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16 décembre 2007

Attention, culture en péril


Un joli pavé dans la mare, l'article de Don Morrison dans le numéro de Time Magazine Europe, paru le 3 décembre.
Son titre provocateur « La Mort de la Culture Française » a fait son petit effet. Nombre d'émissions, de blogs, de chroniques ont relaté l'évènement, le plus souvent pour s'en offusquer, ou bien pour en contester le bien fondé
Pourtant, d'un constat même sévère, ne pourrait-on tirer quelques leçons ?
Car l'auteur, qui ne semble pas ennemi de la France, ne déplore pas tant le manque de créativité que son peu d'ambition et son incapacité à s'exporter : plus de 200 films par an, 700 livres par rentrée littéraire, des pléiades de chanteurs, mais pas grand chose à sortir des frontières de l'hexagone. Il serait idiot de contester les chiffres, ils s'imposent d'eux-mêmes.
Pour autant, les raisons de cette faiblesse bien que triviales, ne sont pas forcément désespérantes ou définitives.
Bien sûr le fait que le français ne figure plus qu'au 12è rang des langues les plus parlées dans le monde est une réalité difficile à contrecarrer. Mais il n'est pas certain que cela soit la cause essentielle du désastre actuel. Le rayonnement français de jadis dépassait largement les seuls pays francophones et c'était précisément la french touch qui était appréciée.
Pour Morrison, il faut surtout prendre en considération la tendance en France depuis maintenant plusieurs décennies, qui consiste au repli méprisant sur soi et au dénigrement quasi systématique de toute oeuvre récompensée par un succès commercial. A cause de cet entêtement idéologique à refuser toute « marchandisation » de la culture, à cause de ce refus obstiné de prêter attention à ce qui plaît, la France s'est enlisée dans une sorte de nombrilisme austère. Facteur aggravant, elle donne des leçons à tout le monde comme si seule elle détenait la vérité.
Parallèlement, sous l'effet de cet intellectualisme quelque peu hermétique, dont l'origine se situe clairement « à gauche », l'emprise étatique n'a cessé de croître. Non contente d'entretenir à grand frais un absurde ministère de la culture, riche de 11200 employés, la France consacre en subventions culturelles 1,5% de son PIB (contre 0,7 en Allemagne, 0,5 en Angleterre et 0,3 aux USA). Toujours à cours d'argent, l'Etat dans son zèle à « redistribuer les richesses », pompe en taxes 11% des recettes de l'industrie cinématographique. Et il s'échine à maintenir envers et contre tout, le principe vain de « l'exception culturelle », jusqu'à imposer aux chaînes de télévision et de radio, un ratio de productions autochtones, d'au moins 40%. Or ces mesures protectionnistes n'endiguent en rien le déferlement des cultures étrangères et ne peuvent que pénaliser l'exportation de la nôtre dans les autres pays.
Combien faudra-t-il de temps pour admettre cette évidence criante ?
La volonté du nouveau président de la république de démocratiser davantage la culture et d'encourager le mécénat privé va sans nul doute dans le bon sens. Ses efforts pour donner plus d'autonomie aux universités jusqu'alors asservies à la seule Culture d'État, s'inscrivent dans le même dessein louable. En montrant aux Américains et au monde, un visage de la France un peu moins arrogant, il fait également oeuvre utile.
Mais voyez le tollé des gens bien intentionnés ! Voyez ces foules vociférant contre ce qu'ils appellent une braderie du patrimoine culturel ! Voyez par exemple les protestations à l'encontre du projet du Louvre d'Abu Dhabi, au simple motif que ça pourrait rapporter de l'argent...
Pour Bernard-Henri Levy, qui cherche un angle d'attaque original (Le Point 13/12/07), il ne s'agit pas de savoir si le constat est vrai, il ne s'agit pas de se dresser sur ses ergots en hurlant « à l'honneur national bafoué ». S'imaginant beaucoup plus subtil, il tente de déjouer la critique en montrant qu'elle est avant tout le fruit de préjugés anglo-saxons. Et sous la plume de celui qui se défend d'en être un colporteur, les bons vieux arguments de la dialectique anti-américaine reviennent en foule : selon lui, les Américains par nature, croient que la force d'une culture se mesure en audience, et ils sont si certains d'avoir raison, et ignorants du reste du monde, qu'ils ne jugent nécessaire d'évaluer cet impact que chez eux ! Les Américains comme chacun sait, sont des êtres vénaux et simples d'esprit, donc ils ne peuvent penser l'art autrement qu'en terme d'industrie et rejettent tout ce qui est compliqué à l'entendement. Dans leur logique de consommation niaise, la culture doit être accessible à tous et surtout sans délai. Bref, ils ne connaissent rien au sujet et leur critique est donc sans objet. CQFD.
Par un remarquable raccourci vengeur, BHL achève sa diatribe en assimilant le sort de la culture française à celui qui attend sans tarder son alter ego américaine. Selon lui c'est évident : tant d'attaques sur notre pays révèlent « une forme déplacé d'une panique qui ne s'avoue pas mais qui se manifeste à chaque ligne ». Bref, à le croire, les Américains ont peur de leur déclin imminent... Pauvre BHL, il ne parvient donc toujours pas à sortir des sentiers battus.
Il y a plus fort que la réaction somme toute assez prévisible de Bernard-Henri Lévy.
Autour de Guillaume Durand, dans l'émission « Esprits Libres », on a discuté ferme du sujet le 14 décembre. Mais davantage que la controverse, ce fut la méconnaissance du problème qui frappait, en écoutant les invités. Il fallait voir la surprise consternée sur les visages lorsque Florent Pagny révéla humblement que jamais au cours de ses voyages il n'entendait parler d'artistes français, à l'exception de .... Nana Mouskouri et Charles Aznavour !
Le sommet de la cuistrerie fut toutefois atteint lorsque le metteur en scène Jean-Michel Ribes déclara à propos de la faible pénétration de la culture française aux Etats-Unis, que ce n'était pas bien grave car l'inquiétude serait au contraire de rayonner sur le Middle-West américain...
Décidément, il n'y a pas plus idiot que celui qui ne veut pas comprendre.

07 février 2007

Le bazar bizarre des Beaux-Arts

Le centre Pompidou vient de fêter ses 30 ans.
Ce musée s'inscrit-il comme la manifestation d'une sincère volonté novatrice ou plus prosaïquement celle d'une certaine « branchitude » politique ?
Le président Pompidou n'était pas vraiment ce qu'on peut appeler un m'as-tu-vu avide de gloriole, il faut donc lui rendre cette justice : il crut probablement bien faire en tentant hardiment de réaffirmer la prééminence malmenée de Paris en tant que capitale artistique.
Il y réussit au premier abord si l'on s'en tient à la fréquentation de cette nouvelle Mecque des arts. Deux cents millions de visiteurs en trois décennies, on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un caprice réservé à quelques snobs.
Est-ce encore de l'art pour autant ?
Cette notion est si galvaudée de nos jours qu'il s'avère difficile de se prononcer. A l'évidence, le pouvoir d'attraction des manifestations dites artistiques relève davantage de la curiosité que de la quête spirituelle.
Le musée accueille en ce moment une exposition consacrée à Tintin. Même s'il on s'avoue sensible au charme dégagé par les bandes dessinées d'Hergé, il semble tout de même difficile d'y voir l'expression de l'indicible.
J'entendais il y a quelques jours Dominique de Villepin s'extasier devant les monumentales tâches noires de monsieur Soulages. Il voyait derrières ces griffures obscures, la lumière « éclater » et vantait dans le style pompier qu'on lui connaît, la sublime beauté de ces contrastes assez répétitifs.
D'autres se confondent en extase au sujet du bleu monochrome dont Yves Klein barbouillait avec jubilation tout ce qui lui tombait sous la main. Ou bien devant les géniales roues de bicyclettes de Duchamp, ses urinoirs rebaptisés « fontaines », ou encore les « installations » bancales, de feutre de métal et de graisse conçues par Joseph Beuys.
Les exemples foisonnent de ces machins sans âme, où le procédé l'emporte sur l'inspiration. Remarquez comme chaque artiste paraît de nos jours avant tout animé du désir de s'originaliser, de trouver sa marque de fabrique qui sera ensuite déclinée de manière pléonastique.
L'empreinte de la civilisation industrielle et du matérialisme de la société occidentale a bon dos.
Il n'y a dans tout cela guère d'émotion, et rien ne porte vraiment à l'élévation comme le chantait Baudelaire.
Du bâtiment, qui fit tant couler d'encre, que penser ?
Avec le recul, l'oeuvre des architectes Piano et Rogers n'est ni belle ni laide, ou bien les deux à la fois, selon l'angle sous lequel on la regarde. Assez ordinaire pour tout dire.
Elle emprunte ses matériaux, sa conception aux techniques industrielles. On l'appela d'ailleurs par dérision la "raffinerie", "l'usine à gaz", "Notre Dame des tuyaux"...
Après 30 ans, l'impression reste la même, mitigée.

L'audace paraît bien tiède quand on la compare au musée Guggenheim de Bilbao. Quant au rayonnement, il n'éclipse pas celui du MOMA.
Donc Pompidou et l'Etat tentaculaire, omniscient n'ont ni bien ni mal fait. La révolution promise a fait long feu et Beaubourg apparaît avant tout comme une sorte de bazar culturel bigarré, bien achalandé mais sonnant le creux, comme sa tuyauterie.


31 janvier 2007

Le livre de raison d'un roi fou


Pour tenter de sortir un peu du marais végétant et plutôt nauséabond dans lequel patauge la campagne présidentielle, je propose aujourd'hui aux personnes qui me font le grand honneur de lire ma médiocre littérature, une promenade de l'esprit un peu inhabituelle : je voudrais évoquer ce soir, au coeur de l'hiver, la vie extravagante de Louis II de Bavière (1845-1886) !
Il peut paraître étonnant de traiter un tel sujet ici.
Il s'agit d'un destin aristocratique en diable, qui paraît à mille lieues des concepts démocratiques et pragmatiques auxquels je suis si profondément attaché et que je tente d'explorer dans ce blog.
Mais il y a des choses qui ne s'expliquent pas... « Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas. »
Je suis tombé sous le charme de cet être lunatique en découvrant le portrait magnifique et désespéré que Luchino Visconti fit de lui dans son film Ludwig ou le Crépuscule Des Dieux.


Il se trouve que je viens de relire l'ouvrage étonnant d'André Fraigneau, qui servit selon toute probabilité de guide poétique au cinéaste, et qui raconte de l'intérieur si je puis dire, l'errance de cet ultime représentant des monarques de droit divin, égaré à la lisière de la civilisation technique et industrielle.
Et cette lecture fait remonter une nuée de souvenirs éblouis.
Ce livre de raison d'un roi fou, conçu comme un journal intime, retrace l'itinéraire magique de ce « règne pur », enchâssé dans la neige et dans la glace, ivre d'horizons montagneux, empli de l'indicible clameur wagnérienne, en quête d'un absolu de beauté.

Ce roi était-il fou ? La question ne sera probablement jamais tranchée tant sa folie toucha souvent au sublime, et tant elle interrogera longtemps encore du haut de ses châteaux extravagants, la médiocrité du quotidien, faite de banalité et de confort.
De quelqu'un qui se prend pour un roi, on dit qu'il est fou; mais Louis II, si d'aucun le jugent fou n'en était pas moins roi, doté malgré lui de fantastiques pouvoirs : « Je ne connaissais pas la force de mon coeur, ni que ma puissance de sentir fût sans limite. »
Ce fatum vertigineux qui échut à cet enfant de la Lune, sans qu'il l'ait demandé, il le prit très au sérieux. Et il fit le serment de l'accomplir de manière exemplaire.
Louis fut amoureux intransigeant de la beauté. Comme il eut le malheur de n'être pas doué pour la création artistique, mais qu'il bénéficia du privilège d'être roi, il voulut que son règne fusse donc l'apothéose de l'art : « Sous tous les cieux, dans toutes les races, les hommes pourront parvenir par la liberté réelle à une égale force, par la force au véritable amour, par le véritable amour à la beauté. Et la beauté active, c'est l'art. »

Il se vit en messie de l'Art, avec Wagner comme instrument de son ambition. Et puisqu'à l'Art il faut au moins des palais, il décida d'être bâtisseur comme Louis XIV. Si possible en surpassant en magnificence son modèle.
Mais cette quête se révéla vite insensée car elle le conduisit à chevaucher en dehors des voies de la sagesse. Elle l'écarta inéluctablement de la réalité. En faisant des cimes de l'esprit son royaume, il se condamna à mépriser tout ce que sa charge comportait de trivial. Il épuisa son entourage à force d'exiger d'eux ce qu'ils ne pouvaient donner tout en raillant la mesquinerie de leur existence.
Ses ministres le lachèrent bien sûr, mais aussi Wagner, l'Ami comblé qui le trahira, ses valets qu'il choisissait pour leur beauté et pour lesquels il éprouvait une trouble attirance, et même Elisabeth sa cousine adorée, qui le comprit, mais qui refusa de l'accompagner dans son odyssée féérique.
Il finit par répudier l'acteur Kainz dont il s'était entiché jusqu'à lui faire réciter jour et nuit et en tous lieux les grands classiques, mais dont il ne supportait plus la lassitude et la fatigue trop humaines : « avec ce visage malingre, banal, éperdu, je prenais congé pour toujours de l'humanité courante, celle qui s'efforce vers le meilleur, retombe recommence, émeut, irrite, se croit sauve vis-à-vis du Ciel et pavera l'Enfer, jusqu'à la fin du Monde, de ses bonnes intentions. »
Il comprit sans doute la déchéance vers laquelle il était irrémédiablement attiré, et selon l'opinion de Fraigneau, il se reprocha même de s'être abandonné à la malédiction : « Je ne suis plus qu'une poussière d'éclats brisés où rien ne se réfléchit plus et plus dangereux qu'un poison ou qu'une arme. Cette poudre de glace, brillante et coupante, ne sait plus que détruire. Par un bénéfice bizarre, elle est indestructible. Satan, c'est peut-être, au creux du Monde, au creux de l'infini, une pincée de verre pilé. »
Cependant, au moment de basculer dans l'infini, c'est l'espoir de rédemption qui fut le plus fort : « Je me sentirai réintégré, absous, admis. Et comme le promet Platon, je pourrai voir à la fin le soleil, non seulement dans les eaux et dans les objets où il se réfléchit, mais lui-même, à la place où il se trouve. »


Louis II qui avait 41 ans à peine, fut retrouvé noyé, avec son médecin le docteur Von Gudden, dans le lac du château de Berg où il avait été interné à peine 48 heures auparavant...

Il ne fut pas vraiment un mauvais roi puisqu'il n'avait aucune répugnance à déléguer les tâches dans lesquelles il ne s'estimait pas compétent. Il avait en horreur la guerre, et accepta de bonne grâce le grand dessein de l'unification allemande, sous la férule de Bismarck.
S'agissant de son parcours artistique, le bilan en fut plutôt éclatant. Il procura à Wagner toutes les facilités dont il pouvait avoir besoin pour exprimer son talent, il parsema son petit pays d'incroyables ouvrages architecturaux qui le ruinèrent temporairement mais qui font sa fortune touristique aujourd'hui encore : le charmant pavillon baroque de Linderhof et sa grotte romantique rococo, le monumental Herrenchiemsee aux proportions versaillaises, et l'inexpugnable nid d'aigle Neuschwanstein où il se retrancha avant d'être destitué.
Paul Verlaine fut sensible à la passion de Louis II, à son rêve inaccessible, qu'il évoqua dans un sonnet :
Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, Sire,
Qui voulûtes mourir vengeant votre raison
Des choses de la politique, et du délire
De cette science intruse dans la maison,
De cette science, assassin de l’Oraison
Et du Chant et de l’Art et de toute la Lyre,
Et simplement ,et plein d’orgueil en floraison,
Tuâtes en mourant, salut, Roi ! bravo, Sire !
Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi
De ce siècle où les rois se font si peu de chose,
Et le Martyr de la Raison selon la Foi.
Salut à votre très unique apothéose,
Et que votre âme ait son fier cortège, or et fer,
Sur un air magnifique et joyeux de Wagner.