28 octobre 2013
Sad Song
Il extrait de l'Azur un breuvage rubis
Qu'il porte en espérant goûter le paradis
A ses lèvres de mort d'une noirceur intense.
Quoi, le sang coulait donc sous cette indifférence
Comme un torrent surgi de l'antre d'Anubis
Emportant dans sa course alcool et cannabis
Poudres, cachets, liqueurs, collés sur la souffrance.
L'aventure ne fut qu'un long parcours défunt
De musique et de mots saoulés par trop de neige
Et croulant sous la gloire au chavirant parfum.
Mais si sa vie ne fut qu'un triste privilège,
Elle reste à jamais la source d'émotions,
Où chacun pourra voir ses propres afflictions...
A Lou Reed (1942-2013)
26 août 2013
Blue Mood
C'est exactement ce qui m'arriva aux oreilles, ce soir d'août, tandis que je flânais, cahin-caha dans Royan, au bras rassurant de ma chère et tendre, que les vacanciers rassasiés de sel, de sable et de chaleur, remontaient nonchalamment de la plage, et que d'autres commençaient leur soirée en s'adonnant en rangs serrés au lèche-vitrine.
Nous tombâmes en arrêt, sur une place tranquille, d'où venait le flot plein de gaieté d'un trio musical boppant avec maestria sous un petit chapiteau tendu de blanc. Trois jeunes gens sapés comme des étudiants de quelque grande école, se déchaînaient sur le fameux standard de Stevie Wonder : You are the sunshine of my life !
On apprit par la voix du pianiste qu'ils avaient pour nom Thomas Mayeras (au piano justement), Julien Daude (à la contrebasse) et Germain Cornet (à la batterie).
Si le Blues est dit-on, la musique du diable, ce petit quart d'heure avait quant à lui quelque chose d'angélique. Elégance, classe et swing était les maîtres-mots de ce moment enchanteur. Quel miracle qu'on puisse encore dans notre époque épuisée, déployer tant de grâce et tant d'optimisme ! Et avec ça une jeunesse éclatante !
Je ne me souviens plus hélas du titre suivant, mais j'ai retenu qu'il s'agissait d'un hommage au superbe pianiste McCoy Tyner, hélas aujourd'hui un peu rangé des voitures, mais qui magnifia des années durant, le hard bop aux côtés de John Coltrane. Ni une ni deux, j'ai saisi mon appareil photo que j'ai toujours sous la main et je me suis mis à filmer goulûment (cf ce clip posté sur Youtube) ...
Il y avait également ce soir là dans ces mélodies savoureuses, un peu de Wynton Kelly, de Hampton Hawes, de Red Garland, de Phineas Newborn...
Au clavier Thomas Mayeras semblait narguer malicieusement, mais non sans un vrai et original talent de mélodiste, ses aînés. La basse était quant à elle épatante, simple et bien carrée, et la batterie particulièrement fringante, libre et débordante de breaks délicieux et de brosses veloutées.
Décidément, ceux qui ont la faculté de pouvoir tromper de cette manière, "les ennuis et les vastes chagrins qui chargent de leur poids l'existence brumeuse" sont bénis des dieux !
Encore bravo et merci !
29 juillet 2013
So Long Okie
Son superbe album Troubadour disait bien ce qu'il fut: Un poète et musicien, flâneur impénitent, sans attaches ni but évidents, et pourtant lié par toutes ses fibres à un fil conducteur buissonnier, aussi lunatique et libre que très personnel et insensible aux modes. Un Dharma Bum comme dirait Kerouac... Un Okie errant sur les routes de bitume et de poussière, menant à un eldorado sans cesse repoussé. Tu es poussière, tout est poussière...
Parmi les petits chefs d'oeuvres qu'il laisse, on évoque souvent son sulfureux Cocaïne, popularisé par Eric Clapton. Pour ma part je pense avant tout au sublime album intitulé tout simplement Naturally, et aux délicates perles qu'il contient : Magnolia, qui fut par la suite, littéralement transcendé par le trop méconnu Poco, ou bien Call The Doctor à la grâce émouvante, Crazy Mama, et le fameux After Midnight...
22 juillet 2013
Cognac Blues Passion
Sous les voûtes augustes du palais Valois, devenu Otard par la grâce d'un distillateur inspiré, sous ces vénérables pierres savamment ouvragées qui virent naître François 1er, quelques bienheureux purent savourer le contraste offert par ces salles chargées d'histoire et le chant âpre, les guitares stridulantes de bluesmen à la peau couleur de nuit. Par exemple, Lucky Peterson roulant des yeux facétieux, et souriant à pleines dents en revisitant, tantôt sur le mode joyeux, tantôt sur le mode pénétré, le répertoire de ses aïeux. Everyday I have The Blues dit la chanson...
Avec sa charmante épouse Tamara, ils donnèrent une tendre et délicate interprétation du sublime standard immortalisé par Billie Holiday : Don't explain.
Dans le même endroit, et dans une ambiance délicieusement intimiste, les chanceux d'un autre jour eurent droit au « Jimmy and Jimmy show », Burns et Johnson en l'occurrence (video).
Ces deux là font la paire si l'on peut dire. Tout en se renvoyant malicieusement la balle au chant, ils se délestèrent en toute décontraction de quelques savoureux riffs à la guitare électrique. Au dessus de leur tête trônait un bas-relief représentant le fameux blason à la salamandre. L'animal mythique semblait parfaitement à l'aise dans les braises incandescentes de cet étonnant juke joint improvisé.
Pendant ce temps, de curieuses pensées me venaient à l'esprit : j'imaginais les cueilleurs de coton et leur faisant écho, les travailleurs de la vigne. Ou encore la mélopée térébrante des esclaves du Mississippi entrant en résonance avec les clameurs des haleurs de gabarres sur la Charente...
Mélange des plus jubilatoires, dans cette douce chaleur estivale si désirée...
09 mars 2013
Outside my window
I just felt so free;
Today, Oh sorrow,
I mourn Alvin Lee.
The guy passed away.
He'd so much to tell.
The Blues goes its way,
And life is like hell...
12 septembre 2012
Ouragan Sentimental
Quelle voix sublime à force d'avoir été comme un très vieux cuir, tannée, usée, écorchée, par les orages, les saintes colères et les désillusions de l'existence. Quelle force dans l'indicible parfum d'expectative qui sourd avec une infinie douceur de cette complainte gutturale !
Peu importent les marques de l'âge sur le visage du poète, il n'a cure des jouvences artificielles. Son indépendance, sa liberté, son humilité, sont des signes autrement plus convaincants de sa jeunesse.
D'ailleurs, on dirait qu'il n'y a ni début ni fin dans l'égrenage subtil de ses mélodies succulentes. Seulement une atmosphère extatique, exquisément poignante, comme les mystères qui vous élèvent, en vous interrogeant, avec la dureté de la finitude et la tendresse de l'espérance.
Ça commence avec une sorte de pépite aussi brillante qu'inattendue. Duquesne Whistle. Un train à la manière d'autrefois, passe en sifflant. Comme en sifflotant, plutôt... Dans cet univers pimpant, les riffs guillerets saisissent l'auditeur qui ne peut qu'en redemander. Pas grand chose à voir, sauf erreur de ma part, avec l'illustration glauque à laquelle on eut droit sous forme d'un clip abscons, en prélude à la sortie du disque. Les images sont pauvres lorsqu'il s'agit de représenter l'imaginaire...
La suite est un peu plus sombre. Soon After Midnight. La nuit nous entoure...
Mi Blues, mi mélopée, Dylan emmène ses affidés sur une voie étroite mais au charme hypnotique : Narrow Way. Ne pas s'abandonner à la facilité, recommande-t-il en termes voilés. Ne pas gâcher les années d'une vie que l'ennui fait paraître longue alors qu'elle est si courte (Long And Wasted Years). Dès lors tout s’enchaîne : Les folies qu'on paie au prix fort du sang (Pay In Blood). La légende d'une ville nappée d'un rouge écarlate (Scarlet Town): du crépuscule, ou bien de la honte, ou des déchirements ? Pourquoi ne pas évoquer tant qu'on y est, les mirages funestes de l'histoire, de la gloire, du pouvoir et de l'argent (Early Roman Kings), voire le mythe de l'ange déchu (Tin Angel). Le triste balancement d'une longue, très longue et tragique traversée maritime, sur un océan glacial qui ressemble au destin (Tempest). Et pour finir, l'adieu déchirant à l'ami autrefois arraché abruptement à la vie (Roll On John)...
Il paraît que Bob Dylan voulait faire un recueil religieux. C'est peu dire que l'Esprit affleure à chaque moment sous les détours un peu énigmatiques de sa poésie assagie. ..
Quant à la musique elle-même, précisons qu'elle est servie par un accompagnement idyllique. Des artistes sous le charme, distillant avec volupté un son splendide, merveille d'équilibre, de fantaisie et délicatement feutré comme les velours les plus soyeux...
Tempest, Bob Dylan. Columbia 2012
21 juillet 2012
Fifty Years With Their Satanic Majesties
Pour ma part j'aime à m'enivrer de ce continuum d'émotions, de rêveries et de vagabondages, que je vois éclore quelque part entre Novalis, Shelley, ou Hölderlin, passer par Poe, Baudelaire, Verlaine, ou Kerouac et se magnifier, entre autres, par l'apport des Stones. Oserais-je dire que j'éprouve parfois les mêmes frissons à l'écoute de ces derniers que de Bach, ou de Schuman ?
Feel like a Rolling Stone !
07 février 2012
Intermède jazzistique
Voici du jazz et du bon !
Avec tout d'abord un album qui en dépit de son titre - For Real ! - vaut tous les plus beaux rêves ...
Frotté dans un premier temps aux rythmiques haletantes et syncopales du bop parkerien, le pianiste Hampton Hawes développa un style très personnel, n'ayant pas son pareil pour nimber d'un feeling aérien les pulsations sauvages du Be Bop. De fait, si ses racines remontent loin aux sources du beat, son inspiration emprunte également aux suaves influences cool ainsi qu'au chant tragique d'un blues humble et profond. A mi chemin entre Bud Powell et Bill Evans, non loin parfois de Monk...
Wrap your troubles in dreams, second titre de cet album, est la pierre de touche de cette philosophie ensorcelante...
Mais il n'est pas question de s'avachir !
On est sur le point de s'engloutir dans cette mélodie sublime quand surgissent les énergiques trépidations de Crazeology, du bop pur jus. De belles et puissantes compositions originales s'ajoutent aux standards (Hip, et For Real, notamment, qui distillent à n'en plus finir leurs pulpeuses et aromatiques digressions).
Enfin, pour terminer, une petite session intimiste, enregistrée dans le cadre cozy d'une bibliothèque cossue, en Suède, un froid jour de novembre 1984, et ressortie fort opportunément en DVD, qui distille un subtil ravissement.
Elle met en scène le saxophoniste Zoot Sims, émacié, très fatigué, au bout du rouleau même (il allait disparaître quatre mois plus tard), libérant ses dernières pensées musicales, son dernier message, plus mélodieux, plus troublant et fragile que jamais.
Juste entouré, superbement, de Red Mitchell à la contrebasse et Rune Gustafsson à la guitare, il s'abandonne à d'exquises divagations sur des thèmes éprouvés (In a sentimental mood, Gone with the wind, 'Tis autumn, Autumn leaves...). Chaque instant est magique et on retient son souffle pour n'en rien perdre tant ici vibre avec douceur l'alchimie cool du jazz...
24 juillet 2011
Une voix perdue
Ange vivant du Jazz, fine fleur du Blues, âme damnée de la Soul, Amy Winehouse est un peu tout cela en même temps.
Faisons le point : elle débarque d'un monde étrange, hallucinée, incertaine comme une comète inattendue, et des vapeurs black and blue flottent autour d'elle comme une aura scintillante.
Quel est ce mystère ? Elle est lumière et pourtant la lumière s'engloutit en elle.
De méchants papillons noirs se collent à sa peau imprimant sur ses bras décharnés, des tatouages bizarres.
Elle promène un peu hâbleuse, une dégaine improbable, à la fois très étudiée et très « laisser faire » : une silhouette efflanquée, presque titubante, enveloppée dans une robe en chiffon d'où sortent deux cannes fuselées, longues comme l'attente des jours heureux.
Ses cheveux sont un torrent dégringolant d'un obscur tumulus, et ses yeux tirés vers ce chignon catastrophique, forment en se prolongeant indéfiniment, des sortes d'hyperboles narquoises, outrancières.
Elle se déhanche sur scène avec une allure étrange, mariant le mauvais goût sublime à une grâce délicieusement obscène.
Derrière elle, l'orchestre est un velours idéal. Sa rythmique limpide et cuivrée, noyée dans un écrin de couleurs chatoyantes, aplanit toute angoisse et se fond avec le chant pour transformer la souffrance en beauté pure. La réalité s'efface et cette indicible présence devient une évidence obsédante. On ne s'en détache qu'à grand peine.
C'est l'espoir un peu fou qui s'insinue en soi dès que les feux de la rampe s'éteignent et qu'on se retrouve seul et stupide, face à la trivialité du monde...
25 octobre 2010
John Mayall, un Croisé du Blues
18 septembre 2010
Extase et dévastation
Avant ce spectacle, Hendrix était quasi inconnu. Après, il était devenu à tout jamais une légende...
Ce soir là, au milieu d'un feu d'artifice dionysiaque, il donna notamment une interprétation inoubliable et définitive du fameux "Like A Rolling Stone" de Bob Dylan.
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Jamais on ne vit pareil moment sacrificiel, fusionnant aussi parfaitement l'incandescence musicale avec le feu de l'enfer, pour finir en une bouleversante apothéose barbare...
Alentour, la pénombre dévorait des pans entiers de sa silhouette irisée, où le rouge des lumières déteignait comme le sang du Christ. De cette cruelle extase, jaillissait un flot de souffrances passées et d'anciens chagrins, sublimés par la crépitation d'espérances insensées. La guitare en tournoyant, zébrait l'obscurité d'éclairs fulgurants, ponctués par le tonnerre de la batterie et les stridences des cordes suppliciées.
Dans cette transe illuminée, que baignait un torrent mélodique idéal, se jetaient pêle-mêle et sans retenue, à travers la brume violette*, des avalanches de pierres roulantes**, une aïeule de Bob Dylan, l'ombre de Joe***, les coeurs et les oreilles de la foule subjuguée, les hymnes de pays vainqueurs mais déchirés****, et au dessus de tout, le vent chuchotant comme une caresse, le doux nom de Marie*****...
Film disponible en DVD, Jimi Hendrix guitare, Noel Redding basse, Mitch Mitchell batterie)
09 août 2010
Jerry Day
14 juin 2010
Un été dans les caves de l'Eden
Deux effets bénéfiques de ce genre d'exil doré ont été démontrés à l'occasion du débarquement en fanfare des Rolling Stones sur la Côte d'Azur lors de l'été 1971 : de belles rentrées financières pour les commerçants du coin, et surtout, une aventure musicale inouie dans les caves de la villa Nellcôte.
Illustrations : visions personnelles des nuits de Nellcôte...
06 janvier 2010
De quatre, un tout
Faire des voeux tous azimuts c'est probablement bien. Prenez donc les miens je vous en prie. Mais commencer l'année tout doucement, avec les quatuors de Beethoven, c'est encore mieux : un plaisir rare, propice à faire naitre une nouvelle vigueur et à rêver de bonheurs modestes mais distingués et pénétrants. C'est celui donné en tout cas par le Alban Berg Quartett (abq) qui a enregistré en public ces oeuvres à Vienne en 1989, et qu'on peut réentendre par DVD interposé.
Rarement l'idéal en musique, n'a semblé si proche. L'interprétation est superbe et s'agissant des oeuvres, elles constituent l'un des sommets, probablement insurpassables, du génie humain tout simplement. Comment décrire ces délicates constructions musicales qui s'insinuent dans l'âme, au gré des subtils glissandos des archets, virevoltant au dessus des cordes ? Comment parler de ces térébrantes mélodies, et que dire sinon qu'elles touchent au sublime ? Ces oeuvres distillent une telle grâce, qu'on voudrait pouvoir entrer en osmose avec elles pour atteindre une intemporelle et chaude béatitude. Hélas, même avec des notes issues d'un moule portant l'empreinte de l'infini, le temps s'écoule inéluctablement et le drame existentiel continue de peser même s'il se joue durant quelques instants, des vanités matérielles. Un fragment tombé du Paradis en quelque sorte...
Les derniers quatuors sont sans doute les plus beaux, les plus profonds, ceux qui vont le plus loin dans l'introspection de l'esprit humain. A leur écoute on est saisi d'une mystérieuse émotion, comme si au fond de soi s'épanchaient les pleurs de la mélancolie qui furent aux dires du compositeur lui-même, la source de la bouleversante cavatine de l'opus 130. Beethoven n'était-il donc comme d'aucuns le prétendent, qu'un paquet de chairs mues par un hasardeux mélange d'automatismes électriques et de protéines hormonales ? Fadaise assurément.
Comment ne pas comprendre qu'ici réside à l'évidence une force surnaturelle, liant le génie de l'Homme à l'Indicible, à l'image du doigt d'Adam effleurant celui de Dieu dans le fameux dessin de Michel-Ange ? Comment rester insensible à la magie suave qui émane du long adagio de l'opus 127 ? Plus de dix-sept minutes d'intenses variations sur un thème, au sein desquelles s'interpénètrent les chants extatiques des violons et violoncelle :
Ces violons sont comme des caresses Qui dans le cours ténébreux du temps Portent un message miroitant, Rempli de larmes et de promesses.
Par dessus les terrestres faiblesses Les chants des cordes en s'imbriquant Répandent un baume coruscant Au parfum des célestes sagesses.
Et qui sait si ces accords parfaits Ne sont pas l'avant-goût de bienfaits Tombant d'une adorable immanence,
Et dans la prison du quotidien, S'ils ne sont pas le signe aérien D'une enchanteresse délivrance ?
22 octobre 2009
Autumn Blues
L'automne qui dépouille les arbres de leurs doux limbes verts, l'automne qui rouille les feuilles avant de les précipiter dans la fange humide, en chutes erratiques, l'automne qui découvre la dureté ligneuse des troncs comme on le ferait cruellement d'une blessure jamais cicatrisée, l'automne me met au supplice en imprégnant l'air, les jours, et l'existence, de ses miasmes languides. A celui qui ne peut repousser ce déclin navrant, qui ne peut espérer comme les ours pouvoir s'endormir au creux des dernières chaleurs en attendant le retour des beaux jours, ou bien la concrétisation de quelque suave espérance, il reste la consolation du Blues.
Celui de Lester Young (1909-1959) par exemple qui aurait cent ans cette année et qui s'est éteint il y en a tout juste cinquante. Son regard perdu dans l'indicible, son élégante et nonchalante dégaine, et son apparent détachement des choses matérielles continuent d'imprégner l'idée même du jazz. Sa gentille ombre tutélaire nimbe d'un voile discret d'émotion toute musique nourrie de son inextinguible génie. Les disques qui retiennent pour l'éternité les fragiles volutes de son saxophone sont autant de trésors opportuns pour les jours où l'âme se sent affligée. Avec Count Basie, Teddy Wilson, Roy Eldridge, Harry Edison, Oscar Peterson et tant d'autres il sema tant de pépites au long de sa vie chaotique mais illuminée...
Evidemment les plus émouvantes traces sont celles qu'il laissa en chansons avec son délicieux double féminin, celle qu'il surnomma Lady Day tant elle sublima la noirceur et l'obscurité du Monde. Billie Holiday (1915-1959) n'est jamais loin quand on évoque Pres, qui fut son si cher ami, son tendre complice en spleen. Si proches étaient-ils que par un hasard étrange, elle le suivit quasi instantanément sur le chemin de l'éternité, et que leurs souvenirs sont désormais indissociables dans l'esprit de tous ceux qui sont familiers de cet étrange sentiment qu'on appelle le blues. Last Recording enregistré au moment même ou Lester Young disparaissait, reste un des plus poignants témoignages de cette épopée.
Tant que je suis à la nostalgie, s'imposent à moi à l'occasion de l'achat de leurs derniers disques, les noms de deux artistes trop tôt disparus. Dans l'histoire du rock, peu de voix resteront aussi touchantes que celle de Rick Danko (1942-1999), bassiste du groupe The Band, qui accompagna jadis Bob Dylan et continua sous son propre nom une belle carrière ponctuée entre autres par la session légendaire The Last Waltz. Personnage discret, d'une gentillesse proverbiale, Rick fut malgré son grand talent un éternel insatisfait, et pour échapper aux angoisses de l'existence, parsema hélas comme beaucoup d'autres, sa vie d'excès désastreux. Autant dire qu'il se suicida à petit feu. L'album Times like these réalisé en 1999 l'année de sa disparition, est un peu son chant du cygne. Réalisé en collaboration avec de nombreux amis, il contient un lot de ballades attachantes parfois composées par lui-même parfois en association (Tom Pacheco, Bob Dylan, Jerry Garcia...) et toujours interprétées avec de vibrantes intonations, révélatrices d'une grande profondeur d'âme et d'inspiration (Times Like These, Sip The Wine, You Can Go Home...). Remarquablement mis en musique cet opus est empreint d'une chaude nostalgie. Un vrai petit trésor, rare, humble mais à coup sûr durable, comme la voix douce d'un ami qui s'épanche et tente de conjurer les misères de la vie...
Enfin, last but not least, le tout dernier enregistrement de Jeff Healey (1966-2008) : Mess of Blues Aveugle quasi de naissance, la faute à une affreuse tumeur de la rétine, il sublima sa malédiction en devenant guitariste et en mettant au point une technique extrêmement personnelle consistant à coucher l'instrument sur ses genoux comme une lap-steel guitar et à effleurer les cordes du bout de ses doigts. Cela lui permit de s'élever au plus haut de cet art ô combien difficile même pour un individu doté de tous ses sens. Il donna la réplique entre autres à Stevie Ray Vaughan sans avoir rien à lui envier. Hélas malgré une énergie hors du commun et un optimisme à toute épreuve il fut rattrapé par la maladie dans laquelle son existence était décidément tragiquement enfermée. Ce disque émouvant, car réalisé au seuil d'une mort prématurée, donne la mesure de son exceptionnel talent et sa grande sensibilité. Faisant alterner rocks haletants (Mess of Blues, It's only money, Shake, Rattle and Roll), ballades country (The Weight repris du Band, et Like a hurricane de Neil Young) voire cajun (Jambalaya de Hank Williams), et de beaux blues pulpeux (I'm torn down, How blue can you get, Sittin' on the top of the world), il témoigne d'un art parfaitement maitrisé. Il est accompagné par une section rythmique très pêchue et aux claviers, Dave Murphy particulièrement en verve. Un vrai chef d'œuvre de style et d'émotion.
Autumn : A Dirge Percy Bysshe SHELLEY (1792-1822)
The warm sun is falling, the bleak wind is wailing, The bare boughs are sighing, the pale flowers are dying, And the Year On the earth is her death-bed, in a shroud of leaves dead, Is lying. Come, Months, come away, From November to May, In your saddest array; Follow the bier Of the dead cold Year, And like dim shadows watch by her sepulchre.
The chill rain is falling, the nipped worm is crawling, The rivers are swelling, the thunder is knelling For the Year; The blithe swallows are flown, and the lizards each gone To his dwelling. Come, Months, come away; Put on white, black and gray; Let your light sisters play-- Ye, follow the bier Of the dead cold Year, And make her grave green with tear on tear.
24 septembre 2009
Vita Nova
Même si cette remastérisation n'apporte qu'un assez modeste progrès technique, c'est tout de même l'occasion de se remettre dans les oreilles cette féérie musicale dans toute sa splendeur, et dans toute sa fraicheur. Bon Dieu, ça n'a pas pris une ride. Les subtils arrangements emplissent l'atmosphère suavement avec une acuité merveilleuse. Les voix sont belles et parfaitement posées. Les mélodies sont plus pimpantes et ensorcelantes que jamais, j'en ai des frissons...
29 août 2009
Flânerie bordelaise
Depuis le quasi achèvement des opérations de rénovation, Bordeaux a retrouvé sa classe et son charme de grande bourgeoise. En débouchant sur le cours Victor Hugo on se croirait un moment sur le Bosphore tant sont présentes les références à la Turquie : bars aux noms exotiques frappés du croissant levantin, restaurants typiques, épiceries et boucheries hallal, femmes quasi inexistantes...
Mais à côté de la ville méridionale s'allongent impassiblement à perte de vue les quais emblématiques des Chartrons. Souvenir de temps où le temps s'écoulait comme les eaux tranquilles du fleuve, et où l'on pouvait voir de ces nobles fenêtres, les gabarres défiler sur ce cours fluide comme autant de repères rassurants d'une industrie paisible, immémoriale, attachée toute entière à l'art de la vie.
Dans la rue Porte-Dijeaux, la vénérable librairie Mollat continue d'entretenir avec soin ses belles vitrines dont l'encadrement bleu, tout simple, est à lui tout seul déjà apaisant. Quand on songe que Montesquieu habita l'endroit,on est traversé par un frisson indicible. A l'intérieur, de belles grandes salles peuplées de milliers d'ouvrages, sont organisées et rangées impeccablement. Au hasard de mes déambulations, je trouve présentés pour attirer l'oeil du chaland, les inévitables piles des derniers livres prétendument à la mode. Cette accumulation racoleuse a le don de m'énerver prodigieusement et me rebute.
Plus intéressant, un livre invitant aux lectures de Hume, deux titres de Ralph Waldo Emerson, les poèmes de Malcolm Lowry, le Quartet of Alexandria en version originale...
Je suis persuadé qu'il ne s'agit que d'un répit. Quoi de plus immatériel que la littérature ? Pourquoi accumuler toute cette paperasse si laborieuse à ranger, à transporter, à déménager ? Les belles reliures sont démodées, les beaux papiers également. C'était pourtant un alibi recevable, mais qu'on ne vienne pas dire que l'odeur ou le toucher d'un livre de poche ou même d'un volume encollé industriellement soit de même nature que les divines fragrances émanant d'un vieux cuir ou du velin.
31 juillet 2009
Blues d'été
La musique quant à elle, s'inscrit dans cet univers fugace du temps qui passe, avec une indicible prégnance. Comme souvent avec Dylan, elle n'a l'air de rien au premier abord, mais elle imprime profondément son sillon. Sur des rythmiques tendues ou chaloupées, admirablement servies par des musiciens épatants, le chanteur pose tranquillement sa poésie si particulière, en jouant à merveille de sa voix enjôleuse, à la fois nasale et pointue, écorchée mais un peu grasseyante, trainante, lointaine et si proche...
Les chansons sont toutes simples. Elles tiennent parfois du blues (life is hard, my wife's home town) mais aussi plus souvent de la ballade amoureuse (Beyond here lies nothin, Jolene, the dream of you). On y trouve aussi des réminiscences de rêves passés : I feel a change comin' on... L'ambiance est un rien feutrée, avec ce qu'il faut d'acidité. Quelques beaux riffs de guitare électrique, une pincée de douceur apportée par la pedal steel, les volutes ensorcelantes du banjo, de la mandoline et surtout d'un accordéon qui rappelle parfois les bonnes vieilles sonorités du Band...
Guitariste éphémère des Yardbirds pendant les sixties, c'est un artiste plus que discret. Les aficionados de Brit Blues et de Jazz Rock connaissent son nom mais sont sans doute peu nombreux à mesurer vraiment ce dont il est capable. Avec cette prestation extatique, il faut espérer qu'il gagne enfin la place qui lui revient de toute évidence au panthéon des rock stars : celle d'un géant !
C'est tout simplement une révélation. Ce qu'il fait sur scène est diablement sioux. Pas à cause du collier plus ou moins indien qu'il arbore modestement, mais parce qu'il fait preuve d'un toucher de guitare absolument unique, quasi indicible. Il n'a pas son pareil en effet pour pincer, tirer, marteler, pousser, griffer, effleurer les cordes afin d'en extraire un jus incroyable. Tantôt ce sont des stridulations qui vrillent l'air comme les fusées d'un festival pyrotechnique, tantôt c'est une plainte qui meurt en feulant sous la caresse du bottleneck. Et tout ça totalement maitrisé, pétri avec amour par des doigts nerveux et agiles qui n'ont que faire d'un médiator mais semblent faire corps avec le bras du vibrato.
Dans le cadre de ce fameux petit club de jazz de Londres, quoi de plus naturel à entendre que du jazz ? Mâtiné de blues, de rock et de rythmes funky c'est bien du jazz en quelque sorte qu'on entend. Jazz rock avant tout, sous tendu par les arpèges d'une jeune bassiste prodige Tal Wilkenfeld. Elle a la pêche de Jaco Pastorius ou de Stanley Clarke, avec en plus un air malicieux de ne pas y toucher, qui fait manifestement l'admiration attendrie de son mentor. A la batterie Vinnie Colaiuta assure le tempo comme une horloge suisse, tandis que Jason Rebello tient sans faiblir les claviers comme un chef ses fourneaux.
Comme Jeff ne chante pas, les mauvaise langues pourraient dire qu'il ne lui manque que la parole... C'est vrai mais à la place, il a l'heureuse idée de donner la vedette à des artistes bourrées de charme et de talent : Joss Stone, et Imogen Heap. La première revisite de manière très convaincante un titre de Curtis Mayfield (People get ready), et la seconde sur une composition personnelle, se lance avec Jeff à la strat, dans un duo irradiant qui est un des sommets du concert (Blanket), puis donne une version décapante du fameux Rollin' and Tumblin'. Sans oublier Eric Clapton en personne qui vient faire le boeuf sur deux blues bien juteux à la fin du concert.
En, prime on a même droit en intersession, à une savoureuse séquence typiquement rockabilly avec les Big Town Playboys.
Au total, ce DVD/Blu ray est un enchantement. Signalons enfin qu'il est remarquablement filmé et doté d'une prise de son impeccable, chaude, précise, détaillée. Bref, une belle euphorie...