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24 septembre 2019

Patrimoine et Passion de la Liberté

Les journées du patrimoine permettent de s'offrir à peu de frais de sympathiques surprises. Un récent passage à Bordeaux fut ainsi l’occasion d'une visite au musée des Beaux-Arts.
En dépit de la noblesse des deux ailes cernant un joli jardin, il n’est certes pas immense. On peut également regretter le manque d’éclairage sur certains tableaux, notamment une intéressante collection de Hollandais du XVIIè siècle. Quelques beaux paysages signés Ruysdael pâtissent ainsi de la quasi pénombre dans laquelle ils sont plongés.
J’ai apprécié en revanche particulièrement le mur consacré à Odilon Redon, natif de la cité girondine. Une vue du Pont de Pierre et une autre d’une rue de Saint-Georges de Didonne traitées avec la grâce aérienne qui caractérise le peintre ont retenu mon attention. Une apparition céleste du char d'Apollon, mélange de pastel et d’huile, témoigne du symbolisme ardent qui fit son originalité et sa renommée.
Albert Marquet dont j’aime la technique épurée et la sûreté du trait et des couleurs est également à l’honneur, avec une bonne demi-douzaine de paysages.

On peut remarquer egalement la présence de quelques vues maritimes intéressantes d'Eugène Boudin.
Enfin j’ai découvert Alfred Smith (1854-1936), artiste bordelais au style impressionniste très maîtrisé, proche de Monet. Une splendide perspective des quais sous la pluie, attire l’attention, avec l’antique tram et les majestueuses colonnes rostrales de la place des Quinconces, tout en dégradés et ombres chinoises.
A quelques enjambées du musée proprement dit, se trouve la Galerie des Beaux Arts où se déroule jusqu’au 13 octobre une exposition intitulée La Passion de la Liberté: des Lumières au romantisme.
Impossible bien évidemment de louper ça.
Organisée en lien avec le Louvre, elle propose une intéressante rétrospective, peuplée de tableaux, de sculptures, de porcelaines, de tapisseries et d’objets divers. La Grèce sur les ruines de Missolonghi par Delacroix rappelle la lutte désespérée pour recouvrer en 1826 l’indépendance de la nation hellène soumise à l’empire ottoman. C’est aussi l’occasion de se souvenir de l’engagement de Lord Byron à cette cause, qu’il paya de sa vie après avoir contracté une mauvaise fièvre dans la ville martyre.
L’expo rappelle le rôle majeur des Intellectuels français dans l’essor des idées de liberté, c'est à dire du libéralisme. On trouve ainsi un volume de la fameuse encyclopédie de Diderot et l’édition originale de l’Esprit des Lois par Montesquieu. Un portrait de Germaine de Staël souligne l’importance de cette dernière dans le combat pour la liberté et notamment pour l’émancipation des femmes.
On perçoit un peu moins ce que signifie ici la composition sinistre de David, représentant Marat, gisant assassiné dans sa baignoire, avec la légende troublante: “N’ayant pu me corrompre, ils m’ont assassiné”. On veut comprendre que le destin funeste de ce tyran en puissance ouvrait l’espoir de recouvrer la Liberté, après les excès la Terreur dont il fut un des plus zélés artisans, dût-ce être payé du sacrifice de Charlotte Corday.

L’exposition invite par ailleurs le spectateur à la réflexion sur plusieurs thématiques. La liberté est déclinée sous tous ses aspects: aussi léger que le libertinage, qualifié de liberté des sens, aussi illusoire que l’utopie, en tant que liberté d’imaginer, ou plus sérieux lorsqu’il s’agit de voir dans la liberté, l’irremplaçable moteur de la création en matière de commerce, d’art, de science, et plus généralement la source de la raison, du progrès et de la responsabilité...

Pour accompagner le cheminement de l’esprit, quelques pièces symboliques à valeur artistique sont proposées, parmi lesquelles on remarque une collection d’amusantes assiettes révolutionnaires, la reproduction du Génie de la Liberté qui orne la colonne de Juillet, place de la Bastille, et qu'on doit au sculpteur Auguste Dumont, et quelques belles tapisseries des Gobelins ou de Beauvais.
Une heureuse initiative en somme à une époque où le terme même de liberté apparaît de plus en plus galvaudé, et où nombre de nos contemporains peinent à mesurer sa valeur. L’occasion également de rappeler qu’elle figure en tête des valeurs cardinales de la République et qu’il y aurait grand péril à cesser de la chérir comme telle...

16 août 2019

La liberté d'être libre

La publication récente d’un texte inédit* de Hannah Arendt, retrouvé dans les archives de la Bibliothèque du Congrès à Washington DC et daté du milieu des années soixante, est l’occasion de mettre au jour d’intéressantes réflexions sur la vraie nature des révolutions et sur l’aspiration à la liberté qu’elles se font fort de propager habituellement.
Cet écrit entreprend de montrer que cette dernière est souvent un leurre, agité non pas par le peuple mais par ceux qui s’arrogent le droit de parler en son nom, lorsqu’ils font  par leurs écrits et leurs discours le lit de l’insurrection, ou lorsqu’ils parviennent au pouvoir de manière violente.
De fait, Hannah Arendt affirme “qu’aucune révolution, si largement qu’elle ait ouvert ses portes aux masses et aux miséreux - les malheureux, les misérables, les damnés de la terre, comme les désigne la grande rhétorique de la Révolution française -, ne fut jamais lancée par eux”.
La raison en est que “là où les hommes vivent dans des conditions de profonde misère, la passion pour la liberté est inconnue”; elle ne peut naître et prendre corps que chez “des hommes ayant des loisirs, des hommes de lettres n’ayant pas de maître et n’étant pas toujours occupés à gagner leur vie”.

Autre constat, aussi frappant que paradoxal, “les révolutions ne sont en règle pas la cause, mais la conséquence de la chute de l’autorité politique.” De manière plus générale, “aucune révolution n’est même possible là où l’autorité du corps politique est intacte, ce qui dans le monde moderne signifie là où l’on peut être assuré que les forces armées obéissent aux autorités civiles.”
En d’autres termes, les révolutionnaires ne s’emparent pas du pouvoir, ils ne font que prendre la place laissée libre par l’effondrement du précédent. Cela diminue singulièrement leur mérite, ce d’autant plus que l’expérience montre qu’ils peinent en général à le conserver dans les conditions qu’ils s’étaient fixées. Par une cruelle ironie du sort, la figure allégorique de “la Liberté guidant le Peuple”, le mène bien souvent à une nouvelle tyrannie, pire que celle dont il s’est affranchi !

Ces réflexions sont particulièrement prégnantes à notre époque, marquée par une crise profonde de la démocratie, où l’on voit l’autorité publique battre souvent en retraite ou faire preuve d'impuissance devant des factions de plus en plus virulentes, et où paradoxalement on l’accuse de plus en plus souvent d’être à l’origine de “violences policières”. N’y a-t-il pas là le début d’un pourrissement du Pouvoir, dont l’aboutissement pourrait mener au chaos et à tous les excès ?
Combien de fois entend-on critiquer le modèle de société dans lequel nous vivons ?

Aujourd'hui, contrairement à nos aïeux, nous avons la liberté d'être libres. Mais que faisons nous de cette liberté ? On n'a de cesse de la rogner !
Nous ne pouvons pas, tout au moins dans nos pays, prétendre combattre pour la liberté, puisque nous en jouissons comme jamais sans doute aucun peuple dans l’histoire. Que veulent donc les révolutionnaires de tout poil qui vocifèrent à nos oreilles leurs revendications ? C'est tragiquement simple : qu’ils appartiennent à la vieille garde socialiste, aux religions les plus rigoristes, ou bien aux nouvelles chapelles érigées au nom de l’écologie, ils exigent moins de liberté et plus d’intolérance !


Puisse ce texte exhumé par bonheur du cimetière des papiers oubliés, servir de leçon pour notre temps. Puisse-t-il également inviter à la réflexion objective et peut-être à plus de sagesse dans l’analyse des événements.
Comparant les deux révolutions française et américaine, quasi contemporaines à la fin du XVIIIè siècle, Hannah Arendt s’interroge: pourquoi la première, “qui se termina en désastre, devint un tournant dans l’histoire du monde”, alors que la seconde “qui fut un triomphe, demeura une affaire locale” ?

Vraie question à laquelle l’auteur tente de répondre en invoquant “la tradition pragmatique anglo-saxonne” qui aurait “empêché les Américains de réfléchir à leur révolution et d'en conceptualiser correctement des leçons…”
Sans doute y-a-t-il du vrai dans cette remarque, en filigrane de laquelle on perçoit avec inquiétude les dangers que font courir les idéologies, souvent préférées hélas au pragmatisme.
On ne peut que partager la sombre réflexion clôturant l’ouvrage, dans laquelle Hannah Arendt évoque “ceux qui sont disposés à assumer la responsabilité du pouvoir” : “Nous avons peu de raisons d’espérer qu’à un moment quelconque dans un avenir assez proche, ces hommes auront la même sagesse pratique et théorique que les hommes de la révolution américaine, qui devinrent les fondateurs de ce pays. Mais je crains que ce petit espoir soit le seul qui nous reste que la liberté au sens politique ne sera pas à nouveau effacée de la surface de la terre pour Dieu sait combien de siècles…”
Hannah Arendt : La liberté d'être libre. Payot 2019.

29 juillet 2019

L'été Meurtrier

Ouf, le dernier épisode caniculaire en date s’est achevé sans nous achever !
Il fut toutefois l’occasion de constater l’égarement inquiétant des mentalités et l’imbécillité récurrente des débats et de la réflexion qui minent notre société.
Selon sa bonne vieille et détestable habitude, la Presse s’est livrée à une surenchère éhontée de scoops. Chaque jour elle faisait état d'un “record” de température, accompagné d’une nouvelle vigilance par Meteo France, et des conseils et avertissements en forme d’évidences dispensés par l’Etat-Providence à la population : rester à l’ombre, bien boire, se ventiler et se doucher fréquemment... Le reste du monde pouvait aller se rhabiller. En France on suffoquait à en mourir, c'était l'affaire la plus grave, et de loin...
On en rajouta encore dans les gros titres accrocheurs, en révélant par exemple les conclusions très opportunes de chercheurs suisses affirmant que jamais notre planète n’avait connu pareil changement climatique depuis 2000 ans ! C’est en étudiant les cernes des arbres et divers indicateurs paléo-climatiques que ces savants sont parvenus à ces conclusions, aussi précises que péremptoires. Quelle perspicacité ! Naturellement on insista sur le fait que ce bouleversement était nécessairement causé par l’activité humaine.
Madame Masson-Delmotte, vice-présidente du GIEC annonça gravement de son côté sans hésitation qu’il y aurait 2 fois plus de canicules en 2050. Ce n'est plus de la science, mais de la prescience !

Au moment le plus étouffant, les députés recevaient dans les salons feutrés et climatisés de l’Assemblée Nationale un groupe d’adolescents, pour discuter avec eux de ce sujet de la plus haute importance. Il fallait voir nos chers élus. On aurait dit qu’ils prenaient une sorte de plaisir pervers à se faire remonter les bretelles pour leur inaction en matière de lutte climatique.
En tête de ce juvénile bataillon de redresseurs de torts dont le plus diplômé venait d’obtenir le bac, figurait telle une vestale, l’incontournable Greta Thunberg.
Cette jeune suédoise a quelque chose d’effrayant. Elle a une allure encore enfantine du haut de ses 16 ans, mais elle affiche une impressionnante maturité et une arrogance qui fait froid dans le dos, si l’on peut dire en la circonstance... Elle déclina les compliments que lui adressaient le parterre de responsables politiques subjugués par son charisme glacial et les enjoignit sèchement d’agir conformément “aux données de la science” dont elle se pose avec une implacable assurance comme dépositaire de facto. En la voyant, je ne pouvais m’empêcher de penser aux jeunes filles enrôlées par l’Angkar au Cambodge, qui jugeaient de la qualité des citoyens à leurs mains, n’hésitant pas prononcer l’arrêt de mort de ceux qui avaient les paumes trop lisses.
Pour l’heure, Greta juge les politiques selon les critères nébuleux de leur insuffisance écologique mais elle se garde bien de donner la moindre piste pratique pour ne pas risquer dit-elle, d’être accusée d'avoir un parti pris politique.
Voilà le niveau où nous sommes donc rendus à force de mélanger dans le bain tiède de la démagogie, les croyances et les faits objectifs, la théorie et la pratique, les fantasmes et la réalité…
Les représentants de l’extrême gauche présents n’ont pas manqué eux d’entonner au nom du climat leurs vieux refrains dogmatiques, condamnant pêle-mêle le libre-échange, le capitalisme, le libéralisme, et même la démocratie. L’inébranlable et si prévisible Quatennens s’est lancé dans une longue diatribe au sujet du traité en cours de négociation avec le Canada, dit CETA. Accusant sans vergogne nos cousins outre-atlantique de mauvaises manières écologiques, il réclama l’abrogation de l’accord obtenu à l’échelon européen, et le maintien de taxes douanières stupides freinant les échanges. Le sinistre Ruffin a quant à lui asséné que pour les Insoumis, l’écologie ne pouvait pas être “consensuelle”, insinuant qu’il fallait plus de mesures coercitives, punitives, en d’autres termes, que des têtes tombent...
Le socialisme ne faisant plus recette, ces enragés qui savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui, ont repeint leurs furieuses lubies en vert, mais l’horrible fripe couleur de sang du communisme est toujours omniprésente.

Malheureusement leur discours radical n’est que le reflet aigu d’un courant de pensée qui menace d’emporter tout sur son passage, notamment le bon sens. L’opinion en forme de rhinocérite imprègne désormais quasi tous les débats et rares sont ceux qui osent enfreindre les idées reçues. En résumer la teneur en quelques mots est assez simple: le réchauffement climatique est une chose certaine, irréversible et qui ira nécessairement en s’aggravant, il est forcément mauvais en soi, et sa cause est évidente, c’est la faute au capitalisme et au libéralisme réunis ! Si l’on ne fait rien, ce sera l’apocalypse. Nous mourrons tous et nous connaîtrons avant l’heure, le feu brûlant de l’enfer.
Ainsi, il s’en est fallu de peu  (266 voix pour, et 213 contre) que l’Assemblée Nationale ne retoque le CETA, dont la France commence tout juste à enregistrer quelques effets positifs en termes d’exportations. Non seulement c'eût été stupide puisque ce traité s’exerce au niveau européen, mais cela traduit un mépris très offensant pour le Canada qui n’a démérité ni dans le domaine écologique, ni dans celui des conditions de travail.
Ainsi M. Lemaire, ministre de l’économie croit-il très malin d’annoncer “la mort du capitalisme des inégalités” qui serait selon lui “injuste moralement et en plus inefficace économiquement”. Il se targue donc de le remettre dans “la bonne direction”, de “le réinventer”, d’abord “pour protéger les ressources de la planète”.
Comment s’y prendre ? Sans doute en instaurant de nouvelles taxes comme celle qu’il veut imposer aux fameux GAFA. Vaste fumisterie qui inquiète, tant elle révèle de naïveté et d’absence d’imagination. Que des dirigeants aussi haut placés raisonnent de manière aussi simpliste est désespérant. Le cher Donald ne lui a pas envoyé dire, même si semblant ignorer notre pauvre Bruno il a ciblé son ami Emmanuel...

Dans un monde qui semblait enfin à peu près guéri des grandes guerres, des grandes épidémies et des grandes famines, en grande partie grâce au progrès scientifique et au modèle de société ouverte et démocratique, la fin du monde n’a jamais été aussi proche selon les nouveaux prophètes de malheur.
On retrouve dans ce vent de folie tous les poncifs les plus détestables jouant sur les peurs populaires. On n'hésite plus à employer quotidiennement les termes de “catastrophe”, “d’urgence”, de “panique” climatique, voire même de “fin du monde”. Tout est ramené à l’écologie, devenue maîtresse de nos destins en dépit de la nullité chronique des grands prêtres de cette nouvelle religion, et des contradictions insensées dans lesquelles ils pataugent lamentablement. On le voit avec leur impuissance à trouver des solutions pratiques (par exemple pour développer les transports ferroviaires ou fluviaux). On le voit également dans leur comportement, en règle très éloigné des principes qu’ils veulent imposer aux autres. On le voit dans les déchirements partisans qui font régulièrement exploser leurs formations politiques, en ôtant beaucoup de force et de crédibilité à leur combat. On le voit enfin dans les préconisations absurdes qu’ils parviennent à mettre en oeuvre lorsqu’ils sont influents, comme en Allemagne. Grâce au lobby écologiste viscéralement anti-nucléaire, nos voisins outre-Rhin émettent avec leurs centrales à charbon, près de 10 fois plus de gaz à effet de serre au KwH d’électricité produite que la France...

29 novembre 2018

Vers la fin des démocraties molles ?

Dans la confusion sociale qui ronge actuellement le pays, plusieurs titres de la Presse attirent l’attention.
La couverture du Point du 22/11 par exemple qui pose crûment la question à propos d’Emmanuel Macron et des “réformes qui ne peuvent plus attendre” : “Est-il Thatcher ou bien Hollande ?”

Pendant ce temps Nicolas Sarkozy répondait aux questions de l’Obs, affichant un pessimisme assez effrayant: “Nos démocraties sont devenues des caricatures, des régimes d’impuissance.” Sur l’Europe il n’était pas moins expéditif, affirmant qu’elle est devenue un “système en pilotage automatique, que plus personne ne maîtrise.../... Que vous mettiez quelqu'un de très intelligent ou de très bête à la tête de la Commission européenne, c'est pareil.”
Il y a peu, c’était Telerama qui avait choisi une stèle funéraire, pour évoquer sur sa couverture, la fin inéluctable des démocraties.

Il n’est pas certain qu’il faille prendre au pied de la lettre ces oiseaux de mauvais augure. Tout d’abord parce que derrière les constats, les interprétations divergent. Dans l'esprit des Français, devoir choisir entre Hollande et Thatcher, c'est se trouver entre Charybde et Scylla. Écouter les leçons de M. Sarkozy, c'est se pâmer dans le néant quand on connaît le fiasco dans lequel s'est achevé son mandat présidentiel. Quant à prendre au sérieux les voix de gauche telle celle de Telerama, c'est s'abandonner à la reductio ad hitlerum qui assimile à des dictateurs tous les politiciens parlant haut et fort, un langage pragmatique et compréhensible. Pour décrire ce qui se passe aux Etats-Unis, en Pologne, en Hongrie, en Italie, au Brésil... le vocabulaire varie, mais il relève du délire monomaniaque : populisme, nationalisme, fascisme, extrême, démocrature…
On sait bien que rien n’étant jamais acquis, le risque existe bel et bien que de la liberté on passe à la tyrannie, mais il y a quelque lassitude à écouter ce lamento obsessionnel qui rappelle à chaque instant l’arrivée au pouvoir du National-Socialisme.
Comparaison n’est pas raison comme disent les politiciens.
Ne s’agit-il pas plutôt d’une saine réaction à la décomposition du modèle démocratique à laquelle on assiste depuis quelques décennies ? Une vigoureuse remise en cause de la mièvre dictature des bonnes intentions dans laquelle s'étiolent peu à peu nos libertés ?


Outre les problèmes économiques (tout particulièrement en France), nos nations sont confrontées à des menaces sociales croissantes, nées de décennies de démagogie et d’indécision. A la manière d’étoiles usées, nos sociétés risquent de s’effondrer sur elles-mêmes dans de profonds trous noirs.
Le modèle sur lequel elles furent édifiées est perpétuellement remis en cause, et les valeurs sur lesquelles il s’appuie s’effilochent au vent mauvais d’une rébellion insane aux slogans incohérents. Derrière la mise en accusation récurrente du capitalisme, du libre-échange, ou du libéralisme, c’est la liberté qu’on tente d’étouffer.
Elle guida les pas de nos aïeux, mais aujourd’hui, il semble qu’on soit prêt à la sacrifier au nom de l’égalité des conditions, de la bureaucratie régulatrice, d’un protectionnisme frileux et de la confiscation fiscale généralisée. Partout le sens des responsabilités s’éffrite au profit hypothétique d’une corne d’abondance qui permettrait à l’Etat Providence omnipotent de distribuer les droits, les prébendes et les subventions.
Mais la poule aux oeufs d’or ne recèle aucun trésor immanent. Lorsqu’elle rendra l’âme sous les coups de boutoir des écervelés qui veulent lui faire rendre gorge au motif “qu’il faut chercher l’argent là où il est”, ces derniers comprendront mais un peu tard que rien n’est jamais acquis dans ce monde sublunaire, et que ce n’est hélas pas en appauvrissant les riches qu’on enrichit les pauvres. Ce serait trop facile.
Face à ces périls, l’espoir est peut-être qu’une nouvelle espèce de gouvernants prennent enfin conscience qu’il faille parler au peuple comme à des adultes, lui faire comprendre que le scandale n’est pas qu’il y ait des riches mais des pauvres, et quantifier les libertés nécessaires aux citoyens à l’aune des responsabilités qu’ils acceptent d’endosser. Les unes ne vont pas sans les autres et point n’est besoin de multiplier les réglementations a priori. Tout est affaire de confiance. A l’enseigne de ce que préconisait Montaigne, il est de l’intérêt de tous que les lois soient rares et de portée générale.
Sauf à considérer que les gens soient forcément mauvais ou immatures, il n’est pas souhaitable de s’échiner à leur imposer des contraintes préventives, dans la crainte qu’ils ne respectent pas la loi. En contrepartie, les sanctions doivent être réelles et appliquées.
Dans les limitations de vitesse, ce qui est stupide, ce ne sont pas les sanctions, même si elles sont sévères, mais les règles elles-mêmes, qui par leur rigueur excessive deviennent absurdes et quasi inapplicables. Il en fut ainsi lorsqu’on tenta de prohiber l’alcool par des lois qui transformèrent du jour au lendemain de paisibles distillateurs en dangereux gangsters. De même, c’est dévoyer le sens de la contribution des citoyens au bien commun que d’en faire l'essence d'une machine redistributive, voire une punition infligée par principe aux riches comme dans le cas de l’impôt dit “de solidarité” sur la fortune. Il est tout aussi inepte de considérer “la pompe à phynances” comme une sorte de deus ex machina ayant l’ambition d’influencer le comportement des citoyens ou de les rendre plus vertueux (selon le principe fumeux de la Transition Ecologique).

Il n’est pas moins essentiel de s’affranchir de tout tabou mais également de toute faiblesse coupable vis à vis de nombre de problématiques qui assaillent notre univers qu’il serait trop long d’aborder ici dans le détail : religion, immigration, éducation, justice morale, esprit civique.

En revenant aux principes de base de la démocratie, sans faiblir sur leur mise en œuvre et sans faillir sur la liberté et l’équité (l’égalité des droits et des chances), il est sans doute possible de régénérer le vieux modèle, quelque peu émoussé mais qui n’a pas encore perdu tous ses ressorts. Ce ne serait qu’appliquer les conseils du très sage et inspiré Tocqueville...

11 octobre 2018

Le Christ est-il libéral ?

C’est la question que pose l’abbé Robert Sirico dans un récent ouvrage* décapant.
Ce prêtre américain au parcours contrasté commença sa carrière dans la mouvance de ce qu’on appelle parfois la Théologie de la Libération, venue d’Amérique Latine et dont le pape François est également issu. Il baigna durant ses années de séminaire dans le bouillon marxiste qui infusait toute bonne pensée de l’époque, celle des sixties et des seventies. Cela lui valut de vivre la religion comme un engagement résolument ancré “à gauche”.
Il était toutefois très à cheval sur les usages et le dogme, considérant par exemple que l’homosexualité était contraire aux préceptes de l’église. La destinée étant parfois cruelle, cela lui posa un vrai cas de conscience lorsqu’il dut convenir qu’il était lui même gay…
Se trouvant en porte à faux avec l’église catholique, il se fit alors protestant, fonda la Seattle's Metropolitan Community Church, et plaida pour une plus grande tolérance, réclamant notamment activement le droit pour les prêtres de se marier (entre eux pourrait rajouter facétieusement Laurent Baffie…). Il fut le premier à célébrer un mariage entre deux personnes du même sexe en 1975 à Denver.

Redevenu par la suite catholique, Robert Sirico fut ébranlé par la lecture des oeuvres de Friedrich Hayek (La Route de la Servitude) et de Milton Friedman (Capitalisme et Liberté). Ce fut un choc, entraînant une nouvelle conversion, cette fois pour les idées libérales, c’est à dire l’inverse de la perspective dans laquelle il s’était jusqu’alors engagé de bonne foi, si l’on peut dire, menant au socialisme.
Son dernier ouvrage paru cet été s’est donné pour objectif de préciser “les raisons morales” qui le poussent désormais à se faire l’avocat d’une économie libre.
Non seulement cette option ne lui semble pas contradictoire avec le message du Christ, mais il donne quantité d’exemples montrant qu’il n’y a rien en somme de plus naturel.
Jésus n’a-t-il pas dit et répété que l’homme était libre et que c’était justement en exerçant cette liberté qu’il était susceptible de s’émanciper des contingences et de s’élever spirituellement ?
Si l’on sait qu’il est “plus difficile à un riche d’entrer au Paradis qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille”, personne ici bas, et aucun pouvoir n’a pour autant la moindre légitimité pour empêcher quiconque de devenir riche. Cela relève de la responsabilité individuelle, autant d’ailleurs d’être riche que de faire usage de cette richesse. Si la pauvreté n’est pas indigne et peut être choisie en toute conscience, l’abondance de biens n’est pas immorale en soi.

S’agissant de l’organisation de la société, Sirico remarque que la Capitalisme est le modèle le plus propice à garantir la prospérité au plus grand nombre. Si le Socialisme a réussi sans peine à appauvrir les gens, il n’est jamais parvenu, ni aucun de ses innombrables avatars, à donner la richesse au peuple, hormis à la Nomenklatura.
Entre autres vertus, la société capitaliste est également la plus réactive pour se préoccuper des problèmes sociaux et environnementaux. Syndicats et lobbies écologistes y sont bien plus puissants et aptes à défendre leurs causes qu’en régime hyper réglementé collectiviste.

Le raisonnement suivi par Robert Sirico n’est en soi pas d’une originalité fracassante. Il est celui tenu par nombre de philosophes libéraux depuis des décennies, voire des siècles.
Ce qui en l’occurrence est frappant, détonnant, c’est qu’un prêtre affirme qu’il soit possible de l’inscrire sans difficulté dans le message chrétien. On croit rêver…
En cela, l’auteur se distingue du Pape François, qui affiche des conceptions par trop partisanes, pour ne pas dire bornées, et qui continue rituellement de vouer la liberté aux gémonies.
De leur côté, les penseurs libéraux ne font habituellement pas de référence à la religion, considérant que l’amour de la liberté est compatible par nature avec toute foi digne de ce nom. Pour tout dire, le libéralisme ne se définit pas par rapport au Divin. Il s’oppose catégoriquement en revanche, aux théories assujettissant l’homme à un Dieu hypothétique et à Sa Loi, surtout si celle-ci est dictée par des ignorants qui s’octroient le droit de parler en Son nom. Il s’oppose pareillement aux credos athées, pires encore, qui soumettent le peuple à un Parti sans visage et sans âme, mais si cruellement et stupidement humain...
Robert Sirico apporte fraîcheur, ouverture et espoir à ce champ de réflexion, habituellement plombé par les a priori et par un prêt-à-penser à sens unique. En définitive, il illustre bien cette citation tirée des évangiles : “Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres” (Jean 8:36)
* Catholique et libéral: les raisons morales d’une économie libre. Robert Sirico Salvator. 2018

24 septembre 2018

Le Grand Dé-Management

Beaucoup de facteurs concourent sans doute au désenchantement du monde.
Selon l’économiste Nicolas Bouzou et la philosophe Julia de Funès, les méthodes de management usitées dans les entreprises y sont pour quelque chose. Tout particulièrement celles qui s’adressent à ce qu’on appelle horriblement les Ressources Humaines.

Les deux analystes font dans un petit livre décapant*, un constat glaçant des dérives bien intentionnées mais délétères qui pervertissent désormais l’organisation des entreprises, qu’elles soient privées ou publiques (ces dernières ayant importé les dérives managériales des premières “parce qu’il s’est trouvé une époque où cela faisait moderne et sérieux”).
L’ouvrage fourmille d’observations dont la pertinence semble évidente lorsqu’on les confronte à ce qu’on peut voir ici ou là dans sa propre entreprise ou dans les reportages édifiants que les médias se plaisent régulièrement à diffuser sur le sujet.

Alors qu’on ne parle plus que de Qualité de Vie au Travail (QVT), de bien-traitance, de “care”, le ressenti des salariés ne cesse paradoxalement de se détériorer. Et comme on passe une bonne partie de sa vie au travail, il n’est pas étonnant que cela finisse par retentir sur la santé. De fait, une pléiade de nouvelles maladies professionnelles sont apparues ces dernières années : au déjà tristement célèbre “burn-out”, témoignant de l’excès de charge et de stress, sont venus s’ajouter le “bore-out” qualifiant l’ennui au travail, et le “brown-out” exprimant la perte du sens de son métier.
On a beau recruter des Chief Happiness Officers (CHO), mettre en place des chartes éthiques destinées à (re)placer l’humain au centre de tout, rien n’y fait. Les experts en management rivalisent d’imagination pour trouver sans cesse de nouveaux gadgets, ludiques ou consensuels, se gargariser de “démocratie participative”, il ne s’agit pour l’essentiel que de mots creux, vains ou redondants faisant autant d’effet que cataplasmes sur jambes de bois...

D’une manière générale, force est de constater “l’incapacité du management à freiner la complexité bureaucratique qui paralyse l’entreprise”, aussi bien à l’intérieur (par la multiplication des process et l’avalanche des reportings) qu’à l’extérieur (par la pléthore de réglementations, et de normes de plus en plus contraignantes, confinant parfois à l’absurde).
A cela s’ajoute une crise de confiance qui se manifeste par “la profusion des indicateurs de performance, chaque geste du personnel étant scruté, compté, évalué, standardisé...”
Selon N. Bouzou et J. de Funès, le management des entreprises ne fonctionne pas car "il est dominé par la peur et la non prise de risque, et nourri d'injonctions contradictoires", tout en restant attaché aux préceptes paternalistes selon lesquels les individus préfèreraient ne pas travailler, présupposant “une flemmardise consubstantielle à l’homme.”
Au lieu de miser sur la capacité d’initiative et sur l’émulation inter-individuelle, “le collectif est devenu un impératif catégorique”. Cela se traduit par un consensualisme stérile, qui “consiste à chercher l’accord des autres pour ne pas se démarquer ou pour se couvrir.”
De ce point de vue, le fameux et quasi incontournable “brain-storming” est catastrophique : “fantasmant l’horizontalité et l’égalité, c’est la raison pour laquelle il ne donne jamais rien.”

Dans ce désastre chronique, on confond les concepts (autorité/pouvoir, compétence/promotion, prudence/précaution, écoute/consensus…), et on perd beaucoup de temps à distraire les salariés de leurs tâches essentielles. Les gouvernants et ceux qui aspirent à le devenir, aggravent de leur côté les choses en désignant de manière rituelle des boucs émissaires faciles mais illusoires (capitalisme, libéralisme, mondialisation…) ou en forgeant
au fil d'incessantes réformes, un droit du travail de plus en plus absurde, qui "croyant protéger les travailleurs, les enferme dans un univers carcéral."

Parmi les solutions proposées par les auteurs, figurent un certain nombre de mesures simples destinées à restaurer la confiance et à favoriser l’autonomie des personnes. Ils condamnent notamment la multiplication des open spaces dans lesquels les gens se gênent plus qu’ils n’échangent, ils prônent à l’inverse le développement du télétravail.
Ils insistent sur la nécessité pour les entreprises d’élaborer des projets et des objectifs clairs et intelligibles par tous. Partant du principe que la connaissance, "sans nous affranchir de toute contrainte, nous libère en nous permettant de devenir autonome", il ressort que le personnel doit connaître le projet de l’entreprise et y adhérer. "Chacun doit avoir une vision globale de l’entreprise dont l’organisation doit être simple et compréhensible". Ces objectifs doivent être le plus largement partagés afin d’éviter le travail en silo, qui conduit chacun à fonctionner à l’échelle de son service de manière cloisonnée et corporatiste.

On pourrait certes reprocher à cet ouvrage en forme de réquisitoire d’être quelque peu lapidaire, ou superficiel, voire de produire des lapalissades, notamment lorsqu’il recommande de “réduire les powerpoints”, de “prohiber les emails inutiles”, de “diminuer de moitié réunions et brainstorming”, de “supprimer les tours de tables”, de “jeter les pointeuses”. N’empêche, il a le mérite de poser quelques vraies questions derrière lesquelles on peut facilement retrouver l’aspiration légitime à plus de liberté et de responsabilité, sources d’épanouissement et d’émancipation. En d’autres termes, il faudrait enfin considérer les êtres humains comme capable d’atteindre la "majorité" à laquelle faisait référence le bon Kant lorsqu’il invitait chacun à oser penser par soi-même: “Saper Aude !” telle était la maxime des Lumières. Il conviendrait en somme de la remettre au goût du jour...
Nicolas Bouzou, Julia de Funès. La comédie (in)humaine. Editions de l'Observatoire 2018.

07 avril 2018

Le prix de la Liberté

Aussi grand, aussi sublime que soit le sacrifice d’une vie, consenti pour en sauver d’autres, et tout particulièrement le geste altruiste d’un gendarme agissant avec bravoure pour protéger ses concitoyens, il pose question. Il ne saurait en effet se substituer à la mission première des forces de l’ordre. Celle-ci consiste avant tout à faire régner la sécurité en empêchant les délinquants de nuire et plus encore de récidiver.
Une clameur immense est montée dans le pays pour saluer l’acte héroïque du colonel Arnaud Beltrame lors de l’attentat terroriste de Trèbes. Elle donne la mesure de la vague compassionnelle qui traverse le pays à chaque évènement dramatique, théâtralisé à outrance par les médias. Cet élan est malheureusement très fugace. Pire, il exprime l’impuissance d’une société pétrie de bonnes intentions, mais de plus en plus incapable de faire face aux réalités du monde.
Le discours que le Président de la République tint à cette occasion s’est inscrit dans cette emphase un peu vaine. Bien qu’il fut plutôt digne et mesuré, ses références remontant une fois encore aux misères et aux vicissitudes de l’an quarante, avaient quelque chose de pitoyable.
C’est devenu un pont-aux-ânes que de commémorer ces moments tragiques de l’Histoire et d’évoquer avec force sanglots “l’esprit de résistance” qui régnait dans le pays, alors qu’ils furent marqués avant tout par la coupable faiblesse du monde démocratique face à l’ogre nazi.
S’il n’est pas absurde de trouver des similitudes entre les époques, ce serait plutôt la faiblesse de l’Etat, sa permissivité, voire sa passivité face aux périls qu’on pourrait à chaque fois mettre en parallèle.
La montée en puissance du fanatisme islamique et de son pendant hideux, le terrorisme, menace la liberté et fragilise nos démocraties. Sans une détermination inflexible et des convictions solidement ancrées, il est à craindre que le beau jardin de la Liberté soit peu à peu grignoté par les pestes qui ne demandent qu’à y proliférer. 

Pour répondre aux crimes pervers ou barbares, nous avons cru par exemple que l’abolition de la peine de mort était un progrès. En réalité, il s’agit d’un emplâtre soulageant la mauvaise conscience, mais qui ne résout rien, ni en termes d’efficacité contre la récidive, ni en termes de cruauté de la sanction.
La Liberté a un prix hélas et il ne se paie pas à crédit sous peine d'être contraint de devoir payer beaucoup plus cher ou bien de n’avoir d’autre choix que de pleurer à chaudes larmes la mort injuste d’un gendarme tombé sous les coups d’une brute sanguinaire...

27 janvier 2018

Double discours

Pour sa première participation au forum économique international de Davos, en tant que président de la république, Emmanuel Macron s’est livré à un véritable show devant un parterre paraît-il par avance conquis, de hauts dignitaires et de chefs d’entreprises de tous pays.
“France is back” a-t-il proclamé de manière quelque peu emphatique, en faisant étalage avec un brin de forfanterie, de sa maîtrise de la langue anglaise. S’ensuivit un discours fleuve dont une partie fut prononcée dans la langue de Shakespeare et l’autre plus prosaïquement dans celle de Molière…
 
Même pour les grincheux qui le trouvent piètre orateur, cette prestation a prouvé que M. Macron manie bien le verbe et fait preuve d’un sens aigu de la communication.
La question qui reste en suspens est de savoir si ses actions sont à la hauteur du discours et si derrière les formules brillantes le propos est toujours cohérent. Et là les doutes surgissent..
Cette intervention polyglotte laisse un goût un peu étrange. Après avoir en anglais tenté de réenchanter le libéralisme économique, force est de considérer qu’il fit à peu près l’inverse en français.

Dans un premier temps, M. Macron a en effet vanté la "baisse du coût du travail et du capital", la "flexibilité" et souhaité une réforme du travail qui réaligne la France sur les standards de l'Allemagne et de l'Europe du Nord: "moins par la loi, plus par le consensus".
On se souvient que quelques jours à peine avant Davos, le Président avait reçu en grande pompe au château de Versailles 140 chefs d’entreprises, parmi les plus influents de la planète en vantant le slogan “ChooseFrance”. Ébouriffante mise en scène à peine ternie par la contribution de M. Ferrand qui pour justifier tout cet apparat, ne trouva rien de mieux à sortir que le bon vieux dicton qui veut “qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre”. On connut accroche plus flatteuse…

Le plus inquiétant toutefois est que dans la seconde partie de son intervention, de loin la plus longue hélas (plus d’une heure), M. Macron se lança dans un sermon moralisateur allant à l’inverse de tout ce qu’il avait asséné l’instant d’avant.
A l’instar d’un vieux socialo-altermondialiste rassis, il a insisté sur les enjeux "d'une croissance équitable", et "la nécessité de se battre pour l'environnement et contre l'évasion fiscale" (sic dixit Hufftington Post). Selon les propos rapportés dans le Courrier International, il a également réclamé "plus de coopération internationale en Europe et, au-delà de ça, plus de régulation, et de dirigisme à l’échelle mondiale”.
Le rêve d’un Nouveau Monde libéré s’est ainsi transformé en un vrai cauchemar aux accents anti-capitalistes, que n’aurait pas renié M. Mélenchon.
Pire, le chef de l’Etat, s’est tout à coup mué en oiseau de mauvais augure annonçant que “les grands acteurs du numérique vont provoquer des disruptions qui vont détruire des millions d'emplois.”
Et quant aux solutions proposées, elles semblent tout droit sorties de la boîte à outils hollandaise : “Nous gouvernements, allons donc devoir reformer massivement les gens. Si les entreprises ne contribuent pas par leurs impôts à financer cet investissement, que dire aux classes moyennes de nos pays ».
Sur la régulation financière, Emmanuel Macron a aussi demandé “que le FMI et les institutions de surveillance prudentielles élargissent leur surveillance à ces pans entiers qui échappent à tout contrôle, comme le bitcoin dont la volatilité inquiète les régulateurs, ou comme la finance de l'ombre, qui prospère en dehors des réglementations.”
A croire M. Macron, sans cette nouvelle avalanche de régulations et de bureaucratie, “Schumpeter va très rapidement ressembler à Darwin”.
Autrement dit, le monde sombrera dans un capitalisme sauvage, soumis à l'abominable loi de la jungle, “struggle for life” en anglais. Refrain trop classique et par trop désespérant.

Quand faut-il donc croire M. Macron ? Lorsqu’il chante les mérites de la libéralisation ou au contraire lorsqu’il prône le renforcement des réglementations et des contraintes étatiques ?
Face à une conjecture aussi nébuleuse, il n'est pas très étonnant qu’arrivé “en terrain conquis et dans un ciel lumineux” (Figaro), M. Macron s’en retourne rhabillé pour l’hiver par les commentaires plus que dubitatifs de la presse étrangère . Ainsi selon le journal allemand Die Welt, “Macron est venu, il a vu – il a déçu”, car s'il était attendu “comme le Messie, le sauveur de l’Europe, plus encore le sauveur du monde, par son intervention qui n’en finissait pas, il a produit de lui-même le désenchantement”...
Cette histoire me rappelle hélas les revirements de Nicolas Sarkozy, quelque mois après son élection, relatés dans ce billet désabusé de 2008...

14 janvier 2018

Bonne Nouvelle Année de Liberté

Alors que l’État ne cesse d’accroître son emprise sur nos vies, est-il encore temps d’aborder la question de la liberté individuelle ?
Il semble que cela soit un combat d’arrière garde car force est de constater hélas que les lois qui s’ajoutent les unes aux autres, ne cessent d’alourdir la pression et les contraintes sur les citoyens .

En ce début d’année, les annonces du gouvernement, qu’on qualifie généralement de « libéral », ne peuvent que confirmer cette tendance.
Il en est ainsi des limitations de vitesse sur le réseau routier secondaire, qui passent de 90 à 80 Km/h. On peut se demander jusqu’où iront les contraintes pesant sur les automobilistes. On entend parler régulièrement de l’abaissement de la vitesse maximale autorisée sur les autoroutes, de 130 à 120 km/h. Nul doute que cette nouvelle barre sera imposée sous peu. La voiture, qui fut un symbole flamboyant de liberté, est en passe de devenir le corbillard des illusions perdues...

Parallèlement, le poids des taxes ne cesse de s’accroître. Au motif de préserver la planète, notre bien-être, la sécurité ou bien je ne sais quelle belle intention, le gouvernement entend pénaliser toujours plus les possesseurs de véhicules diesel. Après avoir encouragé durant des décennies ce type de motorisation, il nous en dit pis que pendre. Après avoir contraint les fabricants à mettre en place des dispositifs toujours moins polluants, après avoir imposé des seuils d’émissions de particules toxiques, quasi impossibles à respecter, la solution in fine reste toujours le recours à la taxation. Et plutôt que de baisser celle qui plombe, si je puis dire, l’essence, on augmente donc tous azimuts. Mais, admirons la subtilité, la progression sera moins forte pour l'essence que pour le gazole, ce qui permettra à terme d’égaliser l’ensemble sur un nouveau sommet vertigineux. A ce jour, les automobilistes paient en taxes, plus de 4 fois le prix du carburant à la sortie de la raffinerie !
Petite consolation, notre vertueux ministre de l’environnement Nicolas Hulot sera également mis à contribution, lui dont l’écurie motorisée ne compte pas moins de 6 ou 7 véhicules parmi les plus polluants qu’on puisse imaginer. Il est vrai que ce contempteur du profit et de l’économie libérale en général, peut se le permettre grâce à la rente de plusieurs millions d’euros qu’il a su tirer de ses entreprises commerciales !
De qui se moque-t-on, hélas, nous le savons trop bien…
A mesure que l’Etat-Providence étend ses tentacules sur nos têtes, l’objectif mirobolant d’une société libre et responsable s’éloigne toujours un peu plus et le bon Tocqueville doit faire des tours et des retours dans sa tombe.

Autre sujet d’inquiétude pour les Amoureux de la Liberté, celui des fake news, contre lesquelles le Président de la République entend rentrer en guerre, comme Don Quichotte et les moulins à vent. Comment peut-on croire un instant qu’il suffise d’une loi (encore une!) pour que la vérité universelle enfin jaillisse au grand jour ! Imagine-t-on que les citoyens soient assez bêtes pour être définitivement incapables de distinguer dans le flot d’informations qui nous assaille, le bon grain de l’ivraie ?
C’est précisément à force de faire comme si les gens étaient des imbéciles congénitaux qu’on les empêche de se forger un esprit critique et que le vœu de Kant, que chacun puisse accéder aux lumières, tombe en capilotade. L’infantilisation générale du monde est le résultat conjugué de lois insanes et d’une éducation débilitante.
La rhinocérite est hélas une maladie contagieuse, contre laquelle aucun vaccin n’est obligatoire. Il en est pourtant d’efficaces, pas chers et à la portée de tous grâce aux fabuleux moyens de diffusion des connaissances et de l’information que le progrès technique nous a apportés. Malheureusement, pour paraphraser Jean-François Revel, tout cela s’avère inutile si l’ancestrale pulsion grégaire qui anime les hommes, les ravale au rang de moutons de Panurge dénués de jugeote. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait quant à lui Rabelais...

A tous les lecteurs de ce blog qui cherchent à s’affranchir des idées reçues et chérissent l’esprit de contestation pourvu qu’il soit constructif, je souhaite naturellement une excellente nouvelle année !

29 mai 2016

Petit traité libéral

Rafraîchissante lecture, pour les gens épris de liberté, que celle du fameux discours tenu il y quelques 200 ans par Benjamin Constant (1767-1830) à l’Athénée royal de Paris, et que la Maison Berg International a réédité sous forme d’un petit livre à la portée de toutes les bourses !

Comparant à cette occasion, “la liberté des Anciens à celle des Modernes”, il livra un véritable petit traité de libéralisme, démontrant une fois encore le rôle éminent des penseurs français dans l’édification de cette philosophie, que l’on voit de nos jours malheureusement foulée aux pieds, autant par imbécillité que par ignorance.

Constant remonte à la source vivifiante de la Grèce antique. Mais s’il objective tout ce que nous devons à cette première expérience démocratique, il s’attache également à montrer les lacunes du modèle originel, en pointant les différences qui le séparent d'une conception plus moderne dont il se fait l'avocat.

En premier lieu, il rappelle que “La liberté des Anciens consistait à exercer directement, mais de manière collective, plusieurs parties de la souveraineté toute entière, à délibérer sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les étrangers des traités d’alliance, à voter les lois, à prononcer des jugements…”
Cette participation active et constante aux grandes décisions, séduisante au premier abord, comportait un revers plutôt contraignant, puisqu’elle impliquait un asservissement de l’existence individuelle au corps collectif. En effet, “les Anciens n’avaient aucune notion des droits individuels et les hommes n’étaient pour ainsi dire que des machines dont la loi réglait les ressorts et dirigeait les rouages.”
Entre autres exemples, “la faculté de choisir son culte que nous regardons comme l’un de nos droits les plus précieux, aurait paru aux anciens un crime et un sacrilège...”


Sparte était l’archétype de cette organisation extrêmement encadrée, dont la conséquence principale était une discipline aride à l’intérieur de la nation, et la menée de guerres incessantes à l’extérieur, car : “ceux qui ne voulaient pas être conquérants ne pouvaient déposer les armes sous peine d’être conquis.”

Benjamin Constant nuance quelque peu cette description en évoquant la démocratie athénienne, qui introduisit un peu plus de souplesse, grâce au développement du commerce.

A cet égard, il souligne que dans l’histoire de l’humanité, si la guerre est antérieure au commerce, il ne s'agit en définitive que deux moyens différents d’atteindre le même but, celui de posséder ce que l’on désire. La guerre le permet par la force, tandis que le commerce le fait par l’échange.
De ce point de vue, comme l'avait déjà fait remarquer Montesquieu, le commerce apaise les moeurs, et affranchit également les individus, car "en créant le crédit, il rend l’autorité dépendante". Au bout du compte, si l’argent peut sembler l’arme la plus dangereuse du despotisme, c’est en même temps son frein le plus puissant...


Pour Constant, il est ainsi clair que le rayonnement d’Athènes, sa prospérité, mais aussi son essor culturel et spirituel, furent grandement favorisés par les échanges commerciaux qui se développèrent intensément à l’époque. Ce fut aussi l’occasion de voir s’ouvrir la notion de liberté à l’individu, la liberté devenant peu à peu “pour chacun, le droit de dire son opinion, de choisir son industrie, et de l’exercer, de disposer de sa propriété, d’en abuser même…”

En peu de mots, voilà fondé le libéralisme moderne, dont Benjamin Constant fut l’ardent défenseur, contre certains partisans du retour au collectivisme incarné par Sparte. Il évoque à cet égard avec un ton acerbe  les idéologues qui firent le lit de la Révolution Française, notamment Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), “ce génie sublime qu’animait l’amour le plus pur de la liberté”, mais qui “en transportant dans nos temps modernes une étendue de pouvoir social, de souveraineté collective qui appartenait à d’autres siècles, a fourni néanmoins de funestes prétextes à plus d’un genre de tyrannie.”
Il invoque de même l’abbé Mably (1709-1785), qui à l’instar de nos socialistes contemporains, Mélenchon en tête, et conformément aux maximes spartiates, voulait “que les citoyens soient complètement assujettis pour que la nation soit souveraine, et que l’individu soit esclave pour que le peuple soit libre.” Admirateur de la rigueur spartiate, il n’avait que mépris pour Athènes où sévissait selon lui “un épouvantable despotisme”, au motif que “tout le monde y fait ce qu’il veut...” Comment ne pas penser aux nostalgiques du Communisme lorsqu’ils vitupèrent contre l’enfer représenté selon eux par l’Amérique...

Benjamin Constant définit donc, en s’appuyant sur les acquis du modèle athénien, et en rejetant les excès de Sparte, les bases d’un nouveau paradigme démocratique, dans lequel selon lui, “nul n’a le droit d’arracher le citoyen à sa patrie, le propriétaire à ses biens, le négociant à son commerce, l’époux à son épouse, le père à ses enfants, l’écrivain à ses méditations studieuses, le vieillard à ses habitudes…”
Il souligne l’importance de l’initiative individuelle car, “toutes les fois que les gouvernements prétendent faire nos affaires, ils les font plus mal et plus dispendieusement que nous.”
Sur l’éducation, il souhaite pareillement minimiser le rôle de l’Etat, s’opposant avec force à la prétendue nécessité “de permettre que le gouvernement s’empare des générations naissantes pour les façonner à son gré...” A ses yeux, “l’autorité de l’Etat n’a de légitimité que pour garantir la mise en oeuvre des moyens généraux d’instruction, comme les voyageurs acceptent d’elle les grands chemins sans être dirigés par elle dans la route qu’ils veulent suivre.”

Au total, il le dit et le répète, la liberté individuelle, la jouissance paisible de l’indépendance privée, voilà l’essence de la véritable liberté moderne !
Il attire cependant l’attention sur un danger, consubstantiel à la liberté moderne : “c’est qu’absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique..”
Pour palier le fait que “perdu dans la multitude, l’individu n’aperçoit presque jamais l’influence qu’il exerce”, un système représentatif s’avère donc nécessaire, par lequel “une nation se décharge sur quelques individus de ce qu’elle ne peut ou ne veut pas faire elle-même.”

La démocratie participative “à l’ancienne” tombe de facto en désuétude au profit du système parlementaire dans lequel les citoyens exercent une surveillance active et constante de leurs élus et se réservent, "à des époques qui ne soient pas séparées par de trop grands intervalles, le droit de les écarter s’ils ont trompé leur voeux et de révoquer les pouvoirs dont ils auraient abusé..."
Ainsi, après John Locke, Benjamin Constant plaide pour un nouveau Contrat Social démocratique. Et avant Tocqueville, il voit le danger de l’Etat Providence par lequel les dépositaires de l’autorité ne manquent pas de nous exhorter à leur abandonner notre pouvoir : “Ils sont si disposés à nous épargner toute espèce de peine, excepté celle d’obéir et de payer !”


De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819). Berg International 2014

05 mars 2016

Le libéralisme pour les Nuls

L’épisode en forme de pantalonnade, causé par le projet de loi El Khomri, montre une nouvelle fois la profonde antipathie qu’a notre pays pour les idées de liberté et l’arriération profonde des mentalités en matière de démocratie.

A peine sorti des limbes légales, ce vague canevas soi-disant destiné à libérer les entreprises, déclenche un tollé ! En quelques jours, une pétition a même rassemblé plus de 700.000 signatures pour s’opposer catégoriquement par avance à cette initiative qui ressemble déjà à un pétard mouillé.
On pourrait certes se réjouir de voir la gauche se déchirer autour de ce non évènement. On pourrait sourire en entendant les diatribes laborieuses aussi grotesques que prétentieuses des dinosaures du collectivisme à la française, Martine Aubry en tête. Après les échecs accumulés des politiques qu’ils ont préconisées ou mis en oeuvre, les bougres ne manquent assurément pas d’air pour donner des leçons !
Mais au fond, on sait bien que tout cela n’est que gesticulations de façade, car on ne connaît que trop l’appétit du pouvoir, et la soif de prébendes qui poussent tous ces gens de la “gauche plurielle” plus ou moins décomposée, à se réunir envers et contre tout le moment venu, derrière l’étendard rapiécé de leur idéologie (le ci-devant Mélenchon ne s’est-il pas rangé sans réserve derrière François Hollande en 2012, après avoir déversé sur lui des torrents d’insultes et d’imprécations ?)

S’agissant du fond, il n’y a guère plus d’illusions à entretenir au sujet de ces revirements apparents de stratégie. Comment croire des gens qui affirmaient hier que leur ennemi était la Finance, qu’ils n’aimaient pas les riches, et qui font les yeux doux désormais aux entrepreneurs (Valls) et affirment “qu’il faut des jeunes qui aient envie de devenir milliardaires” (Macron) ? Ils mentent tellement depuis si longtemps que même en instillant un peu de capitalisme dans leur discours, on ne peut espérer de vrais changements. Juste un ralentissement du lent processus de pourrissement auquel ils ont livré le pays.

On a vu avec la récente loi dite “Macron” comment la montagne pouvait accoucher d’une souris. Hormis, la levée de l’interdiction pour les compagnies d’autocars de concurrencer la SNCF sur des trajets intérieurs supérieurs à 100 km, que reste-t-il ? Rien de bien significatif.
Évidemment, la pauvreté réformatrice de ce texte donne tout de même la mesure de ce qu’on pourrait faire pour doper l’emploi si l’on acceptait de faire sauter les innombrables verrous qui enferment les entreprises dans un carcan procédurier et remuer la crasse bureaucratique qui bride toute initiative. Six mois après l’application de cette micro-mesure libéralisant un peu le transport routier, on apprenait que 1,5 millions de voyageurs avaient pu en bénéficier et que 1300 emplois auraient été créés (Les Echos).

Le plus incroyable est qu’il soit communément admis que ce gouvernement pratique une politique “libérale”, voire “ultra-libérale”, en dépit de l’archaïsme de sa conduite. A l’instar de l’idiot qui regarde le doigt et non les étoiles, nombreux sont ceux qui semblent se contenter des mots, au lieu de juger sur les faits…
Les timides avancées du projet El Khomri paraissent bien anodines en regard du barouf médiatique qu’elles déclenchent. L’apparente libéralisation annoncée se noie dans un fatras de règles tarabiscotées. Citons celles destinées à chiffrer le plafonnement des indemnités prudhommales en fonction de l’ancienneté, à faire quelques entorses en termes de durée de travail aux sacro-saintes 35 heures hebdomadaires, ou bien à fixer le pourcentage de majoration de la rémunération des heures supplémentaires selon le nombre effectué au dessus du plafond légal.
Le projet promet également un assouplissement des règles encadrant les licenciements économiques (en gros les entreprises ne seraient plus obligées d’être au bord de la faillite pour ajuster leurs effectifs aux besoins…). Mais ces quelques allègements sont contrebalancés par l’annonce de la création d’un Compte Personnel d’Activité si nébuleux qu’on peut craindre par avance qu’il neutralise toute retombée pratique… Bref tout cela ressemble fort à un catalogue en forme de trompe l’oeil sans inspiration, sans but ni vraie perspective.

Toujours est-il que la Droite, obnubil
ée par sa guerre des petits chefs, est restée comme deux ronds de flanc face à cette initiative qui la prend à contre-pied. Quant au gouvernement, il a déjà amorcé un mouvement de retraite qui laisse entrevoir une fin en eau de boudin.
Ite missa est...

31 juillet 2015

La Liberté de Penser

Pour clore en forme de triptyque les commentaires au sujet des ouvrages consacrés à la liberté par les éditions Berg International, voici, après ceux consacrés à Edmond About et Victor Cousin, quelques mots au sujet d’un texte de Paul Janet (1823-1899), intitulé “La Liberté de Penser”, et réédition d’un article paru en 1866 dans la Revue des Deux Mondes.

Bien qu’il soit difficile de porter un ouvrage majeur au crédit de ce philosophe, qui fut l’élève puis le secrétaire de Victor Cousin, on peut lui reconnaître une manière de penser plutôt sensée et pragmatique, digne d’intérêt.
L’originalité de ce texte est sans doute de présenter la liberté intellectuelle sous un jour relativiste, assez novateur pour l’époque.

Janet commence notamment par écarter soigneusement toute conception excessive de la liberté qui pourrait la rapprocher de l’anarchisme ou d’une sorte de nihilisme intellectuel. Ainsi il rejette l’idée selon laquelle “la libre pensée serait synonyme de scepticisme et d’incrédulité”, qui selon l’auteur conduit à considérer comme libre penseur “quiconque ne croit à rien”, et conclure que “moins l’on croit, plus on est réputé capable de penser librement…”, ou pareillement affirmer que “celui qui nie tout principe en politique sera plus libre penseur que celui qui en reconnaît quelques uns, par exemple la liberté et la justice…”
Il pondère également le fameux principe cartésien qui recommande de “ne reconnaître pour vrai que ce qui paraît évidemment être tel, c’est à dire ce que l’esprit aperçoit si clairement et si distinctement qu’il est impossible de le révoquer en doute.”
Car selon lui, c’est une application trop zélée de ce principe qui a “ouvert la voie à toutes sortes d’interprétations hasardeuses laissant la liberté à chacun d’apprécier où se trouvait la vérité. Or si chacun ne peut juger qu’avec son jugement, s’il ne peut que penser avec sa pensée, il ne s’ensuit pas que la vérité soit individuelle et qu’il n’y a pas en soi une vérité absolue que chacun atteint dans la mesure où il le peut, et qu’il transmet aux autres dans la mesure où ils sont capables de la recevoir…”
C’est aussi cette conception qui conduit à l’étrange paradoxe qui fait “qu’en matière de philosophie, de politique et de religion, on puisse continuer de prétendre tout et son contraire, tandis qu’en matière scientifique il ne viendrait à l’idée de personne de combattre un calcul ou une expérience par un nom, par un texte, par une autorité…” En d’autres termes, “On ne serait guère accueilli à l’Académie des Sciences en invoquant l’autorité d’Aristote ou de Saint Thomas contre une démonstration de Laplace ou d’Ampère…”
En somme, “ce n’est pas parce qu’on admet le principe cartésien, qu’on en déduit que l’homme ait le droit de penser, selon sa fantaisie et selon son caprice, tout ce qui peut lui passer par la tête, et que je puis volontairement et à mon gré déclarer vrai ce qui est faux et faux ce qui est vrai.”

Si la liberté ne doit donc pas mener au laisser-aller en matière de pensée, elle ne doit pas davantage être le moyen de promouvoir des croyances ou des principes ne reposant sur aucune preuve tirée du réel.
S’il ne rejette pas totalement l’existence de vérités surnaturelles ou inexplicables, Janet met toutefois en garde contre celles qu’on prétend révélées, c’est à dire “lorsque la pensée rencontre la parole divine, l’autorité de la révélation”. Trop souvent pour les dévots en effet, la foi s’apparente à l’ignorance et lorsqu’ils évoquent Dieu, “s’il s’agit d’une fausse religion, ils prennent pour vérité surnaturelle ce qui n’en est pas; leur foi n’est que superstition, leurs espérances ne sont qu’illusions, leur culte n’est qu’idolâtrie…”

Cette remise en cause des a priori irrationnels et de l’absolu des principes n’est pas franchement nouvelle puisqu’elle est l’essence même de la pensée des Lumières, mais elle annonce le concept du “trial and error” développé par certains penseurs libéraux modernes comme Karl Popper, notamment lorsqu’on lit sous la plume de Janet que “L’erreur n’est souvent qu’un moyen d’arriver à la vérité : ce n’est que par des erreurs successives, chaque jour amoindries, que se font le progrès des lumières et le perfectionnement des esprits…”
C’est également une manière de réaffirmer la prééminence de la raison :”Combien donc faudra-t-il de temps jusqu’à ce que cet instrument des instruments, j’entends la raison, soit assez cultivé et perfectionné pour être manié par tous les hommes !”
Associée à la raison, la liberté de penser constitue le meilleur rempart contre les fanatismes, les totalitarismes et d’une manière générale l’obscurantisme : “Dans ce va-et-vient des puissances de ce monde, dans ces oscillations de principes qui se renversent l’un l’autre et viennent successivement se déclarer principes absolus, il n’y a qu’une garantie pour tous, c’est la liberté réciproque.”
Et dans cet ordre d’idées, si la liberté de penser est un droit, elle ne peut occulter la nécessité du devoir, car “Tout droit suppose un devoir, le devoir d’écarter toutes les causes d’erreur et d’illusion qui nous captivent et nous égarent...”

Pour achever son discours de manière résolument libérale, Janet s’en prend enfin directement à l’Etat, notamment lorsque ses représentants manifestent la volonté d’imposer au peuple ce qu’ils croient vrai, oubliant “qu’une vérité dont on n’a pas douté est une vérité problématique…” Il se désole également “qu’il se trouve encore des esprits qui, même dans l’ordre de la foi, voudraient que l’Etat intervint pour fixer ce qu’il faut croire et ce qu’il est permis de ne pas croire...”
On pourrait donc avec Damien Theillier, soutenir comme il le fait en guise de postface à l’ouvrage, qu’il découle des idées défendues par Paul Janet, “que l’Etat n’est pas juge du vrai ni du faux, et qu’il est seulement garant des droits de chacun, la liberté de penser n’étant donc susceptible de répression qu’en tant qu’elle porte atteinte aux droits des individus…”

28 juillet 2015

La Société Idéale

La liberté semble si galvaudée de nos jours, elle a tellement perdu de son sens, tout particulièrement en France, que le retour aux textes du passé apparaît comme un réconfort, faute hélas de pouvoir servir à l’édification des esprits.
Aussi, il faut saluer l’initiative des éditions Berg International, patronnée par Damien Theillier, de rééditer les écrits de penseurs quelque peu oubliés.
Après Edmond About, dont j’ai relaté il y a quelque temps la vision de La Liberté , voici “la Société Idéale” selon Victor Cousin (1792-1867).

Étrangement, c’est par un impératif quasi moral que l’auteur choisit de commencer son propos, affirmant d’emblée pour tout système de pensée, toute déclaration des droits et des devoirs du citoyen, la nécessité de reposer sur deux piliers : la justice et la charité.
C'est en effet selon lui, à partir de cette indissociable dualité que se pose la problématique de la liberté de la condition humaine, et de la volonté de toujours progresser.

Certes l’Homme est faible. Très faible même face à la nature qui l’entoure. 

Mais sa force est ailleurs.
Victor Cousin rappelle cette fameuse citation de Blaise Pascal : “L’homme n’est qu’un roseau, mais c’est un roseau pensant. Quand l’Univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue : car l’avantage que l’Univers a sur lui, l’univers n’en sait rien...”
Complétant la pensée de Pascal, Cousin ajoute que si l’Univers ne connaît pas sa puissance, il n’en dispose pas non plus, il suit en esclave des lois irrésistibles.
A contrario, l’Homme est conscient et libre d’agir : “Le peu que je fais, je le fais parce que je le veux !”

Pour Victor Cousin, c’est précisément ce qui confère une position unique à l’être humain : “La liberté qui élève l’homme au dessus des choses, l’oblige par rapport à lui-même.”
La contrepartie de cette liberté l’oblige cependant à se soumettre à la hiérarchie des droits et devoirs, que Victor Cousin énonce de la manière suivante : “Envers les choses, je n’ai que des droits; je n’ai que des devoirs envers moi-même; envers vous j’ai des droits et des devoirs qui dérivent du même principe..”
Autrement dire et pour résumer : “Le devoir et le droit sont frères. leur mère commune est la liberté. Ils naissent le même jour, ils se développent et ils périssent ensemble...”

A la lumière de ces principes qu’il juge cardinaux, Victor Cousin définit en quelque sorte sa conception du libéralisme et se livre à toutes sortes de constats roboratifs.
S’agissant par exemple de l’égalité, il affirme que la seule qui vaille est celle d’être libre (“Nul homme n’est plus libre qu’un autre”).
En revanche, s’agissant de l’égalité des conditions telle que l’a prêchée Rousseau, il considère qu’elle relève du leurre : “il n’est pas vrai que les hommes aient le droit d’être également riches, beaux, robustes, de jouir également, en un mot d’être également heureux.../… Rêver une telle égalité est une méprise étrange, un égarement déplorable…”

S’agissant de la propriété, il rejoint peu ou prou la pensée des pères fondateurs du libéralisme anglo-saxon tels Locke ou Hume, en s’exclamant que “la propriété est sacrée car elle représente le droit de la personne elle-même. Le premier acte de pensée libre et personnelle est déjà un acte de propriété. Notre première propriété c’est nous mêmes…”
En évoquant la légitimité de la propriété privée, Cousin n’est pas non plus très éloigné de Turgot, notamment lorsqu’il réaffirme après lui le fondement du capitalisme : “la propriété préexiste à la production.../… Je ne produis qu’à l’aide de quelque chose que je possède déjà…”

Quant à la justice, il considère “qu’elle confère à chacun le droit de faire tout ce qu’il veut, sous cette réserve que l’exercice de ce droit ne porte aucune atteinte à l’exercice du droit d’autrui.”
Toutefois, il ne faut pas comprendre qu’il s’agisse là d’une fin en soi mais plutôt d’un pré-requis. Lorsqu’un individu satisfait au devoir de respecter la liberté des autres, “nul n’a rien à lui demander”, mais a-t-il pour autant accompli toute sa destinée ?
Evidemment non. Il reste un champ très vaste dans lequel peuvent se conjuguer beaucoup d’aspirations plus ou moins élevées, plus ou moins altruistes. Au delà de la leur, certains voudront défendre la liberté des autres. D’autres voudront faire régner davantage de justice. Certains feront preuve de dévouement, de charité…
Au sujet de cette dernière, Cousin met toutefois en garde contre les effets pervers d’un trop grand zèle, car il est facile en la matière de prendre des vessies pour des lanternes, tant sont sujettes à cautions les définitions et les conceptions des uns et des autres. En l’occurrence, “le désintéressement et le dévouement sont des vertus d’un ordre différent; l’un se définit avec rigueur, l’autre échappe à toute définition”, et “la charité est souvent le commencement et l’excuse, et toujours le prétexte des grandes usurpations…”
Avec une perception plutôt prémonitoire des choses, Cousin vitupère contre les gens qui voudraient faire de la solidarité et de la charité des vertus d’essence étatique, c’est à dire obligatoire. Pareillement il peste contre ceux qui, abusant le peuple, proclament dans l’absolu des droits imaginaires. Aux premiers, il s’écrie : “Si vous m’arrachez une obole, vous commettez une injustice…”. Aux seconds, il fait observer “qu’il est faux que l’ouvrier ait droit au travail, car tout droit vrai emporte l’idée qu’on peut l’assurer par la force.../… proclamer des droits mensongers, c’est mettre en péril les droits certains” (on pense à Montesquieu condamnant les lois inutiles, qui affaiblissent les lois nécessaires...)
D’une manière générale, si “l’Etat doit aux citoyens que le malheur accable, aide et protection pour la conservation et pour le développement de leur vie physique”, et si on peut sans doute affirmer “l’utilité, et la nécessité même des institutions de bienfaisance”, il est important qu’elles dépendent d’initiatives “le plus possible volontaires et privées.”

S’agissant des religions enfin, il considère qu’elles contiennent plus ou moins de vérité, comme les philosophies (bien que de son aveu, l’une d’entre elles “surpasse incomparablement les autres...”). A ce titre il juge nécessaire que “toutes aient un droit égal à leur libre exercice”, sous réserve qu’elles se tolèrent mutuellement, car “un culte qui, en recommandant à ses fidèles d’observer entre eux la bonne foi et la sincérité, les en dispenserait envers les fidèles des autres cultes, devrait être interdit.”

En somme, ce texte n’est pas dénué d’actualité. Il n’est sans doute pas d’une originalité fracassante, et le portrait de la société idéale n’y est qu’à peine ébauché. Son ton peut être jugé un peu doctoral voire condescendant, mais le raisonnement s’avère simple simple et cohérent.
En postface Damien Theillier rappelle qu’il fut publié en 1848, au moment où s’effondra la monarchie de Juillet et où selon Tocqueville, naquit l’idée du socialisme. Il rappelle à cet effet l’observation pertinente que ce dernier fit au moment de cette nouvelle révolution française, porteuse de folies et de chimères dont nous subissons toujours les conséquences désastreuses : “mille systèmes sortirent impétueusement de l’esprit des novateurs et se répandirent dans l’esprit troublé des foules : l’un prétendait réduire l’inégalité des fortunes, l’autre l’inégalité des lumières, le troisième entreprenait de niveler la plus ancienne des inégalités, celle de l’homme et de la femme; on indiquait des spécifiques contre la pauvreté et des remèdes à ce mal de travail, qui tourmente l’humanité depuis qu’elle existe . Ces théories étaient fort diverses entre elles, souvent contraires, quelquefois ennemies… prirent le nom commun de socialisme (Souvenirs de 1848)