24 décembre 2023

Les derniers salons où l'on causait

Pour atterrir en douceur en cette fin d’année, un sujet léger : la diffusion, il y a quelques jours à peine, sur la petite chaîne de télévision Paris Première, d’une émission-dîner animée par Thierry Ardisson. Cette soirée filmée au domicile parisien de ce dernier, sis 214 Rue de Rivoli, “remettait le couvert” 20 ans après les mythiques épisodes capturés Faubourg Saint-Honoré.
Non pas que cet événement soit fracassant en soi, mais il rappelle un temps quasi révolu associant détente, bonne chère, culture, et humour débridé.
Précisons que pour assister à ce spectacle, il fallait toutefois être abonné payant. De par la volonté du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), petit soviet chargé de “réguler” les contenus destinés aux téléspectateurs, la chaîne n’a en effet pas l’autorisation de diffuser ses programmes librement, en clair.

Pour les happy few admis au spectacle, il ne fut pas sans évoquer les salons littéraires du XVIIIè, où l’on savait s’amuser avec légèreté, sans trop de tabou et sans trop de vulgarité. On me dira que cela conduisit à la Révolution, mais tant pis…
Bien que les convives soupassent aux chandelles des girandoles, sous des lustres de cristal, le décor rococo tendu de velours cramoisi avait un petit côté kitsch pour ne pas dire autre chose. Dans cette ambiance feutrée, un fond musical jazzy, était propice aux propos libres et lestes.
Pour ceux qui n'auraient pas pu voir cette émission, Youtube permet de visionner celles des saisons passées, il y a déjà deux décennies, et de se faire par la même, une idée de l’atmosphère du lieu. Il n'y eut pas moins de 104 épisodes. Pour ma part, je me suis délecté, entre autres, de la soirée consacrée aux Grosses Têtes, tournée en 2004, avec Jean Dutourd, Pierre Bellemare, Jacques Balutin, Philippe Bouvard, Laurent Baffie & co.

Quitte à céder à la nostalgie, n’oublions pas la ribambelle des émissions, témoignant de manière éloquente de ce que Thierry Ardisson a apporté à la télévision : des vitrioliques Descentes de Police à l’ultime Salut les Terriens, en passant par les Bains de Minuit, les Lunettes Noires pour Nuits Blanches, Double Jeu, Tout le Monde en Parle…
Tout n’est pas bon assurément mais peu d’autres émissions ont gardé la fraîcheur qu’elles avaient lors de leur premier passage. Est-ce le ton non conformiste, faisant alterner sérieux et fantaisie, agrémenté des saillies percutantes de Laurent Baffie ? Est-ce le mélange des genres qui faisait converser sur un même plateau, chanteurs, acteurs, philosophes, politiciens, humoristes ? Le fait est, qu’on est à des années lumières du consensus mou et pudibond, plombé par un humour aussi émollient que rébarbatif, régnant sur les chaînes d’Etat.
On se souvient certes, des mythiques rendez-vous littéraires animés par Bernard Pivot. On garde pareillement en mémoire les talk shows éclectiques de Frédéric Taddeï. On peut aussi évoquer les sketches hilarant dont Jacques Martin était le maître d’oeuvre inspiré, mais le cocktail détonnant caractérisant les émissions de “l’homme en noir” reste unique en son genre. Il répond mieux qu’aucun autre à la notion de variété divertissante, au meilleur sens du terme.

Aujourd’hui, c’est Waterloo morne plaine. Il ne reste rien de la pétillance et de l’impertinence de jadis. Il y a bien Hanouna, mais qui cède hélas un peu trop au racolage et à la trivialité. Seule CNews, chaîne honnie des bien-pensants, parvient encore à sortir les téléspectateurs des sentiers battus du conformisme. Sans doute n’est-ce pas un hasard si tous les meilleurs journalistes et chroniqueurs s’y côtoient désormais et si les audiences s’envolent. Pascal Praud y fait encore preuve d’un peu d’effronterie et d’esprit critique, matin et soir, tandis qu’on a vu réapparaître en discret visiteur du soir, l’excellent Frédéric Taddéï…

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