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28 octobre 2013

Sad Song

Plongeant sa main de verre au cœur du bleu faïence
Il extrait de l'Azur un breuvage rubis
Qu'il porte en espérant goûter le paradis
A ses lèvres de mort d'une noirceur intense.

Quoi, le sang coulait donc sous cette indifférence
Comme un torrent surgi de l'antre d'Anubis
Emportant dans sa course alcool et cannabis
Poudres, cachets, liqueurs, collés sur la souffrance.

L'aventure ne fut qu'un long parcours défunt
De musique et de mots saoulés par trop de neige
Et croulant sous la gloire au chavirant parfum.

Mais si sa vie ne fut qu'un triste privilège,
Elle reste à jamais la source d'émotions,
Où chacun pourra voir ses propres afflictions...
 


A Lou Reed (1942-2013)

26 août 2013

Blue Mood


Lorsque le spleen s'appesantit sur l'âme en proie à cette langueur étrange dont parlait Verlaine, lorsque les dernières gouttes tièdes de soleil signent la fin prochaine d'un bel été, lorsque l'esprit cherche en vain le moyen d'échapper à un destin trop navrant, lorsque le temps présent se fait l'écho, tout à la fois de joies finies et de tortures en devenir, quoi de plus réconfortant que quelques notes de jazz virevoltant dans l'air ?

C'est exactement ce qui m'arriva aux oreilles, ce soir d'août, tandis que je flânais, cahin-caha dans Royan, au bras rassurant de ma chère et tendre, que les vacanciers rassasiés de sel, de sable et de chaleur, remontaient nonchalamment de la plage, et que d'autres commençaient leur soirée en s'adonnant en rangs serrés au lèche-vitrine.

Nous tombâmes en arrêt, sur une place tranquille, d'où venait le flot plein de gaieté d'un trio musical boppant avec maestria sous un petit chapiteau tendu de blanc. Trois jeunes gens sapés comme des étudiants de quelque grande école, se déchaînaient sur le fameux standard de Stevie Wonder : You are the sunshine of my life !
On apprit par la voix du pianiste qu'ils avaient pour nom Thomas Mayeras (au piano justement), Julien Daude (à la contrebasse) et Germain Cornet (à la batterie).

Si le Blues est dit-on, la musique du diable, ce petit quart d'heure avait quant à lui quelque chose d'angélique. Elégance, classe et swing était les maîtres-mots de ce moment enchanteur. Quel miracle qu'on puisse encore dans notre époque épuisée, déployer tant de grâce et tant d'optimisme ! Et avec ça une jeunesse éclatante !

Je ne me souviens plus hélas du titre suivant, mais j'ai retenu qu'il s'agissait d'un hommage au superbe pianiste McCoy Tyner, hélas aujourd'hui un peu rangé des voitures, mais qui magnifia des années durant, le hard bop aux côtés de John Coltrane. Ni une ni deux, j'ai saisi mon appareil photo que j'ai toujours sous la main et je me suis mis à filmer goulûment (cf ce clip posté sur Youtube) ...

Il y avait également ce soir là dans ces mélodies savoureuses, un peu de Wynton Kelly, de Hampton Hawes, de Red Garland, de Phineas Newborn...
Au clavier Thomas Mayeras semblait narguer malicieusement, mais non sans un vrai et original talent de mélodiste, ses aînés. La basse était quant à elle épatante, simple et bien carrée, et la batterie particulièrement fringante, libre et débordante de breaks délicieux et de brosses veloutées. 
Décidément, ceux qui ont la faculté de pouvoir tromper de cette manière, "les ennuis et les vastes chagrins qui chargent de leur poids l'existence brumeuse"  sont bénis des dieux !

Encore bravo et merci !

29 juillet 2013

So Long Okie

C'est désormais aux souvenirs hélas qu'appartiennent les riffs pulpeux, si délicatement ciselés que JJ Cale (1938-2013) laissait s'échapper avec un feeling inimitable, de sa guitare savamment bricolée. 
Son superbe album Troubadour disait bien ce qu'il fut: Un poète et musicien, flâneur impénitent, sans attaches ni but évidents, et pourtant lié par toutes ses fibres à un fil conducteur buissonnier, aussi lunatique et libre que très personnel et insensible aux modes. Un Dharma Bum comme dirait Kerouac... Un Okie errant sur les routes de bitume et de poussière, menant à un eldorado sans cesse repoussé. Tu es poussière, tout est poussière...

Etait-il dans son époque ou bien dehors, la question semble vaine, tant il donnait l'impression d'être intemporel. Son art en apparence assez monocorde voire un tantinet pépère, était tout en finesse et en nuances (le fameux laid back...)

Jamais un mot plus haut que l'autre, mais des mélodies à la rémanence délicieuse, comme la trace persistante d'un arôme précieux, et une rythmique veloutée, glissant avec une évidence jubilatoire. 
Parmi les petits chefs d'oeuvres qu'il laisse, on évoque souvent son sulfureux Cocaïne, popularisé par Eric Clapton. Pour ma part je pense avant tout au sublime album intitulé tout simplement Naturally, et aux délicates perles qu'il contient : Magnolia, qui fut par la suite, littéralement transcendé par le trop méconnu Poco, ou bien Call The Doctor à la grâce émouvante, Crazy Mama, et le fameux After Midnight...

On peut également porter au pinacle de sa production, outre le célèbre Troubadour, ses albums « 5 », particulièrement swinguant (I'll make love to you anytime), Shades, au charme bluesy ensorcelant, et « Grasshopper », plus erratique mais si représentatif de ce beatnik discret, et authentique...

22 juillet 2013

Cognac Blues Passion

Cette année pour les fondus de blues, l'été a commencé à Cognac. En même temps que se déroulait la vingtième édition de ce sympathique festival, arrivaient les premières chaleurs de l'année. Et cette charmante ville qui incarne si bien l'esprit de la précieuse liqueur qui porte son nom, semblait s'enivrer des étranges vapeurs musicales s'exhalant un peu partout de ses rues, de ses jardins, de ses châteaux.

Sous les voûtes augustes du palais Valois, devenu Otard par la grâce d'un distillateur inspiré, sous ces vénérables pierres savamment ouvragées qui virent naître François 1er, quelques bienheureux purent savourer le contraste offert par ces salles chargées d'histoire et le chant âpre, les guitares stridulantes de bluesmen à la peau couleur de nuit. Par exemple, Lucky Peterson roulant des yeux facétieux, et souriant à pleines dents en revisitant, tantôt sur le mode joyeux, tantôt sur le mode pénétré, le répertoire de ses aïeux. Everyday I have The Blues dit la chanson...
Avec sa charmante épouse Tamara, ils donnèrent une tendre et délicate interprétation du sublime standard immortalisé par Billie Holiday : Don't explain.
Il n'y a rien à expliquer. C'est précisément ça le blues !

Dans le même endroit, et dans une ambiance délicieusement intimiste, les chanceux d'un autre jour eurent droit au « Jimmy and Jimmy show », Burns et Johnson en l'occurrence (video).
Ces deux là font la paire si l'on peut dire. Tout en se renvoyant malicieusement la balle au chant, ils se délestèrent en toute décontraction de quelques savoureux riffs à la guitare électrique. Au dessus de leur tête trônait un bas-relief représentant le fameux blason à la salamandre. L'animal mythique semblait parfaitement à l'aise dans les braises incandescentes de cet étonnant juke joint improvisé.


Pendant ce temps, de curieuses pensées me venaient à l'esprit : j'imaginais les cueilleurs de coton et leur faisant écho, les travailleurs de la vigne. Ou encore la mélopée térébrante des esclaves du Mississippi entrant en résonance avec les clameurs des haleurs de gabarres sur la Charente...


Retourné à l'air libre, on était saisi par de suaves sonorités pulsatives qui se répandaient sur le parc de la Mairie. Le guitariste Fred Chapellier était à l'oeuvre, accompagné par une petite formation tonique, basse, batterie, clavier (video). Ils exprimaient à leur manière et en toute simplicité, mais non sans ampleur et panache, le message intemporel du Blues. Avec des bends à faire se retourner dans sa tombe l'infortuné Pat Buchanan, celui qui mérite de rejoindre les meilleurs guitaristes outre-atlantique, répondait avec brio et élégance à son alter ego Tom Principato, solide et classieux spécialiste de la telecaster, originaire de Washington D.C..
Mélange des plus jubilatoires, dans cette douce chaleur estivale si désirée...

09 mars 2013

Outside my window


Outside my window,
I just felt so free;
Today, Oh sorrow,
I mourn Alvin Lee.

The guy passed away.
He'd so much to tell.
The Blues goes its way,
And life is like hell...


12 septembre 2012

Ouragan Sentimental

Au dessus des tempêtes, des drames mais aussi des lubies et des billevesées d'un monde plus grégaire et versatile que jamais, Bob Dylan en grand seigneur impassible, continue de peaufiner ses cantilènes intemporelles et ensorcelantes.
Quelle voix sublime à force d'avoir été comme un très vieux cuir, tannée, usée, écorchée, par les orages, les saintes colères et les désillusions de l'existence. Quelle force dans l'indicible parfum d'expectative qui sourd avec une infinie douceur de cette complainte gutturale !

Peu importent les marques de l'âge sur le visage du poète, il n'a cure des jouvences artificielles. Son indépendance, sa liberté, son humilité, sont des signes autrement plus convaincants de sa jeunesse.
D'ailleurs, on dirait qu'il n'y a ni début ni fin dans l'égrenage subtil de ses mélodies succulentes. Seulement une atmosphère extatique, exquisément poignante, comme les mystères qui vous élèvent, en vous interrogeant, avec la dureté de la finitude et la tendresse de l'espérance.

Ça commence avec une sorte de pépite aussi brillante qu'inattendue. Duquesne Whistle. Un train à la manière d'autrefois, passe en sifflant. Comme en sifflotant, plutôt... Dans cet univers pimpant, les riffs guillerets saisissent l'auditeur qui ne peut qu'en redemander. Pas grand chose à voir, sauf erreur de ma part, avec l'illustration glauque à laquelle on eut droit sous forme d'un clip abscons, en prélude à la sortie du disque. Les images sont pauvres lorsqu'il s'agit de représenter l'imaginaire...

La suite est un peu plus sombre. Soon After Midnight. La nuit nous entoure...
Mi Blues, mi mélopée, Dylan emmène ses affidés sur une voie étroite mais au charme hypnotique : Narrow Way. Ne pas s'abandonner à la facilité, recommande-t-il en termes voilés. Ne pas gâcher les années d'une vie que l'ennui fait paraître longue alors qu'elle est si courte (Long And Wasted Years). Dès lors tout s’enchaîne : Les folies qu'on paie au prix fort du sang (Pay In Blood). La légende d'une ville nappée d'un rouge écarlate (Scarlet Town): du crépuscule, ou bien de la honte, ou des déchirements ? Pourquoi ne pas évoquer tant qu'on y est, les mirages funestes de l'histoire, de la gloire, du pouvoir et de l'argent (Early Roman Kings), voire le mythe de l'ange déchu (Tin Angel). Le triste balancement d'une longue, très longue et tragique traversée maritime, sur un océan glacial qui ressemble au destin (Tempest). Et pour finir, l'adieu déchirant à l'ami autrefois arraché abruptement à la vie (Roll On John)...
Il paraît que Bob Dylan voulait faire un recueil religieux. C'est peu dire que l'Esprit affleure à chaque moment sous les détours un peu énigmatiques de sa poésie assagie. ..
Quant à la musique elle-même, précisons qu'elle est servie par un accompagnement idyllique. Des artistes sous le charme, distillant avec volupté un son splendide, merveille d'équilibre, de fantaisie et délicatement feutré comme les velours les plus soyeux... 


Tempest, Bob Dylan. Columbia 2012

21 juillet 2012

Fifty Years With Their Satanic Majesties


Il y a quelque chose d'assurément majestueux dans le parcours tonitruant des Rolling Stones. Ses ruptures, ses dévoiements, ses débordements insensés ne ternissent en rien la marque éblouissante qu'il a imprimée au sein de la constellation du Rock 'N Roll. 
 
Force est de reconnaître que ce qui ne devait durer qu'un instant, n'avoir pas plus d'importance dans la vie de la société que le mouvement zazou, ou bien je ne sais quelle mode éphémère, est devenu une véritable épopée. Une sorte d'effervescence versicolore devenue consubstantielle à l'univers dans lequel nous vivons, et ce depuis déjà un demi siècle !
Comme un cavalier fait corps avec sa monture, le monde contemporain chevauche une série d’événements qui l’entraînent irrésistiblement dans leur course tumultueuse et indécise. Et la musique rythme en quelque sorte cette cavalcade. Nés dans le grand capharnaüm de l'après guerre, le Blues, le Jazz, le Rock 'N Roll ont déboulé à toute allure dans le cours du monde dit moderne, voire post-moderne. Décadence diront certains, vertige poétique prétendront d'autres... 
Pour ma part j'aime à m'enivrer de ce continuum d'émotions, de rêveries et de vagabondages, que je vois éclore quelque part entre Novalis, Shelley, ou Hölderlin, passer par Poe, Baudelaire, Verlaine, ou Kerouac et se magnifier, entre autres, par l'apport des Stones. Oserais-je dire que j'éprouve parfois les mêmes frissons à l'écoute de ces derniers que de Bach, ou de Schuman ?
Allons, c'est évident, cet océan de sensations n'a pas de limite et n'a d'horizon que l'espoir et les chimères, les illusions et l'ivresse. De ce point de vue, les Stones n'ont pas peu contribué à abolir les frontières, au moins dans les esprits, tout en ébauchant les prémices d'un langage universel, indissociable de l'esprit de liberté.
Avec leurs riffs acides et leurs mélodies rustiques mais envoûtantes ils ont été l'un des moteurs d'une folle et improbable aventure, entraînant la dérisoire machine humaine jusqu'aux lisières de l'indicible. Lorsqu'une rengaine aussi simpliste que "I Can't Get No Satisfaction" fait le tour de la planète en ensorcelant invariablement et définitivement des nuées innombrables de jeunes gens, il faut se poser des questions. La rythmique au marteau pilon de cette antienne incontournable, assène en même temps que ses pulsations lascives, les effluves enfiévrés du bon vieux spleen romantique. Dans ces trépidations insatiables, il y a l'éternelle rébellion juvénile, l'impatience devant l'absurdité apparente et les mystères de l'existence...
Brian Jones (1942-1969) s'est noyé dans ce tourbillon qu'il avait voulu boire à pleins poumons. Le fou, l'intrépide aura frôlé les cimes de l'extase avant de s'abîmer dans le gouffre de la solitude . Les « Glimmer Twins », Mick Jagger et Keith Richards, en dépit de hauts et de bas, ont résisté à l'épreuve. Ils ont signé la quasi totalité des compositions qui paveront le chemin de Damas de ce groupe, des délires épicuriens d'enfants nés dans la partie prospère d'un siècle vertigineux, jusqu'à la sagesse et la résignation de vieux bonzes du blues...
S'il est un fait assuré dans cette alchimie parfois aléatoire, c'est que soutenue par les piliers bourdonnants du Rock, la musique étire en tous sens ses harmonies capiteuses et ses divagations incantatoires sur le fil ténu de ce Blues si bouleversant, si universel.
Dans une discographie foisonnante, j'ai tendance à retenir avant tout cette manière si originale d'interpréter ce questionnement récurrent sur le sens de la vie.
Ce sont bien sûr quelques perles tirées avec bonheur du répertoire classique (Love In Vain de Robert Johnson, Shake Your Hips de Slim Harpo, Prodigal Son du Rev. Wilkins, Confessin The Blues de Little Walter, You Gotta Move de F. McDowell...)
Il y a également les rocks vénéneux aux roulements lourds et entêtants dont les fameux déhanchements de Jagger décuplaient la force suggestive: Under my thumb, Rocks off, It's all Over Now, Brown Sugar, Let It Bleed, Jumping Jack Flash, Honky Tonk Woman, The Last Time, Happy, Tumbling Dice, Street Fighting Man, Dead Flowers, Can't You Hear Me Knocking, Mother Little Helper, Get Off Of My Cloud, Let Spend The Night Together...
Il y a les ballades langoureuses : As Tears Go By, Angie, Lady Jane, Ruby Tuesday...
Mais plus que nulle part ailleurs, le feeling stonien a trouvé sa plénitude expressive dans les digressions erratiques, d'où émane un spleen languide au parfum luxurieux : Wild Horses, Paint It Black, Sympathy For The Devil, Salt of the Earth, Gimme Shelter, Midnight Rambler, Sister Morphine, Heart Of Stone, No Expectations, I'm Going Home, Jigsaw Puzzle, Beast of Burden, You Can't Always Get What You Want, Let It Loose... 
Feel like a Rolling Stone !

07 février 2012

Intermède jazzistique


Au diable l'actualité, ses misères, ses polémiques, et ses usants rabâchages. Un peu de musique...
Voici du jazz et du bon ! 

Avec tout d'abord un album qui en dépit de son titre - For Real ! - vaut tous les plus beaux rêves ...
Frotté dans un premier temps aux rythmiques haletantes et syncopales du bop parkerien, le pianiste Hampton Hawes développa un style très personnel, n'ayant pas son pareil pour nimber d'un feeling aérien les pulsations sauvages du Be Bop. De fait, si ses racines remontent loin aux sources du beat, son inspiration emprunte également aux suaves influences cool ainsi qu'au chant tragique d'un blues humble et profond. A mi chemin entre Bud Powell et Bill Evans, non loin parfois de Monk...
Dans ce disque daté de 1958 l'artiste exprime ce style dans toute sa plénitude.
Wrap your troubles in dreams, second titre de cet album, est la pierre de touche de cette philosophie ensorcelante...
Mais il n'est pas question de s'avachir !
On est sur le point de s'engloutir dans cette mélodie sublime quand surgissent les énergiques trépidations de Crazeology, du bop pur jus. De belles et puissantes compositions originales s'ajoutent aux standards (Hip, et For Real, notamment, qui distillent à n'en plus finir leurs pulpeuses et aromatiques digressions).
Pour accompagner le pianiste, difficile de rêver meilleur entourage. Le contrebassiste Scott La Faro, est plus troublant, plus extatique que jamais, superbement soutenu par Frank Butler à la batterie. Et le saxophoniste Harold Land, en équilibre parfait sur la corde que lui tendent ses compères...
Et last but not least, le son si détaillé, si velouté, si enveloppant des fameuses sessions Contemporary Records, qui n'a vraiment rien perdu de sa fraîcheur. Les instruments ont une présence à peine croyable pour l'époque. Plaignons ceux qui ne connaîtront jamais ce bonheur....


Comme un bonheur n'arrive jamais seul, encore une délicieuse pépite Contemporary Records, produite par l'ineffable Lester Koenig, qui permet de se délecter encore un peu de ce son chaud, pulpeux, inégalable, éminemment jazzy qui caractérise tant de sessions magiques de la fin des années 50. Les ingénieurs du son savaient diablement bien poser leurs microphones, lesquels avaient une sensibilité à fleur de membrane si je puis dire... Quel relief, quelle élégance !
Grâce à ces conditions exceptionnelles, le piano de Hampton Hawes a plus que jamais ce ravissant velouté swinguant et désinvolte qui « bope » avec aisance et légèreté. Barney Kessel lui répond avec toute sa verve à la guitare, et on ne perd rien des prouesses d'une section rythmique idyllique associant le facétieux mais si sensible contrebassiste Red Mitchell au puissant et sensuel Shelly Manne à la batterie. Yardbird suite, composition du Bird, ouvre en majesté le bal et se poursuit d'un seul tenant avec There will never be another you. Ensuite une digression pleine d'humour signée Mitchell (Bow Jest) qui s'en donne à cœur joie à l'archet. Suivent deux prises très enjouées (Sweet Sue et Up Blues) puis un émouvant et languide Like Someone In Love.
Avec le titre suivant, joyeux et bondissant, Love Is Just Around The Corner, c'est une envie irrépressible de faire des sauts cabri qui vous prend...
Et pour terminer, deux charmants petits bonus (Thou Swell, The Awful Truth) et le tour est joué.
Mon Dieu quelle joie de s'abandonner à tant de suavité sentimentale. Au chapitre des regrets : que l'extase se dissipe si vite, et plus encore, que soit révolue cette époque bénie...

Enfin, pour terminer, une petite session intimiste, enregistrée dans le cadre cozy d'une bibliothèque cossue, en Suède, un froid jour de novembre 1984, et ressortie fort opportunément en DVD, qui distille un subtil ravissement.
Elle met en scène le saxophoniste Zoot Sims, émacié, très fatigué, au bout du rouleau même (il allait disparaître quatre mois plus tard), libérant ses dernières pensées musicales, son dernier message, plus mélodieux, plus troublant et fragile que jamais.

Juste entouré, superbement, de Red Mitchell à la contrebasse et Rune Gustafsson à la guitare, il s'abandonne à d'exquises divagations sur des thèmes éprouvés (In a sentimental mood, Gone with the wind, 'Tis autumn, Autumn leaves...). Chaque instant est magique et on retient son souffle pour n'en rien perdre tant ici vibre avec douceur l'alchimie cool du jazz...  
 

24 juillet 2011

Une voix perdue


Réédition du billet du 15/02/08


Ange vivant du Jazz, fine fleur du Blues, âme damnée de la Soul, Amy Winehouse est un peu tout cela en même temps.
Faisons le point : elle débarque d'un monde étrange, hallucinée, incertaine comme une comète inattendue, et des vapeurs black and blue flottent autour d'elle comme une aura scintillante.
Quel est ce mystère ? Elle est lumière et pourtant la lumière s'engloutit en elle.
De méchants papillons noirs se collent à sa peau imprimant sur ses bras décharnés, des tatouages bizarres.
Elle promène un peu hâbleuse, une dégaine improbable, à la fois très étudiée et très « laisser faire » : une silhouette efflanquée, presque titubante, enveloppée dans une robe en chiffon d'où sortent deux cannes fuselées, longues comme l'attente des jours heureux.
Ses cheveux sont un torrent dégringolant d'un obscur tumulus, et ses yeux tirés vers ce chignon catastrophique, forment en se prolongeant indéfiniment, des sortes d'hyperboles narquoises, outrancières.
Elle se déhanche sur scène avec une allure étrange, mariant le mauvais goût sublime à une grâce délicieusement obscène.
Mais quand elle se met à chanter, le regard perdu dans le vide, sa voix qui s'élève aiguë et déchirante, chaude comme une braise, agit sur la foule à la manière d'un baume souverain. Back to black. Le charme opère immédiatement, et la mélodie en retombant sur les têtes est comme une pluie brillante dont chacun cherche à s'imprégner goulûment.
Derrière elle, l'orchestre est un velours idéal. Sa rythmique limpide et cuivrée, noyée dans un écrin de couleurs chatoyantes, aplanit toute angoisse et se fond avec le chant pour transformer la souffrance en beauté pure. La réalité s'efface et cette indicible présence devient une évidence obsédante. On ne s'en détache qu'à grand peine.

Pauvre ange, tiendras-tu longtemps en équilibre, ainsi juchée si haut, dans de si périlleuses sphères ? Sauras-tu prolonger ces extases en dominant ton être qui paraît si fragile et instable ?
C'est l'espoir un peu fou qui s'insinue en soi dès que les feux de la rampe s'éteignent et qu'on se retrouve seul et stupide, face à la trivialité du monde...
DVD : Live in London. 2007

25 octobre 2010

John Mayall, un Croisé du Blues

Côtoyant avec une superbe indifférence le tumulte imbécile qui submerge en ce moment notre pays, le légendaire John Mayall termine tranquillement sa tournée française, avant de continuer son marathon d'automne en Hollande, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre et enfin aux USA, où il gagnera fin novembre, le petit paradis d'Hawaï, pour un repos bien mérité.
Par un magnifique hasard j'ai eu la chance de me trouver sur une des étapes de son chemin.
Le bonhomme est superbe. Ses presque 77 ans n'ont pas l'air de peser sur sa longue silhouette efflanquée, toute simple, qui bondit avec légèreté sur ses baskets. L'homme qui autrefois vivait quasi dans les arbres, n'a pas perdu une once de son charme aristocratique un peu déjanté. La longue chevelure est encore solide, bien serrée dans son catogan, et la petite barbiche en feuille d'artichaut qui s'est frotté à tant d'harmonicas, est toujours aussi drue. Certes, le poil a blanchi, mais dans les tripes, c'est manifestement la même ardeur juvénile qu'il y a 45 ans, lorsqu'il fit irruption dans le monde de la Pop britannique, comme un Don Quichotte un peu illuminé. La problématique de la retraite doit lui échapper, le malheureux...
Lorsqu'on arrive un peu en avance pour le concert, il faut le voir à l'entrée tranquillement installé à côté d'une pile de CD qu'il dédicace et vend en toute simplicité aux amateurs ! Pour un peu il contrôlerait aussi les billets...

Depuis les sixties, beaucoup de décibels sont sortis des amplis, et John Mayall s'est imposé comme une sorte de commandeur. Un vrai croisé du Blues comme il aime à se qualifier lui même, avec son groupe inoxydable The Bluesbreakers. On sait quelle magnifique école il fut pour quantité d'artistes. Aujourd'hui encore les musiciens qui l'accompagnent mettent toute la gomme pour jouer une musique pleine de jus, d'énergie et d'émotion. Rocky Athas est à la Gibson. Bien que d'origine texane comme son prédécesseur immédiat Buddy Whittington, son style est très différent. Mais si les riffs sont plus rustiques, ils n'en sont pas moins solides et mordants. A la basse, Greg Rzab balance avec nonchalance de belles et térébrantes vibrations. Enfin Jay Davenport à la batterie assure un canevas rythmique solide à ces succulentes digressions.

Quant à John, il chante bien sûr. La voix de gorge, légèrement aigrelette n'a pas bougé. Elle est tantôt presque gutturale tantôt d'une exquise suavité. Et lorsqu'elle monte dans les aigus, elle sait trouver le chemin des âmes les plus insensibles, en feulant par exemple la complainte indicible de la mort de J.B. Lenoir, un des ses bluesmen chéris.
A l'harmonica bien sûr il reste une référence incontournable, même lorsqu'il se met à improviser avec le minuscule joujou qu'il garde accroché comme un fétiche à son cou. Sans oublier naturellement que l'artiste est un homme orchestre à lui tout seul : claviers, synthé, guitare, rien ne l'arrête, avec une manière unique de faire alterner avec bonheur les sonorités "pure blues", avec celles du jazz, du boogie, du rock...
Ce soir on a eu droit à un sympathique échantillon de sa carrière allant du Parchman Farm de ses débuts, aux compositions très blues-rock de son dernier album Tough. Et entre ces extrêmes, la part belle est faite à Sonny Boy Williamson et à Otis Rush qu'il porte dans son cœur.
Il n'y a rien à faire, cette musique a définitivement marqué l'histoire du blues de son empreinte originale. Du Blues transcendantal en quelque sorte...

18 septembre 2010

Extase et dévastation

Il y a quarante ans s'estompait brutalement le panache aveuglant de Jimi Hendrix (1942-1970). Avec lui, s'évanouissait une bonne partie de la magie des années soixante.
Pour lui rendre une sorte d'hommage, qu'il soit permis d'évoquer une des plus étonnantes prestations scéniques de ce génie turbulent mais si attachant, lors du festival de Monterey en 1967 (immortalisé par la caméra de D. A. Pennebaker).
Avant ce spectacle, Hendrix était quasi inconnu. Après, il était devenu à tout jamais une légende...

Ce soir là, au milieu d'un feu d'artifice dionysiaque, il donna notamment une interprétation inoubliable et définitive du fameux "Like A Rolling Stone" de Bob Dylan.


*********************

Jamais on ne vit pareil moment sacrificiel, fusionnant aussi parfaitement l'incandescence musicale avec le feu de l'enfer, pour finir en une bouleversante apothéose barbare...
Jimi entouré, bardé, nimbé de falbalas, agitait fébrilement son corps nerveux, à la manière d'un serpent captif, cherchant par de furieuses reptations, à retrouver la liberté.
Alentour, la pénombre dévorait des pans entiers de sa silhouette irisée, où le rouge des lumières déteignait comme le sang du Christ. De cette cruelle extase, jaillissait un flot de souffrances passées et d'anciens chagrins, sublimés par la crépitation d'espérances insensées. La guitare en tournoyant, zébrait l'obscurité d'éclairs fulgurants, ponctués par le tonnerre de la batterie et les stridences des cordes suppliciées.
Les profondeurs vertes et bleues de la mer, les infinis scintillements de la voûte céleste ne donnent qu'une faible idée de ces pâmoisons indicibles, où l'âme se débat aux portes d'abimes insondables. 
Dans cette transe illuminée, que baignait un torrent mélodique idéal, se jetaient pêle-mêle et sans retenue, à travers la brume violette*, des avalanches de pierres roulantes**, une aïeule de Bob Dylan, l'ombre de Joe***, les coeurs et les oreilles de la foule subjuguée, les hymnes de pays vainqueurs mais déchirés****, et au dessus de tout, le vent chuchotant comme une caresse, le doux nom de Marie*****...
Jamais, oh non jamais, on ne vit plus splendide et plus terrifiante célébration du Blues...
(*Purple Haze, **Like A Rolling Stone, ***Hey Joe, ****Wild Thing, *****The Wind Cries Mary)
Film disponible en DVD, Jimi Hendrix guitare, Noel Redding basse, Mitch Mitchell batterie)

09 août 2010

Jerry Day


Déjà quinze ans que l'ineffable Jerry Garcia (1942-1995) est parti sur la grande route ! Nombre d'aficionados continueront longtemps à se sentir orphelins de ce bon papa du rock and roll, qui savait si bien "faire des miracles comme on fait des chansons" (pour reprendre une belle expression d'Alain Gerber).
Là bas, en Californie, où avaient blanchi prématurément sa tignasse de hippie et sa barbe de philosophe, certains auraient rampé sur le ventre pour assister à l'une de ses séances de sortilèges. Lui, en dépit d'une tendance à l'embonpoint, n'avait rien d'une star boursouflée. C'était un gars tout ce qu'il y a de simple et d'aimable, un genre de plouc génial, dévoué corps et âme à la musique.
Let It Rock. Grâce à Dieu sans doute, des bandes, semble-t-il récemment exhumées par la famille, redonnent un peu le goût de ces enchantements, par le truchement d'un concert enregistré en 1975. Le père du Grateful Dead, était juste entouré de quelques musiciens avec lesquels il tournait, en marge du vaisseau amiral. On trouve le subtil pianiste Nicky Hopkins trop tôt disparu, et un duo rythmique associant John Kahn à la basse et Ron Tutt à la batterie.
C'est une magnifique occasion de se remettre dans l'oreille les moelleux soli à la guitare du Pape des DeadHeads, et son chant si doucement écorché; cette musique qui sait si bien susciter des rêves de soirées d'été ensoleillées, et envahir l'esprit songeur de douce sensualité, et d'un brin de mélancolie...
On peut dire qu'on en a pour son argent. Pas un morceau de moins de 5 minutes (et encore, c'est un solo de piano), le sommet étant une reprise du grand classique stonien Let's Spend A Night Together qui étire sur plus de 18 minutes ses chaudes et envoûtantes digressions. Parmi les trésors sortis de l'obscurité, on trouve évidemment quelques perles bien rondes et suaves du tandem Garcia/Hunter, tirées du répertoire du Dead (Friend Of The Devil) ou bien de la carrière solo de Jerry (Sugaree, They Love Each Other), mais aussi plein d'autres choses passionnantes (Let It Rock de Chuck Berry, ou le sublime I'll Take A Melody, d'Allen Toussaint...). La prise de son est comme toujours soignée aux petits oignons et donne aujourd'hui encore très un beau résultat (HDCD s'il vous plait). Bref un bijou à posséder quand on est fan, et franchement, comment ne pas l'être ?
Depuis 8 ans, aux USA, on a pris l'habitude de commémorer la date anniversaire de sa naissance, le 1er août, qu'on appelle désormais Jerry Day. Quant au 9, c'est le jour de sa mort...

14 juin 2010

Un été dans les caves de l'Eden

Ça s'est passé à une époque ou les grosses fortunes et les stars accouraient en France pour échapper aux rigueurs du fisc de leur pays !
Deux effets bénéfiques de ce genre d'exil doré ont été démontrés à l'occasion du débarquement en fanfare des Rolling Stones sur la Côte d'Azur lors de l'été 1971 : de belles rentrées financières pour les commerçants du coin, et surtout, une aventure musicale inouie dans les caves de la villa Nellcôte.
Autrefois propriété paraît-il de la célèbre famille Bordes, qui arma bon nombre des cap-horniers du temps de la marine à voile, ce splendide édifice d'architecture néo-héllénique, qui surplombe la rade de Villefranche est en soi un paradis terrestre. Les bandes enregistrées dans ses entrailles pour l'album Exile on Main Street, qui ressortent en CD après un complet relooking technique, témoignent qu'il s'agit aussi d'une puissante source d'inspiration artistique.
Après la réédition des disques des Beatles, après le revival de Jimi Hendrix, les aficionados des sixties peuvent retrouver dans cette compilation rénovée et enrichie, les mélodies ensorcelantes portées par des riffs mordants, et le parfum vénéneux qui sont la marque du fameux spleen stonien.

Au fond des caves chaudes et humides de la superbe villa patricienne, plongée au coeur de l'été méditerranéen, au sein des fumées délétères et des vapeurs alcooliques, dans une sorte de vertige lascif, s'établit une alchimie improbable mais parfaite entre la plainte suave du blues et les divagations hallucinées du rock'n roll.
Ça démarre en vrombissant sur la basse térébrante de Rocks Off, vite rejointe par la scansion nerveuse de Jagger, sur une rythmique d'enfer et un tonnerre étincelant de cuivres. Tout de suite le trip est engagé, impossible de renverser la vapeur.
On décolle franchement avec Rip That Joint. Crénom, c'est certain, ça ne redescendra plus. Pulsation qui nait de l'échine et parcourt en les déchirant délicieusement, les chairs jusqu'en bas des reins...
Le beat enjôleur de Shake Your Hips, emprunté à Slim Harpo fait se lever les dernières réticences.
Puis c'est dans une pâmoison continue, que s'enchainent une nuée de titres, liés par une force harmonique et une logique apodictiques : Casino Boogie, Tumbling Dice, Sweet Virginia, Loving Cup, Happy, Shine A Light... ça coule de source dans les oreilles éblouies et ça se fait parfois doux comme le miel (Let It Loose, ou le capiteux Following The River, inédit et totalement retravaillé pour la circonstance).
A certains moments, on croirait presque entendre les cigales dans l'arrière plan (Sweet Black Angel) ou le rythme régulier et lent des pales d'un ventilo géant, remuant nonchalamment l'air de ces sessions torrides (ventilator blues). Puis ça repart de plus belle en tournoyant, en éructant, en jappant, en feulant, en criant à perdre haleine.
Indicible distorsion du temps dans ce torrent idéal de musique, montée extatique de pulsions amoureuses, moiteur rubescente des nuits azuréennes, Tout se conjugue pour donner à cet ensemble le goût de plaisirs séraphiques, où l'incandescence du rêve agit comme un baume souverain, qui sublime et prolonge les sensations éphémères tirées du réel...

Illustrations : visions personnelles des nuits de Nellcôte... 

06 janvier 2010

De quatre, un tout

Faire des voeux tous azimuts c'est probablement bien. Prenez donc les miens je vous en prie. Mais commencer l'année tout doucement, avec les quatuors de Beethoven, c'est encore mieux : un plaisir rare, propice à faire naitre une nouvelle vigueur et à rêver de bonheurs modestes mais distingués et pénétrants. C'est celui donné en tout cas par le Alban Berg Quartett (abq) qui a enregistré en public ces oeuvres à Vienne en 1989, et qu'on peut réentendre par DVD interposé.

Rarement l'idéal en musique, n'a semblé si proche. L'interprétation est superbe et s'agissant des oeuvres, elles constituent l'un des sommets, probablement insurpassables, du génie humain tout simplement. Comment décrire ces délicates constructions musicales qui s'insinuent dans l'âme, au gré des subtils glissandos des archets, virevoltant au dessus des cordes ? Comment parler de ces térébrantes mélodies, et que dire sinon qu'elles touchent au sublime ? Ces oeuvres distillent une telle grâce, qu'on voudrait pouvoir entrer en osmose avec elles pour atteindre une intemporelle et chaude béatitude. Hélas, même avec des notes issues d'un moule portant l'empreinte de l'infini, le temps s'écoule inéluctablement et le drame existentiel continue de peser même s'il se joue durant quelques instants, des vanités matérielles. Un fragment tombé du Paradis en quelque sorte...

Les derniers quatuors sont sans doute les plus beaux, les plus profonds, ceux qui vont le plus loin dans l'introspection de l'esprit humain. A leur écoute on est saisi d'une mystérieuse émotion, comme si au fond de soi s'épanchaient les pleurs de la mélancolie qui furent aux dires du compositeur lui-même, la source de la bouleversante cavatine de l'opus 130. Beethoven n'était-il donc comme d'aucuns le prétendent, qu'un paquet de chairs mues par un hasardeux mélange d'automatismes électriques et de protéines hormonales ? Fadaise assurément.

Comment ne pas comprendre qu'ici réside à l'évidence une force surnaturelle, liant le génie de l'Homme à l'Indicible, à l'image du doigt d'Adam effleurant celui de Dieu dans le fameux dessin de Michel-Ange ? Comment rester insensible à la magie suave qui émane du long adagio de l'opus 127 ? Plus de dix-sept minutes d'intenses variations sur un thème, au sein desquelles s'interpénètrent les chants extatiques des violons et violoncelle :

Ces violons sont comme des caresses Qui dans le cours ténébreux du temps Portent un message miroitant, Rempli de larmes et de promesses.

Par dessus les terrestres faiblesses Les chants des cordes en s'imbriquant Répandent un baume coruscant Au parfum des célestes sagesses.

Et qui sait si ces accords parfaits Ne sont pas l'avant-goût de bienfaits Tombant d'une adorable immanence,

Et dans la prison du quotidien, S'ils ne sont pas le signe aérien D'une enchanteresse délivrance ?

22 octobre 2009

Autumn Blues

L'automne qui dépouille les arbres de leurs doux limbes verts, l'automne qui rouille les feuilles avant de les précipiter dans la fange humide, en chutes erratiques, l'automne qui découvre la dureté ligneuse des troncs comme on le ferait cruellement d'une blessure jamais cicatrisée, l'automne me met au supplice en imprégnant l'air, les jours, et l'existence, de ses miasmes languides. A celui qui ne peut repousser ce déclin navrant, qui ne peut espérer comme les ours pouvoir s'endormir au creux des dernières chaleurs en attendant le retour des beaux jours, ou bien la concrétisation de quelque suave espérance, il reste la consolation du Blues.

Celui de Lester Young (1909-1959) par exemple qui aurait cent ans cette année et qui s'est éteint il y en a tout juste cinquante. Son regard perdu dans l'indicible, son élégante et nonchalante dégaine, et son apparent détachement des choses matérielles continuent d'imprégner l'idée même du jazz. Sa gentille ombre tutélaire nimbe d'un voile discret d'émotion toute musique nourrie de son inextinguible génie. Les disques qui retiennent pour l'éternité les fragiles volutes de son saxophone sont autant de trésors opportuns pour les jours où l'âme se sent affligée. Avec Count Basie, Teddy Wilson, Roy Eldridge, Harry Edison, Oscar Peterson et tant d'autres il sema tant de pépites au long de sa vie chaotique mais illuminée...

Evidemment les plus émouvantes traces sont celles qu'il laissa en chansons avec son délicieux double féminin, celle qu'il surnomma Lady Day tant elle sublima la noirceur et l'obscurité du Monde. Billie Holiday (1915-1959) n'est jamais loin quand on évoque Pres, qui fut son si cher ami, son tendre complice en spleen. Si proches étaient-ils que par un hasard étrange, elle le suivit quasi instantanément sur le chemin de l'éternité, et que leurs souvenirs sont désormais indissociables dans l'esprit de tous ceux qui sont familiers de cet étrange sentiment qu'on appelle le blues. Last Recording enregistré au moment même ou Lester Young disparaissait, reste un des plus poignants témoignages de cette épopée.

Tant que je suis à la nostalgie, s'imposent à moi à l'occasion de l'achat de leurs derniers disques, les noms de deux artistes trop tôt disparus. Dans l'histoire du rock, peu de voix resteront aussi touchantes que celle de Rick Danko (1942-1999), bassiste du groupe The Band, qui accompagna jadis Bob Dylan et continua sous son propre nom une belle carrière ponctuée entre autres par la session légendaire The Last Waltz. Personnage discret, d'une gentillesse proverbiale, Rick fut malgré son grand talent un éternel insatisfait, et pour échapper aux angoisses de l'existence, parsema hélas comme beaucoup d'autres, sa vie d'excès désastreux. Autant dire qu'il se suicida à petit feu. L'album Times like these réalisé en 1999 l'année de sa disparition, est un peu son chant du cygne. Réalisé en collaboration avec de nombreux amis, il contient un lot de ballades attachantes parfois composées par lui-même parfois en association (Tom Pacheco, Bob Dylan, Jerry Garcia...) et toujours interprétées avec de vibrantes intonations, révélatrices d'une grande profondeur d'âme et d'inspiration (Times Like These, Sip The Wine, You Can Go Home...). Remarquablement mis en musique cet opus est empreint d'une chaude nostalgie. Un vrai petit trésor, rare, humble mais à coup sûr durable, comme la voix douce d'un ami qui s'épanche et tente de conjurer les misères de la vie...

Enfin, last but not least, le tout dernier enregistrement de Jeff Healey (1966-2008) : Mess of Blues Aveugle quasi de naissance, la faute à une affreuse tumeur de la rétine, il sublima sa malédiction en devenant guitariste et en mettant au point une technique extrêmement personnelle consistant à coucher l'instrument sur ses genoux comme une lap-steel guitar et à effleurer les cordes du bout de ses doigts. Cela lui permit de s'élever au plus haut de cet art ô combien difficile même pour un individu doté de tous ses sens. Il donna la réplique entre autres à Stevie Ray Vaughan sans avoir rien à lui envier. Hélas malgré une énergie hors du commun et un optimisme à toute épreuve il fut rattrapé par la maladie dans laquelle son existence était décidément tragiquement enfermée. Ce disque émouvant, car réalisé au seuil d'une mort prématurée, donne la mesure de son exceptionnel talent et sa grande sensibilité. Faisant alterner rocks haletants (Mess of Blues, It's only money, Shake, Rattle and Roll), ballades country (The Weight repris du Band, et Like a hurricane de Neil Young) voire cajun (Jambalaya de Hank Williams), et de beaux blues pulpeux (I'm torn down, How blue can you get, Sittin' on the top of the world), il témoigne d'un art parfaitement maitrisé. Il est accompagné par une section rythmique très pêchue et aux claviers, Dave Murphy particulièrement en verve. Un vrai chef d'œuvre de style et d'émotion.

Autumn : A Dirge Percy Bysshe SHELLEY (1792-1822)

The warm sun is falling, the bleak wind is wailing, The bare boughs are sighing, the pale flowers are dying, And the Year On the earth is her death-bed, in a shroud of leaves dead, Is lying. Come, Months, come away, From November to May, In your saddest array; Follow the bier Of the dead cold Year, And like dim shadows watch by her sepulchre.

The chill rain is falling, the nipped worm is crawling, The rivers are swelling, the thunder is knelling For the Year; The blithe swallows are flown, and the lizards each gone To his dwelling. Come, Months, come away; Put on white, black and gray; Let your light sisters play-- Ye, follow the bier Of the dead cold Year, And make her grave green with tear on tear.

24 septembre 2009

Vita Nova


1969, année magique. Fin des sixties, achèvement d'une époque, début d'une nostalgie indicible... Abbey Road, le sublime point d'orgue des Beatles revient tout neuf quarante ans après sa création !
Même si cette remastérisation n'apporte qu'un assez modeste progrès technique, c'est tout de même l'occasion de se remettre dans les oreilles cette féérie musicale dans toute sa splendeur, et dans toute sa fraicheur. Bon Dieu, ça n'a pas pris une ride. Les subtils arrangements emplissent l'atmosphère suavement avec une acuité merveilleuse. Les voix sont belles et parfaitement posées. Les mélodies sont plus pimpantes et ensorcelantes que jamais, j'en ai des frissons...
Si le coffret intégral paraît un peu fou, les CD sortent isolément à un prix raisonnable. C'est l'occasion pour les plus jeunes de découvrir un passé qui approcha de si près le bonheur, et pour les vieux de la vieille, de repartir d'un nouveau pied. Dehors le ciel est bleu comme la joie, illuminé par le soleil qui vibre du feu de l'espérance. La vie est belle !

29 août 2009

Flânerie bordelaise



Il y a quelques jours je passais par Bordeaux. Arrivée par le Pont de Pierre qui étend ses arches aux couleurs roses de vin entre les rives de la Garonne. Appuyés sur des piliers trappus les grands bras de briques tendres semblent embrasser les eaux brunes du fleuve qui se trainent nonchalamment dans la tiédeur estivale. Au dessus, les noirs réverbères coiffés d'élégants chapeaux pointus défilent en formant une procession altière. Comment entrer plus noblement dans cette belle cité ?
Depuis le quasi achèvement des opérations de rénovation, Bordeaux a retrouvé sa classe et son charme de grande bourgeoise. En débouchant sur le cours Victor Hugo on se croirait un moment sur le Bosphore tant sont présentes les références à la Turquie : bars aux noms exotiques frappés du croissant levantin, restaurants typiques, épiceries et boucheries hallal, femmes quasi inexistantes...
Mais à côté de la ville méridionale s'allongent impassiblement à perte de vue les quais emblématiques des Chartrons. Souvenir de temps où le temps s'écoulait comme les eaux tranquilles du fleuve, et où l'on pouvait voir de ces nobles fenêtres, les gabarres défiler sur ce cours fluide comme autant de repères rassurants d'une industrie paisible, immémoriale, attachée toute entière à l'art de la vie.
Bordeaux avec ses rues piétonnières, ses petites places tranquilles et ses belles esplanades n'est pas trop affectée par les turbulences futiles et les urgences inutiles du monde moderne.
Dans la rue Porte-Dijeaux, la vénérable librairie Mollat continue d'entretenir avec soin ses belles vitrines dont l'encadrement bleu, tout simple, est à lui tout seul déjà apaisant. Quand on songe que Montesquieu habita l'endroit,on est traversé par un frisson indicible. A l'intérieur, de belles grandes salles peuplées de milliers d'ouvrages, sont organisées et rangées impeccablement. Au hasard de mes déambulations, je trouve présentés pour attirer l'oeil du chaland, les inévitables piles des derniers livres prétendument à la mode. Cette accumulation racoleuse a le don de m'énerver prodigieusement et me rebute.
Plus intéressant, un livre invitant aux lectures de Hume, deux titres de Ralph Waldo Emerson, les poèmes de Malcolm Lowry, le Quartet of Alexandria en version originale...
En dépit du plaisir que j'éprouve a y flâner, comme souvent je m'interroge sur l'avenir de tels magasins. Contrairement à la musique qui est désormais très largement véhiculée sous forme de fichiers informatiques, les bouquins restent encore synonymes de papier pour nombre de gens. Il est vrai que les écrans des ordinateurs s'avèrent à ce jour incapables d'offrir les mêmes conditions de lecture, notamment au grand jour, et plus encore au soleil, sur une chaise longue.
Je suis persuadé qu'il ne s'agit que d'un répit. Quoi de plus immatériel que la littérature ? Pourquoi accumuler toute cette paperasse si laborieuse à ranger, à transporter, à déménager ? Les belles reliures sont démodées, les beaux papiers également. C'était pourtant un alibi recevable, mais qu'on ne vienne pas dire que l'odeur ou le toucher d'un livre de poche ou même d'un volume encollé industriellement soit de même nature que les divines fragrances émanant d'un vieux cuir ou du velin.
La dématérialisation a du bon. Elle incitera peut-être le monde de l'édition a plus d'humilité, chassera les marchands cupides et vendeurs de niaiseries du temple de l'art et fera peut-être renaître de ses cendres la notion de mécénat. En tout cas tout est préférable à cette loi HADOPI, bourrée de bureaucratie et de bonnes intentions stériles... Ô mannes de Montesquieu, écartez ces lois inutiles qui affaiblissent les lois nécessaires...
Pour finir, s'agissant de la musique, je ne dédaigne pas le support physique du disque, lorsqu'il est d'un prix abordable. Dans une petite boutique de Saintes, j'ai trouvé deux petites perles que même sur internet j'aurais eu de la peine à me procurer : Nat King Cole chantant en espagnol, un vrai velours imprégné de soleil et de farniente et Pepper Adams dont le saxo baryton n'a rien à envier à ceux de Gerry Mulligan ou de Serge Chaloff, et qui ramène à l'oreille ravie les sonorités détendues de la West Coast, tandis que l'été qui semble vouloir s'éterniser caresse de sa douce chaleur les pêches dans les arbres...

31 juillet 2009

Blues d'été


A emporter en vacances quand on aime le blues et les sonorités pas trop formatées, stéréotypées, calibrées...
Tout d'abord le nouvel opus de Madeleine Peyroux , Bare Bones : Du jazz qui déploie sa douce musique à la manière de la caresse languide et chaude du soleil à travers les persiennes au coeur de l'été... C'est tamisé, distillé, retenu mais ça irradie le bonheur discret d'exister, lorsque les soucis sont comme par magie évaporés. Madeleine Peyroux joue avec volupté des subtiles intonations de sa voix ensorcelante. Elle se promène sur les délicieuses mélodies et un quatuor idéal l'accompagne dans cette infinitésimale odyssée. On retrouve notamment Vinnie Colaiuta qui du bout de ses balais effleure le rythme avec sensualité. De leur côté Jim Beard au piano et Dean Parks à la guitare libèrent avec tendresse tout le jus de leur instrument. O temps suspends ton vol...

Ensuite l'éternel compagnon des âmes errantes, Bob Dylan qui invite toujours au voyage, Together Through Life. C'est un vrai bonheur de constater qu'avec l'âge, il ne perd manifestement pas sa verve créatrice. Elle prend au contraire une saveur de plus en plus troublante et attachante. Comme celle d'alcools délicatement imprégnés des parfums du chêne dans lequel ils vieillissent, et qui grâce à une mystérieuse alchimie révèlent une infinité d'arômes subtils. Ce nouvel album est assurément de la même veine que ceux qui le précèdent. Comme le magnifique Modern Times il cache ses trésors derrière une modeste pochette illustrée d'une très suggestive photo noir et blanc. Cette fois-ci un bref moment de tendresse au fond d'une auto filant sur le bitume, capturé par Bruce Davidson, donne l'atmosphère.



La musique quant à elle, s'inscrit dans cet univers fugace du temps qui passe, avec une indicible prégnance. Comme souvent avec Dylan, elle n'a l'air de rien au premier abord, mais elle imprime profondément son sillon. Sur des rythmiques tendues ou chaloupées, admirablement servies par des musiciens épatants, le chanteur pose tranquillement sa poésie si particulière, en jouant à merveille de sa voix enjôleuse, à la fois nasale et pointue, écorchée mais un peu grasseyante, trainante, lointaine et si proche...
Les chansons sont toutes simples. Elles tiennent parfois du blues (life is hard, my wife's home town) mais aussi plus souvent de la ballade amoureuse (Beyond here lies nothin, Jolene, the dream of you). On y trouve aussi des réminiscences de rêves passés : I feel a change comin' on... L'ambiance est un rien feutrée, avec ce qu'il faut d'acidité. Quelques beaux riffs de guitare électrique, une pincée de douceur apportée par la pedal steel, les volutes ensorcelantes du banjo, de la mandoline et surtout d'un accordéon qui rappelle parfois les bonnes vieilles sonorités du Band...
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Un rescapé des sixties ensuite, qui semble renaître de ses cendres depuis quelque temps, Jeff Beck. L'homme n'a jamais été attiré par les feux de la rampe, mais il a fait une exception il y a quelques mois, pour une parenthèse enchantée dans un petit club londonien le Ronnie Scott's.
Guitariste éphémère des Yardbirds pendant les sixties, c'est un artiste plus que discret. Les aficionados de Brit Blues et de Jazz Rock connaissent son nom mais sont sans doute peu nombreux à mesurer vraiment ce dont il est capable. Avec cette prestation extatique, il faut espérer qu'il gagne enfin la place qui lui revient de toute évidence au panthéon des rock stars : celle d'un géant !
C'est tout simplement une révélation. Ce qu'il fait sur scène est diablement sioux. Pas à cause du collier plus ou moins indien qu'il arbore modestement, mais parce qu'il fait preuve d'un toucher de guitare absolument unique, quasi indicible. Il n'a pas son pareil en effet pour pincer, tirer, marteler, pousser, griffer, effleurer les cordes afin d'en extraire un jus incroyable. Tantôt ce sont des stridulations qui vrillent l'air comme les fusées d'un festival pyrotechnique, tantôt c'est une plainte qui meurt en feulant sous la caresse du bottleneck. Et tout ça totalement maitrisé, pétri avec amour par des doigts nerveux et agiles qui n'ont que faire d'un médiator mais semblent faire corps avec le bras du vibrato.
Dans le cadre de ce fameux petit club de jazz de Londres, quoi de plus naturel à entendre que du jazz ? Mâtiné de blues, de rock et de rythmes funky c'est bien du jazz en quelque sorte qu'on entend. Jazz rock avant tout, sous tendu par les arpèges d'une jeune bassiste prodige Tal Wilkenfeld. Elle a la pêche de Jaco Pastorius ou de Stanley Clarke, avec en plus un air malicieux de ne pas y toucher, qui fait manifestement l'admiration attendrie de son mentor. A la batterie Vinnie Colaiuta assure le tempo comme une horloge suisse, tandis que Jason Rebello tient sans faiblir les claviers comme un chef ses fourneaux.

Comme Jeff ne chante pas, les mauvaise langues pourraient dire qu'il ne lui manque que la parole... C'est vrai mais à la place, il a l'heureuse idée de donner la vedette à des artistes bourrées de charme et de talent : Joss Stone, et Imogen Heap. La première revisite de manière très convaincante un titre de Curtis Mayfield (People get ready), et la seconde sur une composition personnelle, se lance avec Jeff à la strat, dans un duo irradiant qui est un des sommets du concert (Blanket), puis donne une version décapante du fameux Rollin' and Tumblin'. Sans oublier Eric Clapton en personne qui vient faire le boeuf sur deux blues bien juteux à la fin du concert.
En, prime on a même droit en intersession, à une savoureuse séquence typiquement rockabilly avec les Big Town Playboys.
Au total, ce DVD/Blu ray est un enchantement. Signalons enfin qu'il est remarquablement filmé et doté d'une prise de son impeccable, chaude, précise, détaillée. Bref, une belle euphorie...