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15 décembre 2013

Le coup du Père François

Encore une voix qui s'élève pour dénoncer les prétendus méfaits du libéralisme ! Et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit de celle du pape François...
A travers son exhortation Evangelii Gaudium, publiée par le Vatican à la fin du mois de novembre, ce dernier s'exprime en effet vertement à son sujet, sans toutefois aller jusqu’à le citer nommément.

Ce document de plus de 200 pages, consacré à “l'évangélisation joyeuse” charrie certes comme il se doit, des tombereaux de bonnes intentions et de belles paroles auxquelles il apparaît difficile de ne pas adhérer au moins par la pensée.
Le pape s'y montre d’emblée d’humeur allègre, rappelant notamment que “la joie de l’Évangile remplit le coeur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus”. En abordant les problèmes du monde contemporain, il fait même preuve d’un certain optimisme, en évoquant “les succès qui contribuent au bien-être des personnes, par exemple dans le cadre de la santé, de l’éducation et de la communication.”

Hélas, bien vite le tableau s’assombrit, à mesure qu'il rentre dans le vif du sujet.
On peut certes encore le suivre lorsqu’il déplore cette “tristesse individualiste qui vient du coeur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée” qui gagne du terrain dans nos sociétés de confort matériel. On ne saurait évidemment lui donner tort, tant la futilité de notre univers semble évidente...
Comment ne pas partager également son sentiment lorsqu’il affirme “qu’on ne peut plus tolérer le fait que la nourriture se jette, quand il y a des personnes qui souffrent de la faim.”
Tout cela n’est pas d’une originalité fracassante, mais il faut hélas reconnaître qu’il y a, qu’il y eut, et qu’il y aura sans doute encore longtemps une part de vrai…

Là où le propos devient beaucoup plus étonnant, voire déroutant, c’est lorsque le souverain pontife se lance tout à trac dans une violente diatribe aux accents clairement politiques. Est-ce le rôle du pape de dénoncer “une économie de l’exclusion”, avec des termes ressemblant étrangement aux saillies grinçantes de Mélenchon ou de Besancenot ? Est-il vraiment dans son rôle lorsqu’il affirme “qu’aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible ?”

Sans doute a-t-il le droit de dire ce qu’il a envie de dire après tout, mais à prendre un ton aussi partisan, il risque fort de tomber de son piédestal de commandeur des âmes chrétiennes. Surtout, il s’expose à la controverse, donc à voir singulièrement se réduire la portée de sa parole. Ce qu’elle paraît gagner en actualité, elle le perd en universalité, et une telle intrusion dans la science économique peut devenir aussi discutable que le furent les parti-pris anti-scientifiques de l’église d’autrefois.

En quoi devons nous croire le pape lorsqu’il affirme que dans nos sociétés, “on considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter ? ” ou qu’il ajoute que “nous avons mis en route la culture du déchet qui est même promue.”
Et lorsque il nie que la croissance économique, puisse être favorisée par le libre marché, et qu’elle soit en mesure de produire “une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde”, il ne fait qu’émettre une opinion personnelle, que chacun est en droit de contester, car le rapport à Dieu paraît en l’occurrence bien lointain !

Il s’en éloigne d’ailleurs encore un peu plus à chaque page de ce qui s’apparente en définitive à un manifeste. Ainsi François ressort la bonne vieille symbolique de “l’adoration de l’antique veau d’or”, dont il voit “une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage et sans un but véritablement humain.”
Emporté par son élan, il croit bon de reprendre à son compte l’adage qui veut que “les gains d’un petit nombre s’accroissent exponentiellement, [tandis que] ceux de la majorité se situent d’une façon toujours plus éloignée du bien-être de cette heureuse minorité.”

La satire anti-libérale et anti-capitaliste est limpide. Non seulement le pape se fait le contempteur de l'économie de marché, mais il plaide pour l'étatisme contre l'initiative privée, jusqu'à adopter un point de vue radicalement partisan, condamnant "les idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière" et "qui nient le droit de contrôle des États chargés de veiller à la préservation du bien commun." En clair, il reproche à ces idéologies d'instaurer "une nouvelle tyrannie invisible, parfois virtuelle, qui impose ses lois et ses règles, de façon unilatérale et implacable !"
Cela le conduit à cette occasion à faire un amalgame des plus douteux avec “une corruption ramifiée et une évasion fiscale égoïste qui ont atteint des dimensions mondiales !” Pour un peu il se ferait le chantre de l’impôt ! Un peu fort de café tout de même...
Dès lors, il apparaît clairement qu’on a quitté le champ de l’opinion, pour entrer dans celui du slogan. Ainsi le pape se livre dans la foulée, à la critique de la mondialisation avec des accents franchement “alter-coco”, en dénonçant “une détérioration accélérée des racines culturelles, avec l’invasion de tendances appartenant à d’autres cultures, économiquement développées mais éthiquement affaiblies.”

Le grand reproche qu’on peut faire à cette longue oraison est de manquer largement sa cible. Elle s’attaque en effet au modèle de la société ouverte sur lequel reposent les pays développés, en tentant de reprendre le ton martial dont Jean-Paul II usa contre le système communiste.
Mais ce dernier avait une légitimité reposant sur le fait qu’il s’adressait à un régime totalitaire dans lequel les individus ne jouissaient d'aucun droit, sauf celui de se taire.
Dans les sociétés démocratiques que François prend pour cible en revanche, les citoyens sont acteurs de leur destin et des lois qui les régissent. Le droit de vote n'est pas un vain mot et la responsabilité citoyenne a une vraie signification.
Or le pape fait comme si les peuples étaient assujettis, voire broyés par un odieux système. Il parle même de "tyrannie invisible", ce qui paraît pour le moins excessif.
A aucun moment il ne s’adresse à l’initiative individuelle qui devrait être le moteur essentiel du progrès. Nulle part il ne fait des femmes et des hommes les clés d'un avenir meilleur.

Plus grave, la tonalité étrange des propos du pape déborde le monde de la finance.
Il déplore notamment “une société de l’information qui nous sature sans discernement de données, toutes au même niveau, et qui finit par nous conduire à une terrible superficialité au moment d’aborder les questions morales.” C'est vrai, mais qui est le plus coupable ? Le système qui délivre trop d'informations ou bien les individus incapables de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie dans cette abondance, et de discerner dans le flux qui les assaille celles qui sont importantes ? Ne vaut-il pas mieux avoir trop d’informations, et de sources multiples que pas assez, et d’un seul canal ? Le problème ne vient-il pas du manque d'éducation, du peu d'esprit critique, et de cette envahissante pensée unique dont il se fait lui-même, le colporteur ?

Plus loin, le pape constate que “La famille traverse une crise culturelle profonde.” Mais il ne dit rien des lois qui un peu partout détruisent avec méthode les repères sur lesquels elle est fondée, selon les canons chrétiens.
S’agissant même de la religion, ses mots résonnent bizarrement. Il pointe un doigt accusateur en direction de certaines régions du monde frappées “par une désertification spirituelle, fruit du projet de sociétés qui veulent se construire sans Dieu ou qui détruisent leurs racines chrétiennes”. Là, dit-il, «le monde chrétien devient stérile, et s’épuise comme une terre surexploitée, qui se transforme en sable. »
On comprend une fois encore, qu’il dénonce à mots couverts le mode de vie occidental. Bien qu’il soit sévère, le constat pourrait peut-être porter, si à l’inverse il ne manifestait une lénifiante mansuétude vis à vis de l’islam conquérant : “Les écrits sacrés de l’Islam gardent une partie des enseignements chrétiens; Jésus Christ et Marie sont objet de profonde vénération; et il est admirable de voir que des jeunes et des anciens, des hommes et des femmes de l’Islam sont capables de consacrer du temps chaque jour à la prière, et de participer fidèlement à leurs rites religieux.”
Et comme il est sur le sujet particulièrement en verve, il ajoute que “Nous chrétiens, nous devrions accueillir avec affection et respect les immigrés de l’Islam qui arrivent dans nos pays, de la même manière que nous espérons et nous demandons être accueillis et respectés dans les pays de tradition islamique.”

Il y a de quoi être un peu éberlué. Le pape imagine-t-il que les musulmans soient si mal traités dans les sociétés démocratiques de culture chrétienne ! A-t-il réellement perçu comment sont traitées ses ouailles dans la plupart des pays musulmans ?
Il faut chercher avec attention pour trouver une brève allusion à “la violente résistance au christianisme” qui dans certains endroits, “oblige les chrétiens à vivre leur foi presqu’en cachette dans le pays qu’ils aiment...” Et il faut être attentif pour trouver “l’humble imploration” à ces pays “pour qu’ils donnent la liberté aux chrétiens de célébrer leur culte et de vivre leur foi, prenant en compte la liberté dont les croyants de l’Islam jouissent dans les pays occidentaux !”

En terminant la lecture de cette longue exhortation, il difficile de s’exonérer d’un sentiment d’exaspération, voire d’incompréhension. A peu de chose près, on dirait le discours d’un politicien gauchisant.
La théologie de la libération qui fit florès en Amérique du Sud semble bel et bien de retour. Elle contribua hélas à ancrer le socialisme dans cette partie du monde, sans résultat probant après des décennies, sur l’état de pauvreté des pays concernés.
On se souvient que Jean-Paul II avait mis en garde contre la dérive politique à laquelle cette idéologie exposait, en rappelant aux prêtres qu’ils devaient être « des guides spirituels, pas des dirigeants sociaux ni des cadres politiques ou des fonctionnaires d'un ordre séculier. » Le pape François est en passe d’oublier cette recommandation, ce que la réaction de médias paraît confirmer. Par exemple le site Rue 89 qui jubile : "cette fois, c’est sûr, le pape est socialiste !" Ou bien de magazines, moins catégoriques, mais qui s’interrogent : "Le pape est-il marxiste ?" (Le Point), "Le pape François, un socialiste ?" (La Vie)...

L’avenir permettra sans doute de trancher. Toujours est-il que le discours pontifical s’inscrit hélas dans ce paradoxe troublant : on reproche au capitalisme de viser à enrichir les gens, au motif qu’il ne parvient pas à abolir la pauvreté, tandis qu’on porte au crédit du socialisme d’appauvrir les riches (sauf la nomenkaltura), même s’il ne fait qu’aggraver le sort des pauvres… Comprenne qui pourra !

26 septembre 2012

Qui a peur de Charlie Hebo ?

On n'est pas forcé d'apprécier l'humour de Charlie Hebdo pour lui reconnaître le droit d'exister et de se livrer à son exercice de prédilection : la provocation systématique. C'est souvent très gras, très laid et en général peu contributif au débat, tant le trait est outrancier, voire grotesque, indécrottablement ancré dans le parti-pris gauchisant. Mais hormis les remugles du mauvais goût, il n'y a franchement pas de quoi fouetter un chat.
L'effet n'est de toute manière plus très souvent à la hauteur des ambitions. Qui s'émeut de nos jours de voir le pape représenté en train de sodomiser une taupe (hormis quelques grenouilles survivant encore dans les bénitiers asséchés), ou bien le Front National symbolisé par un étron fumant (sauf pour en rire bêtement chez Ruquier) ?

Mais lorsque le magazine satirique se risque à marcher sur les plates bandes de l'Islam, dans ce qu'il a pourtant de plus radical et rétrograde, on dirait au vu des réactions que cela suscite, qu'il ne met rien moins que la République en péril !

Les politiciens qui nous dirigent, d'habitude plus prompts à se faire les champions de la liberté d'expression et les ennemis de la censure, font profil bas et semblent même gagnés par la panique. Évoquant la publication récente des fameux dessins, le premier ministre se crut obligé d'exprimer « sa désapprobation face à tout excès », et d'en appeler « à l'esprit de responsabilité de chacun ». Le ministre des Affaires Etrangères a martelé de son côté qu'il était « opposé à toute provocation », et le gouvernement a procédé dans la foulée de la publication, à l'interdiction de manifestations, et au renforcement tous azimuts des mesures de sécurité. On se serait cru à la veille d'une guerre civile...

Les autres médias réunis ont joué quant à eux les hypocrites : tout en se faisant les relais complaisants des dessins incriminés, ils ont fait mine de s'interroger gravement sur « les limites du genre bête et méchant » (l'Express).
Le pire fut de lire certains éditoriaux renvoyant dos à dos sur un pied d'égalité, la satire, la caricature, et la provocation d'un côté, et de l'autre, l'intolérance, les appels au meurtre, l'obscurantisme. Ne pas voir la différence est un signe navrant de la dérive des mentalités.
Parmi les exemples les plus frappants de ce dévoiement intellectuel, figure l'opinion de Christian Makarian parue dans l'Express, reprochant à Charlie Hebdo d'avoir surenchéri sur le fameux mais anodin bout de film circulant sur le web, tournant en dérision les musulmans. Il accuse le magazine « d’emboîter le pas d'une vidéo qui est bien plus proche d'un manifeste politique extrémiste », alors même que les réactions délirantes de foules haineuses un peu partout dans le monde (même à Paris) ont semblé donner raison aux mystérieux auteurs du film incendiaire!
Plus forts encore furent les propos de Laurent Joffrin publiés dans le Nouvel Obs du 20/09 affirmant « qu'en caricaturant Mahomet, nos confrères se retrouvent aux côtés de fanatiques islamophobes. Et font des islamistes les premiers défenseurs de l'Islam. »

On pense à l'incroyable mauvaise foi (à moins que ce ne soit courte vue) des gens qui accusaient d'anti-communisme primaire, tous ceux qui osaient il y a quelques décennies s'attaquer à l'idéologie asservissant tant de malheureuses populations derrière le rideau de fer. Tandis que des peuples étaient opprimés aux portes du monde libre, et qu'un effroyable totalitarisme se faisait de jour en jour plus menaçant, il fallait selon ces culs bénis d'inspiration munichoise, pratiquer la coexistence pacifique, jouer la détente pour apaiser le monstre...

L'histoire paraît se répéter. Ce qui est effrayant, en la circonstance, c'est l'inversion des valeurs à laquelle on assiste. Est-ce lâcheté ? Est-ce myopie ? Est-ce naïveté ? La question mérite d'être posée. C'est le mérite de Charlie Hebdo de la provoquer.
Au moins ses journalistes font leur métier ni plus ni moins, et on peut au moins leur reconnaître le courage de ne pas faiblir lorsque tant d'autres se défilent...

14 septembre 2012

Montée des périls

Les événements violents qui embrasent le Proche-Orient pourraient bien constituer le révélateur d'une grave faiblesse du contre-pouvoir légitime et nécessaire de la Communauté Internationale.
L'ONU est aux abonnés absents. Rarement son inutilité n'a été aussi manifeste. Si la démission au cours de l'été de Kofi Annan, l'envoyé spécial conjoint pour la Syrie est un symptôme en apparence banal de cette navrante impuissance, les raisons invoquées par le secrétaire général de l'Organisation ne laissent pas d'inquiéter : il a en effet qualifié à cette occasion, « les divisions persistantes au sein du Conseil de Sécurité, d'obstacle à la diplomatie ».
On ne saurait mieux rendre compte de la faillite désespérante d'un système...
L'attitude de la Chine et de la Russie explique certes une partie de l'inertie, mais elle n'empêcha pas des actions par le passé, et tout porte à croire que l'opposition « de principe » pourrait être contournée si le reste du monde était suffisamment déterminé. Mais de détermination, il n'y a point, tant ces nations manquent de dessein commun.

L'Europe, qui peine à réunir ses forces décaties pour surmonter la crise économique, est bien loin de représenter un ensemble cohérent sur la scène internationale. On se souvient que disposant de 2 sièges au Conseil de Sécurité, elle trouva le moyen en 2003, d'émettre deux avis contradictoires lors du problème irakien... La France qui par les initiatives de son leader dynamique s'efforçait d'apporter un peu de punch à cette communauté hétéroclite, a décidé un jour de pluie de mai 2012, de s'arrêter au bord de la route pour contempler le paysage...

Mais plus grave encore que tout cela, est l'apparente léthargie américaine.
Si la politique du président américain n'est - même pour ses fans - guère convaincante dans son aspect « domestique », son versant tourné sur l'extérieur semble tout simplement inexistant.
Hormis l'élimination de Ben Laden, dont pouvait penser qu'elle couronna des efforts entrepris bien avant son accession au pouvoir, aucun fait marquant n'est à porter à son crédit. La démilitarisation de l'Afghanistan dont il avait fait un argument de campagne, s'avère assez désastreuse. Plus lente que promis, elle n'en donne pas moins l'impression d'ouvrir progressivement un boulevard aux extrémistes. L'Iran dont on parle assez peu par les temps qui courent, représente un péril plus que jamais imminent. Or ni dans les actes, ni même dans les discours dont il est pourtant friand, le président américain n'a tenté grand chose pour enrayer l'implacable montée de la menace.

Face à tous les foyers qui s'allument un peu partout, L'Amérique paraît en panne. Elle fut absente des révolutions dont elle avait tout lieu d'espérer une tournure avantageuse pour la démocratie. De nouveaux chaudrons propices à l'éclosion du terrorisme et de l'intolérance sont en ébullition un peu partout. Or ni au Mali, ni en Libye, ni en Syrie, les Etats-Unis ne font preuve d'une réelle détermination, ni même d'un quelconque intérêt. Bilan affligeant, comme on pouvait le craindre, en dépit de son attitude lénifiante, voire complaisante, Barack Obama n'a en rien diminué la haine anti-américaine des foules fanatisées.
Tout se passe comme si la flamme de la liberté venue de l'Ouest était en voie d'extinction.
Or, lorsque l'Amérique s'éteint, le destin du monde s'assombrit...
Elle vient d'être frappée durement par l'ignoble attentat de Benghazi, qui a coûté la vie à l'ambassadeur et à une partie de son équipe. En la circonstance, la montée en épingle par les médias, d'un bout de film parodique sur Mahomet, est vraiment grotesque. Comme si des musulmans dignes de ce nom pouvaient justifier des crimes aussi ignobles et un tel déchaînement de malveillance par un pamphlet aussi dérisoire ! A l'heure où en Occident, on range au niveau de l'art la photo d'un crucifix plongé dans l'urine, le contraste est saisissant en même temps qu'effrayant.

Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour faire le constat que la montée des violences vient de loin, et que, même si elle ne répond qu'aux menées d'une minorité de gens, ceux-ci sont diablement bien organisés. Sans police, ce désordre a toutes les chances de croître.
Y aura-t-il un sursaut ? That is the question...

19 avril 2011

L'agitation du bocal



Au moment où de sanglantes révolutions ébranlent le monde arabe, où la crise économique mine le bien-être matériel des sociétés développées, et où les colères de la nature secouent dramatiquement le rêve de puissance de l'empire du Soleil Levant, c'est un ouragan lilliputien qui agite tout à coup les médias hexagonaux, si friands de scandales.
Celui-ci est causé par une exposition intitulée « Je crois aux miracles », sise depuis le mois de décembre 2010, dans le Musée d'Art Contemporain de la ville d'Avignon.
Clou du spectacle, si je puis dire, une photo datée de 1987, signée de « l'artiste » américain Andres Serrano, et intitulée crûment Immersion (Piss Christ), représentant un crucifix plongé dans un bocal rempli d'urine (de l'artiste) !
Signalons au passage que ce photographe « majeur » (dixit les Inrocks), élevé paraît-il dans un "strict environnement religieux catholique", s'est également illustré par un remarquable travail sur les excréments, photographiés sous tous les angles et éclairages imaginables, exposé en 2008 sous le titre on ne peut plus évocateur de « Shit ». On peut lui reconnaître de ne pas cultiver l'ambiguïté...

Dans le climat de manichéisme politico-culturel et d'exacerbation des tensions religieuses que traverse actuellement le pays, le moins qu'on puisse dire est que l'initiative avignonnaise, sponsorisée par les Pouvoirs Publics et donc l'argent des contribuables, paraissait plutôt inopportune.
Mais les Chrétiens étant sans doute quelque peu accoutumés à ce genre de vilénie, il a  fallu plusieurs mois pour que s'échauffent les humeurs et que monte l'indignation. Celle-ci s'exprimait depuis quelques semaines, par des manifestations et une vaste pétition signée par plus de 80.000 personnes demandant la suppression de l'image controversée, placardée en forme d'affiche aux quatre coins de la ville.

Mais dimanche dernier, 17 avril, quelques individus déterminés décidèrent de passer à l'acte en saccageant à coups de marteau et de pics à glace l'objet du scandale.
Du coup l'indignation n'est plus chez les Dévots mais chez les Précieux. Ces derniers s'étranglent devant ce forfait, qui révèle selon eux une "France haineuse" (les Inrocks), s'inscrit comme l'expression de la "barbarie" (l'Humanité), ou comme "un acte de régression très inquiétant" (Aillagon)...

Dans cette histoire, que j'ai pour ma part tendance à considérer comme une pantalonnade, je trouve très réactionnaire, voire péjorativement bourgeoise et incohérente, l'indignation (comme dirait Stéphane Hessel...) des gardiens de la culture.
Que pouvaient-ils objectivement espérer de mieux vis à vis de cette grotesque provocation, de plus adapté à la situation ? 
La figure du Christ qui a transcendé de bien pires circonstances, ne pouvait évidemment pas être atteinte par ces niaiseries scatologiques. Quant à l'émotion artistique, elle ne pouvait en rien être sollicitée par d'aussi insignifiantes déjections.
Plutôt que se répandre en imprécations, ne faudrait-il  donc pas se réjouir de l'ardeur déconstructive avec laquelle les audacieux iconoclastes ont salué « l'oeuvre » (qui n'est de toute manière rien d'autre, au sens propre comme au figuré, qu'un cliché...).
En 1993, à l'occasion d'une exposition du fameux et dérisoire ready-made en forme d'urinoir de Marcel Duchamp, un artiste non conformiste, Pierre Pinoncelli, entreprit courageusement de le briser avec beaucoup de théâtralisme d'un coup de marteau bien ajusté, en expliquant son geste de la manière suivante : "Ce n'était pas du tout contre l'urinoir ou contre Duchamp, mais contre l'institution qui a consacré ledit ustensile en veau d'or et son auteur en Toutankhamon de l'art moderne. J'ai cassé l'urinoir au centre des mécanismes de sacralisation et des rituels du pouvoir."
Lorsque l'urine se confond avec le sacré, que les excréments se mélangent aux aspirations les plus hautes de l'art, la « barbarie » devient un acte de salubrité publique et un vrai retour au réel, quasi constructiviste. A travers l'expérience brutale de la démolition, c'est une vraie et radicale restructuration conceptuelle à laquelle on assiste... 
La destruction est une forme d'apothéose, un exutoire sublime.
Mais attention, comme tout jeu, elle comporte un risque de débordement qui peut mener au pire, si l'affaire est prise trop au sérieux...

21 juillet 2010

Je vois Satan tomber comme l'éclair

Ce livre m'est tombé dessus à la manière de Satan dans le titre.
J'avais bien une vague connaissance de son auteur pour l'avoir entrevu une fois ou deux à la télévision mais Dieu sait pourquoi, je l'imaginais comme un dialecticien hermétique s'exprimant sur des sujets rebutants...
Quelle ne fut pas ma surprise, après avoir acheté un peu par hasard cet essai, de me mettre à en dévorer sa prose avec avidité, trouvant sous un style clair et efficace, ce qui manque le plus cruellement à notre époque : une conception presque objective, de la spiritualité.

De manière un peu surprenante, René Girard qui fait du sentiment religieux le déterminant principal des comportements de toute société humaine, commence par un constat désabusé.
A le croire, « Lentement mais irrésistiblement sur la planète entière, l'emprise du religieux se desserre ». Ni les prédictions de certains sur « le retour du religieux », ni les excès des nouveaux fanatiques ne peuvent masquer selon lui ce lent délitement.
Il est de première importance de souligner l'étrangeté de ce constat au seuil d'un ouvrage qui prétend démonter la mécanique infernale des mythes et montrer « objectivement » comment la Bible a fourni à l'homme le seul moyen de surmonter les démons auxquels pour son malheur, son sort semblait indéfectiblement lié. En réalité, la clarté avec laquelle René Girard voit le Christ représenter un tournant majeur et sans doute unique dans l'histoire de l'humanité, n'a d'égale que l'inquiétude qui l'étreint à l'idée du déclin de la religion qu'il incarne.

La force des rites et des mythes
Avant toute chose, René Girard invite le lecteur à considérer que depuis ses origines, l'Humanité est régie quasi exclusivement par un instinct rituel grégaire, qu'il nomme cycle de la violence mimétique, et dont il voit le fondement dans le désir.
Le désir a ceci de terrible qu'il se rapporte à l'autre, à ce qu'il possède, à ses biens ou à ses attributs. Il sous tend donc un conflit permanent entre les êtres humains. Pire, il voit sa force néfaste décuplée par la spirale de rivalités qu'il entraine presque à tout coup, lorsque plusieurs personnes se mettent à désirer la même chose simultanément : « les désirs rivalitaires sont d'autant plus redoutables qu'ils ont tendance à se renforcer réciproquement. »
En définitive, selon Girard, « la source principale de la violence entre les hommes, c'est bien la rivalité mimétique. »

Deuxième constante fatale caractérisant les sociétés humaines, c'est « le mécanisme victimaire », qui conduit, lorsque surviennent de graves crises, à désigner des victimes expiatoires. Peu importe que celles-ci soient coupables ou innocentes, l'essentiel est qu'elles servent d'exutoire à la colère, à l'angoisse ou à la panique qui envahissent les foules. Dans ce contexte, les victimes sont « sélectionnées par toute la communauté » en fonction de critères assez reproductibles: il s'agit le plus souvent de personnes faibles, démunies, malades ou seules, n'opposant aucune force, ne disposant d'aucun vrai défenseur.
Ici se rejoignent victimisation et violence mimétique. Pour le montrer, Girard prend l'exemple de la lapidation d'un mendiant, préconisée pour délivrer de la peste la ville d'Ephèse, par Appolonius de Tyane « gourou célèbre du IIè siècle après Jésus-Christ ». Le pauvre êre est bien sûr totalement étranger à l'épidémie au nom de laquelle le prétendu sage demande de l'immoler. En face, la foule est hésitante car elle sent confusément ce hiatus. Pourtant dès qu'une première pierre est jetée à l'insistance du sorcier, la mécanique s'enclenche, fatidique, et le mendiant est bientôt littéralement enseveli. La foule est temporairement satisfaite. Ne reconnaissant même plus la victime, elle peut s'imaginer voir dans ses restes tous les stigmates du malheur frappant la communauté. Après l'avoir sacrifiée, elle la sacralise... Dans cette mécanique, l'effet amplificateur du mimétisme paraît évident : « la première pierre est décisive car elle est la plus difficile à jeter. Mais pourquoi est-elle si difficile à jeter ? : parce qu'elle est la seule à ne pas avoir de modèle... »
A côté du rite victimaire, l'auteur décrit quelques équivalents dont le rôle est proche : celui du bouc émissaire par exemple, visant à exclure de la société un ou plusieurs individus jugés indésirables, ou encore le rite du meurtre fondateur à la base de nombre de processus révolutionnaires. On trouve ce dernier dans quantité d'épisodes même récents de l'histoire : Girard cite César pour l'Empire Romain, mais il aurait pu tout aussi bien évoquer Charles Ier en Angleterre, Louis XVI en France, Nicolas II en Russie...

Transfiguration christique de la fonction rituelle
Même si la description de ces rituels, consubstantiels aux mythologies et aux rites païens, est très convaincante, l'originalité du livre est ailleurs à mon sens.
Elle réside surtout dans le parallèle fait entre ces mythes et la Bible, dont le but est de faire comprendre la distinction fondamentale entre « ce qu'il faut bien appeler la vérité biblique, et le mensonge de la mythologie... »
Dans la Bible on retrouve naturellement tous les plus vils instincts humains. Mais à chaque fois elle fournit une clé pour les tenir à l'écart où s'en préserver. Mieux, elle les utilise pour en inverser la signification, et les transcender, de manière à mettre Satan en déroute.
Girard montre par exemple comment le décalogue s'oppose à tous les aspects destructeurs du désir. Pour ce faire, il invite à examiner le dixième et dernier commandement, le plus complexe, mais qui en définitive conditionne tous les autres : « Si on cessait de désirer les biens du prochain, on ne se rendrait jamais coupable ni de meurtre, ni d'adultère, ni de vol, ni de faux témoignage ».
Selon la thèse girardienne, les interdits véhiculés par les commandements sont donc une nécessité, que la bible rend pour la première fois claire, intelligible et applicable par chacun. De ce point de vue, l'auteur s'inscrit à contre-courant de la tendance libertaire qui voudrait qu'il soit « interdit d'interdire ». Il met en garde à cette occasion sur le leurre de la permissivité, car « si elle n'était pas contrecarrée, cette tendance [aux conflits rivalitaires] menacerait en permanence l'harmonie et même la survie de toutes les communautés ».

En plus des règles bibliques, l'épisode christique lui permet d'éclairer d'une nouvelle lumière tous les aspects développés à propos de la mythologie et des rites primitifs.
Le cycle de la violence mimétique s'exprime pleinement dans la passion du Christ. Dans son infortune, ce dernier sera progressivement lâché par tout le monde, y compris par les plus fidèles de ses apôtres. Le triple reniement de Pierre en est l'illustration la plus tragique. Selon René Girard, personne probablement n'aurait fait mieux que lui en la circonstance. Il ne faut par conséquent pas l'accabler, ni voir dans son attitude une cause intrinsèque, liée à son tempérament ou à son courage. Car en le faisant, on s'exonèrerait de l'explication mimétique en suggérant plus ou moins consciemment qu'à sa place on aurait agi différemment. Les spectaculaires « démonstrations de piété » auxquelles on assiste de nos jours vis à vis des victimes d'évènements passés, relèvent du même principe. Probablement les pénitents signifient-ils à travers elles, qu'il leur aurait été possible de se comporter mieux que leurs aïeux...
Le processus victimaire qu'on trouve partout dans la Bible éclate dans la crucifixion du Christ. Exposé à la vindicte populaire, sa mort s'inscrit dans le cycle de la violence mimétique mais aussi dans le rite de la victime expiatoire, et dans celui du meurtre fondateur.
Ce qui distingue ces évènements de tous les autres qui leur sont antérieurs dans l'histoire humaine, c'est que la religion chrétienne y apporte deux types de réponses totalement inédites.
A propos de la femme adultère, par exemple, au contraire d'Appolonius, Jésus parvient à gripper l'emballement mimétique, en faisant appel à l'introspection de chacun pour empêcher la fatidique première pierre. Il lui faut une détermination exceptionnelle car ce faisant, il prend le risque d'être associé à la victime désignée, et donc d'être sacrifié en même temps qu'elle... Pour une fois il gagne sans recours au miracle.
Mais, victime il le sera de toute manière bientôt, et il le sait. Mais pour une fois, la victime, en apparence désignée, sélectionnée, comme à l'accoutumé, aura choisi délibérément son sort. La foule qui le conspuera et qui réclamera sa mort, l'ignorera (d'où ces paroles du Christ sur la croix : « Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font »).
La mort en victime innocente mais consentante, et surtout la résurrection du Christ, constituent en somme, le fait le plus significatif de cette religion à nulle autre comparable. La victime n'est plus ici un infortuné bouc émissaire, mais l'agneau de Dieu, qui sauve l'Humanité. C'est ce que Girard appelle « le triomphe de la Croix ».

Où le miracle prend le pas sur l'objectivité...
Et c'est à ce moment de sa réflexion, qu'il voulait fondée sur une analyse objective des faits, que l'auteur introduit pour la première fois un élément relevant du mystique.
Car selon lui, c'est par la résurrection que tout change, irrémédiablement. C'est à partir de cet événement extraordinaire, que les apôtres définitivement dessillés des maléfiques sortilèges de Satan, vont affirmer sans crainte leur personnalité et répandre, envers et contre tous les obstacles, le message de Jésus. Ce fait apparaît incontournable et indiscutable à l'auteur : seule la force du Saint-Esprit peut délivrer de l'asservissement à la violence mimétique.
Évidemment cette conclusion audacieuse apparaîtra aux yeux de certains comme une sorte d'échappatoire un peu facile. Pire, on pourra imaginer que toute la rigueur analytique affichée dans le livre n'avait pour but que d'arriver à cette fulgurante rupture avec la raison.
Cela n'enlève rien à mon sens à l'intérêt de ce point de vue, assez inhabituel dans la pensée contemporaine. Sa force est en effet de redonner une vraie dimension spirituelle à la réflexion philosophique, qui en est si souvent singulièrement dépourvue de nos jours.

Sans spiritualité, la société retourne au paganisme
La dernière partie de l'ouvrage, qui s'intéresse à l'époque moderne, post-chrétienne, fustige la perte progressive du sens religieux. Girard, qui réitère son constat initial sur la défaite des religions, observe dans le même temps qu'aucune époque n'a paradoxalement autant promu les valeurs du christianisme. Par exemple, il remarque que « notre société est la plus préoccupée de victimes qui fût jamais », que « la mode est au pèsement des victimes ».
Prenant le contrepied de la violence mimétique et de l'exclusion rituelle de boucs émissaires, notre monde cherche à valoriser les minorités, tout en s'accusant de continuer â les rejeter. Il semble obsédé par la nécessité de toujours prendre le parti des victimes, en même temps qu'il bat sa coulpe au sujet de celles qu'il se reproche d'avoir faites par le passé.
En réalité pour l'auteur, ceci n'est qu'apparence, et toute inspiration christique à ce comportement est d'ailleurs assez généralement niée. A la place, on invoque l'humanisme, ou le rationalisme, « pour ne pas mentionner le religieux, pour ne rien dire du rôle du christianisme. »
Autrement dit sous des dehors de charité chrétienne, tout se passe comme si le monde contemporain retournait au paganisme ancestral : « aujourd'hui, toutes nos pensées sur l'homme, toutes nos philosophies, toutes nos sciences sociales, toutes nos psychanalyses sont fondamentalement païennes, en ceci qu'elles reposent sur un aveuglement au mimétisme conflictuel analogue à celui des systèmes mythico-rituels eux-mêmes »
Selon Girard, le vrai humanisme est forcément ancré dans le sentiment religieux. Plus fort même, « l'humanisme et l'humanitarisme se développent d'abord en terre chrétienne. »
Nier cette évidence revient à sous estimer le coeur même des problèmes : « Tous les discours sur l'exclusion, la discrimination, le racisme, etc... resteront superficiels aussi longtemps qu'ils ne s'attaqueront pas aux fondements religieux des problèmes qui assiègent notre société. »
Au passage Girard égratigne les penseurs matérialistes dont il estime l'influence aussi importante que néfaste sur la réflexion contemporaine. Freud, mais surtout Nietzsche sont les premiers visés.
Il concède une certaine clairvoyance à Nietzsche, « le plus antichrétien des philosophes du XIXè siècle » car en mettant en parallèle Dionysos et le Christ, « il a identifié la source de notre culpabilité à une époque où elle était moins évidente qu'aujourd'hui». Mais « au delà de ce point il n'a fait que délirer », et s'abandonner « comme nombre de penseurs contemporains à la passion des surenchères irresponsables ». Pire, en rétablissant le rite du sacrifice humain (« les sociétés doivent se débarrasser des déchets humains qui les encombrent »), « il a suggéré et encouragé les destructions terribles du national-socialisme... »

Tout n'est pas si mal...
Avant d'achever tout à fait son propos, René Girard choisit tout de même de manifester un certain optimisme, en accordant à notre société le mérite de bienfaits qu'elle même se refuse. A la manière de Churchill il voit certes notre monde comme le pire qui soit (« aucun monde n'a jamais fait plus de victimes que lui ») mais aussi, et de loin, comme le meilleur, « celui qui sauve le plus de victimes ».
Pour progresser, conseille-t-il, il ne faudrait donc pas trop se flageller : « Nous tonnons contre l'autosatisfaction bourgeoise du siècle dernier, nous ridiculisons la niaiserie du progrès et nous tombons dans la niaiserie inverse : nous nous accusons d'être la plus inhumaine de toutes les sociétés ». Or en réalité, « Les démocraties modernes peuvent présenter pour leur défense un ensemble de réalisations tellement uniques dans l'histoire humaine qu'elles font l'envie de la planète. »
En acceptant l'idée que « le véritable guide de l'Humanité n'est pas la raison désincarnée mais le rite », et en replaçant ce dernier dans la majestueuse perspective ouverte par la Bible, magnifiée par le Christ, on pourrait nourrir l'espoir que la raison et l'humanisme reprennent tout leur sens...

En conclusion
La thèse exposée par René Girard ne manque ni d'originalité, ni de puissance. Son attachement à la morale chrétienne l'inscrit dans la tradition des grands penseurs mystiques, et à certains égards pourrait faire penser à une resucée du Génie du Christianisme.
Il faut reconnaître que, bien que cela paraisse de nos jours assez anachronique, il n'y a rien d'illégitime à tenter d'éclairer l'humanisme des feux de la spiritualité, même si on situe cette dernière dans le champ du religieux.
Pourtant, faire de la religion chrétienne la seule source de lumière, paraît quelque peu abusif. Cela revient en quelque sorte, à décréter que l'humanité véritable ne débute qu'il y a deux millénaires, lors de la résurrection du Christ. C'est aussi faire fi de toute la philosophie antique, dont il est exagéré de prétendre qu'elle ne contiendrait aucune valeur humaniste.
D'une manière plus générale, soutenir comme le fait René Girard, que le rite soit le déterminant essentiel de l'organisation de toute société humaine semble excessif. Cela oblige l'auteur entre autres à rejeter avec dédain ce qu'il nomme « l'absurdité indéracinable du contrat social » et à faire découler l'avènement de la démocratie moderne, exclusivement des règles chrétiennes.
Quant à la force de l'Esprit Saint., elle reste du domaine de la foi, et donc échappe à toute argumentation rationnelle..

Illustration : cathédrale St-Pierre, Angoulême

29 décembre 2009

Méditation


Je suis bien loin d'être un bon Chrétien : ni habité par la douce certitude de la Foi, ni même pratiquant le rite. Mais j'avoue avoir un faible pour les petites églises romanes qui peuplent la Saintonge. Je me suis d'ailleurs fait un objectif personnel de toutes les connaître et de les photographier.
Lorsqu'aux beaux jours le soleil fait régner une chaleur entêtante, j'aime à pénétrer à l'intérieur de ces petits asiles tranquilles. Alentour, tout n'est que silence. C'est à peine si par la porte entrouverte on entend le chant des oiseaux, le crissement opiniâtre des grillons, et quelques bruits familiers mais lointains venant du village ou des champs. Et par les fenêtre et les vitraux, la lumière tombe droite comme l'espérance des âmes simples. Une sereine tranquillité règne.

Pendant ces instants assez éphémères, des foules de pensées traversent ma tête. Je me sens comme si j'étais hors du temps, confronté aux mystères du Monde, au souvenir de ceux qui sont disparus, et au bout du compte à moi même, là en somme, où ni le hasard ni la nécessité semblent n'avoir de sens...


Les églises que je préfère sont les plus petites. Leur humilité les tient à l'écart des trop éclatantes manifestations de dévotion et des vaines célébrations de la comédie humaine. Outre le charme de leur architecture, elles sont l'expression d'une foi rustique et véhiculent une émotion inusable. Que seraient les paysages, que serait l'univers quotidien des hommes sans ces repères discrets et bienveillants qui rappellent le passé tout en éclairant l'avenir ?
Les noms sont à eux seuls une poésie : Aulnay, Ecoyeux, Cherminiac, Corme l'Ecluse, Fontcouverte, Saint Georges des Cloteaux, Retaud, Sainte Gemme, Saint Vaize, Thaims, Villars des Bois...
A Talmont, l'église juchée à flanc de falaise surplombe l'estuaire de la Gironde et fait face au vignoble du Médoc, à Saint-Sauvant il faut gravir une colline qui semble monter au ciel, et emprunter la rue du Paradis, pour atteindre le monument, et de là, dominer la vallée... du Coran !



Détail délicieux enfin, ce sont les myriades de modillons placés sous les corniches comme pour les soutenir et qui narguent le Malin, mais aussi désarment tout sentiment de sérieux ou de vanité que pourrait nourrir celui qui s'apprête à entrer. L'imagination et la liberté d'expression manifestée par les artisans qui au cours des siècles ont illustré ces édifices, ne laissent pas de surprendre. Avec naïveté et humour ces petites figures disent les peurs et les joies. Tantôt des visages grimaçants, tantôt des silhouettes séraphiques, alternent avec un bestiaire fantasmagorique.
Avec à l'esprit ces êtres facétieux, avec ces petits monuments pleins de grâce dédiés à l'Indicible, ces clochers modestes, et ces délicates archivoltes arc-boutées sur les piliers d'une exquise sagesse, je me glisse en douceur et sur la pointe des pieds, le long des derniers jours de l'année... En espérant que ces témoins ancestraux auxquels tant de gens de bonne volonté ont apporté avec le cœur une petite pierre, accompagnent encore longtemps leurs descendants et les aident à surmonter les aléas de la vie et à affronter l'inconnu terrible du destin.

08 décembre 2009

Retour de boomerang


L'actualité dans ses fantaisies et sa versatilité renvoie parfois de drôles de hoquets au visage des adeptes de l'Histoire à sens unique.

Alors que s'ouvre le sommet international de Copenhague, le débat sur le climat prend un tour nouveau. Hormis la voix isolée de Claude Allègre, on n'entendait en France depuis quelques années qu'un seul son de cloche, véhiculé par le biais de personnalités très médiatisées ou par la bouche des politiciens, tous plus ou moins enclins au suivisme démagogique. Une cloche quant à elle alarmiste, puisqu'elle sonne tous azimuts le tocsin de la fin du monde prochaine, en l'attribuant aux méfaits du progrès scientifique et économique.
Et puis tout à coup, à l'occasion de fuites en provenance du site internet d'une université influente, on prend conscience que ce discours reposait en partie sur un gigantesque bluff. Première révélation, le fameux GIEC qui soi disant s'inspirait des travaux convergents de l'immense majorité des scientifiques mondiaux, prenait en pratique ses informations à une source quasi exclusive, celle du Centre de Recherche sur le Climat de l'université britannique d'East Anglia !
Et quelle source ! Peu scrupuleuse sur l'objectivité, elle « arrangeait » manifestement les constats scientifiques pour qu'ils puissent coller au mieux à la thèse dominante. Les chercheurs convertis à la nouvelle religion écologique, mettaient en somme de côté les évidences scientifiques qui les dérangeaient, à la manière de ceux qui opposaient aux découvertes de Pasteur, le credo de la génération spontanée. De fait, l'argument massue mille fois lu et entendu, ressemblait étrangement à celui des docteurs d'autrefois, faisant foi scientifique d'un consensus, qui dit en substance : « Plusieurs milliers de chercheurs pensent la même chose, à savoir qu'il y a un réchauffement climatique, qu'il est forcément néfaste et qu'il a 9 chances sur dix d'être lié à l'activité humaine. » CQFD.
Coïncidence,
un sondage réalisé avant cet épisode, et publié par le magazine The Economist, révèle que les mentalités sont justement en train de changer. La question posée était : "Faut-il privilégier la protection de l'environnement au prix d'une baisse de la croissance économique, ou bien donner la priorité à cette dernière au risque de dégrader l'environnement". Depuis 1999 la première option de l'alternative était préférée par la majorité des sondés, en 2009 les proportions s'inversent (Gallup).
Évidemment, faut-il le préciser, la réponse qui s'impose, et qui n'est pas proposée au choix, se situe au milieu, consistant à trouver un compromis entre la croissance et le respect de l'environnement...
Certes la Crise qui est une réalité tangible, a tendance à influencer les avis, pourtant, il n'était pas vraiment besoin de cette affaire de mails détournés pour douter de la véracité du nouveau diktat malthusien, prônant la décroissance. Avec force arguments, certains pointaient déjà depuis quelque temps, les
méthodes peu rigoureuses des tenants du réchauffement climatique. Il n'est d'ailleurs que de voir le comportement outrancier et sectaire des militants de Greenpeace, qui encore dernièrement n'ont pas hésité à prendre d'assaut l'Assemblée nationale, pour mesurer le degré de fanatisme atteint par certains écologistes. Ils discréditent leur cause bien plus qu'ils ne la défendent.
*****
La votation suisse sur les minarets, envoie dans les gencives des tartufes de la démocratie, le verdict de l'opinion publique. Du coup, ceux qui il y a peu, brandissaient victorieusement les résultats du référendum européen à l'appui de leur philosophie, se mettent tout à coup à douter du bien fondé du scrutin populaire et nient purement et simplement ses enseignements. Vérité en deçà des Alpes, erreur au delà...
Il est bien connu que chez nous, où le bon sens prévaut, « la question ne se pose même pas », pour reprendre les termes de M. Colombani sur France Inter le 4 décembre. Et de citer à l'appui de sa démonstration le débat escamoté sur la peine de mort. Sur un vrai sujet de société, la question n'a effectivement pas été posée, au simple motif qu'on redoutait que la réponse ne soit pas politiquement correcte. On a donc préféré imposer le principe de l'abolition par la force des godillots des « élus de la république », et pour être à peu près certain qu'il ne puisse jamais être rediscuté, le graver dans le marbre de la Constitution. Curieuse conception de la démocratie...
Évidemment, la radicalisation du débat religieux est inquiétante. Mais en l'occurrence, qui a peur de qui et qui rejette qui ? La vraie question est sans doute de savoir pourquoi et comment on en est arrivé là. Plutôt que de jeter l'opprobre sur le peuple, plutôt que de s'insurger contre le poujadisme de certains politiciens, il conviendrait d'affronter la réalité sans tabou ni a priori. Aux yeux d'une quantité croissante de gens, l'islam apparaît sous un jour de plus en plus intolérant, dogmatique et conquérant. La plupart des pays à dominance musulmane affichent sans vergogne leur mépris pour les autres croyances et veulent ériger les leurs comme lois de gouvernement. Il y a de quoi s'alarmer. Il est plus que temps pour les Musulmans raisonnables de parler clairement et de montrer leur ouverture d'esprit qui conduira à chasser ces craintes dignes du Moyen Age.
*****
Enfin, la problématique de l'Afghanistan revient elle aussi en boomerang. Les défaitistes et pacifistes qui exigeaient de la coalition internationale qu'elle quitte au plus vite ce pays, et qui déclaraient que cette guerre « n'était pas la leur », sont brutalement désavoués par celui en qui ils voyaient le chantre universel de la paix.
Avec la décision d'y envoyer un contingent de 30.000 hommes supplémentaires, c'est un triplement des effectifs que le nouveau président américain aura ordonné depuis son élection ! Ils étaient 35.000 il y a un an, ils seront près de 100.000 soldats sous peu.
On pourrait s'amuser de la modération des réactions en provenance de ceux qui auraient agoni d'injures George W. Bush s'il avait fait la moitié de ce que met en oeuvre son successeur. On pourrait être dubitatif devant la stratégie qui consiste à accroitre très progressivement la présence militaire, et les hésitations à prendre les décisions en les accompagnant de moultes précautions de langage, qui pourrait
rappeler le Vietnam sous Johnson. On pourrait s'interroger sur le besoin éprouvé par M. Obama de préciser à l'avance la date de repli de ces troupes. S'il s'agit comme il le soutient, d'un objectif vital, comment peut-il être certain de pouvoir si rapidement s'en désengager ?
On pourrait enfin savourer à sa juste valeur l'appel pressant des USA à l'Europe pour envoyer conjointement un renfort d'au moins 7000 hommes. Comment va réagir la France qui adule tant le président américain ?
Objectivement, l'Afghanistan ne peut être abandonné après tous les efforts consentis pour le libérer de l'oppression des Talibans. Et à l'évidence, plus le nombre de nations engagées sera grand, plus forte sera la légitimité de la présence militaire. Le choix de M. Obama est donc logique et pas trop surprenant, sauf pour les gogos prompts à s'enticher de n'importe quelle faribole pour peu qu'elles soit couverte d'effets de style clinquants...
En définitive, il est assez clair que toutes ces problématiques tireraient meilleur profit d'une approche raisonnable, modérée, réfléchie, plutôt que des excès partisans, des a priori et des certitudes erronées, inhérentes aux idées reçues, qu'on entend trop souvent...

10 octobre 2009

Un Moghol très libéral


Je ne connaissais pas bien l'histoire de l'Inde. J'avais vaguement entendu parler de la dynastie des Moghols mais j'étais loin de réaliser qu'ils étaient les artisans de l'unification en un seul gigantesque pays, de la multitude de petits royaumes belliqueux qui s'étendaient jusqu'au XVè siècle d'Ouest en Est, entre le Sind et le Bengale et du Nord au Sud entre le Cachemire et le Dekkan. Je n'imaginais pas non plus que l'islam avait très largement inspiré tous ces conquérants.

J'ai découvert une partie de cette aventure fortuitement, grâce à un film indien récent prêté par un bon ami.
Issus des studios de Bombay (communément désignés du nom de Bollywood), ce long métrage, de plus de 3 heures, est une excellente surprise. Réalisé par Ashutosh Gowariker il démontre la grande maitrise acquise dans le 7è art par l'Inde et la puissance narrative impressionnante de certaines réalisations, quasi impensable désormais en Occident.
La magnificence des images est absolument époustouflante et colle littéralement le spectateur à son siège. La mise en scène au cordeau déroule de spectaculaires scènes de bataille à dos d'éléphants, et montre un univers chatoyant, fait de foules colorées, de costumes chamarrés et de palais rutilants. Les décors sont évidemment très chargés, mais ils gardent toujours une esthétique de bon goût et de très grande classe.

Le récit, épique et passionnant, relate le règne d'un monarque surprenant, Jalaluddin Muhammad Akbar (1542-1605). Septième descendant de Tamerlan, musulman comme ses prédécesseurs, et grand conquérant, il fut surtout un puissant rassembleur et un souverain très éclairé. Il manifesta notamment une ouverture d'esprit assez extraordinaire pour l'époque. Après la régence brutale de Bairam Khân, il accéda au pouvoir à 18 ans après s'être débarrassé de son encombrant et rétif mentor. Dès lors, il entreprit une œuvre fabuleuse, faisant en quelque sorte écho à la Renaissance qui éclatait à la même époque en Europe.
Il commença par réduire les rébellions permanentes des tyranneaux alentour (Bihar, Bengale, Goujerat, Balouchisthan, Sind, Orissa), scella une forte unité avec les autres plus sensés (Rajasthan), et institua un gouvernement fort mais décentralisé. Avec l'aide de conseillers judicieusement choisis, il créa des institutions solides, mit sur pied une brillante politique économique qui amena la prospérité à son royaume. Surtout, il fut attentif à la diversité des populations qui constituaient son empire. En matière religieuse tout particulièrement, il institua la liberté de culte, interdit les conversions forcées, les circoncisions rituelles avant que l'enfant n'ait atteint un âge lui permettant de donner son avis (12 ans), et mit fin aux impôts qui frappait les pèlerinages non musulmans. Il proposa même une sorte d'incroyable syncrétisme spirituel autour des valeurs de plusieurs religions : islam, hindouisme, christianisme, Jainisme, boudhisme, Zoroastrisme, resté sous le nom de
Din-I-Ilahi.
Se heurtant à la rigidité des traditions il fut confronté comme dans tout grand drame historique, à des trahisons au sein de sa propre famille et dut affronter vers la fin de sa vie les révoltes de son propre fils, qui allait lui succéder à sa mort.

Le réalisateur choisit de faire de l'union - très politique - d'Akbar avec la princesse Jodhaa, hindoue d'origine rajput, le centre de l'intrigue. Il en fait une belle histoire d'amour associant avec bonheur, tact, pudeur et noblesse des sentiments. Les acteurs de cette fresque étonnante sont très bons, et les deux héros sont au surplus d'une beauté radieuse. Leur jeu n'a rien d'outrancier ou de stéréotypé, bien au contraire. A voir absolument pour la splendeur du spectacle et une vision originale et très réconfortante de l'islam.

04 octobre 2009

Les mystères de l'islam


Monsieur Tarik Ramadan a de l'éloquence. Une éloquence si policée qu'elle lui vaut d'être régulièrement invité sur les plateaux télés où l'on évoque ce dont tout le monde se doit de parler et d'une manière générale tout ce que la marmite médiatique fait bouillonner. L'Islam étant devenu depuis un certain nombre d'années un sujet d'actualité brûlant, Tarik Ramadan est désormais quasi chez lui à la télévision. Bien qu'il soit citoyen suisse, il n'est pas de Talk-Show qu'il n'ait fréquenté en France. Il y jouit d'une aura étrange. Alors qu'il se présente comme Professeur en Etudes Islamiques, ce qu'il serait tentant de traduire par théologien ennuyeux dans notre société portée à la jouissance matérielle immédiate, il fascine les auditoires par un indéniable charisme. Il est brillant, si brillant qu'on peine parfois à connaître le fond de sa pensée, nichée derrière l'éclat d'une dialectique bien huilée mais un tantinet alambiquée.
Régulièrement accusé de manier un double langage, il déboute le plus souvent ses détracteurs avec un mélange d'aisance et de naturel confondants, ayant pratiquement réponse à tout, sans jamais une once d'énervement. C'est assurément une qualité, et la pondération de ses propos tranche avec le radicalisme arrogant derrière lequel l'islam se manifeste trop souvent de nos jours. Mais le débat très civilisé auquel il invite est-il en prise avec la réalité ?
En d'autres termes s'agit-il de louables intentions au service d'un objectif pragmatique ou bien d'une casuistique lénifiante destinée à faire écran de fumée pour de plus troubles desseins ?
On peut certes gloser sur la nature des religions, sur leurs aspirations morales, philosophiques ou mieux encore métaphysiques. Entre gens de bonne éducation c'est toujours passionnant. Mais cet aspect des choses constitue-t-il la vraie problématique religieuse dans le monde contemporain ?
Personnellement j'en doute, constatant avec tristesse un durcissement croissant dans les attitudes et une intolérance qui grandit dans les esprits.
L'islam s'affiche de plus en plus par des signes extérieurs arrogants et provocateurs, révélant une emprise dogmatique étroite et rigide. Pour un peu on pourrait confondre cette religion toute entière avec ces burqua, niqab, hijab dont l'actualité nous abreuve jusqu'à la nausée.
Cette tendance ne laisse pas d'inquiéter. Il n'est jamais bon qu'une croyance se radicalise autour de pratiques rituelles où l'exhibitionnisme tient lieu de conduite. Il n'est pas bon qu'au nom de principes immanents nébuleux s'imposent de manière autoritaire des contraintes irrationnelles. Et le port du voile islamique qui fait partie de ces sujétions gagne du terrain, devenant quasi emblématique de l'islam.
Même avec beaucoup de bonne volonté, il est difficile d'y voir l'expression d'un épanouissement des personnes qui le revêtent. Lorsqu'il se limite à un simple foulard il peut être considéré comme une marque de pudeur, ou une réaction à certaines outrances et indécences du laisser aller occidental. Mais dans sa version intégrale, il transforme les femmes en silhouettes sans personnalité, il efface toute identité et suggère aux tiers un sentiment qui hésite entre tristesse et peur. Derrière les meurtrières de tissu noir, ces yeux sont-ils ceux d'êtres qui n'osent affronter le monde à visage découvert, qui le méprisent au point de s'en isoler, ou qui doivent y renoncer sous quelque obscure pression ? La question ne peut être éludée, car le rapport avec Dieu est plus que douteux. Rien dans les textes sacrés n'impose paraît-il un tel asservissement et d'ailleurs quel Dieu serait assez inconséquent pour ordonner de se cacher à des créatures auxquelles il aurait donné la pensée et l'autonomie ?
De toute manière la politesse, l'amabilité et souvent le simple bon sens, veulent qu'on retire son chapeau, ses gants ou ses lunettes noires lorsqu'on rencontre quelqu'un. Comment pourrait-il en être autrement du voile dans mille occasions de la vie quotidienne ?
Sur ce point devenu désormais essentiel tant il a pris d'importance médiatique, Tarik Ramadan s'exprime de manière très ambiguë. Il concède du bout des lèvres que rien dans le Coran n'oblige à porter le voile, et dans le même temps il s'oppose à toute loi l'interdisant. Si sa volonté est vraiment de donner à l'islam une image d'ouverture aux autres, il ne peut rester dans cet atermoiement. Et s'il veut éviter les lois, le mieux serait sans doute qu'il soit plus clair lorsqu'il incite à la modération.
Ce n'est pas le seul exemple où le discours du professeur fait preuve d'une duplicité probable. En même temps qu'il propose le fameux moratoire sur la lapidation des femmes infidèles, il demande le recours à l'expertise des « savants » quant à l'interprétation des textes fondamentaux. Ce faisant il fait mine d'introduire un peu d'objectivité dans le débat. En réalité les dits savants étant des théologiens ayant déjà dans leur majorité tranché sur le sujet, il est peu probable qu'une réponse rationnelle nouvelle puisse être apportée. D'ailleurs lui même dans son célèbre et très controversé article sur les nouveaux intellectuels communautaires avait critiqué ce type d'argumentation à propos des écrits de Pierre-André Taguieff qu'il qualifiait de prototype d’une réflexion « savante » faisant fi des critères scientifiques.
Au passage il manifeste une indéniable mauvaise foi en prétendant que la lapidation est plutôt une problématique chrétienne que musulmane. C'est évidemment un contresens flagrant, faisant référence implicite à l'épisode du Christ face à la femme adultère. Car en l'occurrence, Jésus rejeta on ne peut plus clairement ce châtiment. Il n'y a donc jamais eu de questionnement pour les Chrétiens.
Autre point litigieux, celui des conversions. Si Mr Ramadan encourage bien évidemment toutes celles qui s'engagent vers l'islam, sa position paraît beaucoup moins consistante dans l'autre sens, alors que les prêtres musulmans considèrent le crime d'apostasie comme passible de la peine de mort. Tarik Ramadan pondère habilement ce terrible oukase en assurant que selon lui un Musulman « peut » changer de religion "selon l'interprétation musulmane" et notamment selon l'opinion de quelques théologiens datant du VIIIè siècle ! On aurait espéré des arguments plus convaincants sur un sujet aussi grave...
Sur d'autres thèmes plus politiques, Mr Ramadan n'est guère moins contradictoire.
Il ne cesse de fustiger le passé colonial de la France mais s'exonère de toute vraie critique sur celui du monde musulman dont les conquêtes furent souvent obtenues par le sabre.
Sur le sujet de l'Irak et sur Saddam Hussein, il répète à l'envi l'argument vaseux sans cesse colporté par les obsédés de l'Anti-Américanisme, à savoir qu'il s'agissait certes d'un tyran abominable, d'un despote ignoble et d'un envahisseur sanguinaire qui menaçait tous ses voisins musulmans ou pas, mais que le renverser fut une monumentale erreur (chez Taddei en 2007)...
Il se déclare étranger à la confrérie des Frères Musulmans, fondée par son grand-père et dont son père créa la branche palestinienne, qui a pour but affiché la fin d'Israël et l'instauration de républiques islamiques dans tout le Moyen-Orient, pourtant il soutient sans réserve le Hamas qui s'en réclame et répond aux mêmes principes et objectifs.
En réalité, on pourrait multiplier les points où Mr Ramadan évite de répondre sans détour et où il refuse de donner une opinion et à plus forte raison des recommandations claires. Même si à certains moments il donne l'impression de s'exprimer enfin clairement (cf ci-dessous), à d'autres il entretient le doute à force de circonlocutions.
Au total, il est à craindre qu'avec son sourire avenant et son discours onctueux et subtilement contourné, Tarik Ramadan ressemble davantage à un Tartufe de salon qu'à un penseur guidé par la raison et la sagesse. La raison n'est d'ailleurs pas sa priorité si l'on en croit ses propres aveux lors d'une interview à BEUR FM (2003 citée par Wikipedia) : « Il y a la tendance réformiste rationaliste et la tendance salafie au sens où le salafisme essaie de rester fidèle aux fondements. Je suis de cette tendance-là, c'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de principes qui sont pour moi fondamentaux, que je ne veux pas trahir en tant que musulman.»
En tant que musulman attaché aux fondements de sa religion, il pense sans doute avoir intérêt à adopter un profil empreint de modération qui le distingue des intégristes, mais qui apporte hélas indirectement de l'eau à leur moulin. Et s'il est animé d'un vrai désir d'ouverture et de progrès, il prend le risque en parlant a demi-mots, d'être réduit au rôle de décorateur de la vitrine légale d'une idéologie inquiétante.
D'une manière générale, les gens qui parlent en référence à Dieu ou bien à de grands principes immanents ont toujours une emprise sur les foules supérieure à ceux qui ne parlent humblement qu'en leur nom, en engageant leur responsabilité. Or il y a grand danger à écouter ceux qui parlent au nom de Dieu, surtout s'ils tentent d'exciper de sa supposée volonté le droit d'imposer des diktats trop stupidement humains. Aucune religion digne de ce nom, et aucune personne se réclamant spirituellement et philosophiquement de l'une d'elles, ne devrait revendiquer pour des principes religieux le statut de lois et à plus forte raison vouloir les ériger au rang de Constitution.
Cela dit, même avec des réserves sur ses intentions véritables, Mr Ramadan jusqu'à présent doit être considéré comme un homme respectable qui ne mérite ni opprobre ni mépris. Rien que pour ça je me dois de relever sans parti pris certaines de ses réponses piochées sur le forum de son site, sur lesquelles je termine au titre de morceaux choisis. A chacun de juger...
"Ma position est simple : on ne doit jamais imposer à une femme de porter un foulard, on ne doit pas lui imposer non plus de l’enlever."
"Je n’ai jamais dit, sur aucune cassette, jamais, que j’étais pour la lapidation. Réécoutez, svp, le débat avec Sarkozy et vous l’entendrez. Je répète ici que j’ai condamné la lapidation au Nigéria, en Arabie Saoudite et ailleurs. Je suis contre son application. Il y a des textes auxquels les musulmans se réfèrent pour la justifier et justifier les peines corporelles et la peine de mort. J’appelle à un moratoire pour que ces condamnations cessent tout de suite."
"On ne peut pas vouloir la liberté et l’égalité ici, en tant que musulmans, et refuser ces droits fondamentaux pour les juifs, les chrétiens, les bouddhistes, etc. dans les pays majoritairement musulmans."
"C’est mon principe. Respect des constitutions, de la loi et opposition à toutes demandes de législations spécifiques."
A propos de son grand père, fondateur de l'organisation des Frères Musulmans :" Il y a des choses qu’il a faite et que je respecte (résister à la colonisation politique et culturelle), créer des écoles, des coopératives de développement, et promouvoir l’éducation des femmes. Il en est d’autres que je place dans leur contexte et/ou que je critique : la nature de l’organisation des Frères Musulmans qui a fini par étouffer certaines pensées, la référence aux slogans (toujours dangereuse), la paternité pas toujours assumée avec des groupements qui se sont radicalisés, etc."
"On finira bien par entendre, en France, qu’on ne change pas les mentalités à coup de slogans qui condamnent mais par un long et continue travail de pédagogie et de dialogue."
"J’ai souvent écrit en condamnant dans la presse publique en Suisse, en France et dans de nombreux journaux à travers le monde : le terrorisme, la violence, l’antisémitisme, les châtiments corporels, l’excision, les exécutions, l’esclavage, la lapidation, les mariages forcés, la violence conjugal."
"Il est de la responsabilité des musulmans qui vivent dans les démocraties de critiquer les mauvais traitements auxquels sont soumis les minorités en terres musulmanes."
"Sur le plan philosophique (le sens de ma vie et de ma mort) je suis musulman. Sur le plan de mon engagement social, politique et quotidien c’est ma nationalité qui prime."
"Celle ou celui qui change de religion pour soi, en conscience, doit demeurer libre et on doit respecter ce choix. La clef des cœurs et des jugements ne nous appartient pas."

"J’ai lu Voltaire et je l’apprécie. Ses idées sur la tolérance sont plutôt celles de Locke. Je trouve leur apport très important mais je vous dirais que je veux plus que la tolérance, j’aspire au respect mutuel."