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14 janvier 2009

Blue Angel

Dans la morosité d'une époque blasée, épuisée de confort matériel et jamais contente, il y a encore des petits gars qui se démènent et qui croient qu'on peut atteindre l'extase à force d'effort et de foi. John Mayer est de ceux là. Quand sa bouche tordue par un rictus pathétique mâche le blues (my stupid mouth...), et que ses doigts extirpent de la guitare avec une intense gravité (gravity...) des bends déchirants, le public se sent manifestement parcouru de bonnes vibrations. Et lorsque son regard d'ange languissant s'envole vers les hautes sphères, c'est comme si la foule était sous le charme d'une indicible incantation (belief).

Ce jeune homme, à peine trentenaire a déjà une respectable carrière derrière lui. Trois magnifiques albums en studio et une belle palette de sonorités. Se réclamant par sa musique, d'augustes défunts tels Stevie Ray Vaughan et Jimi Hendrix, mais fils spirituel du bien vivant Eric Clapton, il tient assurément des trois.

Très à l'aise en solo avec une simple guitare acoustique, il s'épanouit avec la même apparente et indécente facilité en trio, ou bien encore au sein de jams plus étoffées. Compositeur original il est l'auteur de quelques chansons empreintes d'une touche personnelle très émouvante. Il paraît totalement sincère et d'un naturel confondant, bien en phase avec l'idéal rustique et illuminé du Blues. Si simple et candide est-il sans doute, qu'il a cru bon de se faire tatouer pour se donner une allure, de grosses inscriptions poissardes sur les bras...

Mais la musique est son milieu naturel. Il s'y pâme avec délectation. Il sait merveilleusement jouer de sa voix suave, un rien éraillée, pour faire naître l'émotion, et son toucher de corde est quasi divin. Chaque note, attaquée avec une tranquille certitude, laisse dans l'oreille de subtiles rémanences qui s'évanouissent lentement à la manière d'un délicieux goût de reviens-y...

John Mayer en CD : Room for squares (2001), Heavier Things (2003), Continuum (2008) et un superbe DVD/BluRay enregistré fin 2007 à Los Angeles : Where The Light is.

02 octobre 2008

When you got a good friend


Ce joli titre d'une chanson de Robert Johnson (1911-1938), donne à merveille à mon sens, la mesure de ce que représente dans le coeur de beaucoup d'amoureux du Blues, un musicien hors norme, d'une sensibilité exceptionnelle : Peter Green.

Natif de Londres, en 1946 pour être précis, il pinça ses premières cordes auprès de John Mayall, notamment au sein de son mythique groupe The Bluesbreakers. Sorti brillamment de cette excellente école, il fut le guitariste fondateur et compositeur de Fleetwood Mac à la fin des années soixante. On lui doit notamment les superbes Albatross et Black Magic Woman.
Mais, anti-star caractérisée, il ne supporta pas le succès fulgurant du groupe et sombra dans une sorte de terrible dépression arrosée de quantité de substances toxiques. Cette affreuse descente aux enfers le maintint hors des sunlights pendant de longues années. Alors qu'il errait dans un état second, Il fut en quelque sorte repêché par une bande de copains, musiciens chevronnés et amateurs invétérés de Blues. Bien décidés à le remettre en selle, ils formèrent autour de lui en 1996 le Splinter Group. Le résultat fut d'emblée éblouissant, donnant naissance à de merveilleux enregistrements, une ribambelle de nouvelles compositions, et une nouvelle vie sur la route des salles de concerts à travers le monde.


Peter Green est un remarquable représentant du blues anglais, courant très original, illustré par une pléiade de grands noms (qui outre Mayall, compte Mick Taylor, Eric Clapton, Alvin Lee, Jeff Beck et dans une certaine mesure Rory Gallagher, Gary Moore, Jimmy Page...) Comme beaucoup de ses compatriotes, il fut toutefois saisi par le charme ensorcelé des chansons de Robert Johnson.
Grâce à son jeu fluide, un peu décalé, superbement mélodique, et à la douceur nostalgique de sa voix écorchée, il parvient à donner une intonation sublime à cette musique au charme rustique mais à l'inspiration céleste.

L'histoire de cet artiste à nul autre pareil, est donc celle d'une chaude amitié. Celle avant tout qui le lie à travers l'éternité au grand pionnier du Delta, et lui fit consacrer un vibrant hommage en 1998 sous forme d'un CD avec le Splinter Group : The Robert Johnson Songbook, et un autre deux ans plus tard : Hot Foot Powder.
Bien sûr Peter Green revient de loin. Il est marqué, et sa voix est parfois un brin chevrotante. Mais ça fait vraiment chaud au coeur de voir sa bonne bouille ronde s'illuminer de joie lorsqu'il joue avec ses amis (dans un superbe DVD tiré de sa tournée 2003). En acoustique aussi bien qu'en électrique, on est littéralement sous le charme. Ses interventions à la guitare gardent un feeling incomparable et lorsqu'il chante on est envahi par l'émotion, malgré ou peut-être à cause du timbre usé de sa voix et de sa diction hésitante. De toute manière, Nigel Watson, qui lui prodigue manifestement une affection gigantesque, se révèle à ses côtés, un guitariste hors pair doublé d'un chanteur exceptionnel. Enfin Roger Cotton au piano et la section rythmique parfaitement réglée (Neil Murray, basse, Larry Tolfree batterie), complètent admirablement cet ensemble très homogène.

De vrais petits bijoux, à posséder si l'on est amateur de travail bien fait et d'émotion. Et qui donnent un deuxième sens à l'amitié : celui du lien mystérieux entre cet archange du blues et tous ceux qui éprouvent parfois la dureté de la vie et qui trouvent auprès de lui une intense et chaude consolation...

When you got a good friend, that will stay right by your side
When you got a good friend, that will stay right by your side

Give her all of your spare time, love and treat her right


I mistreated my baby, but I can’t see no reason why
I mistreated my baby, but I can’t see no reason why
Anytime I think about it, I just wring my hands and cry

Wonder, could I bear apologize, or would she sympathize with me
Mmm, or would she sympathize with me
She's a brownskin woman, just as sweet as a girlfriend can be

Mmm, baby I may be right or wrong
Tell me your feeling, I may be right or wrong
Watch your close friend, baby, then you enemies can't do you no harm

When you got a good friend that will stay right by your side
When you got a good friend that will stay right by your side
Give her all of your spare time, love and treat her right.....

17 septembre 2008

A sad gig in the sky

Avec cette variation sur le titre d'une des somptueuses compositions de Richard Wright (1943-2008), pianiste et organiste émérite du groupe Pink Floyd, s'évanouit en souvenirs émus un peu de cette musique qui traversa en l'illuminant, la fin du XXè siècle. En d'autres termes, avec la disparition de cet artiste discret, charmant et talentueux, c'est encore un pan des sixties qui s'écroule. Avec le temps tout s'en va... Bien qu'il ait souvent joué ces dernières années avec son cher ami David Gilmour, et même une fois ou deux avec tous ses camarades de la grande époque, les derniers grands concerts et le dernier album du groupe datent de 1994. Dans cette fameuse ambiance d'extase flottante, bleue, rouge et multicolore, traversée de lasers tranchants comme des rayons émanant de diamants utopiques, l'esprit s'égare et s'imagine en bateau ivre, échappé du temps, mais sillonnant sereinement une mer de raison. Et après les réminiscences de Rimbaud, on songe en définitive aux mots de Baudelaire : « là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe calme et volupté »...

26 juillet 2008

Rêveries estivales


Le bleu du ciel est zébré de grandes trainées blanches laissées par le sillage des avions. Signe des temps. La civilisation technique a même envahi l'univers immaculé des airs. Pourtant sa marque est des plus délébiles...
Au dessous, le paysage par contraste, semble inchangé depuis des siècles. La nature est paisiblement assoupie dans la chaleur de l'été. Les vaches paissent comme si elles faisaient partie d'un tableau de Constable. Le Monde s'agite certes, mais très loin, si loin qu'on peut en douter.
Dans ces moments de détente j'ai parfois l'esprit qui se met à flotter. Il vibre doucement dans la moiteur de l'air, au gré du vol aléatoire des papillons et du crissement chaud des grillons.
En fin de journée, avant que l'horizon figurant la proue d'un immense navire, vienne en montant, cueillir doucement le soleil, je me laisse gagner par un délicieux songe hypnotique. Ce jour mourant, irradiant toute chose de ses rayons couchés, suggère mille réflexions insaisissables sur le sens de la vie.
Je me demande en premier lieu pourquoi l'Homme serait le seul assujetti à la Logique dans un monde qui en serait totalement dénué ? Comment aurait-il seul le privilège d'avoir un sens si tout autour de lui rien n'en a ?
Car l'Humanité a un sens c'est certain, tous ses représentants, même les simples d'esprit et les fous en sont persuadés. Seuls les anarchistes les plus fanatiques et les athées les plus résolus prétendent le contraire. Encore faut-il souligner qu'ils mettent en général un grand empressement à s'inscrire tout entier dans un fatum froidement déterminé, dont le sens irrémédiable et tragique paraît pourtant totalement leur échapper !
Et la preuve que l'Homme est doué de sens, c'est qu'il le sait et le conçoit. Cogito ergo sum. Non seulement cette conscience le touche, mais elle transfigure le Monde autour de lui. En son absence en effet, comment déterminer par exemple, si l'organisation d'une société de fourmis a un sens, puisque personne et pas même elles ne serait à même de le percevoir ?
L'Homme a donc un sens et le confère au Monde.
Et pour preuve que ce qu'on nomme sens, a du sens, c'est qu'il n'y a qu'en s'appuyant dessus que nous faisons de belles et grandes choses. Celles qui nous procurent les plus intenses et durables satisfactions. La plus indicible, la plus empreinte de certitude, est la création d'oeuvres d'art. Car elle ne répond à aucun objectif pragmatique, n'a aucune utilité évidente, mais possède un sens immanent. Je suis même enclin à penser que celui-ci est d'autant plus prégnant qu'il émane de sociétés qui en sont elles-mêmes largement pourvues... Autrement dit, une société incapable de production artistique digne de ce nom, a-t-elle encore un sens ?

A propos de sens de l'Art, une des meilleures illustrations en est la musique de Jean-Sébastien Bach. Après avoir savouré l'excellent DVD que l'Ostrogoth du violon Nigel Kennedy lui a consacré, j'en suis plus que jamais convaincu. Bach est universel, et quelque soit l'angle sous lequel on le considère il est empli de signification. Dans ce disque Nigel Kennedy confirme que sous ses aspects savamment débraillé et fantasque, il est un violoniste hors pair, tout en nuances et en finesse. Au delà des merveilleux concertos, j'ai été submergé par l'infinie tendresse des inventions à deux voix, qu'il a transcrites avec la violoncelliste Juliet Welchman et dont il interprète quelques extraits.
Nigel Kennedy fait beaucoup pour pérenniser dans notre civilisation technique la musique de Bach. Qu'il en soit remercié car rien ne serait plus inquiétant pour une société humaine, qu'un lent désintérêt pour ce qui a tant de sens...

17 juin 2008

De l'enfer au paradis avec le Blues

Dans deux mois cela fera vingt ans que Roy Buchanan aura quitté ce monde. Aujourd'hui un DVD ressuscite quelques instants de sa vie, filmés le 15 novembre 1976 au cours d'un concert à Austin, Texas. Occasion quasi unique de s'imprégner de la musique de cet extra-terrestre de la guitare de blues.

Avec son air d'aimable plouc rêveur, il n'avait pas son pareil pour se délester sans en avoir l'air, d'incroyables lignes mélodiques, mélange de bends montant jusqu'au ciel comme des gémissements idéals, et d'harmoniques stridulantes déchirant avec délectation les tripes, le tout dans un style aérien, foisonnant de frénétiques "chicken pickin" .
Dans sa fabuleuse reprise de Hey Joe, même après avoir entendu Jimi Hendrix, on ne peut qu'être subjugué par les sublimes envolées suraiguës, ponctuées de brutales descentes en vibrato, au sein desquelles il place quelques mots à peine chuchotés, sortis en ruminant de sa barbe nonchalante.

Hélas, il ne resta pas longtemps au meilleur de sa forme. L'alcool, les frustrations, la pression médiatique et commerciale instillèrent progressivement en lui un poison mortel, qui l'usa prématurément.
Il galvauda souvent son talent, erra dans d'obscures et sordides impasses, ternissant parfois même sa nature de gentil garçon.
Au cours d'une soirée trop arrosée, un peu trop d'excitation, et il finit au poste de police, en cellule de dégrisement. C'est là que le 14 août 1988, à l'issue d'un raptus inopiné, profitant d'un moment d'inattention de ses geôliers, il se pendit avec sa chemise... Il avait à peine 49 ans.

A porter à son crédit, il reste quelques bribes du Paradis qu'il crut peut-être entrevoir par instants.
Avec ces images ressurgies du passé, on pourrait presque les palper au bout de ses doigts, le long des cordes torturées de sa guitare : Roy's Bluz, Sweet Dreams, The Messiah...

28 mai 2008

Smooth Operator

De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare... Et dans le silence de la nuit profonde, les notes s'égrènent en chantant avec une douceur veloutée.
Comme une neige imperceptiblement parfumée, tombant moelleusement sur les grands arbres de Central Park, comme le bruit chuinté de patineurs qui s'élancent sur la glace en cabrioles joyeuses...
Mais dans la nuit, le jazz qui enrobe en réchauffant les âmes esseulées, s'évapore trop vite, avec les volutes suaves des fumées de cigarettes.
Maudite fumée qui sans doute causa la mort du musicien, foudroyé par une crise cardiaque à 45 ans.
Sa vie s'apparente à une trajectoire éphémère mais étincelante, qui cache dans sa clarté un nombre infini d'heures de travail, une énergie incroyable, pour donner le meilleur de lui-même, pour parvenir à capter et domestiquer cette grâce fragile et, last but not least, pour donner à sa famille un statut enviable...
Wes Montgomery (1923-1968) fut un autodidacte de génie, enragé de musique, qui transforma la médiocre banalité du destin auquel il paraissait condamné, en un parcours illuminé. Pendant des années, pour devenir un nouveau Charlie Christian, et surtout pour faire vivre sa femme et ses huit enfants, il cumula travail à l'usine 8 heures par jour, entrainement infatigable sur les cordes, et en plus, les prestations musicales, excitantes mais harassantes, en clubs et cabarets, de la soirée jusqu'à l'aube.

Il occupe toutefois une place de choix dans la nébuleuse noire et bleue du swing.
Inventeur paraît-il du Smooth Jazz, on retient avant tout son jeu inimitable au pouce, faisant voltiger avec une ineffable légèreté, les octaves et les accords feutrés, qui forment comme le contrepied sublime des épreuves de la vie, endurées avec une admirable et secrète détermination. Et toujours
, comme le fait remarquer Pat Metheny, admirateur inconditionnel, avec un sourire empli de gentillesse et de mansuétude...
Captées au cours de l'année 1965, dans l'intimité de répétitions en Hollande, et au cours de deux concerts magiques en Belgique et en Angleterre, ces images sont un vrai régal. S'il ne faut pas attendre ici, une qualité optimale d'enregistrement, l'ensemble est néanmoins très correct, bien restitué à partir de films d'époque.
On bénit les gens qui eurent l'idée géniale d'immortaliser ces instants précieux. Le guitariste, qui reste pour nombre d'amateurs comme l'un des plus fins et distingués de l'histoire du jazz, est au mieux de sa forme, très détendu. Avec des musiciens de rencontre qui l'accompagnent parfaitement, il se déleste de quelques bijoux magnifiques, indémodables, extraits d'un filon idéal : a love affair, twisted blues, full house, west coast blues. A ne manquer sous aucun prétexte.

Attention, d'autres productions semble-t-il de la même veine sont déjà disponibles dans cette collection bien nommée, Jazz Icons (chez Naxos ): Chet Baker, Louis Armstrong, John Coltrane, Count Basie, Duke Ellington, Dave Brubeck... Une avalanche black and white qui risque de faire beaucoup de bien !

28 avril 2008

Let There Be Blues

Moisson de blues pour se donner un peu de vigueur en ce printemps maussade. Du pur jus du Sud tout d'abord avec Smokin' Joe Kubek et Bnois King. A première vue on pourrait se demander ce qui peut bien faire point commun entre ce gros jojo tatoué, à casquette et barbichette blanches et ce petit piaf noir, chapeau et veste de cuir. Eh bien le Texas Blues bien sûr ! Et pas des moindres.
Dès les premiers accords de guitare on est dans le bain. Impossible de résister aux moelleuses cadences qui démarrent au quart de tour, acidulées juste ce qu'il faut par les riffs étincelants de Joe et le chant chaud et stridulant de Bnois. Pas de doute, ces deux là sont nés sous la même étoile.

La ligne rythmique est impeccable, soutenue par Paul Jenkins à la basse et Ralph Powers à la batterie, la prise de son quasi parfaite, et l'ambiance détendue en ce 31 décembre 2005, dans un petit club où le public s'enivre de cette musique en dansant, c'est le bonheur... Le titre ne ment pas : my heart's in Texas ! A ne pas louper enfin sur le DVD, en bonus, un excellent morceau en pur « acoustique » : tired of cryin' over you.


Même ambiance chaude et simple dans un club de Chicago en juillet 2005 cette fois, le Rosa's lounge, pour servir de toile de fond aux prouesses de Pierre Lacocque entouré de sa formation très « roots » dénommée Mississipi Heat avec la chanteuse Inetta Visor. Curieux itinéraire que celui de cet harmoniciste, né en Belgique, passé par Israël, la France et l'Allemagne et finalement converti à l'âge de 17 ans et des poussières, au Chicago Blues, et marchant depuis résolument sur les pas de Sonny Boy Williamson. Le moins qu'on puisse dire est qu'il en a parfaitement assimilé l'esprit. Bel exemple des bienfaits du melting pot. Et en l'occurrence belle prestation, magnifiée par la présence de l'excellent guitariste Lurrie Bell.

Le même Lurrie qu'on retrouve en 2006 toujours chez Rosa, à l'occasion de joutes musicales réunissant plus qu'opposant les Bell père et fils. Le premier, Carey, à peine remis d'une fracture du col du fémur, semble porter sur ses épaules quelque peu décaties toute l'histoire du blues, des ténèbres jusqu'à la lumière. Son visage émacié, édenté, meurtri par les années est illuminé par la douce et humble lumière de son regard un peu voilé. Quand il chante et joue de l'harmonica, c'est toute son âme qu'il met à nu. Quant au fiston Lurrie, qui lui donne la réplique à la guitare et au chant, il prend son rôle d'héritier très à coeur. L'ensemble est d'une rusticité de bonne aloi, chaleureuse et authentique.
Le même DVD permet de retrouver les mêmes musiciens, toujours empreints de la même verve et de la même spontanéité, dans le cadre du Buddy Guy's Legends (mention spéciale pour le pianiste très "boogie" Roosevelt Purifoy), et pour finir deux ou trois chansons chantées en duo, dans la maison familiale, devant les enfants mi étonnés, mi émerveillés. Let there be blues, vous dis-je...


25 avril 2008

Let the good times roll


Il y a une semaine à peine, par le plus grand des hasards, je tombai en me baladant dans cette bonne ville de Saintes, sur un disquaire, chez qui j'entrai afin de papillonner quelques instants. Et là je trouvai dans un rayon DVD plutôt modeste, au milieu de quelques banalités, l'enregistrement d'un concert donné en 2004 par le groupe Poco à Nashville Tennessee.
Je décidai d'en faire l'acquisition, un peu dubitatif compte tenu de son prix des plus modérés et de la quasi certitude que j'avais que cette formation avait disparu il y a belle lurette.

Malgré une notoriété assez confidentielle en France, Poco était dans mon souvenir un magnifique groupe, glorieux précurseur en 1968 du genre country rock sur la scène californienne, éclipsé par d'autres comme Eagles, mais de niveau comparable.
Douce et heureuse surprise quelques jours plus tard de voir à l'écran, réunis sur scène, quatre piliers de cette formation légendaire, quelque peu blanchis, mais toujours au meilleur de leur forme : Richie Furay, ancien de Buffalo Springfield, pétillant d'invention, Rusty Young délicat joueur de steel guitar, George Grantham indéfectible batteur, et Paul Cotton, guitariste talentueux et compositeur de subtiles ballades (inoubliable "Ride the country"...) Ne manque que le bassiste Timothy B. Schmit qui officie depuis la fin des seventies avec les Eagles (remplacé sans démérite par Jack Sundrud).

En définitive, ce DVD quasi introuvable en France est une perle. La qualité de l'image, quoique correcte, n'est pas d'une qualité irréprochable en format 4/3, mais la caméra suit les musiciens de manière très intelligente et la prise de son est équilibrée et fort agréable (surtout en version PCM stéréo). Quant au programme, il fait se succéder quelques uns des plus grands standards du groupe à l'écoute desquels on ne peut que se pâmer d'aise (plus une sublime version du "Magnolia" de JJ Cale). Absolument superbe, et trop méconnu hélas.

Il paraît que quelques mois après ce concert, le batteur George Grantham était victime en public d'un accident vasculaire cérébral dont il a encore aujourd'hui bien du mal à se remettre. Mon Dieu que le destin est cruel...

15 février 2008

Back to black


Ange vivant du Jazz, fine fleur du Blues, âme damnée de la Soul, Amy Winehouse est un peu tout cela en même temps.
Faisons le point : elle débarque d'un monde étrange, hallucinée, incertaine comme une comète inattendue, et des vapeurs black and blue flottent autour d'elle comme une aura scintillante.
Quel est ce mystère ? Elle est lumière et pourtant la lumière s'engloutit en elle.
De méchants papillons noirs se collent à sa peau imprimant sur ses bras décharnés, des tatouages bizarres.
Elle promène un peu hâbleuse, une dégaine improbable, à la fois très étudiée et très « laisser faire » : une silhouette efflanquée, presque titubante, enveloppée dans une robe en chiffon d'où sortent deux cannes fuselées, longues comme l'attente des jours heureux.
Ses cheveux sont un torrent dégringolant d'un obscur tumulus, et ses yeux tirés vers ce chignon catastrophique, forment en se prolongeant indéfiniment, des sortes d'hyperboles narquoises, outrancières.
Elle se déhanche sur scène avec une allure étrange, mariant le mauvais goût sublime à une grâce délicieusement obscène.

Mais quand elle se met à chanter, le regard perdu dans le vide, sa voix qui s'élève aiguë et déchirante, chaude comme une braise, agit sur la foule à la manière d'un baume souverain. Back to black. Le charme opère immédiatement, et la mélodie en retombant sur les têtes est comme une pluie brillante dont chacun cherche à s'imprégner goulûment.
Derrière elle, l'orchestre est un velours idéal. Sa rythmique limpide et cuivrée, noyée dans un écrin de couleurs chatoyantes, aplanit toute angoisse et se fond avec le chant pour transformer la souffrance en beauté pure. La réalité s'efface et cette indicible présence devient une évidence obsédante. On ne s'en détache qu'à grand peine.

Pauvre ange, tiendras-tu longtemps en équilibre, ainsi juchée si haut, dans de si périlleuses sphères ? Sauras-tu prolonger ces extases en dominant ton être qui paraît si fragile et instable ?
C'est l'espoir un peu fou qui s'insinue en soi dès que les feux de la rampe s'éteignent et qu'on se retrouve seul et stupide, face à la trivialité du monde...

DVD : Live in London. 2007

04 janvier 2008

Happy Bluesy Year


Puisqu'il faut bien y entrer bon gré mal gré, autant commencer l'année en fanfare.
Foin des analyses torves, sonnant faux, qui se plaisent à décortiquer avec mépris et mauvaise foi le moindre mot d'un discours de voeux présidentiel, je préfère pour ma part , et sans arrière-pensée, la vraie musique.
Avec le Blues inoxydable, c'est tellement plus facile.

Avec Bernard Allison par exemple, digne fils de Luther, c'est tout bon. Energized comme le dit le DVD enregistré en Allemagne en 2005. Le Blues sous ses doigts est vitaminé, ça vous remettrait debout un mort et ça peut décongestionner les naseaux de ceux qui auraient perdu le goût des bonnes choses.
Bon sang ne saurait mentir, l'homme au chapeau noir, orné de têtes de serpents reprend avec vigueur de nombreuses créations de son père. Derrière lui Jassen Wilber à la basse, Andrew Thomas à la batterie et Mike Vlahakis lui procurent un soutien sans faille.
C'est généreux, libre et spontané.


Dans un autre genre, Eric Clapton contribue à populariser cette musique, en organisant régulièrement depuis 1998 et en produisant un grand happening bluesistique à l'appui de sa mission caritative, Antigua, venant en aide aux victimes des addictions. Magnifiques manifestations où se côtoient le gratin du style et les générations montantes. Parmi les grands anciens, en juillet 2007 à Chicago, figuraient B.B. King, Johnny Winter, Willie Nelson, Buddy Guy, Jeff Beck, Hubert Sumlin, Robert Cray et naturellement le maître de cérémonie lui-même. Que d'émotion dans ces jam sessions échevelées, débordant de verve et de bonnes vibrations !

ET dans la jeune classe, chaque année apporte son lot de nouveaux talents. Quel bonheur de savoir le Blues en bonnes mains. Et n'en déplaise à ceux qui croient que la culture anglo-saxonne est à bout de souffle et d'inspiration. Personnellement, je les aime tous, les Robert Randolph, Doyle Bramhall II, Derek Trucks et compagnie, mais j'ai une tendresse toute particulière pour
John Mayer. Ce petit gars à la figure angélique, à la voix de velours légèrement râpé et aux tatouages de Long Rider, possède déjà un toucher de guitare qui s'envole vers les cieux. Bien qu'il chante Gravity, c'est avec une grâce aérienne et irrésistible qu'il subjugue son auditoire.

Et pour finir, après un tel arc-en-ciel, juste un paisible retour aux sources avec Tail Dragger, héritier rocailleux du grand Howling Wolf. Derrière le dépouillement d'une forme sans artifice, s'élève en majesté l'âme des gens de bonne volonté. Sans manière, sans prétention mais avec coeur gros comme le moulin d'une vieille mais rutilante Oldsmobile. My head is bald dit la chanson. Mais sous le crâne usé c'est du pur jus croyez-moi. C'est bon comme le bon pain et bon sang de bonsoir, ça vous donne vraiment envie de continuer sur le bout de chemin qui se profile à l'horizon.... Bonne année !

06 octobre 2007

Se souvenir de si belles nuits...


Ce coffret magnifique c'est en quelque sorte l'apothéose de David Gilmour. Comme un merveilleux et poignant chant du cygne après l'album un peu léthargique de l'année dernière. Avec un titre qui, s'il ne sonne pas tout à fait comme un adieu, exprime une indicible nostalgie : Remember That Night.

Mais si le souffle créatif paraît affaibli, l'artiste heureusement s'avère toujours capable de rassembler des forces incroyables pour livrer la quintessence de son génie musical. On trouve ici parmi nombre de trésors, quelques magistrales interprétations des grandes compositions du Floyd. Notamment une des plus sublimes versions qui soient de Shine On You Crazy Diamond. Avec David Crosby et Graham Nash en forme de choeur s'il vous plaît. Ou encore Comfortably Numb, introduit de manière superbe et déchirante par David Bowie.

Dans cette fameuse ambiance d'extase flottante, bleue, rouge et multicolore, traversée de lasers tranchants comme des rayons issus de diamants utopiques, l'esprit s'égare et s'imagine en bateau ivre, échappé au temps, mais sillonnant sereinement une ineffable mer de raison. Et après les réminiscences de Rimbaud, on songe aux mots de Baudelaire : « là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe calme et volupté ».

Alors oubliées les réserves, au diable les réticences, profitons de ce fabuleux feu d'artifice en espérant qu'il soit suivi d'autres. Et prolongeons le plaisir avec le second DVD rempli de pépites inattendues (Astronomy Domine en studio par exemple...).

Un seul regret toutefois faute de disposer d'un standard haute définition : que le son ne soit pas en DTS qui serait nettement meilleur que le Dolby Digital...

05 septembre 2007

Fine and Mellow

Septembre est là avec ses parfums nostalgiques. Soleil incliné, douceur des jours mais moroses perspectives... Le temps idéal pour le Blues.

Avec un DVD consacré à Billie Holiday je me laisse aller à ce tendre et doux désespoir. (Yet now despair is mild disait Shelley...) Sorti à tout petit prix chez Salt Peanuts, il permet de retrouver Lady Day au travers de quelques sessions envoûtantes. De 1950 à 1959, l'année même de sa disparition, le charme opère pleinement derrière ces images en noir et blanc, incertaines mais si évocatrices. Comment résister à cette voix fragile mais indicible qui dit de manière bouleversante la grandeur tragique de l'existence ? Cette manière poignante de transcender humblement le drame du quotidien : If you treat me right, baby I'll stay home everyday If you treat me right baby I'll stay home night and day...

Comment rester insensible à ces mélodies simples qui glissent comme des larmes chaudes, en apaisant pour le coeur et l'esprit, les peines et l'anxiété ? Et comment ne pas fondre devant ces regards empreints d'une grâce aérienne, qui vous interrogent au delà du temps qui s'écoule.

Pas un commentaire superflu, pas une coupure ne viennent interrompre ces instants ensorcelants. L'émotion est là, à l'état pur.

On retrouve notamment cette session magique, rassemblant autour de la chanteuse une pléiade d'artistes et d'amis particulièrement inspirés et attentionnés. Roy Eldridge, Vic Dickenson, Ben Webster, Gerry Mulligan, Coleman Hawkins et naturellement Lester Young. D'elle et de lui, tous deux si torturés par la vie, tous deux si proches et si loin en même temps, Alain Gerber a dit des mots que je ne peux m'empêcher de répéter ici tant ils sont magnifiques et justes : « trop émerveillés d’être ensemble pour ne pas rester des amants chastes, qui n’enlacent que leurs musiques. Qui se moquent des fêlures dans les ciels de faïence . Et qui font des miracles comme on fait des chansons. »

Pour ceux qui voudraient retrouver un peu de la substance de ce jazz intense et languide, je conseille l'écoute d'un disque de Madeleine Peyroux (Careless Love). Cette jeune Américaine a des inflexions qui ne sont pas sans rappeler celles de la Reine dont elle s'inspire manifestement. Très bien accompagnée, elle parvient à faire beaucoup mieux qu'une imitation. C'est donc vrai, le Blues ne meurt jamais.

26 juillet 2007

Like a rolling stone

Cet été la chaîne intello Arte a décidé de remonter le temps. Elle revient quarante années en arrière et plonge les téléspectateurs au coeur palpitant des années soixante. Dans un flot de vapeurs psychédéliques, ressurgissent les souvenirs éblouis d'une époque magique. On se remémore tout à coup les délices épicuriens qui accompagnèrent la vague sans précédent de plénitude et de croissance marquant l'après-guerre. Un étonnant foisonnement artistique tous azimuts. Oh bien sûr tout ne fut pas génial. Au cinéma Le Lauréat valait surtout par la prestation décalée d'un nouveau comédien prometteur, Dustin Hoffman et plus encore par la musique aérienne de Simon et Garfunkel. Même chose pour Je t'aime, moi non plus dont le slow lascif gainsbourgien allait s'insinuer dans les oreilles comme une irrésistible invitation à céder au Power of Love.
Cette ère fut avant tout musicale. Les comédies du même nom devinrent à la mode chez les hippies. Hair fut à la fois un hymne et un symbole. Comme Baudelaire, les nouveaux romantiques en plus des poèmes et des chansons, se mirent à adorer les « toisons moutonnant jusqu'à l'encolure ».
On vit au cours de gigantesques rassemblements estivaux toute une jeunesse hirsute et bigarrée s'abandonner avec insouciance à une extase collective, une sorte de féerique carpe diem semblant ne jamais vouloir finir. « Trois jours d'amour et de musique » promettaient les organisateurs du festival de Woodstock...
Cette année 2007, les vestiges redeviennent pour un moment réalité. L'île de Wight en juin fut le théâtre d'une réédition du mythique concert de 1968. On y vit même devant une foule enchantée quelques revenants : Donovan et les Rolling Stones.
Mais si les papys ont encore du jus, peuvent-ils ranimer la flamme ?
L'Histoire passe rarement deux fois les mêmes plats. Après que l'esprit du temps se soit enfui, il ne reste que son empreinte un peu défraîchie. C'est sympathique mais désuet comme tout ce qui a vécu tout en se vidant de sa substance.
Mais la relève est là. Amy Winehouse, avec son allure déjantée et sa belle voix meurtrie s'empare de la musique soul. Paolo Nutini, âgé d'à peine 20 ans, James Morrison de 2 ans son aîné, réinventent la ballade dans le genre éraillé.
Sauront-ils créer de nouvelles formes d'expression pour s'élever au dessus du statut d'épigones ?
Tout cela ne peut hélas faire oublier les drames, la drogue, les overdoses qui décimèrent une bonne partie des rêveurs des sixties. Comme si la recherche éperdue du bonheur devait se payer de son lot de malheurs.
En 1967 à Monterey éclatait dans toute sa splendeur le génie impétueux de Jimi Hendrix. Malheureusement il fut météorique. Ses frasques, débordant de vitalité, d'exubérance et d'inventivité se consumèrent en quelques années comme un panache incandescent, brûlant jusqu'à son coeur cristallin de comète.
Il périt dans les flammes de la passion comme sa guitare, sacrifiée à la fin du concert. Ce jour là, il avait montré à la fois la vigueur et la richesse de son infaillible sens de l'improvisation, mais aussi révélé qu'une indicible grâce l'habitait. En réinterprétant Like a Rolling Stone de Bob Dylan, il le transcenda littéralement. Quarante ans après, ces instants capturés par la caméra de D.A. Pennebaker n'ont rien perdu de leur force suggestive. Cette seule prestation suffirait à la gloire de l'artiste tant elle est intense, brillante et légère à la fois. A la manière d'un djinn : « de ses doigts en vibrant s'échappe la guitare ». On pourrait ajouter, « et son âme... »

16 mai 2007

Black pearls


Cette expression pour caractériser deux DVD trouvés par hasard dans les rayons d'un grand magasin, consacrés à Lester Young et à Count Basie.

Edités à très petits prix par la maison EFORFILMS, il s'agit de véritables petites merveilles (collection Stars of Jazz).

Naturellement en la circonstance il ne faut pas attendre d'images haute définition ou de "son multi-canal 5.1". Il faut prendre ces enregistrements en noir et blanc pour ce qu'ils sont : des témoignages émouvants d'une époque malheureusement évanouie.

Intitulée Jammin' the blues, la première session, hélas un peu courte, met en scène Lester Young en petit comité, en 1944 (il avait environ 35 ans). Dans une sorte de clair obscur flottant, sa silhouette altière mais alanguie, coiffée de son chapeau plat, exhale du saxophone une indicible musique qui déroule ses volutes comme la fumée des cigarettes. De la moindre de ses interventions, il émane une telle tendresse, un tel mélange de douceur et de mélancolie, qu'on se sent comme suspendu hors du temps. Une seule phrase mélodique contient un univers entier de sentiments. On y plonge et on ne voudrait surtout pas en sortir. Cet homme avait en lui une parcelle d'éternité qui vibre sous la grâce nonchalante.
Auprès de lui, on retrouve le trompettiste Harry Edison, particulièrement inspiré, mais aussi Illinois Jacquet au saxo, les magnifiques Sid Catlett et Jo Jones à la batterie, et la délicieuse chanteuse Mary Bryant, dont les inflexions vocales ne sont pas sans rappeler Billie Holiday, la soeur spirituelle de Lester Young.

La session consacrée à Count Basie date de 1968. Il est juste accompagné de Norman Keenan à la contrebasse, Sonny Payne à la batterie et Freddie Green à la guitare.

Bien que Basie soit connu avant tout pour ses swingantes envolées à la tête de son grand orchestre, je me suis personnellement toujours délecté de ses prestations en petite formation. On peut y apprécier la légèreté inimitable de son toucher au piano, le velouté délicat de son phrasé. Il cultiva ce type d'expression intime jusqu'à la fin de sa vie (en 1984), notamment avec Zoot Sims, Dizzy Gillespie, Harry Edison, Roy Elderidge ou même Oscar Peterson, le tout solidement encadré par des sections rythmiques hors pair au sein desquelles on compte bien sûr le fidèle Freddie Green, le batteur Louie Bellson et le contrebassiste Ray Brown. Nombre de ces sessions furent gravées pour le compte de la maison Pablo.

C'est dans le même esprit décontracté et libre que se situe ce petit épisode « soixante-huitard »... au bon sens du terme !

22 mars 2007

Un coup de blues


Dans les moments de découragement et d'affliction, il est doux de pouvoir se tourner vers quelque chose de réconfortant. En d'autres termes, empruntés pour la circonstance à Charles Baudelaire :

« Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins... »

Il se trouve que le Blues agit sur moi comme un puissant cordial qui me requinque et m'aide à supporter les vicissitudes d'un quotidien parfois déprimant.
Et les « champs lumineux et sereins », ce sont dans mon imagination, les grandes étendues du Sud, ivres de soleil, au dessus desquelles s'est élevée comme par magie une musique ensorcelante, capable de réchauffer les coeurs en peine et en déréliction.
Par un curieux paradoxe, cette plainte écorchée scandant douloureusement la cueillette du coton, issue de la souffrance d'un peuple martyr, s'est enrichie et vivifiée à mesure qu'elle passait de bouches à oreilles le long du Mississipi. Les larmes et la sueur l'ont magnifiée. Fortifiée sans doute par d'indicibles et confuses espérances, elle s'est muée en un vrai chant de vie et d'amour, et celui-ci s'est saoulé de liberté en remontant avec les esclaves affranchis, du delta jusqu'aux grands lacs du Michigan de l'Indiana et de l'Illinois.
De cette route enchantée ont surgi quantité de chemins de traverses, débouchant sur la quasi totalité des courants musicaux du XXè siècle. Pour reprendre l'expression de Miles Jordan, du Chico News and Review, le Blues c'est toute la condition humaine dans douze mesures !

A tout seigneur tout honneur, Robert Johnson restera au Blues ce que Jean-Sébastien Bach est à la musique dite classique : une source intarissable. Ses rustiques compositions n'ont pas pris une ride et continuent d'inspirer jusqu'aux stars de la Pop music et du Rock and Roll. Même si certains surgeons ont été quelque peu galvaudés par le mercantilisme et la vulgarisation du genre, c'est un océan de passions, d'émotions, de tendresse, qui a déferlé sur le monde. Il n'est que d'écouter Eric Clapton ou Peter Green pour se convaincre de l'éternelle vigueur de cette musique.


Les artistes qui au terme de leurs pérégrinations, ont fait souche au Nord des Etats-Unis sont la sève d'une des branches les plus vivaces de cette musique : le Chicago Blues. C'est un des styles les plus élaborés, qui a su parfaitement exploiter à son profit les possibilités des instruments traditionnels occidentaux : piano, cuivres, violon, guitares. Grâce à l'électrification de ces dernières et à l'addition d'une solide base rythmique, cette musique a gagné en puissance, et tout en gardant l'authenticité de l'émotion, elle a développé une merveilleuse richesse mélodique.
Pour celles et ceux qui se sentent une affinité pour cette tendre simplicité, faite de chaleur et de douce exaltation, il existe encore de nos jours, de nombreux apôtres de cette religion du bonheur simple, qui n'ont rien perdu de la sincérité et de l'humilité originelles mais qui hélas sont bien méconnus dans nos chaumières.
J'en ai découvert deux récemment de manière fortuite :
Magic Slim, de son vrai nom Morris Holt, qui rappelle un peu par sa tranquille bonhomie le style de B.B. King. Avec ses amis réunis sous l'enseigne des Teardrops (Jon McDonald guitare, Christopher Biedron basse, Vernal Taylor batterie) il continue de sillonner inlassablement les routes américaines, à près de 70 ans. Sa débordante gentillesse n'est en rien entamée par un sourire quelque peu édenté, et une peau burinée, crevassée, parcheminée. Sa voix grasse et chaude accompagne à merveille un jeu de guitare affûté. C'est pur et beau comme l'eau claire qui coule en rivière.

Ou encore Jimmy Burns, plus jeune de 6 ans, accompagné par une formation du même type, simple et sans fioriture : Tony Palmer superbe guitariste, et une belle ligne de soutien composée de Greg McDaniel à la basse, et James Carter à la batterie. L'ensemble tourne merveilleusement et sur un shuffle impeccable, balance quelques riffs taillés comme des pierres précieuses.

Comme la musique de Bach, le Blues en définitive n'est jamais vraiment triste, même lorsque ses accents sont poignants. C'est une sorte de perpétuelle jubilation, ça déchire gaiement...

11 octobre 2006

Zumbach's coat


Iain Matthews est comme une preuve vivante que ce qui est beau est rare.
Chanteur à la voix douce, claire, chaude, envoûtante, mélodiste d'une exceptionnelle sensibilité, il est bien méconnu, après 40 ans d'une carrière étincelante. Avant sa longue et belle trajectoire en solo, cet anglais errant et discret s'illustra pendant le Flower Power comme leader de groupes aussi prestigieux que Fairport Convention, ou Matthews Southern Comfort.

Aujourd'hui il livre en toute humilité le fruit doucement mûri d'une inspiration toujours intacte. On y trouve des perles dont le charme grandit à chaque écoute : One door opens, July rain, To be white, Start again, The Limburg girl and the traveling man...
L'album doit son titre au roman d'un ancien professeur de psychologie d'Harvard, Richard Alpert plus connu sous le pseudonyme de Ram Dass. Ami et complice de Timothy Leary, Aldous Huxley, Allen Ginsberg, il fut exclu de la prestigieuse université pour avoir initié ses élèves aux sortilèges de la psylocibine, et consacra par la suite sa vie à la sagesse orientale.
Dans le livre en question, Zumbach est un tailleur qui déploie tant de virtuosité commerçante, tant d'ingéniosité publicitaire qu'il convainc ses clients d'acheter des articles dont ils n'ont aucun besoin. Parabole élégante prenant pour cible la société de consommation, elle agit manifestement comme un baume sur Iain Matthews qui poursuit son chemin d'artiste hors des sentiers battus, un peu ignoré mais serein. Fasse le ciel qu'il continue encore longtemps d'enchanter ceux qui le suivent en rêvant d'un monde meilleur...

06 septembre 2006

God bless you, Bob

Dans un monde plein d'insipide sentimentalité, de platitudes ronflantes, d'urgences vaines, et d'ersatz démocratiques, Bob Dylan fait partie des quelques repères rassurants qui au dessus du tumulte mou, vous rappellent que l'existence est plus que tout cela et qu'elle vaut bien la peine d'être vécue.
Il n'affiche pas de grands sentiments, se garde de toute niaiserie intellectuelle et de tout engagement borné. Mais il est là. Il est rugueux comme la terre sur laquelle on peine, moelleux comme l'herbe où l'on s'allonge, humble et sauvage comme les fleurs qui peuplent le bord du chemin, et aussi libre que les voiles qui glissent l'été sur l'horizon ensoleillé. Son oeuvre baigne dans une intemporalité tranquille à la fois continue et sans cesse renouvelée. A l'image des palétuviers plongeant des milliers de racines dans la boue de la mangrove, son talent puise son inspiration à mille sources, et se nourrit du quotidien en le transcendant de mille façons.
Dans son dernier album intitulé tout simplement, et par tendre dérision « Modern Times », on trouve toutes les facettes de cet art à nul autre pareil. Le son est velouté, léger, aérien, parfaitement maîtrisé, la voix pincée tient du feulement mais son timbre est plus profond et magnifique que jamais. Cette musique apaisée, sereine, lumineuse emprunte tantôt au jazz, tantôt au blues (thunder on the mountain, rollin' and tumblin', someday baby), s'égare en ballades émouvantes (spirit on the water, when the deal goes down, workingman's blues #2, beyond the horizon), revient par moment à une scansion plus appuyée (Nettie Moore) et meurt en une douce et indicible complainte (ain't talkin'). Un vrai trésor.
INDEX-MUSIQUE

14 juin 2006

I'm a bluesman (Johnny Winter)

INDEX-MUSIQUE Ça tourne comme un vieux moulin réglé avec amour. Ça vrombit comme une antique et souple Oldsmobile sur une route poussiéreuse du Sud, saturée de soleil et de solitude. Quelque chose comme un éternel et limpide retour. Comme la quête cadencée d'un karma incandescent caché derrière des horizons lointains. La voix n'a plus la rudesse du bois brut et les ahanements de bûcheron ne sont plus que des feulements pincés. Mais on y perçoit les fêlures de la vie, qui palpitent subtilement comme les arômes indicibles d'un Bourbon hors d'âge. Les stridences métalliques de la guitare ont laissé la place à des riffs assagis, à des slides pathétiques mais il y a encore du jus et croyez-moi, ce n'est pas de la petite bière. Ça chatouille le gosier à la manière d'une décoction de cactus. Le Blues ne meurt jamais. Il est comme le sang, il est la vie. Il chauffe au fond du cœur et monte en frissonnant comme une vigoureuse et ensorcelante caresse. So long Johnny.... Be good !

Magic Time (Van Morrison)

INDEX-MUSIQUE Van Morrison a réussi le tour de force d'accommoder ses racines celtiques avec l'univers "southern" du Blues et du Jazz. Cela donne de subtils mais intenses arômes qu'on ne se lasse pas de déguster à chaque étape de sa prolifique carrière. On y perçoit les réminiscences de pubs noyés dans les odeurs épicées de tabac, qui traversent la nuit en s'égaillant au gré des vapeurs enivrantes de Guinness et de whiskey . On y trouve la poésie du vent sauvage qui fouette la lande et les bruyères en se chargeant des parfums telluriques arrachés à l'humus. Tout cela fait merveille pour exprimer les bleus à l'âme, et répond en écho au chant des Noirs qui scandaient sans repos leur détresse en cueillant le coton. Je dirais même plus, ça le transcende et ça le régénère. Avec cet album, voici un nouvel échantillon de cette alchimie unique. Les aficionados retrouveront sans nul doute la touche qui les ravit. Par exemple dès le premier morceau "Stranded" , qui s'abandonne dans cette sorte d'extase languide, mélange de voix chaude et déchirante de l'Irlandais et des sinuosités éthérées s'exhalant des saxophone, piano, guitare. Suivent d'autres perles du même filon : Celtic New Year, Just Like Greta, Gypsy in my soul, Magic Time... Au passage on signale un détour jazzy avec Lonely And Blue, hommage au fameux duo Razaf-Waller, magnifié à sa manière autrefois par Louis Armstrong (Black and Blue). Enfin un clin d'oeil brillant et enjoué à Franck Sinatra (This Love of Mine). En définitive un superbe disque, serein et apaisant, dont on aimerait faire de certaines paroles, une règle de vie : "Keep Mediocrity at Bay".