24 janvier 2024

Basic Economics 5

Conclusion

L'intérêt de l’ouvrage de Thomas Sowell ne réside pas tant dans l’originalité des démonstrations présentées, somme toute déjà connues, que dans l’illustration pratique qui en est donnée à partir de la réalité factuelle.
L’approche est donc avant tout pragmatique, contrairement à celle des théoriciens, cramponnés à des principes. Au surplus, la clarté du discours le rend plus percutant que les méandres idéologiques dans lesquels s’enlisent nombre de penseurs autoproclamés progressistes.
En bon économiste libéral, Sowell ne cherche pas à changer radicalement le monde sur la base de concepts théoriques mais à mieux le comprendre et à s’adapter à ses réalités incontournables, pour en tirer le meilleur parti.

Si l’intervention de l’Etat sur les prix s’avère en général néfaste, elle serait en toute logique évitable. Ce n’est pas le cas de beaucoup de facteurs, pas toujours prévisibles, susceptibles de faire évoluer les prix et de peser sur l’offre et la demande. A l’instar de Schumpeter, il est imperatif d'être réactif face à ces évènements afin d’évoluer voire d’organiser sans délai les mutations que les renversements de situation imposent.
Pour rester prospères, les entreprises doivent notamment prendre en considération les progrès techniques, les changements du contexte social ou géopolitique qui peuvent faire évoluer les comportements. On ne pratique pas par exemple, la même politique commerciale lorsque les consommateurs se concentrent dans des cités en forme de mégalopoles ou s’ils sont dispersés à la campagne ou dans des villes moyennes. Il est illusoire d'ignorer le bouleversement des habitudes induit par le réseau internet...
Sowell cite entre autres, l'exemple édifiant de la chaîne autrefois célèbre A & P, qui fut la plus grande entreprise de distribution alimentaire aux USA, comptant pas moins de 15.000 magasins en 1929, répartis sur tout le territoire américain. Le modèle, s'était imposé à la faveur de prix bas et d'un modèle bien adapté aux habitudes de consommation jusqu'au début des années 50. Le drame arriva lorsque l'exode rural concentra la clientèle dans des grandes villes et que l'essor de l'automobile permit aux gens de se déplacer facilement. Les grandes surfaces se mirent alors en place au nez et à la barbe d'A & P, trop assurée de sa position dominante. En quelques années, la firme périclita, faute d'avoir pu s'adapter à temps.
Si l'on ne peut continuer à proposer des produits, même de bonne qualité, lorsqu'ils sont remis en cause par une évolution du contexte social, il est tout aussi périlleux de ne pas être attentif aux avancées technologiques majeures.
On a ainsi vu disparaître en quelques années les écrans cathodiques les plus performants au profit des dalles plates utilisant des diodes électroluminescentes (LED), acculant les constructeurs à une alternative simple : s’adapter ou périr.
En matière de photographie, on a assisté à la révolution numérique qui a rapidement enterré envers et contre tout la technologie argentique. Les entreprises qui n’ont pas pris en marche le train de l’innovation ont été poussées à la faillite, aussi imposantes soient-elles, comme ce fut le cas de Kodak.
Lorsqu’un progrès technique se fait jour, il s’impose donc fatalement, et ne nécessite aucune aide en provenance de l'État. Pareillement, ce dernier ne peut espérer faire survivre longtemps à coup de subventions un secteur en voie d’obsolescence ni sauver des emplois devenus inutiles. On l’a vu avec le déclin de la sidérurgie, des filatures, du charbon…

L’intervention massive des gouvernements sur le marché automobile, guidée uniquement par un douteux souci écologique, risque d’aboutir à pareilles déconfitures. Si la voiture électrique représente un vrai progrès, elle doit s’imposer d’elle-même sans qu’il soit nécessaire d’en fausser le prix par de fallacieux bonus et de pénaliser tout ce qui peut lui faire concurrence.

On voit également les dérives frauduleuses des mesures incitatives à la rénovation énergétique des logements, telle la fameuse “ma prime renov”. Distribuée sans beaucoup de discernement et parfois en dépit du bon sens, elle conduit à faire monter les prix en attirant quantité d’aigrefins appâtés par des gains faciles, au dépens de gogos naïfs, victime d’une propagande délétère.
On a vu enfin l’absurdité des lois dites EGALIM. Dans la période d’inflation que nous connaissons, le gouvernement a réussi le tour de force d’interdire aux commerçants de la filière alimentaire d’appliquer des marges inférieures à 10%, tandis qu’il demandait à ceux qui vendaient du carburant de le céder à prix coûtant !

La morale de l’histoire selon Sowell, est qu’il vaut mieux, s’il on veut aider les entreprises, interférer le moins possible sur la loi de l'offre et la demande, et si l'on veut aider les gens modestes, intervenir le moins possible sur les prix, sur le libre échange et sur le marché du travail. En fin de compte, il vaudrait encore mieux donner de l'argent aux plus nécessiteux plutôt que de nuire à la société tout entière en faussant les prix par des artifices alambiqués ou des taxes dissuasives…

22 janvier 2024

Basic Economics 4

Des effets pervers du salaire minimum et du contrôle des rémunérations.

Thomas Sowell montre que le marché du travail répond, comme tout échange marchand, à loi de l’offre et la demande.

L’obligation légale d’un salaire minimum fausse donc le libre cours du marché de l’emploi. Pour beaucoup de gens, cela paraît une bonne chose, garantissant davantage de justice sociale. C’est donc une mesure politique très populaire. Économiquement, c’est autre chose.

Les mêmes causes ayant les mêmes effets, le salaire minimum s’apparente à la surestimation des prix. La surproduction qui s’ensuit peut être mesurée à l’aune du taux de chômage, qui quantifie le nombre de personnes ne trouvant pas d’emploi. Si l’on se départit de tout a priori, la corrélation est évidente car le salaire minimum peut agir comme un seuil excédant, pour un emploi donné, généralement peu qualifié, le rapport coût/productivité. Cette problématique est aggravée par des montants élevés de charges sociales et une législation rendant les licenciements difficiles. Face à un risque jugé trop important, l’employeur se voit contraint de se priver d’un recrutement. Dans ces conditions, mécaniquement le taux de chômage reste élevé, voire augmente.
Si pour celui qui a la chance d’être embauché, le salaire minimum peut donc paraître bénéfique, pour ceux qui n’ont pas d’emploi, en dépit de toutes les lois bienfaitrices, le salaire minimum reste de zéro. En outre, la mesure est coûteuse pour les finances publiques, car pareillement à la surproduction des produits agricoles, l’Etat se fait un devoir de racheter cet excédent en versant aux chômeurs une allocation.

D’autres effets pervers se font jour, notamment lorsqu’il s’agit d’augmenter, souvent sous la pression des syndicats ou bien d’échéances électorales, voire sous l’effet de la simple inflation, le montant du salaire minimum (SMIC). Comme il n’est pas possible de faire croître simultanément tous les autres salaires, on assiste de facto à leur dévaluation relative, et un certain nombre de personnes se trouvent tôt ou tard rattrapés par le SMIC.
Pire, lorsque le marché de l'emploi est tendu, certains employeurs peu scrupuleux profitent de la loi pour proposer des emplois sous payés à des gens qui en tout état de cause mériteraient mieux. Enfin, Sowell suggère que les syndicats ont intérêt à exiger un SMIC le plus haut possible pour favoriser les emplois de leurs adhérents expérimentés et qualifiés, au détriment de jeunes novices...

Pour preuve de l’inefficacité d’un salaire minimum garanti par l’Etat, les pays qui ont résisté à la tentation de l’instaurer s’en portent plutôt bien : la Suisse avec ses 3,1% de chômage, Singapour avec 2%, les USA dont le taux de chômage ne dépassait pas 1,8% jusqu’à l’ère Coolidge.
En France, très généreuse en matière d’indemnisation du chômage, le nombre de demandeurs d’emploi reste constamment plus élevé qu’ailleurs. Même en période de plein emploi, il ne baisse pas en dessous de 7%.

Pour tenter de lutter contre les effets néfastes du SMIC, on a appris récemment de la bouche de madame Borne, ex Premier Ministre, la création d'une nouvelle commission, le "Haut Conseil des rémunérations". Il s’agit d’un rouage de plus dans la bureaucratie, qui comme le fait remarquer Marc Fiorentino "va booster avant tout les rémunérations de ceux qui vont y être nommés". A défaut d’assainir le marché de l'emploi, on va donner du travail aux fonctionnaires contrôleurs. Dans le même temps, le gouvernement promet des sanctions aux employeurs qui auraient des "minima salariaux de branche, inférieurs au SMIC". En dépit du nombre incroyable de réglementations, on apprend donc qu’il est toujours possible de les contourner !
Quelques jours plus tôt, dans un éclair de lucidité et de sincérité, et comme pour donner raison à Thomas Sowell, le ministre de l’Economie, M. Lemaire, avait révélé que le gouvernement ne pouvait procéder à une augmentation du SMIC qui risquerait de "menacer l'emploi des plus fragiles et des moins qualifiés" et créer un enchaînement néfaste sur les autres salaires… CQFD.

18 janvier 2024

Basic Economics 3

Thomas Sowell
met à jour avec beaucoup de clarté et de pertinence, les effets néfastes des mesures a priori bien intentionnées de contrôle et de régulation autoritaire des prix. Il y a deux manières de procéder en la matière. Soit en bloquant la hausse par des plafonds arbitraires, soit en fixant au contraire des seuils, ou "prix planchers", destinés à empêcher ce qu'on appelle le dumping, mais qui ne font rien d'autre qu'entraver le libre jeu de la concurrence. Les exemples abondent dans l'ouvrage, de ces pratiques toujours délétères. On pourrait facilement en trouver également dans les mesures prises par les gouvernements qui se sont succédé en France depuis des décennies.

Mesures à la baisse:
Selon la logique développée par Sowell, le plafonnement du montant des loyers immobiliers, décrété ex cathedra par le gouvernement, s’apparente à un leurre auquel il est tentant de croire, mais qui aboutit invariablement à l’aggravation des choses, surtout s’il s’accompagne de mesures hyper protectrices pour les locataires.
Ce qui pourrait sembler paradoxal ne l’est pas. En limitant le prix des loyers, l’Etat n’augmente en effet en aucune manière le parc immobilier offert à la location. Les gens qui imaginent avoir un accès plus facile à un logement, se heurtent donc à la foule de leurs pareils qui poursuivent le même dessein. Les files d’attente s'allongent pour le moindre appartement, et il s’ensuit un sentiment accru de pénurie d’autant plus frustrant que les loyers semblent à portée de bourse.
Les bailleurs, face à l’afflux de candidats et à l’embarras du choix, se montrent de plus en plus exigeants pour sélectionner leur locataire, ce qui contribue à exclure toute une catégorie de prétendants jugés trop peu sûrs et quasi indélogeables s’ils se révèlent indélicats. Mais ils n’estiment pas pour autant leur situation de propriétaire très enviable. Ils sont confrontés à une stagnation ou à une baisse de leurs revenus, et se voient poursuivis par des réglementations environnementales de plus en plus contraignantes et coûteuses, dont le tristement fameux Diagnostic de Performance Energétique (DPE). Face à cette avalanche d'obligations et d'interdits, ils sont amenés à surseoir à certaines dépenses de rénovation. Parfois, ils renoncent tout simplement à louer leur bien, ou cèdent à la tentation de la location de très courte durée, parfois sous le manteau…

On observe une situation analogue dans le domaine de la santé et notamment s’agissant du marché des médicaments. Dans le but illusoire d’amoindrir le déficit de la Sécurité Sociale, les Pouvoirs Publics ont mis en place un système bureaucratique de réglementation du prix des médicaments imposant aux laboratoires pharmaceutiques des conditions de vente draconiennes et des prix volontairement sous-estimés. La promotion des génériques à bas coûts est également à inscrire dans cette politique.
En conséquence, les trusts produisant les médicaments, pour la plupart étrangers, se détournent progressivement du marché français, au profit d’autres, plus rémunérateurs. C’est une des causes principales aux pénuries auxquelles on assiste depuis quelques mois, qui vont en s’aggravant puisque l’Etat persiste dans cette politique.
Parmi les mesures conduisant à falsifier les prix figure le tiers payant, grâce auquel les patients ne déboursent rien lorsqu’ils viennent chercher des médicaments en pharmacie. Mesure d’autant plus perverse qu’elle s’accompagne depuis quelques années de franchises, invisibles en temps réel, mais qui grèvent les remboursements à venir en provenance de l’Assurance Maladie. On vient d'apprendre que loin de disparaître ce montant restant à charge allait doubler. Ce système est à la fois hypocrite car dissimulé et infantilisant puisqu’il mime la gratuité. Une chose est sûre, il est 
inefficace pour juguler le monstrueux déficit de la Sécu et favorise la surconsommation des produits, autre facteur en cause dans les pénuries.

Mesures à la hausse:
Il est navrant de constater que la Politique Agricole Commune (PAC) mise en œuvre, “pour protéger les agriculteurs”, aboutit au résultat inverse de celui souhaité. Sous l’égide de cette politique, l'organisation des marchés fut construite autour de trois outils : les prélèvements (ou droits de douane), les prix garantis, et les restitutions (ou subventions à l'exportation). Selon les observateurs du think Tank BSI-economics, la PAC a remarquablement bien fonctionné dans un premier temps et a atteint rapidement ses objectifs, à tel point que l’Europe est entrée dans une période de surproduction. Au bout du compte, la situation des agriculteurs ne s’est pas améliorée durablement et les consommateurs se sont trouvés pénalisés par le maintien artificiel des prix à des niveaux trop élevés. Cette inflation quasi organisée fut récemment aggravée selon Michel Edouard Leclerc par le nouvel arsenal de lois dites EGALIM supposées limiter les offres promotionnelles dans les grandes surfaces, dans le souci toujours bien intentionné, de venir en aide aux producteurs en forçant les consommateurs à payer "le juste prix".

Sur le marché automobile enfin, la pléthore de règlementations destinées à diminuer l'utilisation des carburants fossiles et à favoriser le marché national, cumule tous les effets négatifs du contrôle des prix. Par le jeu de primes et de pénalités, on augmente artificiellement le prix des véhicules dits "thermiques", tandis qu’on fait mine de diminuer celui des voitures électriques. Mais dans les deux cas, cela s’apparente à une falsification des prix. S’agissant des véhicules frappés par les malus, c’est évident. Malgré les promotions faites par les constructeurs, le montant des pénalités, qui croît chaque année, dissuade de plus en plus les consommateurs d’acquérir des voitures thermiques neuves. Quant aux bonus incitatifs attribués aux véhicules électriques, de plus en plus tarabiscotés, ils permettent certes aux constructeurs de maintenir des prix élevés en atténuant, leur impact pour les acheteurs. Mais l’offre reste trop chère pour les gens modestes, et pas suffisamment attractive pour les autres, ce qui aboutit à la stagnation du marché à laquelle on assiste.
Dans les deux cas, on observe donc une surproduction de plus en plus difficile à gérer. Les consommateurs ne savent plus à quel saint se vouer, face à un marché cher et des contraintes réglementaires de circulation toujours plus folles. Ils ont tendance à reporter l’acquisition d’un véhicule neuf et se reportent plutôt sur le marché d’occasion.

Régulation incitative ou punitive des prix par l’Etat, transition énergétique à marche forcée, et mesures protectionnistes visant à limiter la concurrence asiatique, les effets pervers se conjuguent donc de manière vertigineuse. Comme beaucoup d’économistes avant lui, Thomas Sowell flétrit les politiques protectionnistes qui contribuent à l’inflation des prix, qui pénalisent les exportations, en raison des représailles de la part des pays visés, et qui sont souvent sans effet bénéfique sur les importations.
En matière de transition énergétique enfin, en poussant le marché automobile vers le tout électrique, on n’a hélas pas tiré les leçons de la planification ubuesque de la production d'électricité, conduisant à fermer les centrales nucléaires, à désinvestir dans le domaine des produits pétroliers, et aller jusqu’à démonter des parcs éoliens pour rouvrir des centrales à charbon.
En définitive, les règles érigées par l’Etat donnent parfois l’illusion d’une efficacité, très éphémère, mais elles deviennent tôt ou tard de vraies usines à gaz, pénalisantes et inintelligibles tant elles sont complexes et changeantes. Elles se révèlent toujours coûteuses pour la collectivité, notamment lorsqu’il s’agit de verser des primes et des bonus. Au surplus, elles nécessitent la mise en place d’armées de fonctionnaires, chargés de faire des hypothèses savantes, des calculs tarabiscotés et des contrôles tatillons, pour un résultat toujours chimérique...

11 janvier 2024

Basic Economics 2

De la nécessité du profit, des intérêts, de capitaux, de la concurrence.

Contrairement à la plupart des penseurs du socialisme, qui expriment une sainte horreur du profit, Thomas Sowell le considère comme quelque chose de naturel et même comme un moteur de la croissance. Selon lui, le profit, loin d’être du vol, est tout simplement nécessaire. C’est la condition indispensable à la pérennité d’une entreprise et à son développement, son adaptation ou sa modernisation via l’investissement. Sans contrôle, il peut certes donner lieu à des abus. Face à ce danger, la concurrence, honnie également par les gens de gauche, est hautement souhaitable car elle constitue la meilleure arme pour limiter tout excès. En l’occurrence, elle s’avère beaucoup plus efficace que l'étatisation et sa régulation autoritaire, toujours complexe, onéreuse, plombée par l’inertie bureaucratique.

Mais avant d’être profitable, une jeune entreprise a besoin de capitaux. Hélas, sauf à hériter d’une société déjà prospère, il ne faut pas espérer que les fonds nécessaires à toute création tombent du ciel, et pour démarrer, il est quasi inéluctable de recourir à des prêts accordés par des banques ou des investisseurs fortunés et audacieux, aussi appelés “capital riskers”. Dans ce contexte, les intérêts sur les sommes empruntées n’ont quant à eux rien d’immoral mais obéissent à une logique relevant de l’évidence. Ils équivalent à un loyer et leur montant est proportionnel au risque pris par le prêteur.

Ces notions, fondatrices du capitalisme, coulent de source et on comprend mal qu'elles fassent encore débat, au nom de principes nébuleux, et au mépris de la réalité la plus triviale. Soit on les accepte et on construit le progrès et la prospérité, soit on les refuse et on se condamne à végéter dans la désespérance et le dépérissement. Les régimes socialistes aboutissent invariablement à ce résultat, sauf à instiller dans le système une dose plus ou moins importante de capitalisme, à se résoudre à desserrer les verrous réglementaires et à alléger le boulet des taxes et des réglementations coercitives.
La Chine moderne représente de ce point de vue un exemple édifiant. Longtemps vitrifiée par le glacis maoïste, elle s’est brutalement réveillée lorsque les dirigeants qui ont succédé à l’ubuesque tyran, ont enfin ouvert le pays à la loi du marché, à l’initiative privée et à la propriété. L’expansion économique du pays a été foudroyante. L’absence de toute opposition, de tout syndicat et de tout système de protection sociale a permis au capitalisme de progresser sans obstacle et de faire preuve d’une efficacité quasi sauvage. Ce fut expérimental en quelque sorte.

La comparaison des niveaux de prospérité des deux Corées est également sans appel. Il s’agit en réalité du même pays, des mêmes populations, séparés seulement depuis la fin de la guerre par deux systèmes économiques opposés, l’un relevant du communisme le plus archaïque et intolérant, l’autre de la démocratie libérale d’inspiration capitaliste. Partant tous deux d’un niveau proche de la misère, l’évolution des deux camps a de quoi faire réfléchir. Malgré son surarmement, la Corée du Nord est restée dans un état de pauvreté inimaginable. Par contraste, le PIB de la Corée du Sud s’est hissé au 11ème rang mondial et le PIB par habitant dépasse les 30.000 dollars, soit plus de vingt fois supérieur à celui de la Corée du Nord.
L’Allemagne, divisée pareillement en deux à l’issue de la seconde guerre mondiale, a connu le même sort, avant sa réunification, sous l’égide et avec l’aide de la partition occidentale, parvenue à la prospérité grâce au capitalisme.

À suivre...

07 janvier 2024

Basic Economics 1

Thomas Sowell
est américain, il est noir, descendant d'esclaves, d'extraction on ne peut plus modeste, et pourtant, il n'a ni animosité de race, ni rancune de classe.
Mieux, ou pire, c’est selon, il est conservateur, et ardent défenseur du capitalisme !
Est-ce pour ça qu’il est inconnu en France malgré une belle notoriété outre-atlantique et une œuvre conséquente ? Allez savoir…

Parmi les nombreux ouvrages dont il est l’auteur figure un pavé de 900 pages consacré aux mécanismes de base de l’économie, tout simplement nommé Basic Economics.
Non traduit hélas en français, je m’y suis attaqué sur les conseils de mon bon ami Jeff. Malgré mes piètres capacités en anglais, quelle ne fut pas ma surprise de constater que je comprenais sans difficulté ce texte en apparence ardu.
Sous la plume de cet auteur, l'économie devient claire et transparente comme l’eau de roche.
A l'aide d'exemples concrets, dont l'ouvrage fourmille, la mécanique économique devient un jeu d'enfant. Rien à voir avec les pensums de Piketty, dont les laborieuses démonstrations se terminent en foireux slogans politiques, néo-marxistes, lorsqu’elles ne se noient pas dans l’absurdité des a priori idéologiques.

Contrairement à une idée reçue, Thomas Sowell montre en premier lieu que l'économie est une science au même titre que la physique. Le malheur selon lui est qu’on veuille trop souvent y mettre du sentiment, voire des passions, jusqu’à nier parfois l’évidence. Les catastrophes s'ensuivent en général, mais curieusement n'empêchent pas les croyances non fondées de perdurer.
L’idée est donc, à partir de quelques exemples, d’ouvrir la nouvelle année sur ce bain de jouvence bienfaiteur. Tout serait tellement simple et propice aux vrais progrès si les constats qu’offre la réalité s’imposaient d’eux-mêmes à la place des croyances et des illusions…

31 décembre 2023

Everblue

Le Blues, il n’y a pas d’heure pour en écouter, la preuve :

Blue’s Moods
A l'ombre des géants, le trompettiste Blue Mitchell a tracé sa voie très personnelle dans l'histoire du Jazz. Dans un style au demeurant plutôt cool et bluesy, il inscrivit des lignes mélodiques superbement dessinées, à la fois gracieuses et toniques. Cette petite session décapante enregistrée en 1960, permet de trouver le meilleur de cette musique jubilatoire. I'll Close My Eyes ouvre le programme avec des intonations assez proches de celles de Chet Baker. Avars ensuite, est plus pointu, avec une touche d'acidité rappelant Miles. Scrapple From The Apple est franchement bop, très aérien, du genre qu'on respire à pleins poumons.
Le reste du tonneau est à la mesure, si je puis dire. Il y a évidemment de belles inflexions soul dans When I Fall In Love. Wynton Kelly au piano, en profite pour instiller ses propres pulpeuses digressions. Puis on retrouve le swing avec Sweet Pumpkin et I Wish I Knew, où la section rythmique s'en donne à cœur joie : à la basse Sam Jones, excellent et Roy Brooks à la batterie, itou. Au total : un pur enchantement à savourer au coin du feu. Si vous éprouviez quelque peine, ce disque vous procurera un soulagement immédiat…

Nights of Ballads & Blues
Ce disque constitue un petit bijou de tendresse et de nostalgie. Le jazz dans ce qu'il a de meilleur : intimiste mais tellement prenant ! La réalisation est superbe, la prise de son datant de 1963 s’avère remarquable et équilibrée, l'interprétation est magnifique, sublimant l’art de McCoy Tyner, un pianiste inspiré, d'une sensibilité rare, parfaitement accompagné par Steve Davis à la basse et Lex Humphries à la batterie. L'illustration de la pochette, dans une tonalité rouge, profonde, et chaude, donne un reflet fidèle de l'émotion qui naît de cette musique.

Le retour du pilori

Il y a quelques années, pendant le mandat présidentiel du peu regretté François dit “Le Normal”, le microcosme socialiste, pétri d’aigreur, déversait sa haine recuite sur l’évadé fiscal Depardieu, ce qui me fit réagir. Cette antipathie à l’égard d’un des meilleurs acteurs contemporains prend désormais un tour moral et envahit à nouveau par son tintamarre assourdissant le quotidien. Impossible d’y échapper. Faut-il qu’on ait du temps à perdre dans notre pays, déclinant, rongé par toutes sortes de ruines et de vicissitudes, pour s’attacher à de pareilles billevesées.

Sur la foi d’accusations non démontrées jetées à dessein sur la place publique, et de quelques plaisanteries obscènes, rendues publiques non moins à dessein, les censeurs de la bienséance découvrent tout à coup, mais un peu tard, que Gérard Depardieu est un être excessif, grossier, parfois vulgaire. Mais Depardieu a toujours été Depardieu. Une sorte de colosse mal dégrossi (si l’on peut dire vu la boursouflure de sa silhouette). Un gros nounours mal léché en somme.
Il n’a pas d’éducation comme on disait autrefois lorsque l’éducation avait un sens. Petit voyou, il est devenu acteur et le génie lui est tombé dessus comme la foi sur d’autres. Emporté malgré lui par le tourbillon de la gloire, il est devenu une sorte de monstre jovial, jouisseur, à la fois sympathique et détestable, pratiquant avec une jubilation puérile l’outrance et la déraison. Sous la carapace de graisse, il resté l’enfant turbulent, mal élevé qu’il a toujours été. Si l'on connaît nombre de ses excès, on ne l’a jamais vu manifester de méchanceté et pas davantage de perversité. Dans l’intimité, ce serait autre chose à ce qu'il paraît.

L’infamie dont certains cherchent à le couvrir a quelque chose de cocasse si cela n’était l’expression du tragique de l’époque. On croit rêver devant les flots de salive, les tonnes d’encre répandues pour flétrir ce comédien de génie au sourire de garnement, pour fustiger ses écarts de conduite, pour le clouer au pilori, voire l’envoyer au bûcher. On propose même de l’effacer de la mémoire cinématographique ! France Television, qui se moque de l'avis du public comme d'une guigne, annonce, sans jugement et sans appel, dès à présent suspendre toutes les rediffusions de films avec Gérad Depardieu et cesser toute collaboration à venir avec lui.

Quelques dizaines de personnalités téméraires se sont élevées contre la curée dont l’acteur est victime. Elles ont bravé les foudres de la bien-pensance en signant une lettre de soutien et en invoquant cette foutue “présomption d’innocence” qui ne veut rien dire si ce n’est le contraire de ce qu’elle est supposée exprimer. Le Président de la République lui-même est descendu dans l’arène pour défendre le paria, après les menaces de retrait de la Légion d’Honneur, émises par l’inconsistante ministre de la cul-ture, petite sainte laïque besogneuse et grande prêtresse de l’art subventionné. Cela ne fit que redoubler l’ardeur des tribunaux populaires et provoquer l’hallali. Des centaines, puis des milliers de culs-bénits du consensus ont répliqué outragés en publiant un nouveau texte à charge. Dans le même temps, on a vu certains signataires de la motion initiale de soutien, essuyer la vindicte de puritains frénétiques et d’autres, pris de remords, sont revenus sur leur paraphe en y apportant moultes nuances pudibondes et réserves oiseuses.
On est en pleine bouffonnerie bourgeoise. Les précieux ridicules se gargarisent de belles phrases creuses, et de circonlocutions quintessenciées, les Sainte-Nitouche se dressent sur leurs petits ergots vengeurs.

On se souvient qu’il y a quelques décennies, c’était la liberté des mœurs qu’on réclamait à grands cris, et à la force de pétitions et de manifestations. On affirmait haut et fort qu’il était “interdit d’interdire”. De fait, tout devenait possible et on s’extasiait devant des œuvres répugnantes faisant l’apologie de la dépravation, d’obscénités en tous genres et de l’irresponsabilité. Au cinéma, Depardieu accédait à la célébrité en jouant une petite gouape lubrique dans Les Valseuses. Le Tout Paris était enchanté par ces lamentables pitreries faisant du viol un jeu. On fit de l’ignoble Dernier Tango à Paris un chef-d'œuvre, des immondes Nuits Fauves un hymne à la lutte contre le SIDA et de l’atroce Baise-Moi, "un bon petit film de genre qui efface la frontière entre porno stricto sensu et cinéma normal" (les Inrocks) !

Autre temps, autres mœurs. Désormais, il est devenu interdit d’interdire d’interdire. On brûle tout ce qu'on a adoré.
Éternel retour des choses, les chantres de l'émancipation sont devenus inquisiteurs intransigeants. Ils sévissent un peu partout, imposant leur exaltation destructrice au nom d’un wokisme confit jusqu’à l’absurde dans les principes. Fanatisme et nihilisme se rejoignent en un magma nauséabond dans lequel s’enlisent l’esprit et la liberté. Signe des temps, ces chasseurs de sorcières ne s’attaquent qu’aux faibles et aux héros morts ou sur le déclin. Le triste spectacle de l’actualité montre que les vrais salauds, les violeurs, les assassins, et les pervers continuent quant à eux de sévir impunément…

24 décembre 2023

Les derniers salons où l'on causait

Pour atterrir en douceur en cette fin d’année, un sujet léger : la diffusion, il y a quelques jours à peine, sur la petite chaîne de télévision Paris Première, d’une émission-dîner animée par Thierry Ardisson. Cette soirée filmée au domicile parisien de ce dernier, sis 214 Rue de Rivoli, “remettait le couvert” 20 ans après les mythiques épisodes capturés Faubourg Saint-Honoré.
Non pas que cet événement soit fracassant en soi, mais il rappelle un temps quasi révolu associant détente, bonne chère, culture, et humour débridé.
Précisons que pour assister à ce spectacle, il fallait toutefois être abonné payant. De par la volonté du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), petit soviet chargé de “réguler” les contenus destinés aux téléspectateurs, la chaîne n’a en effet pas l’autorisation de diffuser ses programmes librement, en clair.

Pour les happy few admis au spectacle, il ne fut pas sans évoquer les salons littéraires du XVIIIè, où l’on savait s’amuser avec légèreté, sans trop de tabou et sans trop de vulgarité. On me dira que cela conduisit à la Révolution, mais tant pis…
Bien que les convives soupassent aux chandelles des girandoles, sous des lustres de cristal, le décor rococo tendu de velours cramoisi avait un petit côté kitsch pour ne pas dire autre chose. Dans cette ambiance feutrée, un fond musical jazzy, était propice aux propos libres et lestes.
Pour ceux qui n'auraient pas pu voir cette émission, Youtube permet de visionner celles des saisons passées, il y a déjà deux décennies, et de se faire par la même, une idée de l’atmosphère du lieu. Il n'y eut pas moins de 104 épisodes. Pour ma part, je me suis délecté, entre autres, de la soirée consacrée aux Grosses Têtes, tournée en 2004, avec Jean Dutourd, Pierre Bellemare, Jacques Balutin, Philippe Bouvard, Laurent Baffie & co.

Quitte à céder à la nostalgie, n’oublions pas la ribambelle des émissions, témoignant de manière éloquente de ce que Thierry Ardisson a apporté à la télévision : des vitrioliques Descentes de Police à l’ultime Salut les Terriens, en passant par les Bains de Minuit, les Lunettes Noires pour Nuits Blanches, Double Jeu, Tout le Monde en Parle…
Tout n’est pas bon assurément mais peu d’autres émissions ont gardé la fraîcheur qu’elles avaient lors de leur premier passage. Est-ce le ton non conformiste, faisant alterner sérieux et fantaisie, agrémenté des saillies percutantes de Laurent Baffie ? Est-ce le mélange des genres qui faisait converser sur un même plateau, chanteurs, acteurs, philosophes, politiciens, humoristes ? Le fait est, qu’on est à des années lumières du consensus mou et pudibond, plombé par un humour aussi émollient que rébarbatif, régnant sur les chaînes d’Etat.
On se souvient certes, des mythiques rendez-vous littéraires animés par Bernard Pivot. On garde pareillement en mémoire les talk shows éclectiques de Frédéric Taddeï. On peut aussi évoquer les sketches hilarant dont Jacques Martin était le maître d’oeuvre inspiré, mais le cocktail détonnant caractérisant les émissions de “l’homme en noir” reste unique en son genre. Il répond mieux qu’aucun autre à la notion de variété divertissante, au meilleur sens du terme.

Aujourd’hui, c’est Waterloo morne plaine. Il ne reste rien de la pétillance et de l’impertinence de jadis. Il y a bien Hanouna, mais qui cède hélas un peu trop au racolage et à la trivialité. Seule CNews, chaîne honnie des bien-pensants, parvient encore à sortir les téléspectateurs des sentiers battus du conformisme. Sans doute n’est-ce pas un hasard si tous les meilleurs journalistes et chroniqueurs s’y côtoient désormais et si les audiences s’envolent. Pascal Praud y fait encore preuve d’un peu d’effronterie et d’esprit critique, matin et soir, tandis qu’on a vu réapparaître en discret visiteur du soir, l’excellent Frédéric Taddéï…

20 décembre 2023

Un Vrai Bal de Faux C...

Spectacle grandiose qui nous fut offert ces dernières semaines à l’occasion du vote de la loi dite “Immigration”. Rarement le désastre républicain fut plus éclatant, plus allégorique de la faillite progressive des valeurs et des repères sur lesquels se fonde notre société.
Sondage après sondage, les Français disent leur lassitude face au chaos migratoire qui submerge le pays. Une majorité écrasante de citoyens réclament des mesures pragmatiques de régulation et de limitation de ce flot dévastateur et anarchique. Pourtant les élus de la république, murés dans leur tour d'ivoire, semblent incurablement sourds à ces exhortations.
Ancrés sur des principes théoriques de plus en plus illusoires, et dévorés par une antipathie irrationnelle pour ce qu’il est convenu d’appeler l’extrême-droite, ils sacrifient le réel au virtuel.

Ainsi, après la tragi-comédie d’une motion de rejet du texte de la réforme avant même son examen, puis le ballet de la Commission Paritaire Mixte, supposée remanier le projet pour trouver une majorité de parlementaires favorables, le vote a fini par entériner triomphalement une loi dont quasi personne n’a compris le sens et encore moins la portée, tant elle se perd en circonlocutions destinées à marier les contraires.
Hormis les vieux soudards irréductibles d’une gauche de plus en plus réactionnaire à défaut de révolution, tout le monde crie victoire.

M. Darmanin ministre de l’Intérieur qui portait le projet se félicite que ce “texte fort” soit passé “sans les voix du Rassemblement National”. Outre la stupidité d’une telle remarque très peu démocratique, il s’avère qu’elle est fausse. Sur les 535 votes exprimés, on compte 349 voix pour et 186 contre. La majorité étant de 268 voix, on peut affirmer que le texte ne serait pas passé si les 88 députés du Rassemblement National (RN) s’y étaient opposés. Au surplus, M. Darmanin fait peu de cas des 59 élus de la “majorité présidentielle” sur 251 qui n’ont pas approuvé le texte en votant contre ou en s’abstenant…
Le PR affiche sa satisfaction d'avoir fait plier le gouvernement qui s'est vu contraint d'accepter beaucoup d'aménagements législatifs pour espérer faire passer le projet sans recourir au fameux 49.3.
Le RN quant à lui a opté pour une tactique radicale mais non dénuée de revirement. Initialement opposé au texte, il s'y est rallié sans nuance malgré les insuffisances qu'il dénonçait il y a quelques jours encore (notamment la régularisation d'un certain nombre d'immigrés et le maintien de la ruineuse AME). A-t-il songé à l'adage qui veut que le mieux est l'ennemi du bien, a-t-il voulu éviter une crise plus profonde ou bien a-t-il cherché à humilier le parti présidentiel en volant hypocritement à son secours ? Dans ce cas, il faut reconnaître que c'est réussi...
La pantalonnade ne s’arrête pas là. Le soir même du vote on apprenait que le Président de la République, adepte de la stratégie du avance-et-recule, avait l’intention de saisir le Conseil Constitutionnel dans l'espoir qu’il rejette les amendements imposés par le Parti Républicain (PR).
Dans le même temps, madame Borne, premier ministre, ajoutait son grain de sel en clamant qu’elle était “profondément humaniste” et que ce texte “respectait ces valeurs” mais qu’il contenait “quelques mesures non constitutionnelles”. Comprenne qui pourra…

Enfin, pour que tout cela ressemble à un vrai bal de faux c…, on eut droit à une belle chorégraphie de fausses démissions de six ministres “tendance gauche macroniste” hostiles au durcissement du texte, puis de trois, et en fin de compte, du seul Aurélien Rousseau. Celui-ci se livra à un superbe numéro de mangeur de chapeau en annonçant urbi et orbi sa défection, sans aller toutefois jusqu’à en avertir le chef de l’Etat ni la "cheffe" du gouvernement qui qualifia ce beau coup d’épée dans l’eau de “non évènement”, ajoutant qu’il faut “arrêter de commenter ce qui n’existe pas”...
Pendant ce temps, on apprenait sur le front de la santé publique dont il était le ministre, que la pénurie de médicaments ne cesse de s'aggraver et que plus de 6700 lits ont été supprimés dans les hôpitaux en 2022 malgré les promesses du gouvernement ! Pour finir, Aurélien, ministre de la santé, dont le bilan se limite à l’interdiction de fumer sur les plages, démissionne. Ouf !

10 décembre 2023

Trop d'écologie tue l'écologie

Et si les dogmes écologiques ressassés ad nauseam avaient fini par lasser ? Et si les grands principes nébuleux étaient en passe de cesser d’imposer leur loi ? Et si la réalité objective commençait enfin à s’imposer aux moutons de Panurge ?
Sur tous les fronts, les zélotes du totalitarisme vert semblent perdre du terrain.

S'agissant tout d'abord des énergies alternatives, c’est peu dire que l'éolien n’a plus le vent en poupe. Le moulin à vent ne fait plus recette. Beaucoup de grands projets sont purement et simplement à l’arrêt. Par voie de conséquence, les  groupes industriels qui les portent sont en chute libre à la Bourse. Pour expliquer cette crise inattendue, on invoque tantôt le manque de moyens financiers, tantôt des difficultés techniques, voire même des atteintes à la protection de l’environnement. Un comble !
Ainsi la justice vient d’ordonner le démontage et la restitutio ad integrum d’un parc dans l’Hérault au motif de graves nuisances causées aux oiseaux (où l’on voit l'écologie entrer en conflit avec elle-même). A Saint-Nazaire, on déplore la fermeture, on espère temporaire, du parc flambant neuf de 80 éoliennes due au dysfonctionnement du système. Au sein même du gouvernement, des doutes et des regrets se font entendre. Selon le secrétaire d’État à la mer, Hervé Berville, « Le parc éolien de Saint-Brieuc n’est ni fait, ni à refaire ”. Bravo à l'Etat que le cher homme est supposé incarner...
En Allemagne , la situation est devenue si critique qu’on en vient à rouvrir des mines de charbon au détriment de parcs éoliens !
Parallèlement, le développement inconsidéré de la filière photovoltaïque commence à faire naître des craintes chez certains écolos. On voit en effet cette source d’énergie dite “renouvelable” se développer de façon extensive au détriment des domaines agricoles. Des champs entiers sont en effet dévastés par l’installation de gigantesques “fermes solaires”. Si les agriculteurs qui louent les terres y trouvent parfois leur compte, tant on a rendu l’exercice de leur métier difficile, les bobos et autres alter-cocos sont en revanche très remontés.

Sur le front du bio, la tendance est également aux révisions déchirantes. La faute avant tout aux prix élevés, surtout en période d’inflation, mais aussi à une certaine désaffection pour des produits dont la supériorité qualitative laisse à désirer.
Dans le même temps, la Commission Européenne s’est décidée à prolonger pour 10 ans les autorisations concernant le glyphosate, suite à la publication d’études gigantesques attestant de la relative innocuité du produit et les avis convergents des agences étatiques, réputées “indépendantes”. Ce fut l’occasion de quelques couacs gouvernementaux. Cette décision fut en effet immédiatement qualifiée de “dinguerie” par l’insipide ministre de “la transition écologique et de la cohérence des territoires” Christophe Béchu. En amont, on sait que la France s'était courageusement abstenue, sur la base d’une argumentation alambiquée évoquée par Marc Fesneau, très méconnu ministre de l’agriculture…

Autre sujet, même tendance au revirement, après avoir assisté avec dépit au mouvement moutonnier d’extinction de l’éclairage public nocturne, c’est le rétablissement de celui-ci qui est proposé dans un nombre croissant de communes. Comme on pouvait s’y attendre, les experts ont découvert que l’économie de bout de chandelle était en effet contrecarrée par la montée de l’insécurité. A l’instar de Cholet ou l’éclairage a été réclamé par la police, un nombre croissant de villes font marche arrière sous la pression des habitants.

On assiste au report de nombreuses contraintes ou au contraire à la suspension d’incitations dictées au nom de l’écologie. L’échéance visant à interdire les chaudières à gaz, et les voitures thermiques en Grande Bretagne est caduque. En Suisse, où l’on estime suffisante la proportion de véhicules électriques, on abroge radicalement toutes les incitations fiscales. En France, l’Etat supprime le bonus écologique à l’achat de voitures électriques d'origine extra-européenne. Cette décision fait passer de sordides raisons protectionnistes avant l’objectif écologique. Elle risque hélas de nuire au pouvoir d’achat et surtout à l’industrie locale qui fera sans nul doute les frais de représailles, notamment en Asie ou aux USA. Le pire est que pour parvenir à ce résultat, on remplace le dispositif de prime existant, déjà complexe par un autre encore plus tarabiscoté... La situation devient tellement ubuesque que certains constructeurs étrangers, tel MG, se disent heureux de cette exclusion qui leur épargne bien des tracasseries administratives sans les empêcher vraiment de rester compétitifs.

On ne saurait terminer cet inventaire sans sourire au spectacle de la COP 28, tenue au milieu des champs pétrolifères et qui fait la part belle aux pays de l’OPEP, lesquels rejettent catégoriquement tout accord ciblant les énergies fossiles au grand dam de madame Pannier-Runacher, notre ministre de je-ne-sais-quelle-transition, qui se dit “stupéfaite et très en colère…”
En définitive, c’est peut-être un sursaut de bon sens et de sagesse qui fait dire oui à ce qui est “bon pour la planète”, mais pas à n’importe quel prix et pas n’importe comment.

07 décembre 2023

Logique Ionescienne 3

Eugène Ionesco, à l'instar de son pays d'origine, fut profondément marqué par les totalitarismes fasciste puis socialo-communiste qui ensanglantèrent le vingtième siècle. Précocement expatrié en France, il eut le bonheur d'échapper au destin tragique de la Roumanie et de jouir
 du doux cocon matériel d'une société libre et prospère. Mais au fil des années, il comprit que ce confort matériel était fragile et trompeur et qu’il pouvait se refermer telle une prison dorée pour l'esprit et un cimetière pour les grandes idées.
Son théâtre, et tout particulièrement la Cantatrice Chauve et Rhinocéros, exprime cette crainte. Dans Rhinocéros on pense bien sûr avant tout à la nazification des esprits en Europe dans les années 30, mais le totalitarisme qui est mis en scène ici est d’une nature quelque peu différente. Il est rampant. Il s’installe sans brutalité, progresse par osmose et asphyxie peu à peu mais sans violence le libre arbitre.
La Cantatrice Chauve évoque quant à elle un monde ordonné, bien pensant, mais ressemblant à une coquille vide de signification et d’émotion. Dans cet univers, tout est artificiel. Derrière la façade laquée des apparences et des principes, il n'y a plus rien qui fournisse un quelconque sens auquel s’accrocher. Les repères sont sens dessus dessous. Seul le confort matériel subsiste dans ce microcosme absurdement corseté.

Ces deux visions sont donc bien plus proches des maux qui rongent nos sociétés contemporaines que d’un énième portrait des fléaux totalitaires qui ensanglantèrent le XXè siècle. Elles nous interrogent avec une troublante acuité :
Combien de temps un tel système tournant à vide peut-il tenir ?
L'absurdité est-elle encore évitable ?
Telles sont les questions auxquelles l’écrivain nous invite à répondre.

Dans une excellente et très actuelle Interview donnée en 1976, Ionesco livre sa conception, critique, du monde de l’époque. Prenant de la hauteur, il aborde les questions essentielles que tout être humain se pose forcément un jour où l’autre: Pourquoi sommes-nous là ? Pourquoi le mal ?
Bien sûr, il n’y a dans son propos aucune prétention à répondre à des problématiques par nature indécidables, mais il s’épanche tout particulièrement sur le Mal, inhérent selon lui à toute société et à tout être humain.
Selon l’écrivain, le problème du mal est d’ailleurs “un problème cosmique”. Il est partout. Dans un jardin, très calme en apparence, “il se poursuit une guerre impitoyable, les plantes se poussent les unes les autres pour vivre”.
Partant de ce constat, il faut conclure qu’il existe un fatum incontournable imposé à tout être vivant ici bas. La Nature est mauvaise ou tout du moins hostile et l’Homme s’oppose à elle en permanence. Pire, il entre nécessairement en conflit avec ses semblables de manière souvent féroce : “nous sommes obligés de nous entretuer pour vivre”. Par voie de conséquence, “il n’y a pas de bonne société” et “les révolutionnaires qui voulaient l’égalité et la justice n’ont fait qu’installer la tyrannie, le crime, le génocide…”

Au sein de cette réalité implacable, Ionesco distingue deux grands types d’individus :
D’abord les mystiques ou contemplatifs qui vivent dans les questions essentielles. Parmi eux, les personnes qui se consacrent aux religions. De ces gens, on est en droit d’attendre une certaine sagesse et un détachement des choses matérielles. En cette fin du XXè siècle, ce n’est pas toujours le cas selon l'écrivain qui reproche notamment à l'église de trop vivre dans la modernité, dans la quotidienneté, alors “qu'elle doit vivre dans le sacré c’est à dire le permanent”. Il a même ce mot très dur, visant indirectement le pape Paul VI qui règne alors sur la chrétienté : “ceux qui tombent de la spiritualité pour les affaires quotidiennes sont méprisables…” Que dirait-il de François ?

Les politiciens représentent à l’opposé, des gens “pour lesquels les préoccupations secondaires deviennent essentielles” et qui “n’attachent pas à nos actes une importance démesurée”. Leur rôle est précisément de se consacrer au quotidien pour l’améliorer avec avant tout l’esprit pratique chevillé au corps. Malheureusement, beaucoup trop de ces gens se laissent dévorer par l’ambition et l'hubris, qui leur font perdre ces objectifs pragmatiques. Le pire étant de basculer dans les idéologies dont le XXè siècle fut hélas rempli. Il se désole en l’occurrence de voir revenir les vieux démons, notamment les gigantesques défilés militaires en Union Soviétique, et les masses chinoises, “très impressionnantes, très belles”, mais similaires aux manifestations de joie du nazisme, et d’enthousiasme pour Mussolini…

En définitive, la rhinocérite est un mal universel : “elle peut être de droite comme elle peut être de gauche”. Le théâtre ionescien n’indique pas de direction mais tente d’objectiver le péril en le tournant en ridicule. Ce n’est pas, d'après l'auteur, un spectacle de l’absurde ni de l’incommunicabilité comme on se plaît à le qualifier parfois, mais de la dérision.
Au fond, la philosophie de Ionesco côtoie celle de Pascal qui prétendait que l’homme n’est ni ange ni bête. Il la traduit toutefois de manière plus brutale en affirmant que “nous vivons entre la grâce et la merde…”

29 novembre 2023

Logique Ionescienne 2

Trois exemples de consensus peuplant de manière insensée l’actualité pourraient être intégrés sans peine à la logique folle développée par Ionesco : le réchauffement climatique, l'intelligence artificielle, et tout dernièrement les punaises de lits.
Sur ces sujets, le train hallucinant du parler creux et des fausses évidences en forme de chimères emplit l'espace médiatique de son chahut assourdissant, repoussant ou écrasant au passage les discours qui ne seraient pas à l'unisson.
Il serait vain de faire un catalogue exhaustif des choses vues et entendues. Qu'il soit permis d'en rappeler quelques pépites :

Sur l'évolution du climat, la charmante Evelyne Dhéliat croit bon de commencer son bulletin météo en nous gratifiant de commentaires oiseux du style: "il va faire très beau en ce début d'automne", ajoutant aussitôt "et ça ce n'est pas une bonne nouvelle…" Abandonnant la neutralité qui sied à sa fonction, elle rejoint donc l'opinion générale qui sévit désormais au détour de chaque phrase !
D'autres porte-voix du consensus climatique, se font encore plus catastrophistes, claironnant par exemple au terme d'une saison magnifique, que le mois de juillet, puis celui d'août, puis de septembre et maintenant d'octobre, ont été "les plus chauds jamais enregistrés depuis le début de l'humanité". Rien que ça ! Après nous avoir bassinés (sans jeu de mots)  tout l'été avec la sècheresse, les mêmes pourraient s'écrier "que d'eau, que d'eau, que d'eau !" au vu des inondations d'automne...
Parmi les inepties à ranger au titre des idées reçues sur cette thématique, on ne peut que réserver une place de choix au truisme éléphantesque émis par Jean Jouzel, grand satrape réchauffiste, et dignitaire honoris causa du GIEC : "le capitalisme est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique".
Le pape François lui-même, de plus en plus étranger aux choses spirituelles, croit bon d'apporter son grain de sel, en amont de la grand-messe de la COP28, en s'écriant : "Le monde s'écroule". A l'instar des militants imbus de certitudes, il appelle sans vergogne à "une transition écologique plus contraignante…"

S'agissant de l'Intelligence Artificielle, qu'il est convenu de nommer par ses initiales IA ou mieux encore, à l'anglo-saxonne, AI, l'emballement médiatique va également bon train.
Là encore, la problématique a soudainement surgi, comme une bête faramine, inopportune et suspecte d'incarner un mal, invasif et potentiellement mortel. On oublie qu'il ne s'agit que de progrès algorithmiques, simulant le raisonnement humain, à la manière des bonnes vieilles calculettes. Certes la machine devient de plus en plus puissante et rapide mais une chose est sûre: elle reste toujours aussi dépourvue d'intelligence. Qu'importe, on en fait une sorte d'entité venue d'on ne sait où, maléfique, dotée d'un cerveau fabuleux et de tentacules innombrables. Elle fascine autant qu'elle effraie.
Comme à chaque fois que des avancées techniques se font jour, on agite le danger potentiel qu'elles représentent : "L'IA va supprimer des millions d'emplois. 300.000 rien qu'en Bretagne…"
La surenchère va bon train. Les experts dûment autorisés clament que l'intelligence artificielle fait peser des menaces d'"extinction" pour l'humanité. Un peu fort de café. Ceux là même qui ont conçu l'engin et ont largement diffusé ses applications sur internet, réclament tout à trac une pause !
Des voix s'élèvent de plus en plus nombreuses pour exiger une régulation par les gouvernements de l'IA.
Mais qui peut imaginer sans rire la machine étatique, irresponsable et dénuée de cervelle, se mettre à réguler des programmes informatiques ? Ubu peut-être...
Par un paradoxe empreint de la plus savoureuse pataphysique, l'État s'empresse d'afficher sa volonté d'encadrer sans délai la problématique, tout en manifestant, tel un converti enthousiaste, son désir de profiter de ces avancées robotiques pour doper sa matière grise défaillante : "Le gouvernement a officiellement lancé jeudi son expérimentation de l’intelligence artificielle générative dans l’administration, qui doit permettre d’améliorer les réponses aux questions des usagers des services publics."
On croirait cette profession de foi délicieusement jargonnante sortie d'une pièce de Ionesco, ou mieux encore, du moulin à phrases toutes faites de Chat-GPT. Ça promet de beaux jours !

Dernier sujet, emblématique du prêt à penser contemporain, celui des punaises de lit. Face à ce nouveau péril, le concert assourdissant des médias réunis, lance “un affreux hurlement", comme dirait le cher Baudelaire. L'alerte générale est donnée. Nous sommes envahis par ces bestioles, certes microscopiques si on les compare aux rhinocéros, mais autrement plus nuisibles !
Comme s'il s'agissait d'un fléau particulièrement menaçant, le gouvernement, toujours soucieux de "suivre son temps", entre très vite dans la danse. M. Véran, porte-parole en chef, annonce une réunion interministérielle visant à trouver une réponse « rapide et efficace qui permette de traiter tous les aspects du problème et de répondre aussi à l’angoisse légitime des Français ».
Il en appelle à la raison raisonnante et tente de rassurer la population : "Nous devons solliciter les professionnels de la filière afin de savoir s’il y a une augmentation ou non de ces punaises de lit. Tout ce travail est en train d’être réalisé par le gouvernement et ses agences pour apporter des réponses."
Mais déjà l'évidence apparaît on ne peut plus clairement, pour lui : "Le réchauffement climatique entraîne une recrudescence de ces punaises de lit dans l’ensemble des pays occidentaux, touchant plus particulièrement les pays à forte fréquentation touristique…"
La boucle est donc bouclée et force est de conclure qu'en matière de raisonnement par l'absurde, tout est dans tout et réciproquement !

23 novembre 2023

Logique Ionescienne 1

En lisant La Cantatrice Chauve et en relisant Rhinocéros, œuvres d’Eugène Ionesco (1909-1994), je suis frappé par la résonance de ces pièces de théâtre avec l'actualité de notre société.
Derrière la farce grotesque, que certains se plurent à qualifier de surréaliste, ou d'absurde, on peut en effet trouver nombre de similitudes avec le spectacle offert par notre monde abreuvé de bonnes intentions, de réglementations et d'éthique, mais errant de déconfitures en abandons.
Quoi de plus absurde en somme : est-ce l'œuvre littéraire ou bien le monde réel ?

Dans la Cantatrice Chauve, la scène représente un salon bourgeois typiquement anglais, où madame et monsieur Smith échangent des banalités polies. Le lieu est calme et ordonné. Le contexte lui-même est circonstancié avec un zèle descriptif extrême. Tout semble tourner rond dans ce microcosme feutré, parfaitement réglé. “Tiens”, dit madame Smith, “il est neuf heures. Nous avons mangé de la soupe, du poisson, des pommes de terre au lard, de la salade anglaise”. Quoi de plus naturel en somme…
Mais les apparences sont trompeuses.
Rien ne va en fait. Les Smith attendent des invités, le couple Martin. Après les avoir fait patienter pour des raisons futiles, une discussion s’engage, émaillée d’incongruités et de non sens. Les acteurs ne débitent que des platitudes, des lapalissades, des poncifs, voire des phrases sans queue ni tête. Pire, les personnages n'ont pas d'identité ou bien partagent la même et ne se reconnaissent même pas entre mari et femme. M. Smith parlant de son épouse : “Ma femme est l’intelligence même. Elle est même plus intelligente que moi. En tout cas, elle est beaucoup plus féminine.” Au sujet d'une veuve, Madame Martin qui ne sait plus qui est son mari, s’exclame : “elle est encore jeune. Elle peut très bien se remarier. Le deuil lui va si bien.” Auquel répond M. Smith “Je voyageais en deuxième classe, Madame. Il n'y a pas de deuxième classe en Angleterre, mais je voyage quand même en deuxième classe.”
L’arrivée d’un pompier, qui cherche un peu partout à éteindre des incendies qui n’existent pas, augmente les quiproquos. Avant qu’il apparaisse, on entend sonner plusieurs fois et la bonne va voir sans succès à la porte, ce qui amène dans la bouche de M. Smith le truisme suivant : "L'expérience nous apprend que lorsqu'on entend sonner à la porte, c'est qu'il n'y a jamais personne.”

Peu à peu la confusion envahit les échanges. Les sentences s'enchaînent, suivant une logique absconse, comme lors d’une bouffée délirante. Aucun sentiment ne s'exprime au décours de cette logorrhée bourrée de stéréotypes :
“Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux !” …
“Pourquoi l’État Civil, donne-t-il toujours l'âge des gens décédés mais jamais celui des nouveaux nés ?”
“La vérité ne se trouve d'ailleurs pas dans les livres, mais dans la vie.”
“On peut prouver que le progrès social est bien meilleur avec du sucre”
“Toujours, on s'empêtre entre les pattes du prêtre…”

Dans Rhinocéros, c'est l'apparition incongrue d'un pachyderme à corne qui vient rompre le quotidien banal d'une petite cité sans histoire.
Devant les premiers témoignages, c’est l'incrédulité qui se manifeste chez certains : “Je ne voudrais pas vous vexer mais je n’y crois pas à votre histoire. Des rhinocéros dans le pays, ça ne s’est jamais vu”, puis le doute chez d’autres : “Votre rhinocéros à vous, M. Béranger, si rhinocéros il y a, était-il unicorne ou bicornu .” Pour finir, la colère face à la surdité de l’administration lorsqu'un chat se retrouve écrasé au passage de "la bête": "Nous ne pouvons pas permettre que nos chats soient écrasés par des rhinocéros".
Mais passé le tohu bohu créé par cet événement étrange, les mentalités évoluent peu à peu et le contraste entre l'animal exotique et l'être humain s'estompe. Le rhinocéros n'est bientôt plus seul à parcourir les rues en barrissant. Bizarrement, ils prolifèrent et certains acteurs se mettent étrangement à leur ressembler. Ce qui paraissait choquant, saugrenu ou malséant devient presque banal. Ce qui semblait pathologique devient bénin, jusqu'à affirmer “qu'il y a des maladies qui sont saines.” Certains se résignent à cette transformation de bon gré : “Il faut suivre son temps”. La mutation se fait d'ailleurs étonnamment sans heurt et les gens atteints de rhinocérite ne sont pas malheureux, même s’il persiste parfois un certain malaise “Je ne me suis pas habitué à moi-même. Je ne sais pas si je suis moi.”

Bientôt, les convertis deviennent légions et très rares sont ceux qui résistent à la contagion. La mutation se transforme en cause sociale. On s’y rallie avec des slogans irréfutables : “s’il y a à critiquer, il vaut mieux critiquer du dedans que du dehors”. On persuade les récalcitrants qu’il s’agit d’une fatalité : “Vous allez bientôt devenir un sympathisant des rhinocéros.” On moque ceux qui réfléchissent trop: “La culpabilité est un symptôme dangereux. C’est un signe de manque de pureté”.

16 novembre 2023

Chronique d'une guerre perdue

Les dernières informations concernant le conflit russo-ukrainien semblent indiquer que les choses évoluent comme on pouvait le craindre.
La contre offensive conquérante de Kiev dont nous fûmes abreuvés durant des semaines si ce n'est des mois, s'achève en déconfiture et pire encore, le pays est la proie de sérieux remous internes.
A l'approche de l'hiver, l'État-Major de l'armée révèle au grand jour par la bouche du général Valeri Zaloujny, l'impasse militaire et l'impossibilité de percer le front russe. Peu suspect de propos spécieux et encore moins de défaitisme, cet officier pèse sans doute ses mots. Ils sont donc l'expression d'une crise grave et sonnent comme un appel pressant à un changement de tactique.
Mais face à l'enlisement, le président Zelensky s'énerve et s'entête. Il croit ou fait mine de croire toujours en une victoire, de plus en plus hypothétique, tandis que son pays semble pris d'une lassitude profonde. Près de 2 années de guerre commencent à épuiser les volontés les mieux trempées et on croit de moins en moins à un retournement de situation.

Les alliés de l'Ukraine devraient également se poser quelques questions. Leur aide n'a donc pas suffi, faute d'une stratégie forte et cohérente, et faute d'implication directe et de vraie ligne rouge opposée à l’avancée russe. L'apport régulier d’armement n'a fait, comme c'était prévisible, que prolonger les combats et grossir le nombre de victimes de ce conflit. Les sanctions n'ont quant à elles, servi à rien tant la détermination russe est forte. Pire, elles sont détournées et aboutissent bien souvent à l’inverse de l’effet escompté. On se souvient de l’interdiction solennelle d’acheter le pétrole russe à plus de 60$ le baril. Aujourd’hui la quasi totalité de la production est écoulée autour de 80$  ! Parallèlement, on apprend qu’au 1er semestre 2023, les pays de l’UE ont acheté "plus de la moitié" du Gaz Naturel Liquifié (GNL) vendu par la Russie avec des importations en hausse de 40% vs 2022.
Force est donc de constater que les Occidentaux se sont claquemurés eux-mêmes dans une voie sans issue.

La désinformation, dont on accuse rituellement les Russes, n’a pas épargné le camp adverse. Contrairement aux rumeurs ineptes, le président russe n'est ni gravement malade, ni prêt à employer des armes de destruction massive. Sa détermination en revanche est intacte.

Envers et contre tout, la Russie a atteint l’essentiel de ses buts de guerre et entend désormais les défendre coûte que coûte. Contrairement à ce qu'on entend souvent, l'objectif d'ailleurs clairement énoncé par Vladimir Poutine dès le début de l’intervention militaire, n'a jamais été d'envahir totalement l'Ukraine ni même d'éliminer Zelensky du pouvoir. Il était de faire cesser une fois pour toutes les troubles et les violences qui ravageaient le Donbass depuis 2014 en en prenant le contrôle, et in fine, d'obtenir la neutralité militaire de l'Ukraine. Le premier objectif est en passe d'être atteint. Reste le second…

Face à cette dure réalité, l'obstination de Zelensky risque fort d'aggraver la situation. Il a jusqu’à présent refusé obstinément de considérer toutes les portes entrouvertes par la Russie. En l'absence de réponse et profitant du conflit israélo-palestinien, Vladimir Poutine consolide ses positions et pourrait même être tenté d'étendre un peu plus l'emprise russe. L’heure est donc plus que jamais à la négociation, seule manière d’arrêter ce jeu de massacre de plus en plus absurde.

Pour les alliés de l’Ukraine, non moins entêtés, comment s’extraire de ce bourbier sans perdre la face ? Comment sortir du piège des sanctions ? Comment éviter la cristallisation d'un axe anti-occidental autour de la Russie ? Aujourd’hui, Poutine n'hésite pas à faire feu de tout bois en se fournissant auprès de pays aussi infréquentables que la Corée du Nord et l'Iran. Est-il devenu leur ami, rien n'est moins certain. Il a déjà montré qu’il n’a aucune tendresse pour l'islamisme radical et a passé par profits et pertes de l’Histoire l’ère du communisme. Il paraît de bonne politique d’éviter de faire de lui un paria qui n’aurait d’autre solution que de rejoindre les rangs des nations hostiles au modèle occidental. Celui-ci est en crise. Il est prompt à donner des leçons de morale, mais il est en train de perdre ses valeurs et sa détermination. Il pourrait décliner pour de bon s’il continuait sur cette voie hasardeuse. 
Le plus souvent, les avancées de l’adversaire ne tiennent pas tant à leur force qu'à la faiblesse de ceux qui sont en face…