, nous avons rendu immondes les environs des villes, empoisonné fleuves, lacs, poissons, et finissons actuellement d'infecter l'air, l'eau et la terre, ajoutant encore à tout le reste la mort atomique... » (Comment réaménager notre Russie ? Fayard)
Soyons optimiste, le cher homme s’est tellement battu toute sa vie pour débarrasser son pays et le monde de cette monstruosité; alors qu’on entend aujourd’hui à sa mémoire bourdonner le glas, espérons comme lui que “L’horloge du Communisme a sonné tous ses coups”…

03 août 2008

Les petits rapporteurs de la Santé


Même si l'on est de ses adversaires, on ne peut guère reprocher à Nicolas Sarkozy de manquer d'ambition, d'idées et de projets pour la France. Certes, ça n'empêche pas certains de le trouver trop réformateur, et d'autres pas assez, mais il fait bouger les lignes comme on dit.
Pourtant il est un domaine où son action paraît pour le moins erratique : celui de la santé. Ce n'est pas qu'il paraisse le négliger, puisqu'il l'évoque assez régulièrement, tout en visitant les hôpitaux, mais on sent comme un flottement dans sa détermination.
Est-il bien conseillé ? On peut avoir des doutes.
Madame Bachelot, ne cultive fort heureusement pas le culte de la réformette clinquante mais vaine du calamiteux Douste-Blazy, mais pour l'heure , son attitude relève d'une sorte de pharisaïsme prudent. Elle fait mine de vouloir sauvegarder les fameux acquis sociaux intangibles du système français de sécurité sociale, et continue d'en rogner gentiment les bords à la manière de tous ceux qui l'ont précédée dans la fonction. Après avoir instauré le système des franchises, le « déremboursement » de spécialités médicamenteuses déclarées peu efficaces, elle vient d'annoncer, pour combler un tant soi peu le gouffre de la Sécu « sans augmenter les cotisations », qu'elle allait taxer les « bénéfices » engrangés par les Mutuelles d'assurances complémentaires. Avec un délicieux sens du jésuitisme, elle considère en effet que cette décision se justifie par« leur bonne santé qui contraste avec les difficultés de l'Assurance maladie... » Plutôt que d'assainir la situation du système dont elle la charge, elle préfère donc se payer sur les efforts des autres !
Le plus beau est toutefois sa réponse totalement décomplexée, aux journalistes qui l'interrogent sur la probabilité pour les assurés de subir in fine une augmentation détournée des cotisations :
Si votre Mutuelle augmente ses cotisations, changez donc de mutuelle ! Un peu fort de café madame la ministre. Et comment fait-on pour échapper à la pression univoque, croissante et sans partage de la Sécu ?
A côté de la ministre, vibrionnent une nuée de conseillers. N'étant jamais payeurs ni redevables de rien, ils sont généralement prodigues en idées. Il faut dire que du fond de leurs bureaux feutrés la tâche est immense, puisqu'il ne s'agit rien moins que de réaliser la quadrature du cercle... idéologique.
De rapports en commissions, d'Etats-Généraux en Schémas d'organisations, ce n'est assurément pas le manque de suggestions dont souffre le système. Et l'avènement de Nicolas Sarkozy n'y a rien changé. Il y a quelques mois je m'étais attardé sur le rapport Larcher, du nom du sénateur, ancien
« ministre délégué à l’Emploi, au Travail et à l’Insertion professionnelle des jeunes », ancien président de la Fédération Hospitalière de France.
Début Juillet, c'était le professeur Guy Vallancien qui en remettait une couche à la demande de madame Bachelot.
Ce professeur d'Urologie, exerçant à l'Institut Mutualiste Montsouris à Paris, n'est pas à son coup d'essai. Il s'était déjà illustré par un rapport meurtrier sur la chirurgie hospitalière, réclamant en 2006 la fermeture de près d'un quart des Blocs opératoires du Service Public !
Aujourd'hui, il récidive en s'attaquant à l'ensemble du dispositif hospitalier qu'il juge en fort mauvais état, (« administré mais toujours pas gouverné »), et auquel il voudrait appliquer les règles de fonctionnement des entreprises commerciales.
On peut toutefois avoir quelques doutes sur la « culture managériale » vantée à longueur de pages par Mr Vallancien, qu'il semble avoir découverte à la lecture d'un bréviaire pour débutants. A lire ce nième rapport, elle s'inscrit en effet dans le pire des scénarios bureaucratiques.
Mr Vallancien se paie de mots mais son projet est grandiloquent et l'arsenal administratif reste plus fort que jamais. Les Agences Régionales de l'Hospitalisation, créées à l'occasion du funeste plan Juppé de 1996, et mises en cause par Nicolas Sarkozy pour leur inefficacité, cèdent la place à des structures encore plus délirantes : les ARS ou Agences Régionales de Santé (encore reste-t-il à voir qu'elles ne s'ajoutent pas à l'existant...). Et naturellement, sous sa tutelle "bienveillante", tous les artifices de la bonne vieille planification quinquennale restent en place et sont mêmes renforcés : Etats-Généraux, SROS, COTER, COMEX...
S'agissant de l'organisation hospitalière, elle se complique toujours davantage. La centralisation étant semble-t-il devenue le dernier cri en matière de gestion, il s'agit désormais de gérer les hôpitaux en les regroupant en Communautés d'Etablissements ! Pour un « Bassin de population » de 200 à 400.000 habitants, il estime que 4 à 10 établissements pourraient être ainsi regroupés, « représentant entre 7000 et 20.000 employés ». Il plaide dans le même temps pour une hiérarchisation et une « ultra-spécialisation » rigide des tâches dévolues à ces établissements en fonction de leur taille, du CHU à l'hôpital local...
Pour tendre vers cet objectif mirobolant, comme à l'accoutumée, on change les noms. Par exemple, le Conseil d'Administration devient Conseil de Surveillance, une vraie révolution, et on lui confère, à lui qui n'arrive en règle déjà pas à administrer un seul établissement, un périmètre d'action faramineux (la nouvelle et emblématique Communauté Hospitalière de Territoire) ! La bonne vieille Commision Médicale d'Etablissement (CME) s'éparpille en un réseau vague et noueux de Comités consultatifs Médicaux, Conseils Scientifiques et Médicaux...
Le Directoire, dernière trouvaille aux accents vaguement bonapartistes, vient quant à lui rajouter une strate au mille-feuilles, marchant sur les plates-bandes des Conseils Exécutifs datant de l'avant-dernière réforme, qui eux-mêmes s'emmêlaient déjà les pinceaux avec les Pôles, les Commission Médicale d'Etablissement, Commission technique d'Etablissement et autres pseudopodes administratifs aux rôles plus ou moins consultatifs, plus ou moins décisionnels... Enfin, cerise sur le gâteau, la mise sur pieds d'un Comité d'Entreprise est encouragée sans qu'on sache ce qu'une telle instance apporterait à cet ensemble plutôt baroque et confus.


Au bout du compte, à voir cet infernal méli-mélo de dispositions et de propositions, on peut être saisi d'une immense déception. Comment donc y voir autre chose que quelques rustines comptables d'une part, et qu'un nouveau salmigondis technocratique basé, en dépit de ses bonnes intentions, sur le planisme si cher aux soviétiques. On aura une fois encore, probablement raté la réforme qui aurait ouvert la voie à l'initiative, à l'émulation et à la responsabilité. La Tarification à l'Activité (T2A !) et l'Accréditation, institués à grands frais ces dernières années, avaient pourtant laissé entrevoir l'avènement de conditions propices à l'émergence de ces vertus. Hélas, ces dispositifs sont restés si compliqués, si théoriques, et si étroitement encadrés par l'Etat, qu'ils ont aujourd'hui complètement manqué leur but. Ça ne finira donc jamais !