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11 février 2018

No Limit

A l’imagination, rien n’est impossible. Faire vrombir un hot rod flamboyant dans l’espace était le pur fantasme du groupe de rock ‘n roll texan ZZ Top. Son panache incandescent devint l'emblème du groupe et illustra nombre de pochettes de leurs disques. Il ne s'agissait que de science fiction de bande dessinée en somme...
Mais aujourd’hui l’ébouriffant Elon Musk l’a fait pour de vrai ! Il a envoyé là haut un exemplaire rutilant de son roadster, arrimé au bout de sa fusée, l’a propulsé en orbite autour de la Terre où il fit quelques tours, avant d’entreprendre un voyage sans retour à travers le système solaire. Au volant, Starman, un mannequin en scaphandre, nonchalamment accoudé à la portière comme s’il était en balade.
Lubie de milliardaire, aussi clinquante qu’inutile, ou bien démonstration de savoir faire d’un entrepreneur sans limite ?
Les images de ce cabriolet rouge sur fond de planète bleue ont fait le tour du monde si l’on peut dire, et le fait est qu’il y eut somme toute peu de grincheux pour trouver à redire à l’exploit. Dans le même temps, on vit avec stupéfaction deux des fusées porteuses de l’engin revenir en douceur se poser
, l'une à côté de l'autre, droites comme des points d'exclamation, avec une précision impressionnante.

Les Etats-Unis sont bien le seul pays où une entreprise privée peut tutoyer les étoiles et se livrer avec humour à de tels challenges ! Pour cet essai technique, Elon Musk aurait pu en effet lester son cargo spatial avec du béton et de la ferraille, mais il a préféré sacrifier l'une de ses autos. Nettement plus amusant, et belle publicité sans nul doute...

Le parcours d’Elon Musk prouve s’il le fallait, que tout est possible outre-atlantique pour celui qui fait preuve d’audace et de détermination, même si ses projets peuvent paraître fous aux caciques confinés dans l'inertie bureaucratique.
Né en Afrique du Sud il y a 46 ans, de parents ordinaires, séparés alors qu’il n’avait pas encore 10 ans, il n’avait a priori aucun avantage pour accomplir ce qu’il a fait. Émigré au Canada puis aux Etats-Unis, il a créé une bonne demi-douzaine d’entreprises, à la pointe du progrès technique et de l’innovation écologique. Ses voitures électriques sont les plus performantes au monde et en matière d'astronautique, il est devenu le fournisseur attitré de la NASA. Il vient de montrer qu'il était en mesure de construire les fusées les plus évoluées qui soient. Il est avec Steve Jobs et d’autres, l’incarnation du self made man et la preuve qu’aux States l’ascenseur social n’est pas un vain mot.
Il est richissime. Sa fortune est évaluée à 20,8 milliards de dollars. Dire qu'il ne travaille pas pour l'argent serait sans doute excessif mais il est évident que d'autres ambitions le motivent. Pour autant, il a besoin d'argent, ses entreprises ont besoin d'argent et de capitaux. Longtemps il s'est "levé de bonne heure", comme dirait l'autre, pour aller quérir ces indispensables ressources financières. Il est peu probable qu'il soit enclin à se les faire massivement confisquer par l'Etat au nom d'une redistribution prétendue équitable du fruit de ses efforts. Il sait très bien le faire lui-même. Il n’y a que des vieux ronchons aigris et revanchards comme Jean-Luc Melenchon et ses épigones pour penser qu’une telle richesse soit nuisible…



There's a starman waiting in the sky
He'd like to come and meet us
But he thinks he'd blow our minds
There's a starman waiting in the sky…

(David Bowie)

11 novembre 2017

Cas de conscience

Une récente publication scientifique suscite par ses étranges constats, de nouvelles interrogations sur l’épineux problème de la conscience.
Après 15 ans d’état de “coma chronique”, suite à un traumatisme crânien, un patient a retrouvé une ébauche de réactivité grâce à la stimulation prolongée du nerf vague, aussi appelé nerf pneumogastrique, ou encore dixième paire crânienne.
Alors qu’il ne réagissait à rien et que seules ses fonctions végétatives le retenaient à la vie, il a pu répondre à des demandes simples, comme suivre un objet avec les yeux ou tourner la tête, témoignant ainsi de la récupération d’un certain niveau de conscience.
Ce petit miracle serait dû paraît-il, à la restauration de l'activité  thalamo-corticale et à l'amélioration des connexions  fronto-pariétales.
Pour surprenante qu’elle soit, cette expérience soulève évidemment une foule de questions : Qu’est-ce que la conscience et que devient-elle lorsque nous sommes plongés dans ces limbes, en apparence plus ou moins réversibles, que sont le sommeil profond, le coma, ou bien dans cet état étrange qu’on appelle végétatif ?
Il est certain que durant le sommeil, le contact avec le monde s’interrompt. Nous ne sommes plus en prise avec ce dernier que par des fonctions physiologiques de base. Nous n’existons plus que par ces fonctions et par les rêves, dont nous ne gardons en général que peu de souvenirs, et dont la signification reste nébuleuse en dépit de belles théories à leur sujet. Un fait est sûr, le réveil n’est jamais très loin et la moindre stimulation peut le provoquer : bruit, contact physique, changement de température par exemple.
Durant le coma, la conscience est enfouie plus profondément. Les rêves sont abolis, et il faut des stimuli beaucoup plus intenses pour provoquer ne serait-ce qu’un mouvement. Ainsi durant le coma médicamenteux provoqué par exemple par une anesthésie générale, on peut ouvrir le ventre d’un patient, ou l’amputer d’un membre sans déclencher la moindre réaction et sans le moindre appel à la conscience puisqu’au réveil, il n’a aucun souvenir de l'évènement.
Comme après le sommeil, il retrouve pourtant l’intégralité de ce qui fait sa personnalité psychique et intellectuelle.  Lorsque son aspect physique a changé, il lui faut s’adapter à sa nouvelle condition ce qui n’est pas toujours simple, et il peut garder parfois longtemps l’impression désagréable d’un membre fantôme...

On évalue cliniquement la profondeur d’un trouble de la conscience à l’aide d’une échelle quantitative, le score de Glasgow, évaluant la capacité d’une personne à ouvrir les yeux, à répondre verbalement et enfin à bouger ses membres, spontanément, à la commande, ou en réponse à des stimulations douloureuses.
De fait, on analyse ainsi l’expression de la conscience, mais nullement la conscience “en soi.”
Nous faisons à chaque instant l’expérience intime de notre propre conscience, mais nous ne pouvons appréhender celle des autres que par l’expression qu’ils en donnent. C’est très réducteur et cela peut prêter à confusion. Que se passe-t-il dans la tête d’autrui, nous n’en savons rien, et il est probable que nous n’en saurons pas davantage avant un bon bout de temps !
L’essence de la conscience, le fameux cogito de Descartes, reste un mystère et les liens qu’elle entretient avec le corps ne nous en disent pas beaucoup plus. Lorsque ce dernier manifeste des défaillances dans l’expression de la conscience, nous avons tendance à considérer que c’est celle-ci, c’est à dire l’être lui-même, qui est affecté, un peu comme l’imbécile qui regarde le doigt du sage lorsqu’il montre le ciel étoilé.
Qu’en est-il au fond ?
Lorsque l’on démonte un poste de radio, on peut toujours chercher, on ne trouvera jamais les personnes dont les voix en sortent habituellement, ni les instruments de musique qui égaient nos oreilles : il n’y a que des composants électroniques, des câbles, du métal et du plastique. “L’essentiel est invisible pour les yeux”, comme disait Saint-Exupéry.
Et lorsque le poste dysfonctionne, il s’agit en règle de problèmes bassement matériels, touchant soit l’émetteur, soit le récepteur des émissions, mais non l’origine de celles-ci qui obéit à une logique supérieure, d’une tout autre nature.

En somme, la conscience humaine apparaît comme une problématique quasi inaccessible, et plus l’analyse de son expression s’affine, plus les questions restant à résoudre sont nombreuses. Sans doute parce qu’à l’instar des miroirs qui ne font que réfléchir à l’infini des images, lorsque l’homme se penche sur sa cervelle, il ne fait que s’examiner lui-même de manière superficielle. Il reste à la surface de l’eau en quelque sorte puisqu’il ne peut s’extraire de sa condition matérielle bornée. Un peu comme si on demandait à un poisson rouge d’expliquer le monde extérieur sans sortir de son bocal...
Gödel avait exprimé en son temps l’impossibilité logique à l’intérieur d’un système formel, de démontrer que sa description soit complète et correcte. Il reste toujours au moins une proposition indécidable...
Le paradoxe de Bonini explique quant à lui les difficultés qu’il y a de construire des modèles ou de mettre au point des simulations, afin de comprendre le fonctionnement de systèmes complexes, tels que le cerveau humain. Plus les outils se compliquent, moins ils sont exploitables tant ils génèrent de nouvelles interrogations. 
Ainsi une carte routière n’apporte un vrai service que si elle simplifie ce qu’elle représente. A l’échelle 1:1, parfaitement fidèle au modèle, elle serait totalement inexploitable. 
On cite souvent Paul Valéry qui affirmait : “Ce qui est simple est toujours faux, ce qui ne l'est pas est inutilisable” (Mauvaises pensées et autres), ce qui revient au même...

Illustration : Coupe de cerveau fait de rouages. 123RF

22 juillet 2017

Petit voyage dans le monde des quanta

En achetant l’ouvrage d’Etienne Klein, “Petit voyage dans le monde des quanta” je ne savais de lui que ce que la jaquette du livre en disait. Notamment qu’il avait créé et qu’il dirigeait le laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au Commissariat à l’Energie Atomique (CEA).
J’ignorais qu’il avait été mis en cause dans une affaire de plagiat par l’Express puis par Mediapart (notamment pour son ouvrage à succès “le pays qu’habitait Albert Einstein”)
C’est en cherchant à me renseigner un peu plus sur lui que j’appris ces accusations, sans doute fondées puisqu’il a été destitué il y a quelques mois par le Président de la République de ses fonctions de président de l'Institut des hautes études pour la science et la technologie !


Tant pis, je viens de finir son bouquin et ne vais pas me priver de le commenter, en essayant de faire abstraction de cette histoire récente.
Ce petit traité n’apporte pas de révélations fracassantes sur l’univers étrange des particules, mais on peut y trouver quelques éléments de réflexion fort stimulants. La plupart des thèmes se rapportant au sujet y étant évoqués, l’ouvrage peut être enrichissant pour le béotien qui cherche à se faire expliquer les choses complexes avec des mots simples.


Tout commence évidemment avec l’expérience fascinante mais quelque peu ressassée, des fentes de Young, laquelle introduit d’emblée aux mystères de la physique quantique, en montrant que les particules élémentaires obéissent à une double nature, corpusculaire et ondulatoire, “à la fois indissociables et exclusives l’une de l’autre.”
De cette indécidabilité découle naturellement la question de l’indéterminisme apparent de certains phénomènes naturels, à l’échelon microscopique. C’est là qu’entrent en scène la fameuse constante de Planck  et le non moins célèbre principe d’incertitude de Heisenberg. La première définit le plus petit “paquet” d’action entre deux états, appelée précisément quantum. Le second stipule qu’il est impossible de mesurer précisément et simultanément deux propriétés intrinsèques des particules telles que leur position et leur quantité de mouvement (en d’autres termes, leur vitesse), les deux étant irrémédiablement liées par une incertitude fondée précisément sur la constante de Planck…


On peut porter au crédit d’Etienne Klein, une belle digression sur ce qui apparaît le plus troublant dans la mécanique quantique, à savoir l'indéterminisme. A ce sujet, il décortique brillament la querelle de fond qui opposa Einstein à Bohr.
Albert Einstein, pourtant père de la notion de relativité, n’admit jamais qu’une partie de la physique soit régie par les règles hasardeuses de la mécanique quantique. “Dieu ne joue pas aux dés” avait-il l’habitude de répéter… Sans remettre en cause les constats ni même les prédictions de la mécanique quantique, il tenta de démontrer en 1935 avec deux collègues (Boris Podolsky et Nathan Rosen) son incomplétude, c’est à dire son incapacité à décrire complètement la réalité. Il proposa en l’occurrence une expérience de pensée basée sur un corpus de règles connues sous l’acronyme EPR, faisant allusion aux trois signataires d’un article retentissant. La démonstration entend prouver que la théorie n’empêche pas la contradiction de survenir entre trois postulats suivants :
  • Les prédictions de la mécanique quantiques sont justes,
  • Rien ne peut se propager plus vite que la lumière (autrement dit deux objets très éloignés ne peuvent s’influencer simultanément)
  • le fait de pouvoir prédire avec certitude la valeur d’une quantité physique implique qu’il existe un élément de réalité physique correspondant à cette quantité physique.


Mais, ironie du sort, croyant démontrer les lacunes d’une théorie, Einstein n’a fait qu’en souligner les aspects paradoxaux, s’agissant notamment du principe de localité (il s’avère impossible de décrire l’intrication au moyen de la physique classique), et celui de causalité (impossibilité de déduire des résultats d’une expérience l’état d’un système avant les mesures).
Les auteurs de l’article EPR supposaient l’existence de “variables cachées”, dont la méconnaissance interdirait de décrire complètement les phénomènes et obligerait à conclure que certains seraient indéterminés.
Bohr ne partageait pas cet avis, mais ne parvint à être plus convaincant qu’Einstein. C’est le physicien John Bell, avec son fameux théorème sur les inégalités, qui démontra qu’il était impossible de ne pas violer les postulats EPR, dans une conception déterministe à variables cachées !
La confirmation expérimentale vint plus récemment, grâce au physicien français Alain Aspect, qui prouva que deux particules intriquées violent systématiquement le principe de localité (elles se comportent de manière corrélée quelque soit la distance qui les sépare, donc sans que l’une puisse influencer l’autre par la transmission d’informations). Les deux particules, bien que séparées et possiblement très éloignées, ne sont qu’une seule entité indissociable !
La conclusion s’impose sans appel, selon Etienne Klein : il n’y a donc pas de variables cachées, la théorie quantique est complète et, qu’Einstein le veuille ou non, elle intègre une part d’indéterminisme !


Les constats tirés de la mécanique quantique, font surgir d’intéressantes perspectives pratiques que détaille l’auteur.
Par exemple, les développements prometteurs en matière de cryptographie, faisant entrevoir la possibilité de mettre au point des clés inviolables sur le principe de la corrélation des particules. Il est en effet envisageable d’utiliser une règle de codage basée sur l’état d’une particule, conféré immédiatement et intégralement à sa jumelle sans nécessité de transmission et ce, quelle que soit la distance séparant les deux.
Le fantasme de la téléportation si souvent exploité dans les romans de science fiction pourrait trouver un début de concrétisation grâce au même principe d’intrication. Mais Klein montre que s’il est applicable a priori à l'information, il est illusoire d'envisager pouvoir téléporter de la matière. Au surplus, il oblige à envoyer préalablement à l'endroit désiré les substrats exprimant l’information, c'est à dire une partie des particules intriquées, ce qui en réduit l’intérêt, notamment lorsque les distances sont très éloignées.
Des ordinateurs quantiques pourraient également voir le jour, fondés sur le principe de superposition qui s’exprimerait par des bits quantiques, pouvant être dans plusieurs états simultanément. La rapidité de telles machines pourrait en théorie dépasser de loin les calculateurs classiques dont les bits ne peuvent prendre qu’une seule valeur 0 ou 1...
Enfin, le microscope à effet tunnel, est quant à lui déjà une réalité. Fondé sur la probabilité non nulle et fonction de la distance à parcourir, qu’ont les électrons de franchir la fameuse barrière de potentiel, même s’ils n’en ont pas l'énergie suffisante, il permet de cartographier très précisément un paysage microscopique. Le principe est de mouvoir une pointe métallique à quelque nanomètres au dessus de la surface à examiner, et d’en faire varier l’altitude de manière à garder constante “le courant tunnel” des électrons.


L’effet tunnel est une belle illustration de l’étonnant indéterminisme qui règne à l’échelle microscopique et qui paraît entrer en contradiction avec les lois de causes à effets de la physique classique.
En mécanique quantique, tout est possible tant que les choses n’ont pas été actées. La réduction du paquet d’ondes selon l’expression de Werner Heisenberg, exprime le fait que la superposition quantique permettant à une particule d’être dans deux états simultanément, disparaît dès qu’on mesure précisément l’état dans lequel elle se trouve.
La superposition quantique est donc “détruite par l’opération de mesure”. Pourtant, “l’indétermination n’est pas liée à une imperfection du dispositif expérimental, ni à une quelconque restriction de nos appareils de mesure.” Paradoxe bien difficile à admettre et qui exprime en définitive le fait que notre monde, régi par la loi de causalité, repose en fait sur un autre, totalement aléatoire...


Si les démonstrations et les constats faits dans le monde des particules semblent relever de la magie, celle-ci fond comme neige au soleil dès qu'on tente la transposition à l'échelle humaine humaine. La mécanique quantique est en effet atteinte d’une “décohérence” progressive lorsqu’on tente d’en faire l’expérience dans le monde macroscopique. Force est de constater en effet que “Lorsqu’on envoie des boules de pétanque à travers une plaque percée de deux fentes, cela ne donne lieu à aucun phénomène d’interférences...”
Pareillement, la probabilité qu’une bille passe un relief ou bien traverse un mur si la somme de ses énergies cinétique et potentielle est insuffisante, est nulle.
Quant au fameux chat de Schrödinger, personne évidemment ne peut se résoudre à le déclarer moitié-vivant moitié-mort tant que la boîte maléfique dans laquelle il est enfermé n’est pas ouverte…
Cette apparente impossibilité de faire entrer la mécanique quantique dans les schémas logiques du raisonnement fait dire à l’épistémologue Michel Bitbol, cité par Etienne Klein, “que nous sommes tellement impliqués dans le réel que nous ne pourrons jamais expliciter le rapport que nos théories entretiennent avec lui…” 
Ce n’est jamais que l’expression moderne du postulat kantien affirmant qu’il nous est impossible de connaître “la chose en soi...”

30 avril 2017

La Science en Marche

Je suis un lecteur plutôt assidu du magazine La Recherche
C’est à mon sens un bon stimulant intellectuel, même si je n’y trouve pas toujours mon compte, car la ligne éditoriale hésite un peu trop entre science pure et vulgarisation. De fait, les concepts sont tantôt franchement hermétiques, tantôt un peu trop réducteurs…

Dans le numéro d’avril, j’ai été attiré par un article au titre franchement polémique, mais pas trop difficile à comprendre cette fois pour un péquin moyen : “Les Chercheurs debout face à Trump !”

Il ne manquait plus que ça ! Même la communauté scientifique, réputée objective et sage, se laisse donc emmener dans le troupeau grégaire des anti-Trump primaires ! Et avec des arguties relevant davantage des palabres de cafés du commerce, que du constat objectif.


C’est ce qui ressort clairement de cet article dans lequel on apprend que de grandes marches sont actuellement organisées aux Etats-unis et un peu partout dans le monde, pour “réagir aux propos du président américain démontant des faits scientifiques avérés, tels que la réalité du changement climatique.”

Entre autres truismes ronflants, on peut lire que, face à ce qu’ils jugent attentatoire au progrès scientifique, les Chercheurs veulent “défendre la science et montrer les bénéfices qu’elle peut avoir pour l’ensemble de la société.”

Triste époque, qui voit les scientifiques descendre dans la rue pour vociférer des slogans caricaturaux, et asséner leurs pseudo-certitudes consensuelles sur un sujet aussi aléatoire que la météo ! Piètre raisonnement que celui qui consiste à considérer comme vraie une affirmation, pour peu qu’elle soit partagée par une foule de gens…


On pourrait se tordre de rire à voir certains gardiens du temple de la Science s’étrangler de rage lorsque Donald Trump renie sans vergogne les dogmes qu’ils croyaient établis. Quelle découverte ! Si les discours des politiciens étaient toujours fondés sur des faits scientifiques indiscutables ça se saurait. Quel bonheur ce serait ! Le Socialisme n’existerait tout simplement pas...


De ce point de vue le ralliement à ce nouveau mouvement "d'Indignés" du “Président et Directeur Général” du CNRS Alain Fuchs, est assez terrifiant. Sans doute un peu parce qu’il se place dans la contestation d’un chef d’Etat démocratiquement élu, lui le défenseur de ce système et représentant de l’Etat, mais bien plus encore parce qu’il déplore à l’appui de sa prise de position, le fait que “nous vivons une époque où les réalités objectives et la vérité scientifique sont contestées.”
De quoi parle-t-il au juste ? Y a-t-il donc à ses yeux une vérité scientifique définitivement établie ? Devrait-il donc être interdit de remettre en cause les postulats régnant dans l’opinion, fut-elle scientifique, au motif qu'ils sont intangibles ?

Lorsqu’une certaine Naomi Oreskes, présentée comme “historienne des sciences à Harvard” clame que “n’opposer à des hérésies que des faits avérés ne suffit plus”, il est permis de ressentir une vraie inquiétude pour l’avenir.
Doit-on comprendre que tout est permis, y compris les mensonges et les contre-vérités, pour contrer ceux qu’elle et ses coreligionnaires auraient excommuniés ?
Lorsqu’on sait que cette dame n’annonce dans ses ouvrages rien de moins que “l’effondrement de la civilisation occidentale”, on se rassure : il ne s’agit en somme que d’un avatar de plus du courant catastrophiste annonçant régulièrement la fin du monde.

Ne perdons pas de vue toutefois que s’ils persistent, ils auront tôt ou tard raison...

24 octobre 2016

La deuxième mort de Schiaparelli


L’échec de la mission martienne Schiaparelli, pilotée par l’Agence Spatiale Européenne (ESA) en lien avec son homologue russe Roscosmos, montre deux choses : le retard de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis d’une part, et la difficulté pour le vieux continent de reconnaitre la réalité, aussi désagréable soit-elle, d’autre part…
Rappelons que le premier engin ayant pleinement réussi son atterrissage sur la planète rouge date de 1976 et portait la bannière étoilée (Viking). Rappelons également que le premier rover américain, le petit Sojourner de la mission Pathfinder, y roula dès 1997. Depuis, de nombreux voyages  interplanétaires ont été planifiés, et à l’instant présent, deux véhicules sillonnent Mars, l’un d'eux depuis 4 ans (Curiosity) et l'autre depuis 12 ans (Opportunity) !

Qualifié de "succès à 96%" par ses promoteurs, le programme ExoMars est certes parvenu à mettre en orbite une petite station baptisée TGO (Trace Gas Orbiter). Mais il s’est hélas soldé par l’écrasement de son module, portant le nom de l’astronome italien Giovanni Schiaparelli (1835-1910), qui était destiné à se poser « en douceur ». C’était le but emblématique, et aussi un objectif essentiel, puisqu’il préparait le débarquement envisagé d’un rover en 2020.
Pour évaluer la mission, les responsables de l’Agence se sont livrés à un savant calcul. Ils ont considéré que la première partie (la mise sur orbite de la station TGO) représentait 80% des objectifs de la mission et qu’elle fut remplie à 100%. La seconde, qui selon eux ne comptait que pour 20%, fut qualifiée de « réussie » à 80%, car pendant toute sa descente, l’atterrisseur envoya des signaux et le point d’impact fut à peu de chose près celui qui était prévu… Au final: un succès à 96% !

Il s’agit d’une curieuse manière de se satisfaire, pour une mission qui coûta aux contribuables près de 1,2 milliards d’euros. On ose espérer que les critères eussent été un peu plus stricts s’il s’était agi d’une sonde habitée…

Lorsqu’un dysfonctionnement empêche une mission d’atteindre son but, la stratégie outre atlantique n’est pas de calculer un taux de succès relatif, mais de se mettre sans délai et sans concession au travail pour en trouver la ou les causes.

Cette curieuse incapacité à voir les choses de manière pragmatique explique sans doute, au moins en partie, les atermoiements, les reculades, les faiblesses de l’Union Européenne sur le théâtre international. L’Europe est forte de la grandeur passée de ses nations et des richesses qu’elles ont accumulées, mais elle ne parvient pas à s’inscrire dans l’avenir comme une fédération cohérente, avec un dessein partagé, une détermination forte et de vraies convictions.  

Au surplus, elle manifeste une défiance parfois incompréhensible vis à vis du monde qui l'entoure, tournant parfois à l'anti-mondialisation idéologique, d'essence suicidaire. On sait le sort qui fut réservé au projet hélas avorté de traité de facilitation des échanges commerciaux avec les Etats-Unis, dit TAFTA (pour lequel, le Premier Ministre français affirma "qu'il n'allait pas dans le bon sens...")
Peut-être est-ce aussi un peu à cause de cette indécision chronique et de ces hésitations pusillanimes qu’elle est en passe, en ce moment même, de décourager le Canada de signer l’accord prometteur de libre-échange, dit CETA...

Compte tenu des coûts exorbitants de la conquête spatiale, il est permis de s’interroger sur la multiplication des programmes, conduisant à disperser les efforts. Il y a bien ça et là quelques fructueuses collaborations, dont la station orbitale internationale ISS témoigne. Mais aujourd’hui, dans cette folle course, outre l’Amérique, la Russie, l’Europe, l’Inde, la Chine et le Japon se font un devoir de se positionner individuellement, au prix fort.
Il est difficile par exemple de comprendre pourquoi l’ESA doive faire l’apprentissage de toutes les étapes du processus d’atterrissage martien, alors qu’il semble bien maitrisé par la NASA. L’émulation est un excellent stimulant, sauf lorsqu’elle se transforme en une vaine compétition dans laquelle les forces de chacun s’épuisent. C’est à ce moment que la complémentarité devrait s’exercer…

Pour parler chic, ne serait-il pas temps de mettre en place une gouvernance mondiale dont l’exploration spatiale pourrait représenter un des premiers volets ?

29 mars 2016

Les fondements philosophiques de la mécanique quantique

On sait l'impact des théories scientifiques promues par Isaac Newton (1643-1727) sur la réflexion philosophique de son époque, et au delà. Par un raccourci à peine excessif on pourrait dire qu'elles furent à l'origine du mouvement intellectuel des Lumières qui illumina le XVIIIè siècle.

Ce n'était certes pas la première fois que la science marquait de son empreinte la pensée philosophique.
Depuis l'horizon de l'Antiquité, l'influence d'Archimède ou d'Euclide fut certainement immense. Lors de la Renaissance, Galilée et Copernic eurent de même un impact décisif sur le monde des idées, battant en brèche au passage certaines convictions religieuses.
Mais avec Newton, le choc fut plus grand encore. Car à la suite de ses découvertes, c'est la méthode scientifique même que certains penseurs anglais tels John Locke (1632-1704) ou David Hume (1711-1776) tentèrent d'appliquer à la philosophie. En France le principe séduisit Voltaire et d’une manière plus générale, les promoteurs de l’Encyclopédie.

Le concept de philosophie pragmatique était né. Il sera magnifiquement illustré par Immanuel Kant (1724-1804) qui le portera jusqu’aux confins de la métaphysique. Ainsi Kant sera amené à définir les limites entre les domaines du raisonnement et de la spéculation. S’appuyant sur les données de la science, il fut amené à faire le constat que la connaissance humaine ne pourrait jamais appréhender la nature des choses en elles-mêmes.
 
Dans le petit ouvrage assez excitant cité en titre de ce billet, c’est précisément cette limite qui s’impose à la raison que Grete Hermann (1901-1984) entreprit de transposer à la science, à l’occasion des découvertes définissant la mécanique quantique.
Celle-ci n'était pourtant pas prédestinée à soutenir une telle thèse. Werner Heisenberg (1901-1976) raconte en effet dans ses mémoires, qu’il fut frappé, lors des débats houleux qui opposaient les physiciens confrontés à cette science déroutante, par l’argumentation d’une jeune mathématicienne.
Celle-ci, en l’occurrence Grete Hermann, refusait à l’époque d'accorder au principe d’incertitude une valeur axiomatique. Tandis que Heisenberg affirmait qu’il était impossible de décrire la désintégration d’éléments radio-actifs autrement que de manière statistique, Grete répondait qu’il ne s’agissait que d’un aveu d’impuissance et qu’il était envisageable selon elle de prédire très exactement le comportement d’une particule, à condition d’en avoir une connaissance complète.

Paradoxalement, c’est un peu l’inverse qu’elle défend dans cet ouvrage, en faisant justement le parallèle entre la philosophie kantienne et la mécanique quantique.
Un des constats bien exposé ici, est que notre connaissance du monde est fondée sur la perception que nous en avons, directement ou par le biais de machines. Cette perception est partie intégrante de ce qu’on cherche à connaître. Elle induit donc une borne à la connaissance expérimentale, qui se heurte tôt ou tard à un plafond de verre infranchissable. Ainsi la mécanique quantique objective le fait que les conditions expérimentales modifient nécessairement le cours naturel des choses, l’expérience elle-même faisant partie du phénomène.


Il n’y a pas de rupture pour autant entre les différentes conceptions, classique ou quantique, de la physique. De même, la relativité d’Einstein n’abolit pas la mécanique newtonienne. Le fait nouveau, c'est l'incomplétude de la connaissance.
Il y a dans l’ouvrage de Grete Hermann une très belle citation d’un philosophe allemand méconnu Ernst Friedrich Apelt (1812-1859), qui vulgarise le concept de relativité de la connaissance humaine, en considérant qu’elle “ne ressemble pas à une surface plane qu’on pourrait embrasser complètement d’un seul regard à partir d’un point élevé, mais plutôt à un paysage vallonné dont l’image complète ne se laisse reconstituer qu’au fur et à mesure à partir de vues partielles. Plusieurs points de vue d’altitudes diverses existent, présentant chacun une perspective différente, et d’où certaines choses tantôt s’offrent, tantôt se dérobent à la vue…

La mécanique quantique accentue sensiblement ce caractère relatif de la description de la nature. On sait par exemple qu’il n’est pas possible de déterminer simultanément avec précision la vitesse et la position d’une particule. On sait également qu’il est impossible d’objectiver en même temps la nature corpusculaire et ondulatoire de cette même particule

S'appuyant sur les constats troublants de la physique, Grete Hermann explore la complexité de la relation de causalité qui lie entre eux les phénomènes naturels. Elle en exclut une bonne partie du déterminisme qu’on croyait acquis, notamment depuis que la nature pouvait s'appréhender un peu mieux, avec les merveilleuses horloges galiléenne et newtonienne.
C’est le couple cause-effet qui est mis à mal avec la mécanique quantique. De fait, comme l’observe Grete Herman, “il n’existe pas d’états chronologiquement voisins; il est donc impossible de désigner, pour l’état d’un système, un autre état qui l’aurait immédiatement engendré ou qui en serait immédiatement l’effet..”

Le parallèle entre la physique et la philosophie entrepris par Grete Hermann est très original, car il tend à inscrire les constats scientifiques dans le contexte des postulats philosophiques, à l’inverse de ce qui avait été proposé précédemment au temps des Lumières. Le titre de l’ouvrage lui-même est éloquent : il s’agit bien des fondements philosophiques de la mécanique quantique et non des fondements physiques de la philosophie kantienne...
C’est donc Kant en définitive, qui amène à penser la physique à l’aune des principes constituant l’idéalisme transcendantal, lesquels “ne garantissent pas une connaissance adéquate de la réalité en soi, mais seulement une connaissance bornée de la nature qui en reste à l’appréhension de phénomènes…”
On pourrait songer également au célèbre théorème de Gödel, qui inscrit dans le domaine de la logique cette même limite, en stipulant en substance qu’à l’intérieur d’un système formel, il existe toujours au moins une proposition indécidable…

Cette perspective à la fois incertaine et bornée peut évidement laisser songeur, voire être source de frustration. Mais tout bien pesé, elle constitue peut-être un fort stimulant pour l’imagination. Et on sait que celle-ci est sans limite...

20 mars 2016

Dans le coeur des robots

La victoire du robot Alpha Go sur Lee Sedol, un des meilleurs joueurs de Go au monde, ravive la polémique sur les limites et les dangers potentiels de l’intelligence artificielle.

A une époque où l’on a une peur névrotique de tout, et où l’on appréhende, à l’instar de nos ancêtres les Gaulois, que le ciel nous tombe sur la tête, quoi de plus normal en somme ?
On pourrait évidemment s’étonner que l’Homme finisse par craindre jusqu’à ses propres créations, mais au fond, il a bien raison. Toute machine, toute invention fait naître des risques. Du simple marteau avec lequel on peut malencontreusement se taper sur les doigts, jusqu’à la bombe atomique qui constitue une menace pour la planète entière, l’évidence est bien là : toute machine est potentiellement dangereuse.
La fable de l’Apprenti Sorcier a parfaitement décrit ce à quoi nous exposent les tâtonnements de la science lorsqu’elle est aussi prétentieuse qu’approximative. Il y aurait beaucoup à dire sur les abîmes qui se dérobent encore à la connaissance que nous avons de la nature, dans lesquels risquent de se précipiter nos téméraires mais fragiles inventions.


Mais faut-il pour autant oublier que la machine est là avant tout pour nous aider, pour améliorer telle ou telle capacité défaillante de notre nature chétive ?
De ce point de vue, il est surprenant que des gens comme Bill Gates, Stephen Hawking ou Elon Musk agitent frénétiquement un épouvantail à l'édification duquel ils ont consacré leur vie !
La gravité de leur message laisse même pantois. Ainsi Stephen Hawking, qui reconnaît que “les formes primitives d'intelligence artificielle que nous avons déjà, se sont montrées très utiles”, n’hésite pourtant pas à déclarer “qu'une intelligence artificielle complète pourrait mettre fin à la race humaine.
On peut se demander si l’Intelligence Artificielle ne représente pas un nouvel avatar du progrès, contre lequel nombre de grands savants se sont retournés après l’avoir promu…Tout est sans doute possible et la hantise de la fin du monde est un grand classique de science fiction. Mais à l'évidence, aucune machine n’est méchante "en soi". Elle ne fait qu’obéir à son maître et si elle dysfonctionne, c'est à cause de quelque négligence de sa part. L'homme n'est pas Dieu qui peut faire de sa créature un être libre, conscient et responsable.

Pour revenir à des interrogations plus triviales, après l’exploit de l’ordinateur au jeu de Go, la machine a-t-elle eu envie de sabler le champagne ?
Non bien sûr, pas plus qu’elle n’a eu conscience d’avoir participé à un jeu et d’avoir gagné la partie. Fort heureusement, elle n’en tire ni orgueil, ni fierté. Si elle le faisait ce ne serait qu’imitation d’un comportement humain, instillé dans ces circuits par l’entremise malicieuse des informaticiens.
Si la machine n’a rien d’humain, la tentation est grande pour l’être humain de lui donner son apparence, autant physique que comportementale. Rien de plus normal en somme, puisqu’il est amené à communiquer avec elle et qu’elle est en quelque sorte son prolongement.
Mais quelle est étonnante cette faculté que nous avons de se projeter sur tout ce qui nous entoure ! Nous humanisons facilement la nature, les animaux, les choses, même les plus banales, les plus inanimées. On se souvient de Robinson Crusoë et de son compagnon virtuel Vendredi…

Le pire serait toutefois que l'Homme un jour imagine pouvoir conférer à la machine tout ou partie de sa liberté, de sa responsabilité, en un mot de sa conscience.

Ce fut sans doute l’erreur de Turing, de considérer, avec son fameux test, que l’ordinateur serait parvenu à l’intelligence lorsqu’un être humain serait incapable en dialoguant avec lui, de faire la différence entre un congénère et un robot.
La machine peut singer l’homme, mais elle n’a pas d’autre conscience, pas d’autre sentiment que ceux que l’homme lui confère en la programmant. La science fiction se plaît à exploiter le fantasme de la machine sentimentale, mais qu’elle soit bienveillante comme dans le film Her, ou maléfique comme Terminator, il ne s’agit à l’évidence que d’un mimétisme un peu grotesque.
Si l’ordinateur n’a pas de conscience, il porte donc nécessairement celle de son concepteur, et Rabelais rappelait non sans prescience et non sans justesse, que “sans conscience la science n’est que ruine de l’âme…” Il faut sûrement s’en souvenir, aujourd’hui plus qu’hier, et sans doute moins que demain…

Il n’y a pas de Deus Ex Machina, mais pour l’heure l’intelligence artificielle constitue un espoir fabuleux d’amélioration de la condition humaine, à condition de s’en servir à bon escient. Non pas tant pour participer à des jeux de société, que pour rendre service au quotidien.

Dans cette optique, les derniers progrès en matière d’apprentissage (deep learning disent les anglophones), de reconnaissance de formes, d’algorithmique, sont fascinants.
Les performances stupéfiantes du moteur de recherche de Google ont transformé sous une apparence anodine, notre vie de manière très profonde. Cette efficacité pour dénicher des réponses adéquates dans la montagne de connaissances accumulées sur le Net, ce malaxage prodigieusement ordonné fascine. 

Faut-il en avoir peur ?
Sans doute pas, tant qu’il y a une maîtrise humaine derrière, et suffisamment d’esprit critique.

Car il faut peut-être craindre davantage l'abêtissement de l'homme soumis à la machine que l'humanisation des robots libérés de sa tutelle...

25 janvier 2016

Refroidissement climatique... au Dévonien

Lu dans le magazine La Recherche, un petit article relatant la découverte récente dans l'archipel norvégien du Svalbard, par une équipe britannique de paléobotanistes, de fossiles provenant de forêts tropicales datant de 380 millions d'années.
Cela ne date pas d'hier certes. Pour tout dire, de l'ère du Dévonien ( qui s'étendit de -420 à -360 millions d'années), et la Norvège, qui n'avait pas encore dérivé vers le grand Nord, se situait peu ou prou à l'équateur de la Terre. Autres temps, autres conditions climatiques...

Ces forêts d'arbres primitifs dont les feuilles naissaient directement du tronc, n'étaient semble-t-il pas très hautes, la canopée ne dépassant guère 4 mètres. Mais elles étaient très denses, composées d'individus séparés tout au plus d'une vingtaine de centimètres.
Surtout, l'intense photosynthèse découlant de cette verdure luxuriante, en absorbant massivement le dioxyde de carbone de l'atmosphère, conduisit à en diviser le taux par quinze ! Il s'en serait suivi une importante chute des températures qui aurait, nous dit-on, entraîné une extinction de masse. Jusqu'à 70% des espèces présentes à la surface de la planète auraient en effet disparu à cette période !

De cette histoire édifiante, dans laquelle l'activité humaine n'a aucune responsabilité, on pourrait tirer deux conclusions :
La première est qu'il s'avère bien difficile de savoir s'il vaut mieux mourir de chaud que de froid.
La seconde, que pour lutter contre le réchauffement climatique du à la dissipation des fameuses énergies fossiles, c'est un juste retour des choses que de planter des arbres, mais pas trop quand même !

La Recherche Janvier 2016. D'après un C.M. Berry & J.E.A. Marshall, in Geology, 2015.

03 septembre 2015

Dieu joue-t-il aux dés ?

S'agissant de la conscience humaine, la seule dont nous avons la certitude, puisque chacun de nous en fait quotidiennement l’expérience, force est de constater avec Werner Heisenberg que "ce sont les mêmes forces régulatrices qui ont construit la nature dans toutes ses formes, qui sont à l’origine de la structure de notre âme, donc aussi de notre intelligence…"
Certes, le concept de conscience n’existe pas en physique et en chimie, et l’on ne peut guère imaginer qu’un tel concept puisse être déduit de la mécanique quantique. Cependant, pour Heisenberg, “dans une science qui inclut également les organismes vivants, la conscience doit tout de même trouver une place, car elle appartient à la réalité..."
Encore une fois se trouve conforté le point de vue de Kant, qui faisait de la loi morale, consubstantielle a la notion de conscience, une réalité aussi certaine et merveilleuse que la voûte céleste étoilée !

De la conscience et du dessein qui la caractérise, jusqu’à Dieu, il n'y a qu'un pas.
Le savant se garde bien de le franchir mais il livre une réflexion roborative sur le sujet, empreinte de pondération et de modestie...
Elle part pourtant de l'opinion très tranchée de Paul Dirac, pour lequel la science se conjugue naturellement avec l'athéisme.
Pour celui-ci, l’hypothèse de Dieu amène en effet "à se poser des questions absurdes, par exemple la question de savoir pourquoi Dieu a permis le malheur et l’injustice dans notre monde, l’oppression des pauvres par les riches, et toutes les choses horribles qu’il aurait pu, après tout, empêcher.”
On peut souscrire aisément à cette critique d’une vision trop bornée, trop humanisée du principe divin, et qui en outre signifierait que l’homme y serait assujetti comme une marionnette. Mais on peut également avoir une autre conception de Dieu que celle de Dirac, résumée par la célèbre formule lapidaire de Lénine, qui en faisait “l'opium du peuple”, distillé et entretenu par des gouvernants soucieux de faire taire l'envie de révolte…

Albert Einstein qui n'était pas connu pour être un dévot affirmait quant à lui que "Dieu ne joue pas aux dés". Ce faisant, il instituait de manière implicite ce dernier comme principe immanent, tout en manifestant sa réticence à s'en remettre au hasard ou au principe d'incertitude comme fin en soi.

On se souvient également de son raccourci fameux : "Dites moi ce que vous entendez par Dieu, je vous dirai si j'y crois..."
Ce positionnement à mi-chemin entre le déterminisme athée et la foi ennemie des réalités, est peut-être en définitive ce qui est le plus raisonnable, si pour paraphraser Pascal, Dieu “a ses raisons que la raison ne connaît pas…”
 
Des propos de Heisenberg, on peut finalement déduire qu'il ne serait pas très éloigné de la notion d'"Intelligent Design" assez en vogue actuellement. Sans doute avait-il en tout cas une préférence pour un monde gardant une aspiration spirituelle, à un autre résolument matérialiste.
Il redoutait d’ailleurs l'avènement de ce dernier, comme en témoignent les lignes suivantes, écrites en 1927, comme si elles avaient été inspirées par un sombre pressentiment : “Il se pourrait que les paraboles et images de la religion perdent leur force de conviction même aux yeux des gens simples. Je crains qu’à ce moment là, notre éthique actuelle ne s’écroule également très rapidement et qu’il ne se produise des choses d’une horreur que nous ne pouvons même pas imaginer à l’heure actuelle.”

S’il faut retenir quelque chose de magique dans le spectacle de la nature, on pourrait évoquer avec Heisenberg, “le miracle de la stabilité de la nature” devant lequel s’émerveillait Niels Bohr.
Précisons que par stabilité, il entendait que “ce sont toujours les mêmes substances avec les mêmes propriétés qui apparaissent, que ce sont toujours les mêmes cristaux qui se forment, les mêmes composés chimiques qui se créent… Ainsi, même après de nombreuses modifications dues à des influences extérieures, un atome de fer redevient un atome de fer, possédant les mêmes propriétés qu’auparavant…”
C’était selon lui, paradoxalement incompréhensible selon la mécanique classique, basée sur un strict déterminisme causal des phénomènes.
Ce serait précisément à cause de la stabilité de la matière, que la physique newtonienne ne peut pas être correcte à l’intérieur de l’atome et qu’il ne peut y avoir de description visuelle de sa structure. En effet, une telle description - parce que visuelle justement - devrait se servir des concepts de la physique classique, concepts qui ne permettent plus de saisir les phénomènes. Autrement dit, “les atomes ne sont pas des objets de l’expérience quotidienne.”

Ainsi, après avoir donné des explications rationnelles à de nombreux phénomènes naturels, l’être humain en affrontant les nouvelles frontières de la connaissance, se rapproche tout à coup de l’indicible. Même un cerveau aussi puissant que celui de Werner Heisenberg manifestait un certain désarroi devant la complexité croissante des concepts manipulés par la science. Il prévoyait que pour progresser, celle-ci exigerait "une pensée ayant degré d’abstraction qui n’a jamais existé à ce point, du moins en physique". Dans le même temps, il s'avouait dépassé, supposant que pour lui, "une telle tâche serait serait sûrement trop difficile"...

Ses réflexions restent en tout cas passionnantes, car outre leur limpidité explicative, elles contribuent à donner une signification à des notions qui de prime abord défient l'entendement. En deçà ou bien au delà de l’échelle de nos sensations, dans l’infiniment petit ou dans l’infiniment grand, nous perdons facilement pied. Il est plus que jamais nécessaire d’avoir des guides inspirés pour nous aider à réfléchir, et à trouver du sens dans ce qui relève de plus en plus de la spéculation ou de l’abstraction.
Au cours d’un de ses entretiens avec Bohr, Heisenberg eut cette interrogation anxieuse : “Si la structure interne des atomes est aussi peu accessible à une description visuelle que vous le dites, et si au fond nous ne possédons même pas de langage qui nous permette de discuter de cette structure, y a-t-il un espoir que nous comprenions jamais quelque chose aux atomes ?”
Le célèbre savant Danois eut un moment d’hésitation, avant de répondre : “Tout de même, oui. Mais c’est seulement ce jour là que nous comprendrons ce que signifie le mot comprendre…”
Le Tout et la Partie. Werner Heisenberg. Champs Sciences. Flammarion 2010

30 août 2015

Des quantas à la conscience

Un des grands mérites du recueil de réflexions de Werner Heisenberg, sobrement intitulé "la Partie et le Tout", est de donner une perspective philosophique à la mécanique quantique, et de déboucher même sur certaines considérations métaphysiques.

En son temps, Newton avait influencé beaucoup de penseurs. Pourquoi n'en serait-il pas de même à notre époque pour les savants qui nous emmènent, par la seule force de leur raisonnement, vers les terres nouvelles de la connaissance ?
Trop souvent les philosophes se croient autorisés à faire fi de la rigueur des démonstrations scientifiques. Résultat, ils jargonnent, se fondant sur des principes ex nihilo, et la philosophie finit, comme le disait narquoisement l'un des amis de Heisenberg, par "constituer l'abus systématique d'une nomenclature inventée précisément en vue de cet abus..."

Un des principaux enseignements de la mécanique quantique, déroutante par ses incertitudes, est qu'il faut "rejeter a priori toute prétention à l'absolu". Cette précaution vaut aussi bien pour le domaine scientifique que pour celui des idées en général. La division du monde en une face objective et une face subjective paraît beaucoup trop radicale.
En dépit de son aspect révolutionnaire, la nouvelle physique atomique n'invalide ni ne tue les théories qui l'ont précédée. Si les conceptions de Ptolémée, d'Archimède ou de Newton sont aujourd'hui dépassées, elles gardent une part de vérité et les prédictions qu'elles permettent de faire sont toujours valables dans le contexte pour lequel elles ont été conçues. Elles ne sont plus suffisantes pour décrire le monde des particules élémentaires, mais constituent des étapes sur le chemin du savoir.

Heisenberg tire de cette évolution par ajustements successifs l'idée "qu'une révolution bienfaisante et fructueuse ne peut être réalisée que si l'on s'efforce d'introduire le moins de changements possible, et si l'on se consacre de prime abord à la solution d'un problème limité, nettement circonscrit. Une tentative consistant à abandonner tout l'acquis antérieur ou à le modifier arbitrairement ne peut conduire qu'à l'absurdité pure."
Bien que les Scientifiques ne soient pas tous exempts d'a-priori ou de certitudes excessives, Heisenberg a la faiblesse de penser que les Philosophes et les Politiciens seraient bien inspirés parfois de solliciter leurs conseils car "ils pourraient [les] seconder en leur apportant une coopération constructive, caractérisée par la précision du raisonnement, une vue large des choses et un réalisme incorruptible..."

Évoquant le concept d’évolution, tel que la popularisé Charles Darwin, Heisenberg exprime un certain scepticisme. S'il ne remet pas en cause la théorie darwinienne d'adaptation et de sélection naturelle, elle ne lui paraît pas suffisante pour expliquer la diversité et l'harmonie du monde. Ainsi, de son point de vue, "Il est difficile de croire que des organes aussi compliqués que l’oeil humain par exemple, aient pu se créer petit à petit uniquement grâce à des modifications fortuites."
Il rappelle même le raisonnement malicieux que le mathématicien John Von Neumann avait tenu à un biologiste, un peu trop convaincu à son goût du rôle du hasard et la nécessité.
En lui montrant à l'occasion d'une promenade une jolie petite maison nichée dans la campagne, il lui tint à peu près ce discours : “Au cours de millions d’années, la colline a été formée par des processus géologiques; les arbres ont poussé, ont vieilli, se sont décomposés et ont repoussé; puis le vent a recouvert fortuitement de sable le sommet de la colline; des pierres ont peut-être été projetées par là bas sous l’effet que quelque processus volcanique, et par hasard aussi elles sont restées en place les unes sur les autres de façon bien ordonnée. Et cela a continué ainsi.../... Une fois, au bout d’un temps très long, les processus désordonnés et fortuits ont produit cette maison de campagne; et maintenant des hommes sont venus y habiter…"

Comment ne pas être frappé par le sens de l'évolution, qui va du simple au compliqué, et des particules élémentaires de la soupe originelle, jusqu'à la conscience humaine ?
Peut-on extraire de l'évolution tout ce qui concerne l'être humain et notamment son génie inventif ?
Ce dernier procède également largement du modèle évolutif. Au fil des idées et des adaptations pragmatiques, les hommes sont parvenus à élaborer des outils et des machines de plus en plus complexes. Et il n'y a qu'une place limitée pour le hasard dans ce processus, l'essentiel étant représenté par la notion de dessein, lui-même sous-tendu par l'intelligence...

Plus que Darwin, Heisenberg rejoindrait donc Bergson dans ce qu’il appelait "l'évolution créatrice" et cette sorte d’élan vital qui fait progresser la connaissance.
Devant un paquebot, le physicien s'interroge : "s’agit-il d’une masse de fer avec une installation de force motrice, un système de lignes électriques et des ampoules à incandescence.../… ou bien d’une expression du dessein humain, d’une structure formée en tant que résultat de relations interhumaines ?"
De la même façon, au spectacle de la nature, il se demande s'il est " tout à fait absurde d’imaginer, derrière les structures régulatrices du monde dans son ensemble, une “conscience” dont elles expriment le “dessein”..." (à suivre...)