Affichage des articles dont le libellé est economie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est economie. Afficher tous les articles

14 février 2016

La dette : Chronique d'une gangrène 1

La dette publique, on en parle puis on l'oublie...
Pourtant, tandis que la Bourse se remet à tanguer, avec quelques craquements sinistres faisant craindre l’imminence d’un nouveau krach, on peut s’interroger. Où donc en est l’Etat ?
Force est de constater que malgré les promesses d’économies et de croissance, les choses ne font qu’empirer. Au troisième trimestre 2015, le compteur dépassait les 2100 milliards d’euros, soit quasi 97% du PIB. Est-ce grave docteur ?

S’il est un sujet sur lequel les opinions divergent, c'est bien celui de la dette !
Elle fait beaucoup gloser, et de nombreuses théories s'opposent, les unes minimisant sa gravité, les autres au contraire pointant le risque énorme qu'elle fait peser sur l’Etat.
Mais en définitive, que de contradictions entend-on à son propos, que de contrevérités flagrantes, que de lâchetés également et d’affirmations irresponsables…

Il y a quelque temps, France 5 proposait sur ce thème une émission fort intéressante. Présentée par Marina Carrère-d'Encausse, elle partait d'un point de vue original, fondé sur le témoignage de politiciens et de dirigeants qui furent aux affaires. Ceux-là même qui conduisirent la politique économique du pays durant ces dernières décennies. Il y a de quoi être édifié tant leurs commentaires mettent en évidence leur responsabilité écrasante, souvent avouée sans complexe !
Le constat de départ est certes bien connu : il faut se reporter quarante ans en arrière, en 1974, pour trouver un budget national en équilibre, voire en léger excédent. L'endettement du pays quant à lui, n'excédait pas cette année là 15% du PIB...
Depuis cette date, la faute à un déficit systématique, la dette a grimpé chaque année, inscrivant une courbe vertigineuse qui culmine aujourd'hui à presque 100 % du PIB, soit plus de 2000 milliards d'euros ! Rien ne semble arrêter cette fuite exponentielle...

Nombre de politiciens déplorent cet état de fait. On se souvient de François Fillon avouant peu après son accession au poste de Premier Ministre en 2007 : “je suis à la tête d'un état qui est en faillite.”
Hélas, toute vérité n'est pas bonne à dire. Celle-ci fut considérée comme politiquement incorrecte et le Président de la République, Nicolas Sarkozy en personne, crut bon de la contredire pour ne pas désespérer le Peuple !
Il faut dire que lui-même contribua largement à augmenter les dépenses publiques, faisant flamber la dette comme tous ses prédécesseurs et successeurs…
Il ne fit en somme que donner un peu plus de poids à l’adage de Valery Giscard d’Estaing selon lequel “le milieu politique n'aime que la dépense, jamais on ne propose des économies...”

Il y a toujours de bonnes ou plutôt de mauvaises raisons pour augmenter les dépenses de l’Etat. Alors qu’il prétend aujourd’hui qu’il était en 1975 « partisan d'une dette réduite », le même Giscard d’Estaing, tirant argument du “choc pétrolier”, affirmait à l’époque lors d’une allocution télévisée, “qu’il fallait “stimuler l'activité économique pour créer de l'emploi” ! Le bon vieux mythe keynésien reprenait du service en quelque sorte, il fut invoqué nombre de fois par la suite, révélant à chaque fois son inanité, sans pour autant qu’on cessa de s’obstiner.
La lutte contre le chômage, priorité des priorités de tous les gouvernements successifs, et la quête de la “croissance” furent les deux principaux motifs justifiant la prodigalité étatique. Il n’est pas besoin d’être expert pour conclure que le remède n’est pas très efficace puisque parallèlement à l’inflation de la dette, le PIB resta plat ou quasi. Quant au chômage, il est devenu une fatalité en France, face à laquelle François Mitterrand lâcha même un jour “qu’on avait tout essayé…”
Étrange constat, un peu dur à accepter si l’on observe qu’à l’étranger, quantité de pays, semblent avoir eux trouvé des solutions.
Il faudrait sans doute que la France abandonne ses œillères idéologiques et cette détestable propension qu’ont les hommes et les femmes politiques à faire de la démagogie avant tout.

Un des mérites de l’émission de Marina Carrère d’Encausse, est d’objectiver l’échec flagrant des plans de relance keynésiens que notre pays mit en œuvre à plusieurs reprises : en 1975 par Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing, en 1981 par un François Mitterrand fraîchement élu, en 2008 par Nicolas Sarkozy à l'occasion de la crise née des subprime, et enfin par François Hollande au nom décidément bien pratique de la “Crise”...
Pire, la France ne tira aucun bénéfice des quelques moments de grâce où la croissance mondiale tira un peu notre char étatique empêtré dans la semoule. Non seulement ces embellies ne servirent pas à désendetter un peu le pays mais il arriva même qu’on transforma la diminution du déficit en “cagnotte” miraculeuse, qui fut dépensée illico, notamment sous la houlette de Lionel Jospin avec les fameuses 35 heures payées 39 !

Face à cette inexorable dérive des comptes, on fit mine d’élever des digues. La barre indépassable des 3% de déficit, inaugurée par l'administration Mitterrand en 1982 fut de ce point de vue une belle supercherie. Plutôt que d’annoncer un déficit de 100 milliards de francs, Laurent Fabius eut l’idée de rapporter cette somme au PIB et de transformer l'abîme budgétaire en un pourcentage beaucoup moins effrayant. Ainsi, sans aucune raison économique digne de ce nom, on érigea le chiffre de 3% du PIB comme une norme. C’est même ce ratio qui fut entériné lors de l’élaboration du traité européen de Maastricht !
Non seulement, il consacre de facto l’idée du déficit comme étant quelque chose de normal, mais force est de constater que loin d’être un maximum, il est devenu dans notre pays un minimum toujours dépassé...
 A suivre...

26 janvier 2015

Monnaies de singes

Faut-il se réjouir des bonnes nouvelles économiques claironnées par le grand bazar médiatique ? Le bout du tunnel est-il en vue ? On ne demanderait qu’à le croire, mais hélas rien n’est moins sûr, notamment en France où tant de verrous restent envers et contre tout bloqués.
La baisse assez spectaculaire de l’euro constitue un fait marquant auquel peu de monde s’est vraiment intéressé dans un contexte dominé par l’émotion due aux attentats. Pourtant, entre Mai 2014 où elle plafonnait à presque 1,40$ et aujourd’hui où son cours est autour de 1,11$, la monnaie européenne a perdu 20% de sa valeur !
Il y a là certes de quoi mettre le cœur en joie de ceux qui se plaignaient d’un euro trop fort depuis des années ! Cela sera sans nul doute à leurs yeux, de nature à doper enfin les exportations et à freiner l’invasion de tous les produits achetés dans une devise qui se renchérit face à la nôtre.
Malheureusement, il y a encore loin de la coupe aux lèvres !

Lorsque la valeur d'une monnaie baisse c’est avant tout la richesse relative de ceux qui la possèdent qui diminue. Tous ceux qui voyagent où qui achètent des denrées importées s’en rendront bien vite compte. Quant aux exportations, il n’est pas évident que la France en tire tout le profit espéré, vu que son problème de fond reste de n’avoir pas grand chose à vendre, sauf dans le domaine du luxe qui marche déjà très bien et où la clientèle n’est pas trop sensible au prix…
On peut toutefois se rassurer un peu en songeant qu’à l’intérieur de la zone euro les échanges ne s’en trouveront a priori pas affectés...

Second évènement d’importance, la baisse du prix du pétrole et de certains produits plus ou moins indexés sur lui, comme le gaz.
Les économies devraient être réelles pour les consommateurs, en terme de chauffage et de carburant pour leurs automobiles… A condition toutefois que l’euro ne baisse pas trop par rapport au dollar, avec lequel nous réglons la facture aux producteurs, et que le gouvernement n’en profite pas pour augmenter les taxes, ce qu’il vient justement de faire sur le gazole !
S’agissant du bénéfice pour la nation et les entreprises, il restera modeste puisque 85% de l’électricité consommée est comme chacun sait d’origine nucléaire.

Là dessus, tombe tout à coup le nouveau plan massif d’injections de liquidités, proposé par la Banque Centrale Européenne (BCE). Pas de moins de 1100 milliards d’euros sur moins de 2 ans, créés ex nihilo, sur lesquels les interprétations varient d’un expert à l’autre.
A vrai dire, l’impression qui domine est que personne ne comprend trop les tenants et les aboutissants de ce colossal Quantitative Easing (QE), que certains traduisent pudiquement par un “assouplissement quantitatif”, que d’autres, ébahis, qualifient de “bazooka monétaire” et dans lequel en fin de compte, beaucoup voient un très prosaïque “recours à la Planche à Billets...”

Avec des yeux de béotiens, peu accoutumés aux arcanes de la science économique mais vaccinés contre les effets d’annonce, on reste pantois devant ce gigantesque nouveau plan de relance.
D’abord parce qu’on ne peut que s’étonner de la création aussi massive d’euros au moment précis où le cours se casse la figure. Pourquoi ne pas avoir fait cela plus tôt, lorsqu’il était jugé trop haut par tant d’analystes ? M. Draghi fait en l’occurrence figure de carabinier et risque d’ajouter l’inflation à la dévaluation.
C’est dira-t-on le but recherché puisque les grands argentiers craignaient la déflation.
Certes
une légère baisse des prix avait été notée en fin d’année dernière (-0,2% en décembre, expliquée en grande partie par la chute du cours du pétrole). Mais en réalité, on observait surtout jusqu’à ce jour leur stabilité ce qui est le gage d’une économie saine : l’argent qu’on possède ne s’use pas et c’est la meilleure garantie pour les commerçants de vendre au juste prix. Et lorsque les salaires restent désespérément bloqués, c’est aussi celle de conserver son pouvoir d’achat…

Parallèlement à cette injection monétaire, la BCE promet de racheter tous azimuts de la dette étatique. Bel effort, mais qui peut-être aussi bien vu comme un terrible pousse-au-crime, lorsqu’on voit l’inflation régulière des dites dettes, favorisée par la faiblesse actuelle des taux d’intérêts ! On en veut pour preuve la réaction réjouie de François Hollande, grand dépensier s’il en est, saluant le plan de la BCE (après l’avoir dévoilé quelques jours avant l’annonce officielle, ce qui s’apparente d’ailleurs à une bourde, si ce n’est un délit d’initié…)

La victoire de l’extrême-gauche aux élections législatives grecques accentue cette crainte. Pourquoi ces gens rembourseraient-ils leurs dettes à une banque si riche et si prodigue ? Rappelons que la Grèce au bord de la banqueroute, a bénéficié ces dernières années de deux plans d'aide d'un montant total de 380 milliards d'euros, accompagnés d'un programme draconien d'ajustement budgétaire, sous le contrôle de la fameuse troïka UE-BCE-FMI, dont le vainqueur du jour M. Tsipras annonce méchamment la fin !
Aujourd’hui, avec l’arrogance revancharde des parvenus, il se fait fort d’exiger une nouvelle négociation de la dette de son pays, tout en promettant d’en créer de nouvelles avec une foultitude de mesures plus démagogiques les unes que les autres. S'agit-il d'une farce marxiste "tendance Groucho" qui se perdra très vite dans les désillusions de la real-politik, ou bien d'une lame de fond destructrice risquant de laminer un peu plus les bases fragilisées d'une Europe dont on se demande comment elle tient encore debout ? That is the question !

Et pendant ce temps, les députés français commencent à plancher sur l’inénarrable et microscopique loi Macron. Ainsi, après l’avoir préalablement plombée de 495 amendements (sur les plus de 1700 proposés en commission spéciale), ils vont débattre doctement du nombre de dimanches ouvrables et mesureront au compte-gouttes le nombre des lignes d’autocar autorisés à grignoter le monopole de la SNCF….
Décidément, on n’arrête pas le progrès et le futur ne manque pas d’avenir comme dirait l’autre...

13 juillet 2014

Deux poids, deux mesures

Au pays du système métrique on n'a pas toujours le sens de la mesure.
Lorsque l’on évalue certains gouffres financiers notamment, et qu’on juge de leurs causes et de leurs conséquences...

Chacun se souvient du scandale impliquant en 2008 la Société Générale, dite affaire Kerviel du nom du courtier maudit qui aurait fait perdre à la banque qui l’employait, la somme astronomique de 4,82 milliards d’euros
Quel tohu bohu ! Près de 7 ans après on en parle encore…. L’occasion était trop belle. On vit évidemment dans cette histoire le symbole des méfaits du capitalisme débridé, de l’ultra-libéralisme et tutti quanti…

Il serait intéressant de connaître la quantité d’encre déversée à ce sujet, le nombre exact d’émissions, de débats détaillant férocement par le menu les malversations ayant abouti à une telle faillite. Transformé en bouc émissaire le trader fou fut jugé, non sans raison sans doute, coupable. Mais on lui fit endosser sans beaucoup d’états d’âme la quasi intégralité de la responsabilité écrasante de ce désastre, et on voulut même lui faire rembourser personnellement les milliards évaporés ! Après maints rebondissements, il a finalement été condamné à 5 ans de prison, dont 4 fermes, tandis qu’aucune charge n’était retenue contre la banque et qu’un simple constat de carence fut adressé par Bercy aux autorités de contrôle qui n’avaient rien vu venir...

Tout autre est le traitement de l’affaire de la BNP qui a éclaté il y a quelques mois. Cette banque a été épinglée par la justice américaine pour avoir négocié en dollars de juteux contrats avec le Soudan, l’Iran et Cuba, violant ainsi l’embargo qui frappait ces pays “voyous”. Là encore l’énormité des sommes en jeu donne le vertige. Aujourd’hui même on apprend que la banque, qui reconnaît les faits, est condamnée à une amende de 8,9 Milliards de dollars, soit environ 6,5 milliards d’euros ! La banque française est aussi interdite de paiements en dollars pendant un an, de janvier 2015 à décembre 2015 et devra obtenir une dérogation pour continuer à exercer l’activité très lucrative de gestion d’actifs aux Etats-Unis.

Mais qui Cloue-t-on au pilori en l’occurrence ? Personne…
Pourtant si dans l’affaire de la Société Générale il ne s’agissait en somme que de placements hasardeux (pour lesquels il n’y avait rien à redire tant qu’ils rapportaient…), avec la BNP c’est une fraude caractérisée qui est en jeu.
Non seulement personne n’est nommément inquiété, mais c’est une vraie mansuétude qui entoure la BNP, face à l’ogre américain. Le gouvernement français,si prompt d’habitude à flétrir les banques, a même fait mine de voler à son secours. François Hollande en tête a tenté, en vain, de négocier un arrangement avec le président Obama, venu en France pour commémorer le débarquement allié ! Le chef de l’état commentant alors les sanctions envisagées, les avait qualifiées de « totalement disproportionnées ». Plus fort, Michel Sapin, ministre des Finances, se livrant à un chantage à peine déguisé, souligna que l'affaire risquait d’affecter les négociations en cours sur le traité transatlantique (Trans-Atlantic FreeTrade Agreement, Tafta).
La réponse du président américain fut claire ne cachant pas un certain mépris pour les coutumes de notre pays : "la tradition aux Etats-Unis est que le président ne se mêle pas des affaires de justice".
Pan dans l’amour propre ! ça tombe bien, en France on n’en a pas, ou si peu... Quelques semaines plus tard, M. Sapin essayant sans doute de faire rire un parterre d’économistes distingués, proclama benoîtement à contre-pied des discours vengeurs du candidat Hollande, que “ La bonne finance était l’amie du gouvernement”. Faut-il donc comprendre qu’à ses yeux, il y a de bonnes fraudes ?

08 mai 2014

Turgot lumineux (4)

Dans le court essai sobrement qualifié de projet d'article, intitulé Valeurs et monnaies, daté de 1769, Turgot peaufine les principaux concepts qu'il a précédemment forgés. L'épure est d'autant plus convaincante, qu’elle est dénuée de toute rhétorique ou d’effet de style. Seul le raisonnement se déploie, étape par étape et d’évidence en évidence pourrait-on dire, tellement il paraît limpide, jusqu’à atteindre une portée universelle, intemporelle.

Turgot s’emploie tout d’abord à montrer combien est essentielle la détermination de la valeur des choses, qui conditionne pour ainsi dire notre vie. Il montre qu'il s'agit d’une notion éminemment fluctuante, qui s’apprécie en fonction des circonstances et des besoins, et bien souvent par comparaison. Il n’y a en l’occurrence pas de valeur absolue.
Ainsi un sauvage esseulé sur une île déserte fera plus de cas s'il a faim, "d’un morceau de gibier que de la meilleure peau d’ours, mais que sa faim soit satisfaite et qu’il ait froid, ce sera la peau d’ours qui lui deviendra précieuse…”

Quoique le prix qu'on accorde à une chose dépende donc largement du besoin qu'on en éprouve, il est encore plus lié à la difficulté qu'on rencontre à se la procurer. Par exemple, “l’eau malgré sa nécessité et la multitude d’agréments qu’elle procure à l’homme n’est point regardée comme précieuse dans les pays bien arrosés.”
La rareté est donc un autre déterminant de la valeur des choses, tout comme le travail nécessaire à leur production.

Ces préliminaires posés, la vision peut s'élargir. Si dans la même île déserte, deux êtres viennent à se rencontrer, et s'ils ne trouvent pas l'occasion de se battre, ils comprendront sans doute assez vite tout l’intérêt des échanges.
Plutôt que de s’enquérir chacun de son côté des mêmes biens : chasser ou pêcher pour se nourrir, faire des vêtements pour s’habiller, chercher du bois pour se chauffer, il leur apparaîtra tôt ou tard plus efficace de s’échanger ce que chacun aura acquis, en plus du nécessaire. En se spécialisant, ils ne peuvent en effet que s'apercevoir qu’ils gèrent mieux leur temps, mais aussi qu'ils acquièrent de l’habileté, sont mieux à même de développer des compétences ou des techniques, et finalement produisent
plus de biens en se répartissant les tâches, que si chacun devait les accomplir toutes successivement.
Autrement dit, “l’introduction de l’échange entre les deux hommes augmente la richesse de l’un et de l’autre, c’est à dire leur donne une plus grande quantité de jouissances avec les mêmes facultés.”
A l'inverse, si chacun avait exactement de quoi satisfaire ses besoins, il n’y aurait plus ni échange, ni commerce, ni émulation et donc pas de progrès. Ce serait un monde dont l’uniformité tiendrait plus de l’animalité que de l'humanité.

Avec l’accroissement du nombre des individus, les effets de cette mécanique s'amplifient grâce à la diversité des compétences, et surtout de la concurrence qui s'installe entre les individus pour optimiser les échanges et améliorer leur qualité.…
Turgot souligne cependant qu’une des puissantes incitations poussant à échanger des denrées réside dans “la supériorité de la valeur estimative attribuée par l’acquéreur à la chose acquise sur la chose cédée.” En d'autres termes, il faut ressentir davantage de nécessité pour le bien qu'on acquiert que pour celui qu'on cède.
Le plein épanouissement de ce système passe par l'invention de la monnaie, qui facilite l’évaluation des biens et décuple la portée des échanges. Ainsi naît le commerce dont la monnaie est en quelque sorte l’expression naturelle. Celle-ci "a cela de commun avec toutes les espèces de mesures, qu’elle est une sorte de langage qui diffère, chez les différents peuples, en tout ce qui est arbitraire et de convention, mais qui se rapproche et s’identifie, à quelques égards, par ses rapports, à un terme ou étalon commun.”

*****

On ne saurait évoquer le legs intellectuel laissé par Turgot sans citer les lettres sur le commerce des grains qu'il écrivit à celui qui le précéda immédiatement dans la fonction de Contrôleur Général des Finances, l’Abbé Terray.
Ecrites en 1770, elles attestent du génie visionnaire de leur auteur qui préfigura étonnamment l’avènement du capitalisme industriel, en en faisant une description résolument optimiste, aussi solide que les démonstrations éclatantes de Newton en physique. Seulement trois des 7 lettres sont parvenues jusqu’à nous, mais quelle leçon !

Il faut préciser qu'à la fin du règne de louis XV, le pays se trouvait en quasi faillite tant l'Etat était endetté, tant il y avait de pauvreté, et tant le système économique était asphyxié sous une chape de réglementations plus archaïques les unes que les autres. Face à cette misère proliférante, un certain nombre d'idées reçues circulaient, dont l’abbé Terray était un des partisans, qui faisaient de la liberté du commerce une des causes du désordre, car “elle n’était favorable qu’au plus petit nombre des citoyens, indifférent aux cultivateurs et très préjudiciable à l’incomparablement plus grand nombre des sujets du Roi.”
Les mêmes imaginaient qu’il était donc opportun de rogner les revenus des propriétaires terriens par tous les moyens, dont l’augmentation des charges et des impôts. On prônait également l’alourdissement des taxes sur le commerce avec l’étranger.

Complètement à contre courant de la pensée dominante de l'époque,Turgot démontre dans ces missives inspirées que ce genre de politique est non seulement inopérant, mais qu’il ne peut très probablement qu’aggraver la situation.
Il lui paraît absurde notamment de penser qu'en appauvrissant systématiquement les riches, on puisse améliorer le sort des pauvres, et en défendant l'idée inverse, il invente tout simplement le capitalisme moderne.
“L'accroissement de richesses pour la classe des fermiers cultivateurs", écrit-il, "est un avantage immense pour eux et pour l’Etat. Si l’on suppose que l’augmentation réelle du produit des terres soit le sixième du prix des fermages.../... ce sixième accumulé pendant six ans au profit des cultivateurs fait pour eux un capital égal à la somme du revenu des terres affermées. Je dis capital, car le profit des cultivateurs n’est pas dissipé en dépenses de luxe. Si l’on pouvait supposer qu’ils le plaçassent à constitution pour en tirer l’intérêt, ce serait certainement un profit net pour eux, et l’on ne peut nier qu’ils en fussent plus riches ; mais ils ne sont pas si dupes, et ils ont un emploi bien plus lucratif à faire de leur fonds; cet emploi est de le reverser dans leur entreprise de culture, d’en grossir la masse de leurs avances, d’acheter des bestiaux, des instruments aratoires, de forcer les fumiers et les engrais de toute espèce, de planter, de marner les terres, s’ils peuvent obtenir de leurs propriétaires un second bail à cette condition…”

La facilité pour les entrepreneurs d'accumuler des capitaux, loin d'être nuisible à la société, dynamise donc l'industrie et le commerce, conduit à l'augmentation du nombre des marchands, et ce faisant, contribue non pas à augmenter les prix mais à les diminuer.
A contrario, ni les taxes, ni les règlements contraignants "ne produiront un grain de plus", mais ils ne peuvent que brider le marché et empêcher que le grain, surabondant dans un lieu, ne soit porté dans des lieux où il est plus rare.

In fine, il apparaît évident que les intérêts du propriétaire, du cultivateur et du consommateur sont liés et qu'il n’y a donc aucune raison pour que la liberté du commerce profite ou nuise plus aux uns qu’aux autres, ce qui fait s’interroger Turgot : “Qu’imagine-t-on gagner en gênant la liberté ?"

Turgot s'oppose également avec force à la sur-taxation du commerce extérieur ainsi qu'à toute mesure protectionniste.
En premier lieu, il souligne l’importance pour un pays d’avoir une balance commerciale équilibrée car “sans cette égalité de balance, la nation qui ne ferait qu’acheter sans vendre serait bientôt épuisée, et le commerce cesserait.”
Ainsi tombe l'unique argument plaidant pour le protectionnisme, car “Ce n’est que sur l’excès dont l’exportation surpasse l’importation, qu’on peut imaginer de faire porter la portion de l’impôt qu’on voudrait faire payer aux étranger." Dans tous les autres cas, "les propriétaires nationaux resteront toujours chargés de la totalité de l’impôt."
Ainsi, l'idée "de faire contribuer les étrangers aux revenus de l’Etat et de détourner le poids d’une portion des impôts de dessus la tête des propriétaires nationaux.../... n'est qu'une pure illusion", et “tous les efforts que l’ignorance a fait faire aux différentes nations pour rejeter les unes sur les autres une partie du fardeau n’ont-ils abouti qu’à diminuer, au préjudice de toutes, l’étendue générale du commerce, la masse des productions et des jouissances et la somme des revenus de chaque nation.”

Non seulement la vision de Turgot s'inscrit dans une modernité étonnante, mais elle pressent le caractère néfaste de l'étatisation et des nationalisations.
Il commence sa démonstration par une observation de bon sens : "Quand le gouvernement [par ses réglementations et ses impôts et taxes] a détruit le commerce qui l’aurait fait vivre, il faut que le gouvernement s’en charge.../…
Mais lorsque ce dernier se met à la place des entrepreneurs, cela génère de l'inertie, sans pour autant prémunir contre le risque de malversations, "parce qu’il emploie des agents subalternes aussi avides au moins que les négociants, et dont l’avidité n’est pas, comme celle de ces derniers réprimée par la concurrence." Au surplus, "ses achats, ses transports se feront sans économie.../... il ne commencera d’agir qu’au moment du besoin."
A cet égard, il met en garde contre le projet proposé par plusieurs experts, de “former une compagnie qui, au moyen du privilège exclusif d’acheter et de vendre, se serait chargée d’acheter toujours le grain au même prix, et de le donner toujours au peuple au même prix”. Ce système revient à instituer un double monopole : “Monopole à l’achat contre le laboureur, monopole à la vente contre le consommateur.”
En outre et surtout, même en n’employant que des gens dotés d’une “probité angélique” et d’une “intelligence plus qu’angélique” on ne parviendrait qu’à mettre sur pied une machinerie complexe et inefficace: comment garantir un prix constant si plusieurs années de disette se succèdent, et si “par la mauvaise régie, par les fautes et les négligences, par les friponneries de toute espèce attachées à la régie de toute entreprise trop grande et conduite par un nombre trop grand d’hommes, que deviendra la fourniture qu’elle s’est engagée à faire ?.” “Daignez envisager”, s’exclame Turgot, “l’effet qui résulterait de la banqueroute d’une pareille compagnie.”
Par cet avertissement dont l’écho se prolonge jusqu’à l'époque contemporaine, pour ceux qui veulent bien l’entendre, Turgot tente de prévenir l’émergence de trusts publics ou privés, si énormes, que la perspective de leur défaillance peut faire vaciller le système entier. Cette idée est parfaitement résumée par le fameux “too big to fail” anglo-saxon...

En définitive, Turgot s’interroge sur les raisons qui poussent certains à vouloir “s’échiner à produire par les moyens les plus compliqués, les plus dispendieux, les plus susceptibles d’abus de toutes espèce, et les plus exposés à manquer tout à coup.../… ce que le commerce laissé à lui-même doit faire infailliblement, à infiniment moins de frais et sans aucun danger, c’est à dire égaliser autant qu’il est possible les prix du grain dans les bonnes et dans les mauvaises années….”C’est pourquoi il propose à l’abbé Terray, de supprimer tous les droits de minage et de péage existant encore sur les grains, l’abrogation de la maîtrise de boulangers nuisant à une saine concurrence, et en revanche, de promouvoir toute mesure destinée à encourager les meuniers à produire de la bonne mouture et de bonnes farines…

30 avril 2014

Turgot, lumineux (3)

Le chef-d’œuvre impérissable et vraiment novateur de Turgot fut son étude relative à la Formation et distribution des richesses, datée de 1766.
Dans cet ouvrage d'à peine 70 pages, il se révèle le génial précurseur d'une vision libérale pragmatique novatrice, qui sera développée par Adams Smith quelques dix ans plus tard en Angleterre.
Surtout, avec un siècle d'avance sur Marx, il théorise le capitalisme naissant. Mais à l'inverse de ce dernier qui y voyait une machine infernale destinée par essence, à exploiter et asservir l’homme, Turgot en fait le moteur même de l'économie moderne et un formidable instrument de progrès.

Son analyse est particulièrement visionnaire si l'on pense qu'à son époque, la société était régulée de manière tellement rigide que le destin de chaque être humain était quasi prédéterminé en fonction de la position sociale du berceau familial et du rang de naissance dans la fratrie !


Si Turgot s'éleva contre les privilèges liés à la naissance et les rentes de situations, il ne prôna pas pour autant l'égalité, bien au contraire.
Le primum movens de toute économie est pour Turgot, comme pour les physiocrates, situé dans les ressources tirées de la terre : “Le laboureur peut, absolument parlant, se passer du travail des autres ouvriers, mais aucun ouvrier ne peut travailler si le laboureur ne le fait vivre…”.
Dans le même temps, il affirme qu’une répartition égalitaire des terres est une illusion car force est de reconnaître que celles-ci “ont été cultivées avant d’être partagées.”
De toute manière, même si cela avait été possible, le monde serait désespérément statique puisque tout commerce, tout échange aurait été impossible “dans la supposition d’un partage égal des terres, où chaque homme n’aurait que ce qu’il lui faudrait pour se nourrir.”
Plutôt que de tenter de reconstruire un monde idéal, mais théorique, Turgot se fonde sur la réalité des faits et constate que dans l’histoire de l’humanité, les sources d’inégalités furent nombreuses à se faire jour et sont en définitive consubstantielles au monde. La première relève de l’évidence : “Les premiers propriétaires occupèrent autant de terrain que leurs forces leur permettaient d’en cultiver : plus ils étaient forts ou dotés d’une nombreuse famille plus leur domaine était étendu.” Mais il y a bien d’autres raisons aux inégalités : “Tous les terrains n’avaient pas la même fertilité”, “Les successions remodelèrent les domaines en les agrandissant ou en les divisant”, enfin “L’intelligence, l’aptitude à l’action le courage furent la quatrième source d’inégalité.”

Partant de la mise en valeur de la terre et du commerce de ses produits, Turgot définit les principales classes dont la société est naturellement amenée à se doter.
“En premier lieu quand un cultivateur devient suffisamment riche, il peut cesser de travailler la terre pour se consacrer à la gestion et à d’autres tâches.” Il représente la classe des propriétaires ou encore "classe disponible". Initialement c’est la seule classe détentrice de capitaux et susceptible de rentabiliser une entreprise.
Les propriétaires, grâce au rapport de leurs biens peuvent rémunérer des ouvriers pour travailler, des artisans pour fournir des outils ou d’autres prestations, ces derniers incarnant la classe salariée ou, pour reprendre les termes de Turgot, “stipendiée.” De cette manière, la classe stipendiée, industrieuse, est amenée à se subdiviser en entrepreneurs, capitalistes, artisans et simples ouvriers. Dès lors, le moteur du capitalisme est lancé, rebattant en permanence les cartes du jeu économique dans lequel chacun peut, en fonction de ses aptitudes, de son travail, et d’un peu de chance, créer ou perdre des fortunes.
Turgot fut ainsi le premier économiste à énoncer cet axiome toujours pertinent : "Ce sont les capitaux seuls qui forment et soutiennent les grandes entreprises [d’agriculture]."

Dans le cours de l’histoire, la rémunération accordée par les propriétaires aux stipendiés, prit toutefois des formes variées, pas toujours honorables. Turgot en décrit cinq.
La plus ancienne fut la “culture par des salariés” dans laquelle le propriétaire prenait toute la récolte mais fournissait aux ouvriers les moyens de travailler (outils, semences) et un salaire. La rentabilité n’était pas optimale puisque les ouvriers n’avaient aucun intérêt à produire, et le propriétaire était incité à exercer une tutelle souvent très contraignante. Paradoxalement cette technique ancestrale est resté le substratum de l’économie étatisée nivelée, caractérisant les régimes socialistes...
La seconde technique fut plus calamiteuse encore. Ce fut, selon les propres mots de Turgot, “cette abominable coutume de l’esclavage.”
Alors que la pénurie de main d’oeuvre locale pouvait se faire sentir, tandis que par le biais de la colonisation des populations entières étaient asservies, “des hommes violents ont alors imaginé de contraindre d’autres hommes à travailler pour eux. Ils ont eu des esclaves dont le seul salaire était le gîte et la nourriture.” Inutile de s’appesantir sur le caractère infamant de cette méthode, vouée à disparaître dans toute société de liberté.
Elle laissa la place heureusement, à d’autres systèmes, moins inhumains. La culture par métayage par exemple dans laquelle le métayer gagne une partie de la production, en général la moitié (on disait alors “colon à moitié fruits”). Enfin, la culture par fermage ou louage des terres, lorsque le propriétaire abandonne la totalité des récoltes moyennant rétribution par une rente ou un loyer. C’est en définitive le système qui s’imposa, quoiqu’il ne soit réellement adapté qu’au monde agricole.

Dans la conception économique développée par Turgot, la notion d’échange est fondamentale. Tout ce qui lui fait entrave s'avère anti-naturel et néfaste.
L’échange se réduit en règle au commerce “qui donne à chaque marchandise une valeur courante relativement à chaque autre marchandise.” "Toute marchandise est donc monnaie puisqu’elle mesure et représente toute valeur. Réciproquement toute monnaie est marchandise."
Dans cette logique limpide, les métaux précieux, or et argent, on l’avantage d’avoir une valeur facile à apprécier par leur poids et leur titre, d’être inaltérables et d’être facilement divisible. Grâce à ces qualités, et bien qu’ils n’aient pas d’utilité fondamentale, ils ont toujours eu une valeur intrinsèque.
Il n’y a rien d’étonnant donc à constater que “dès que les hommes ont pu tirer de leurs terres un revenu plus que suffisant pour satisfaire à tous leurs besoins, ils éprouvèrent la nécessité, par prudence ou inquiétude de l’avenir, de convertir ces surplus en matières le moins périssables possible”, d’abord en recourant aux valeurs mobiliaires (meubles, vaisselle, bijoux, maisons, terres, outils, bestiaux…) puis aux métaux-monnaie, devenant capital en soi.

C’est une des grandes forces de Turgot d’avoir compris et décrit comme nul autre, les règles naturelles du commerce. De ce point de vue, certaines de ses remarques conservent une fraîcheur étonnante si ce n’est prémonitoire de nombre de problématiques de la société contemporaine :
“Le détaillant apprend par expérience, par le succès d’essais bornés faits avec précaution, quelle est à peu près la quantité des besoins des consommateurs qu’il est porté à fournir.”
“Le négociant envoie des marchandises du lieu où elles sont à bas prix dans ceux où elles se vendent plus cher.”
“Toutes les branches du commerce roulent sur une masse de capitaux .../… qui ayant été d’abord avancés par les entrepreneurs .../… doivent leur rentrer chaque année avec un profit constant. C’est cette avance et cette rentrée continuelle des capitaux qui constituent ce qu’on doit appeler la circulation de l’argent. Aussi vitale à la vie économique que la circulation du sang pour la vie d’un animal…”
“Si les entrepreneurs cessent de retirer leurs avances avec le profit qu’ils sont en droit d’attendre, il est évident qu’ils seront obligés de diminuer leurs entreprises, que la somme du travail, celle des consommations des fruits de la terre, celle des productions et du revenu, seront d’autant diminuées, que la pauvreté prendra la place de la richesse, et que les simples ouvriers, cessant de trouver de l’emploi, tomberont dans la plus profonde misère.”

Une des contributions essentielles de Turgot à la science économique, fut l’éclairage original qu’il donna à la mécanique du crédit et de l’endettement. Souvent critiqués à son époque, les prêts représentaient selon lui, un mode d’utilisation efficace des capitaux. Dans cette logique écrivait-il, “le prêt à intérêt n’est exactement qu’un commerce dans lequel le prêteur est un homme qui vend l’usage de son argent et l’emprunteur un homme qui l’achète…”
Sa conception libérale s’exprimait à cet égard de manière explicite : “C’est une erreur de croire que l'intérêt de l’argent dans le commerce doive être fixé par les lois des princes. Ce prix est un peu différent suivant le plus ou moins de sûreté qu’a le prêteur de ne pas perdre son capital, mais à sûreté égale, il doit hausser ou baisser à raison de l’abondance et du besoin.../… La Loi ne doit pas plus fixer le taux de l’intérêt de l’argent qu’elle ne doit taxer toutes les autres marchandises qui ont cours dans le commerce.”

Le sujet permet une fois encore de mesurer la profondeur de vue de celui qui n’était alors que l’intendant du Limousin, et qui donna pourtant des clés essentielles pour comprendre les interactions entre épargne et flux monétaires. Pour résumer sa pensée, s’il y a peu d’argent épargné en capital, il y en a plus à circuler et donc sa valeur diminue. En revanche, il y a par voie de conséquence moins d’argent à prêter et sans doute plus d’emprunteurs, donc les taux d’intérêts s’élèvent. 

La proposition inverse est bien entendu tout aussi vraie, ce qui amène à la formule de portée universelle, énonçant que "l’intérêt courant de l’argent est le thermomètre par où l’on peut juger de l’abondance ou de la rareté des capitaux."
Très originale pour son temps, et toujours pleine d’actualité, fut également l'appréciation hiérarchique du risque, en fonction de la nature des investissements de capitaux : “L’argent placé dans des entreprises de culture, de fabrique et de commerce doit rapporter plus que l’intérêt de l’argent prêté, lequel est supérieur à celui de l’argent placé dans l’achats de terres affermées.”

26 avril 2014

Turgot, lumineux (2)

Les Amoureux de la liberté peuvent se consoler de l’injuste discrédit qui frappa Turgot en se plongeant dans les quelques écrits d’une éclatante modernité, qu’il laissa à la postérité.

En premier lieu, le tableau philosophique des progrès successifs de l’esprit humain qu’il proposa sous forme de discours à la Sorbonne en 1750, alors qu’il n’était âgé que de 23 ans.
Il y développe des conceptions pragmatiques empreintes d’humilité assez caractéristiques de la pensée libérale.

Du spectacle de la Nature, il retient cette impression de perpétuel renouvellement, où “le temps ne fait que ramener à chaque instant l’image de ce qu’il a fait disparaître” et par contraste, “la succession des hommes qui offre au contraire, de siècle en siècle, un spectacle toujours varié.”
A l’inverse du credo égalitariste de Rousseau, il fait le constat que “la nature inégale en ses dons a donné à certains esprits une abondance de talents qu’elle a refusée à d’autres…” et y voit la raison profonde de la marche chaotique du monde sur la voie du progrès : “Les circonstances développent les talents ou les laissent enfouis dans l’obscurité; et de la variété infinie de ces circonstances, naît l’inégalité du progrès des nations.”
A contrario, “la barbarie égale tous les hommes”, notamment lorsqu’ils perdent l’ambition de devenir meilleurs, qu’ils ne manifestent plus l’envie de corriger leurs erreurs, ou qu’ils s’abandonnent à leurs vieux démons : “Quel spectacle présente la succession des hommes ! J’y cherche les progrès de l’esprit humain et je n’y vois presque autre chose que l’histoire de ses erreurs. Pourquoi sa marche si sûre dès les premiers pas dans l’étude des mathématiques, est-elle dans tout le reste si chancelante, si sujette à d’égarer ?”
Pire que tout cependant, est l’inclination aux croyances non fondées : “Ce penchant presque invincible à juger de ce qu’on ignore par ce qu’on connaît.../… Ces analogies trompeuses auxquelles la grossièreté des premiers hommes s’abandonnait avec tant d’inconsidération.../… Les égarements monstrueux de l’idolâtrie…”

Au total, une vision réaliste, qui fait de l’être humain l’artisan principal de son destin et le porteur de ses propres espérances, ce qui suppose une aptitude à se remettre en cause et à ne pas préjuger de ses capacités : “parce que l’orgueil se nourrit de l’ignorance, par ce que moins on sait, moins on doute; moins on a découvert moins on voit ce qui reste à découvrir…”

Dans une lettre à Hume datée de 1767, Turgot aborde certains problèmes économiques. Il rejoint le philosophe écossais dans sa définition du prix courant des marchandises, basée selon eux uniquement sur la loi de l'offre et de la demande. Turgot nuance un peu ce point de vue en définissant la notion de “prix fondamental” qui pour une marchandise, est ce que la chose coûte à l'ouvrier, et qui augmente dès que des impôts ou des taxes s’interposent. Ce constat l’amène à déplorer “les inconvénients de l’impôt sur les consommateurs, dont la perception est une atteinte perpétuelle à la liberté des citoyens.” Non sans humour, il détaille ainsi les multiples contraintes et effets pervers engendrés par le fisc : “il faut fouiller aux douanes, entrer dans les maisons pour les droits d’aides et d’excises, sans parler des horreurs de la contrebande, et de la vie des hommes sacrifiés à l’intérêt pécuniaire du fisc : voilà un beau sermon que la législation fait aux voleurs de grand chemin…

23 octobre 2013

Endettement fatal


« L'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde. »
Cette citation de Frédéric Bastiat n'a jamais été aussi criante de vérité qu'aujourd'hui. Tout particulièrement dans le monde occidental où les gouvernements sont arrivés à un niveau d'endettement astronomique, à force de faire croire à leurs citoyens, qu'ils pouvaient subvenir à tous leurs besoins.

L'épisode du shutdown qui a ébranlé l'Amérique et fait couler pas mal d'encre durant quelques jours, illustre cette inconséquence de plus en plus préoccupante. En ce mois d'octobre, la dette accumulée par le gouvernement fédéral des Etats-Unis a dépassé le montant vertigineux des 17.000 milliards de dollars ! Elle représente plus de 100% du PIB de ce pays. Elle a augmenté de près de 70% depuis l'arrivé de Barack Obama au pouvoir en 2008... Yes he could do it !
Jusqu'où ira cette folie exponentielle ? Combien de temps peut-on tenir à ce rythme ?
C'est la question qu'ont posé, pour la troisième fois depuis 2011, les Républicains majoritaires à la Chambre des Représentants, en refusant de relever sans condition, une nouvelle fois le plafond de cet endettement. Ce qu'ils demandent, c'est que l'Etat s'engage à réduire enfin significativement les dépenses publiques, au moment où l'application de la réforme du système de santé voulue par le président américain promet une nouvelle flambée (au moins 1000 milliards de dollars à ce que l'on dit).
Simple question de bon sens évidemment.
Pourtant, les réactions de la plupart des commentateurs furent en la circonstance, proprement sidérantes. Pour les résumer, un article du Monde suffit. Intitulé « Le piteux spectacle de Washington », il ne s'appesantit guère sur le caractère dramatique de la situation de « la plus puissante démocratie du monde », mais sur le fait « qu'un groupe d'élus ultraconservateurs a décidé de barrer la route à une loi instituant une assurance-santé universelle. »

Les auteurs de cette charge lourdement lestée de plomb idéologique, qualifient donc l'attitude des Républicains de « chantage », de « spectacle affligeant », et n'hésitent pas à y voir l'expression des dysfonctionnements criants de la démocratie américaine ! Et pour ces gens incurablement amblyopes, les fameux Tea Party, dont le but est précisément de restaurer les idéaux des Pères Fondateurs de la République Américaine, incarneraient une extrême-droite revancharde et bornée.
Venant de Français, l'accusation pourrait faire rire. Elle traduit hélas une inconscience largement répandue qui fait froid dans le dos.

On a entendu il y a quelques jours à peine, les experts du FMI proposer pour éponger « une fois pour toutes » l'endettement public, l'instauration d'une supertaxe de 10% « sur tous les ménages disposant d'une épargne nette positive ». Comment des gens réputés sérieux peuvent-ils envisager et pire encore, rendre publique une telle hypothèse ? Elle vient tout d'abord contredire de manière flagrante le discours auquel cette institution nous avait habitués, suggérant de modérer la pression fiscale pour doper la confiance et la compétitivité, qui sont selon elle « les clés d'un redémarrage de la croissance ». Surtout, elle n'aurait évidemment aucune chance d'être plus efficace que la multitude d'impôts et contributions existants, puisque la dette nationale représente à ce jour en France, un montant de 30.000 euros par citoyen ! Au surplus, elle n'empêcherait pas dès l'année suivant cette ponction, la reconstitution du gouffre, car à ce jour rien ne semble pouvoir endiguer les dépenses publiques. Pour finir, elle ébranlerait sans doute un des derniers piliers tenant encore debout dans ce monde de gabegie et d'irresponsabilité, tuant définitivement la confiance en l'Etat et provoquant une panique mortelle...

Ruiner une fois pour toutes, tous ceux qui ne le sont pas encore, voilà comment on peut entendre cette proposition incroyable... Tout ça pour tenter de combler les déficits abyssaux d'Etats-Providence devenus pléthoriques, et incapables gérer leur budget. Vont-ils finir par nous entraîner tous dans leur faillite ? Au secours ! Les prédictions d'Ayn Rand sont en train de se réaliser !

09 avril 2013

La folie BITCOIN

Au départ c'est l'initiative en 2009, d'un obscur informaticien japonais, que personne n'a jamais rencontré, et dont on peut même douter de l'existence en tant que personne, puisqu'il se cachait derrière un pseudonyme, avant de disparaître purement et simplement de la circulation quelque mois après avoir mis en oeuvre son invention...

A ce qu'il paraît, son objectif était de créer une monnaie virtuelle, destinée à faciliter les transactions via internet, en s'affranchissant totalement des contraintes bancaires et de tout contrôle, notamment étatique. Pas de trace, pas de taxe, à l'image de l'argent liquide dans le monde « réel » en quelque sorte...

L'unité d'oeuvre est une sorte de jeton numérique, baptisé BITCOIN en référence à la particule élémentaire de l'informatique, le bit, qui ne peut prendre que deux valeurs 0 ou 1, accolé au terme anglo-saxon qualifiant les bonnes vieilles espèces sonnantes et trébuchantes.
Cette monnaie, ne dépendant d'aucune autorité de régulation, elle est générée par un processus des plus opaques, faisant paraît-il appel aux ressources « du réseau », qualifié de « minage », par analogie sans doute avec les chercheurs d'or du far-west.
Chacun, à condition d'être connecté à l'internet participe par le biais de la puissance de calcul de son ordinateur, à l'authentification des transactions et à leur sécurisation, rendant impossible en théorie d'introduire de manière illicite des bitcoins sur le marché. Pour récompense de ce service rendu, chaque « mineur » reçoit quelques bitcoins dans son porte-monnaie électronique.

Et c'est là que les ennuis commencent.
Car, par une étrange idée, les concepteurs du système ont volontairement limité une fois pour toutes, la masse monétaire globale à 21 millions d'unités. De fait, le minage, très productif au début, est devenu au fil du temps, de plus en plus difficile. Là ou un banal micro-ordinateur produisait des dizaines de bitcoins en s'affranchissant de quelques algorithmes, il faut désormais grouper plusieurs processeurs dotés de puissantes cartes graphiques, pour faire tomber quelques nouveaux jetons. Certains n'hésitent pas paraît-il à se constituer en associations de « mineurs », et à dépenser plusieurs dizaines de milliers d'euros pour acquérir une ou plusieurs machines super-puissantes capables de produire la précieuse oseille, qu'ils espèrent à terme, se partager.

Il faut préciser qu'à ce jour, 11 millions de bitcoins auraient déjà été produits, soit plus de la moitié des réserves mondiales totales théoriques ! Il y a fort à parier qu'à ce rythme, la totalité des ordinateurs de la planète suffiront bientôt à peine à faire tomber un malheureux bitcoin...



Pendant ce temps, la spéculation va bon train. Une sorte de frénésie s'est emparée de « la toile » et le jeu en apparence anodin et désintéressé à ses origines, est devenu une vraie chasse au trésor. La production étant loin de satisfaire la demande, la valeur du bitcoin ne cesse de progresser, notamment depuis le début de l'année 2013. L'unité qui ne dépassait pas 10 euros jusqu'en 2012, vient de franchir les 140 euros !
Il s'agit à ce jour d'une spirale infernale, non maîtrisée, qui s'apparente à une sorte de capitalisme débridé, dans sa version la plus sauvage. Autant dire qu'il fera probablement quelques dupes sous peu. Il est en effet fondé sur du pur néant, n'offrant pas la moindre garantie aux imprudents qui s'y adonnent.
Ils devraient pourtant se souvenir de la folie spéculative qui accompagna la tragique histoire de la monnaie de Law. Mais leur a-t-on enseigné cette déconfiture historique à l'école ?

Comme les billets de Law, la valeur du bitcoin n'étant gagée par rien, le risque grandit chaque jour davantage, de voir s'effondrer brutalement le cours, suite au mouvement de panique qui se produira immanquablement lorsqu'un grand nombre d'investisseurs voudront récupérer leur hypothétique mise. Les tout premiers seront peut-être gagnants, mais l'immense majorité de ceux qui auront ne serait-ce que quelques heures de retard seront les dindons de la farce...

Et en définitive, l'objectif initial risque d'être à jamais perdu.
De monnaie d'échange il n'est d'ailleurs déjà plus question. Les seuls échanges à ce jour sont ceux qui consistent à transformer des espèces éprouvées (euros, dollars...) dans cette monnaie de singe.
On cite bien le cas de quelques personnes isolées qui « auraient » échangé leur voiture ou bien leur maison contre des bitcoins, et celui du site de téléchargement MEGA qui accepterait de se faire payer pareillement, mais lorsqu'on connaît le passé affairiste de son fondateur, ce serait plutôt de nature à effrayer !

Quel commerçant avisé accepterait de se faire payer dans une devise aussi volatile, aussi sujette à fluctuation ? Quel intérêt aurait-il à courir de tels risques pour échapper à la tutelle bancaire, alors que les paiements dématérialisés sont devenus courants et de mieux en mieux sécurisés ?
Et comment imaginer qu'une monnaie dont la masse soit par avance aussi irrémédiablement plafonnée, puisse raisonnablement servir de support à des transactions sujettes par définition, à croître ?
En réalité, la fiabilité d'une monnaie réside soit dans sa stabilité comme l'ancien mark allemand, soit dans sa position de référence incontournable comme l'est encore le dollar. Le bitcoin ne répond à aucune de ces conditions.

Et de toute manière, pour l'heure, il faut bien à un moment ou un autre, transformer ses jetons virtuels en espèces un peu plus réelles, soit lorsqu'on les achète, soit surtout lorsqu'on les vend pour en tirer quelque profit. Et donc passer par les bonnes vieilles banques. Et donc laisser une trace indélébile...
Les candides qui espèrent faire fortune en échappant au fisc se mettent donc le doigt dans l'oeil, sauf à espérer que le fameux bitcoin finisse un jour par s'imposer comme référence incontournable. Autant rêver à l'avènement du paradis sur terre...

20 novembre 2012

A quand la fin du sommeil dogmatique ?

A l'heure où l'on apprend que l'agence Moody's dégrade à son tour la note de la France, le récent ouvrage de Nicolas Baverez, "Réveillez-vous !" trouve un nouvel écho, si cela était nécessaire.
Son diagnostic sur la situation de notre pays est tranchant comme une lame. Les saillies aiguës comme des dagues. Et le tableau, sombre comme un abîme...
Nicolas Baverez n'est certes pas un optimiste de nature. La période n'y incite pas de toute manière, et la solidité de son argumentation, la cohérence des analyses impressionnent. Mais il persiste dans le titre de l'ouvrage une once d'espoir, sous conditions. 
Même s'il paraît bien mince au regard du constat quasi désespéré, sur quoi repose-t-il ? Avant tout du bon sens, et du réalisme, ce qui n'exclut pas à certains endroits quelques menues contradictions...


Relativiser la mondialisation
Au rythme où vont les choses, Nicolas Baverez annonce que « La France quittera les dix premières puissances du monde à l'horizon 2030 ». Sans doute cela pourrait paraître excessif. Pourtant, contrairement à ce qu'on entend seriner lorsque est évoqué le modèle social français, rien n'est jamais acquis. L'Argentine figurait parmi les 10 premières puissances économiques du monde dans les années 1930, avant de faire faillite au début des années 2000.
A l'inverse, la Corée était un des pays les plus pauvres de la planète dans les années cinquante. Aujourd'hui sa seule partition du sud, soumise à l'horrible capitalisme, est dans ce peloton de tête !

En définitive, on peut s'étonner de voir la mondialisation si décriée, alors qu'elle lève les blocages, ouvre les frontières et abat les murailles. Elle laisse en somme sa chance à tous. A chacun de s'en saisir.
En attendant le point d'équilibre, on assiste évidemment à un gigantesque et un peu inquiétant tourbillon, un vaste système de vases communicants. Qu'en sortira-t-il ? D'ici 2050 la part de la Chine dans les échanges mondiaux pourrait progresser de 8,2 % 20,2, celle de l'Inde de 2,1% à 9,3%, celle de l'Afrique de 2,6 à 13%, celle de l'Amérique Latine de 7,7 à 7,9% tandis que celle de l'Europe passerait de 25 à 8,6% et celle des Etats-Unis de 26,5 à 10,3%... 
Dans un monde libre, les cartes sont rebattues sans cesse. Rien n'est jamais perdu, rien n'est jamais acquis. Après avoir été détruite par la guerre, divisée par l'impérialisme socialiste, l'Allemagne réunifiée et modernisée au terme d'énormes efforts, assume désormais seule le leadership de l'Europe...


La zone euro en danger
D'une manière générale, le constat fait par Nicolas Baverez dépasse largement le cadre de notre pays. Il concerne l'ensemble européen. Selon lui, « la zone Euro, extrêmement fragilisée, est devenue une menace majeure pour l'économie mondiale. Son éclatement pourrait conduire à une grande dépression, comparable à celle des années 1930. »
Plusieurs nations sont au bord du gouffre à l'heure actuelle, mais la France s'en rapproche dangereusement, et pourrait-on dire inéluctablement, eu égard à l'insouciance apparente des politiques menées par les dirigeants. En la matière, ils se suivent et se ressemblent...

La sottise des rengaines anti-capitalistes
Le fond du problème est que « La France et les Français se mentent à eux-mêmes ». Qu'elles soient de droite ou de gauche, les stratégies mises en œuvre par les Pouvoirs Publics, communient dans un même credo anti-libéral et anti-capitaliste: « A force de s'enivrer d'antilibéralisme, la France a perdu le goût et le sens de la liberté. La devise de la République a été pervertie. La liberté, que la France a contribué à inventer en 1789 est dénoncée comme contraire à l'égalité et ne cesse d'être laminée par l'étatisme. » Au plan de la politique économique, ce n'est pas mieux : « convertie au modèle du tax and spend qui a ruiné la Suède dans les années 80, elle s'achemine vers une faillite de grande ampleur. »
Face aux enjeux majeurs auxquels est confronté le pays, « La campagne présidentielle de 2012 n'a produit ni idée nouvelles, ni stratégie de sortie de crise ». Or en démocratie, on a les dirigeants qu'on mérite. C'est au peuple français dans son ensemble, que revient la faute « d'avoir congédié le réel pour mieux s'enfermer dans l'utopie et les mythes du passé »

Les médias y participent largement en colportant complaisamment des niaiseries qui semblent faire hélas consensus. On trouve dans l'ouvrage quelques exemple de cette désinformation plus ou moins consciente.
On nous dit souvent que les grandes entreprises, coupables de faire d'énormes bénéfices et de choyer leurs actionnaires, ne paieraient pas, ou quasi, d'impôts. Or, « en 2011, les groupes du CAC40 ont versé 40 milliards d'euros d'impôts contre 36 milliards de dividendes ! »
Combien de fois entend-on le couplet rabâchant que dans le monde cruel du capitalisme, les pauvres ne cessent de s'appauvrir tandis que les riches continuent de s'enrichir. Un seul exemple met à mal cette antienne fumeuse : « La Chine représente le quart de la croissance mondiale et a vu le niveau de vie de sa population passer de 278 à 6200 dollars par habitant depuis 1980. »
Mais comment faire sortir de leur surdité ceux qui ne veulent pas entendre et qui cherchent par pure idéologie, «à ranimer la lutte des classes.../... et miment les très riches heures des révolutions passées en s'inventant de nouveaux aristocrates à pendre à leurs lanternes ?»


L'ombre d'un doute
Le propos de Nicolas Baverez n'est toutefois pas exempt de cette curieuse tendance à la rétractation, lorsqu'il s'agit de plaider pour le modèle libéral, capitaliste. Il y comme une réticence à affirmer les thèses.
Alors que l'essentiel du discours consiste à flétrir l'Etat-Providence, notamment dans sa tendance à la bureaucratie et à la réglementation à tout va, l'auteur ne peut s'empêcher de fustiger dans le même temps « les mythes de l'auto-régulation du capitalisme, de la toute puissance des marchés... »
Au sujet des Etats-Unis, il s'attaque principalement à la « politique néo-conservatiste » qui aux yeux de quantité d'observateurs incarne justement le modèle capitaliste, et qui selon lui, aurait « sapé leur puissance au fil de 2 longs conflits enlisés, affaibli leur économie, miné la confiance des citoyens dans la Constitution et déligitimé leur leadership ». outre la contradiction, c'est faire peu de cas du mouvement des Tea Parties, réclamant justement le retour à l'esprit des Pères Fondateurs de cette constitution.


Perspectives
A la fin de son ouvrage, Nicolas Baverez esquisse quelques perspectives d'actions susceptibles d'inverser la tendance qu'il déplore. Il les décline selon trois axes qu'il qualifie de pactes.
Au titre du pacte productif, il réaffirme la nécessité pour la France de « faire le choix du capitalisme, car l'entreprise est la clé de la croissance, de l'emploi et de l'innovation, et donc de la puissance de l'Etat et de la souveraineté de la nation » Au passage, il enterre « le schéma keynésien d'une croissance tirée par des dépenses publiques financées par la dette »
Il insiste sur l'importance qu'il y a de maîtriser le coût du travail, donc de limiter le poids des charges sociales qui le plombe. Il considère notamment que le financement des allocations devrait relever de l'impôt (TVA ou CSG) et non des charges pesant sur l'entreprise. Le hic est qu'il ne s'appesantit guère sur l'accroissement des impôts que cela impliquerait pour les citoyens. Il n'y a pas non plus de réelle réflexion sur la nature de ces charges ni sur l'utilité réelle de ce qu'elle couvrent.

S'agissant du pacte social, où cet aspect des choses pourrait être évoqué, Baverez en reste à des principes très généraux. Il s'alarme de la centralisation et de la bureaucratisation extrêmes de l'Education Nationale, il remet même en cause l'autonomie des universités mise en œuvre par Nicolas Sarkozy car il la juge « fictive ». Mais il ne précise pas comment avancer (privatisation?)
S'agissant du système de santé, il en reste à un quasi statu quo : « La santé doit mêler une assurance obligatoire financée par les entreprises et des assurances complémentaires individuelles ». Quel est le changement avec la situation actuelle ? Quid d'une réforme de la Sécurité Sociale ?
Même constat au sujet du système des retraites pour lequel il envisage de manière évasive «une part obligatoire financée par les charges sur les salaires, et une retraite par point »
Enfin, il regrette la balkanisation de la société (5,2 millions d'immigrés et l'éclosion des cimmunautarismes : un défi qu'il juge comparable à la réunification allemande), mais il n'est pas très précis lorsqu'il s'agit de repenser les politiques de solidarité...

Enfin, le pacte citoyen et le pacte européen n'apparaissent pas beaucoup plus décisifs.
L'auteur insiste sur le rôle essentiel du citoyen, en prenant les exemples de la mobilisation de la nation allemande lors de la réunification, ou du peuple japonais après la catastrophe de Fukushima.
Mais lorsqu'il s'agit de la mise en œuvre, ce sont soit des mesures ponctuelles abruptes, soit des principes dénués de logique pratique. Il faut dire que la tâche est immense vu l'interprétation très particulière, presque intégralement étatisée, qu'ont les Français de la responsabilité citoyenne.
Faute de mieux, il propose ainsi en matière d'organisation territoriale, « la suppression des départements » qui à ses yeux « n'est plus une option mais une obligation ». Hélas, il n'inscrit pas cette mesure dans une vision plus générale, qui lui eut donné une vrai sens et une vraie cohérence.
Lorsqu'il en arrive à l'échelon européen, bien qu'il alerte sur le danger et le paradoxe d'une déconstruction de l'union européenne, il se borne à nous redire que « l'euro est confronté au choix entre le fédéralisme et l'éclatement .» Le sujet aurait pourtant mérité de plus amples développements...
J'ai noté à cette occasion, deux autres exemples du syndrome de Pénélope, consistant à défaire la nuit ce qu'on tisse le jour. Mais autant il est aisé de comprendre ce qui poussait l'épouse d'Ulysse, autant il paraît difficile de suivre ceux qui se livrent à l'exercice lorsqu'il s'agit de démonstration intellectuelle.
Ainsi Nicolas Baverez, qui fustige le caractère massif des prélèvements obligatoires, accepte tout à coup en matière de fiscalité « des niveaux confiscatoires », à condition « que la situation soit provisoire et que la totalité des nouveaux prélèvements soit affectée au désendettement. » Serait-il naïf ou bien inconséquent ?
Autre incongruité, il revendique « une conception de la liberté modérée et pluraliste, mais qui soit différente du modèle américain, régulièrement menacé par la démesure ». Encore faudrait-il qu'il précise comment on peut concilier la modération et le pluralisme, en quoi la liberté qui règne en Amérique s'apparente à de la démesure, et en quoi cette démesure est néfaste...

En bref, si un ardent défenseur du libéralisme peut rester un peu sur sa faim, il n'empêche que cet ouvrage qui se veut davantage analyse que pamphlet, a de quoi ébranler. Et à défaut de proposer des solutions très concrètes, il suggère qu'on se tourne enfin vers d'autres perspectives que celles éculées, suivies depuis des décennies. De ce point de vue, le propos relève plus de l'optimisme que du désespoir. Son titre le dit mieux qu'un long discours. Rien n'est sans doute définitivement perdu mais le temps presse !
Parmi les citations qui viennent le plus naturellement à l'appui de la thèse, qu'il soit permis de terminer avec celle de Benjamin Franklin, recommandant à qui veut l'entendre, de ne pas galvauder la liberté et qui reste parfaitement d'actualité :« Celui qui sacrifie une liberté essentielle à une sécurité aléatoire et éphémère ne mérite ni la liberté, ni la sécurité... » Espérons qu'elle ne résonne pas comme un glas étant donné l'état des mentalités.

29 août 2012

Une politique de Gribouille

La récente initiative gouvernementale visant à diminuer à la pompe le prix des carburants, révèle une fois de plus l'incroyable naïveté des Socialistes et apparentés vis à vis des rouages élémentaires de l'économie.
Entre autres lubies, leur soumission intellectuelle à l'idéologie leur fait refuser obstinément d'admettre la loi qui régit en matière d'échanges commerciaux, l'offre et la demande.
Celle-ci conditionne pourtant comme une évidence, les prix des denrées : plus le rapport offre/demande croit, plus les prix baissent et réciproquement.

La perversion du raisonnement en la circonstance, n'est pas tant de vouloir contrecarrer les effets d'une loi naturelle, que d'en nier tout simplement les effets.
Il faut rappeler que la volonté affichée de François Hollande, lorsqu'il n'était que candidat à l'élection présidentielle, était de bloquer purement et simplement les prix des carburants !
Autant décréter le calendrier des jours de pluie, tant qu'on imagine avoir de l'influence sur la cause d'un phénomène, en agissant sur ses conséquences...

Le prix du pétrole augmente à mesure que la demande mondiale s'intensifie, et personne n'y peut rien puisque la ressource est comme chacun sait, comptée.
En période de pénurie relative, s'il était possible d'imposer la stabilité des prix, on ne parviendrait qu'à accélérer le mécanisme conduisant à la carence de la ressource, en supprimant l'auto-régulation naturelle.
La suggestion que vient de faire M. Moscovici, consistant à augmenter la production, donc l'offre, est tout aussi fallacieuse puisqu'elle ne peut qu'aboutir au même résultat : épuiser plus vite la ressource.

La valeur d'un bien, c'est à dire de quelque chose pour lequel on éprouve un besoin, ne vient que de la conjonction de sa rareté ressentie et du travail nécessaire à sa production. Ainsi la lumière du soleil, si précieuse en soi, n'a aucune valeur marchande dans la mesure ou chacun peut en bénéficier sans effort et sans limite. Il en est de même de l'air qu'on respire, indispensable à la vie.
Frédéric Bastiat (1801-1850) s'amusait en son temps de la concurrence qu'imposait l'astre solaire aux fabricants de lampes, bougies et autres luminaires, et proposait par une pétition hilarante, de décréter durant le jour, la fermeture obligatoire de toutes les portes, fenêtres et ouvertures afin de relancer le commerce...
A l'inverse, on attache à l'or, dont l'utilité pratique au quotidien est quasi nulle, un prix considérable car le désir d'en posséder est fort, alors que le métal à l'éclat si envoûtant est rare et demande des efforts pour être extrait de la roche dans laquelle il sommeille...

Lorsqu'il faut prendre des décisions, la réalité s'impose tôt ou tard à soi et conduit souvent à des révisions déchirantes. La promesse du candidat devenu chef de l'Etat, évidemment s'est évanouie, au grand dam des dadais qui la prenaient pour argent comptant. Il ne reste plus qu'une misérable pondération des taxes de 3 petits centimes cherchant à faire croire qu'on agit malgré tout (plus une contribution équivalente imposée aux distributeurs).
Outre son efficacité homéopathique, le ridicule de cette mesure réside avant tout dans le fait qu'elle n'affiche aucun objectif pragmatique. Elle aurait pu s'inscrire, à condition d'être un peu plus volontariste, dans un programme visant à favoriser l'industrie automobile, ou bien dans celui tendant à redonner du pouvoir d'achat au peuple ou de la croissance au PIB. Mais que nenni, connaissant la propension de ce gouvernement à augmenter par ailleurs les impôts, taxes et prélèvements.
Comment fera-t-il donc si la flambée des prix se poursuit ? Va-t-il poursuivre la baisse des taxes sur les produits pétroliers, au risque d’accroître le déficit, donc de devoir lever de nouveaux impôts compensatoires ? Le résultat risque de ressembler à la tête à Toto...

05 janvier 2012

Happy New Year Mr Taxman !

Ainsi le Chef de l'Etat pour ses vœux à la Nation s'est fait plus déterminé dans l'action et plus protecteur en matière sociale que jamais.
Soulignant à maintes reprises la gravité « inouïe » de la crise, il a repris l'antienne bien éprouvée consistant à en rejeter la faute sur nombre d'acteurs, mais jamais sur l'Etat ! Selon lui, « elle sanctionne trente années de désordre planétaire dans l'économie, le commerce, la finance, la monnaie... », mais apparemment pas l'abyssal endettement public !
Avec un brin d'autosatisfaction, il affirma même benoîtement que son gouvernement avait fait ce qu'il fallait pour apurer les finances publiques et donc, que le problème actuel n'était pas de proposer « un nouveau train de réduction des dépenses ».

En revanche, il a annoncé au titre de la relance de l'emploi et de la croissance,  une déferlante de nouveaux impôts, et de nouvelles taxes, tous mieux intentionnés les uns que les autres...
Rien de bien nouveau en somme.
La fameuse TVA sociale apparaît en filigrane de son discours, au chapitre des mesures destinées à «alléger la pression sur le travail et à faire contribuer financièrement les importations qui font concurrence à nos produits avec de la main d’œuvre à bon marché». Et de manière plus explicite, est réaffirmée sa détermination à mettre en place la fameuse taxe sur les transactions censée « faire participer la finance à la réparation des dégâts qu'elle a provoqués ».

Décidément les politiciens, quelque soit leur tendance politique, semblent toujours aussi enclins à se délester de leurs responsabilités et  de moins en moins aptes à laisser courir leur imagination en dehors du consensus lénifiant mais frelaté et cloisonné des idées reçues. Surtout, la ponction du contribuable, reste à l'évidence leur thérapeutique préférée...
Par quelle magie, dans un pays endetté jusqu'au cou et croulant sous les prélèvements obligatoires, des taxes supplémentaires pourraient libérer les forces vives de la nation et doper l'emploi et la croissance ?
Comment peut-on laisser entendre que l'Etat soit parvenu à enrayer ses dépenses, à l'heure où le déficit budgétaire prévu pour 2011 reste proche de 6% du PIB ! Au moment où l'on apprend qu'il faudra emprunter 180 milliards d'euros pour tenter de boucler le budget 2012 !               

Quant à cette inénarrable TVA sociale, par quel sortilège serait-elle en mesure de combler les folles espérances qu'on place en elle ? Qui peut imaginer qu'il suffise d'ajouter le mot « social » pour transformer une taxe en panacée ?
Une chose est sûre, elle commencera par s'ajouter aux prix des biens que devront débourser les consommateurs-contribuables. On fait bien miroiter une baisse concomitante des charges sociales sur les entreprises implantées en France, mais comment être certain que cet allègement sera effectif et automatiquement traduit en baisse des prix, hors taxes. Qui dit que les syndicats n'argueront pas de ce « cadeau fiscal » fait aux entreprises pour exiger des hausses salariales et donc engendrer de l'inflation ?
Ce dispositif de vase communicant promet de toute manière d'être très compliqué à mettre en oeuvre, rappelant quelque peu l'usine à gaz du bouclier fiscal. A l'instar des gros contribuables expatriés, doutant à juste titre des mérites et de la pérennité de ce dernier, il est assez peu probable que les entreprises prennent le risque de rapatrier beaucoup d'emplois délocalisés. Surtout en sachant que les Socialistes, opposés à la mesure pourraient l'abroger, et qu'ils lorgnent sur une augmentation de la CSG, et quantité d'autres prélèvements...
L'accroissement de la compétitivité des produits français sur le marché international paraît lui aussi illusoire, car il n'est pas démontré que la faiblesse de nos exportations tienne principalement aux prix des biens. L'exemple de l'Allemagne, et la bonne santé de l'industrie du luxe prouveraient plutôt le contraire...
En revanche, la hausse de la TVA frappera de plein fouet les produits fabriqués à l'étranger, qui seront quant à eux plus chers, diminuant d'autant le pouvoir d'achat de marchandises courantes, pour lesquelles il n'existe guère d'alternative sur le marché intérieur.

Au total cette TVA sociale reste avant tout une taxe, avec tous ses vices. Ni au Danemark, ni en Allemagne où elle a été plus ou moins expérimentée, ses résultats ne furent probants, notamment en terme d'emploi. S'agissant de l'Allemagne, il faut se souvenir au surplus, que même après une hausse conséquente, la TVA est restée à un taux inférieur au nôtre (19% vs 19,6%). On peut également rappeler que la dernière hausse de la TVA en France date de 1995, juste après l'élection de Jacques Chirac, qui avait fait une bonne partie de sa campagne sur le slogan « Trop d'impôts tue l'impôt ». A l'époque, il avait toutefois « promis » que cette hausse serait temporaire. Seize ans après on attend toujours...

Comme le chantaient les Beatles qui dans les années soixante, après avoir fait fortune, découvraient les bienfaits de l'impôt :
If you drive a car I'll tax the street
Si tu conduis une voiture je taxe la rue
If you try to sit I'll tax your seat
Si tu essaies de t'asseoir je taxe ta chaise
If you get too cold I'll tax the heat
Si tu as trop froid je taxe ton chauffage
If you take a walk I'll tax your feet
Si tu marches je taxe tes pieds...

Bonne Année !