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13 juin 2012

Avé Jules ! Suite...

Un commentateur me fait observer à l'occasion de mon billet sur Jules Ferry, que ce n'est pas l'école qui a été rendue obligatoire au nom des grands principes républicains, mais l'instruction. Il a évidemment raison et je m'empresse de faire amende honorable. Pour ma défense je suis toutefois tenté d'invoquer le Président de la République lui-même qui dans son discours du 15/05/12, entretenant plus ou moins la confusion, rendait hommage à « la loi du 28 mars 1882 relative au caractère laïc et obligatoire de l'école ».
C'est dire que dans l'esprit de François Hollande, et de ses disciples, l'éducation ne peut se concevoir autrement que publique, donc sous la tutelle de l'Etat. « Nous devons tant à l'instruction publique » a-t-il martelé ce même jour.
En l'occurrence, la doctrine socialiste doit effectivement beaucoup à cette politique centralisatrice et monopolistique instituée par le lénifiant Jules Ferry. Le paradigme social dit « de gauche » a en effet pu prospérer dans ce bouillon de culture idéologique, ainsi que tous les leurres de la pensée égalitaire. Résultat, loin de booster l'ascenseur social comme le souhaitaient tant de gens bien intentionnés, loin de développer « la liberté souveraine de l'esprit » à laquelle aspirait Jaurès, elle a abouti à un nivellement des esprits assez désespérant.
Contrairement à une opinion répandue, les Etats-Unis ont bien mieux réussi dans cette entreprise... en faisant à peu près le contraire de nous, tout en poursuivant le même dessein : offrir à tout citoyen l'instruction. Mais ils se sont bien gardés de centraliser ou de nationaliser leur système éducatif, et ont laissé s'exprimer et s'organiser chaque fois que possible sur le terrain, les initiatives privées, tout en garantissant une liberté quasi totale en matière de programme scolaire. Pour le coup, le système américain, fondé vraiment sur la méritocratie laisse beaucoup moins d'élèves nécessiteux sur le carreau, ou tout simplement à la dérive. C'est sans doute difficile financièrement pour certains, mais chacun peut s'en sortir s'il en a la volonté. Le self-made-man n'est pas un vain mot.

En France, on est pétri de grands sentiments. A l'instar du nouveau chef de l'Etat, on ne saurait « accepter qu'un enfant ait plus de chances de réussir s'il a grandi ici plutôt que là ». Pourtant à force de s'en remettre à l'Etat pour tout, et de tout vouloir réglementer dans l'intérêt du peuple, on est parvenu à dénaturer le grand rêve de l'éducation pour tous.
L'Education Nationale est en passe de devenir un grand vaisseau fantôme sur lequel errent, sous la conduite hasardeuse d'un capitaine sans âme, des légions de professeurs désabusés, et d'élèves abouliques. Ceux qui en ont encore la force cherchent à fuir cet endroit de perdition. De plus en plus de parents inscrivent leurs enfants dans les écoles privées, si honnies, si vilipendées. Et pendant que le temple laïque de l'instruction républicaine perd peu à peu sa substance, on y injecte toujours plus de moyens...

09 juin 2012

Avé Jules !


Le mélange de dévotion et de répulsion avec lequel les politiciens tournicotent autour de la figure emblématique de Jules Ferry (1832-1893) a quelque chose de pathétique. Les simagrées et contorsions auxquelles ils se livrent pour tenter de séparer le bon grain de l'ivraie, au sein de l'héritage intellectuel du grand homme, est un signe des temps.
C'est en effet devenu un poncif que de distinguer, à l'instar de la fable évoquant le Dr Jekyll & Mr Hyde, deux hommes bien différents en un seul. L'un serait admirable, l'autre méprisable. Le premier s'élève aux cieux pour avoir paraît-il inventé le concept d'« école gratuite, laïque et obligatoire ». Le second doit être voué aux gémonies pour avoir exhorté « les races supérieures » à « civiliser les races inférieures » et chanté les mérites de la colonisation.
Faut-il que la pensée contemporaine soit formolée pour ne pas voir qu'il s'agit des deux facettes d'un même idéal, boursouflé de prétention et de paternalisme ! D'une sorte de don-quichottisme républicain, dont l'intrépidité centralisatrice n'a d'égale que l'inconséquence normative.

Avec ses grotesques favoris en forme d'aubergine, appendus à ses tempes molles de hobereau condescendant, Jules Ferry incarne trop bien la suffisance des grands principes et la calamité des certitudes idéologiques. Quelque soit le côté par lequel on aborde le personnage et son action, le même constat s'impose. Et si le zèle colonisateur est vilipendé par les Bouvard et Pécuchet du conformisme angélique contemporain, l'ambition éducative ne vaut guère mieux. Car les deux sont puisés à la même source.
Et dans les deux cas, les bonnes intentions se révèlent désastreuses : si la pitoyable déconfiture de l'aventure coloniale française relève de nos jours de l'évidence, la lente déroute de l'Education Nationale n'en est pas moins édifiante, et irrémédiable. Sans doute, parce qu'à l'instar de la colonisation, elle est fondée sur une série de leurres. 
Elle n'a de gratuite que le nom, puisqu'elle coûte chaque année plus de 4,2% du PIB (soit en moyenne 8150€ par élève), et affiche, sauf pour ceux qui ne veulent pas le voir, un rapport coût/efficacité des plus médiocres.
Sa prétendue laïcité n'est qu'un vain mot dont on se gargarise en France, au mépris de réalités criantes. Fondée initialement sur un anticléricalisme rétrograde et borné, elle s'avère incapable d'enrayer la montée des communautarismes qui gangrènent la société.
Enfin, son caractère obligatoire n'empêche en rien la dégradation régulière du niveau général des élèves, faute de souplesse, de pragmatisme, et à force de cultiver l'indépendance vis à vis du monde du travail, voire un mépris absurde pour celui des entreprises.
Le plus grave est l'instauration, au nom de l'égalité, de programmes nationaux d'origine gouvernementale, qui exposent par nature, au risque d'endoctrinement et rentrent en contradiction flagrante avec le souci de toute démocratie de développer l'émulation intellectuelle et l'esprit critique. Le morne consensus gauchisant et anti-libéral qui règne dans notre pays, l'attrait de la jeunesse pour la condition de fonctionnaire, tout cela s'explique probablement en grande partie par cet abêtissement généralisé, d'inspiration étatique.
La profession de foi du nouveau président de la république, qui avec onction et componction a inscrit d'emblée son action dans ce moule foireux, en invoquant la « réussite éducative » comme d'autres la méthode Coué, n'augure évidemment rien de bon...

Illustration : Jules Ferry par Georges Lafosse

05 janvier 2012

Happy New Year Mr Taxman !

Ainsi le Chef de l'Etat pour ses vœux à la Nation s'est fait plus déterminé dans l'action et plus protecteur en matière sociale que jamais.
Soulignant à maintes reprises la gravité « inouïe » de la crise, il a repris l'antienne bien éprouvée consistant à en rejeter la faute sur nombre d'acteurs, mais jamais sur l'Etat ! Selon lui, « elle sanctionne trente années de désordre planétaire dans l'économie, le commerce, la finance, la monnaie... », mais apparemment pas l'abyssal endettement public !
Avec un brin d'autosatisfaction, il affirma même benoîtement que son gouvernement avait fait ce qu'il fallait pour apurer les finances publiques et donc, que le problème actuel n'était pas de proposer « un nouveau train de réduction des dépenses ».

En revanche, il a annoncé au titre de la relance de l'emploi et de la croissance,  une déferlante de nouveaux impôts, et de nouvelles taxes, tous mieux intentionnés les uns que les autres...
Rien de bien nouveau en somme.
La fameuse TVA sociale apparaît en filigrane de son discours, au chapitre des mesures destinées à «alléger la pression sur le travail et à faire contribuer financièrement les importations qui font concurrence à nos produits avec de la main d’œuvre à bon marché». Et de manière plus explicite, est réaffirmée sa détermination à mettre en place la fameuse taxe sur les transactions censée « faire participer la finance à la réparation des dégâts qu'elle a provoqués ».

Décidément les politiciens, quelque soit leur tendance politique, semblent toujours aussi enclins à se délester de leurs responsabilités et  de moins en moins aptes à laisser courir leur imagination en dehors du consensus lénifiant mais frelaté et cloisonné des idées reçues. Surtout, la ponction du contribuable, reste à l'évidence leur thérapeutique préférée...
Par quelle magie, dans un pays endetté jusqu'au cou et croulant sous les prélèvements obligatoires, des taxes supplémentaires pourraient libérer les forces vives de la nation et doper l'emploi et la croissance ?
Comment peut-on laisser entendre que l'Etat soit parvenu à enrayer ses dépenses, à l'heure où le déficit budgétaire prévu pour 2011 reste proche de 6% du PIB ! Au moment où l'on apprend qu'il faudra emprunter 180 milliards d'euros pour tenter de boucler le budget 2012 !               

Quant à cette inénarrable TVA sociale, par quel sortilège serait-elle en mesure de combler les folles espérances qu'on place en elle ? Qui peut imaginer qu'il suffise d'ajouter le mot « social » pour transformer une taxe en panacée ?
Une chose est sûre, elle commencera par s'ajouter aux prix des biens que devront débourser les consommateurs-contribuables. On fait bien miroiter une baisse concomitante des charges sociales sur les entreprises implantées en France, mais comment être certain que cet allègement sera effectif et automatiquement traduit en baisse des prix, hors taxes. Qui dit que les syndicats n'argueront pas de ce « cadeau fiscal » fait aux entreprises pour exiger des hausses salariales et donc engendrer de l'inflation ?
Ce dispositif de vase communicant promet de toute manière d'être très compliqué à mettre en oeuvre, rappelant quelque peu l'usine à gaz du bouclier fiscal. A l'instar des gros contribuables expatriés, doutant à juste titre des mérites et de la pérennité de ce dernier, il est assez peu probable que les entreprises prennent le risque de rapatrier beaucoup d'emplois délocalisés. Surtout en sachant que les Socialistes, opposés à la mesure pourraient l'abroger, et qu'ils lorgnent sur une augmentation de la CSG, et quantité d'autres prélèvements...
L'accroissement de la compétitivité des produits français sur le marché international paraît lui aussi illusoire, car il n'est pas démontré que la faiblesse de nos exportations tienne principalement aux prix des biens. L'exemple de l'Allemagne, et la bonne santé de l'industrie du luxe prouveraient plutôt le contraire...
En revanche, la hausse de la TVA frappera de plein fouet les produits fabriqués à l'étranger, qui seront quant à eux plus chers, diminuant d'autant le pouvoir d'achat de marchandises courantes, pour lesquelles il n'existe guère d'alternative sur le marché intérieur.

Au total cette TVA sociale reste avant tout une taxe, avec tous ses vices. Ni au Danemark, ni en Allemagne où elle a été plus ou moins expérimentée, ses résultats ne furent probants, notamment en terme d'emploi. S'agissant de l'Allemagne, il faut se souvenir au surplus, que même après une hausse conséquente, la TVA est restée à un taux inférieur au nôtre (19% vs 19,6%). On peut également rappeler que la dernière hausse de la TVA en France date de 1995, juste après l'élection de Jacques Chirac, qui avait fait une bonne partie de sa campagne sur le slogan « Trop d'impôts tue l'impôt ». A l'époque, il avait toutefois « promis » que cette hausse serait temporaire. Seize ans après on attend toujours...

Comme le chantaient les Beatles qui dans les années soixante, après avoir fait fortune, découvraient les bienfaits de l'impôt :
If you drive a car I'll tax the street
Si tu conduis une voiture je taxe la rue
If you try to sit I'll tax your seat
Si tu essaies de t'asseoir je taxe ta chaise
If you get too cold I'll tax the heat
Si tu as trop froid je taxe ton chauffage
If you take a walk I'll tax your feet
Si tu marches je taxe tes pieds...

Bonne Année !

01 décembre 2011

Prophètes du trou noir


Autour de la crise qui n'en finit pas de s'aggraver, les charognards s'enhardissent. Espèrent-ils tirer quelque avantage ou quelque gloriole des décombres d'un système auquel ils promettent sans aucune retenue la fin toute proche ? Éprouvent-ils une sorte de morbide jubilation à l'idée que l'objet de leur ressentiment risque enfin de s'abîmer définitivement ? Il est difficile de trancher, mais en l'occurrence, dire qu'ils haïssent ce système - le capitalisme bien sûr - serait un doux euphémisme. C'est une détestation viscérale qui les anime. Ils bavent d'exaltation devant les soubresauts de la bête, selon eux enfin moribonde.

Un exemple édifiant de cet étrange rituel, qui tient plus du vaudou que de la science économique, fut donné le 30 novembre dernier au matin, par Paul Jorion, invité de France Culture. Ce gentil savant à la barbe blanche, anthropologue paraît-il de son état, a commencé son exposé de manière très pateline, mais il a basculé peu à peu dans la diatribe à sens unique, voire dans un vrai délire monomaniaque, faisant se succéder les affirmations abruptes, les slogans les plus éculés (évoquant de manière compulsive ces "1% de la population qui détiennent 40% des richesses..."), le tout arrosé d'un contentement de soi ineffable, et d'une intolérance ahurissante, n'acceptant aucune contradiction à ses propos.
Puisqu'il décrète une fois pour toutes "qu'il fait partie des gens ayant les yeux un peu plus ouverts que les autres", ces derniers sont par nécessité des aliénés défendant une cause perdue.
En bref, selon ce monsieur très "initié", la crise actuelle s'inscrit comme point d'orgue à "la destruction ultime du capitalisme". Qu'on se le dise, tout est bel et bien fini : "Le système financier américain est terminé, le délitement de l'euro s'achève". Inutile de se battre, car "la machine est cassée.../... le cœur est fondu.../... les marchés, c'est un cadavre."
Il y a d'ailleurs d'autant moins d'espoir que "c'est la panique au sommet" et que "les gens au sommet n'ont pas la moindre idée comment ça fonctionne." Comme les tribus primitives devant une machine en panne, à laquelle ils ne comprennent rien, les experts gesticulent, ou pire, font de vains sacrifices : un chevreau, une vache, puis des  êtres humains..."

Comment peut-on avoir la permission de proférer de pareilles insanités, avec un ton aussi doctoral, sur les ondes de chaînes radiophoniques respectables, c'est un grand mystère. D'autant plus grand que personne ou presque n'osa contredire le mage illuminé. Exception faite de Brice Couturier qui eut l'audace de lui faire remarquer qu'à l'heure actuelle certains pays se portaient plutôt bien du capitalisme, et qui eut l'impudence de lui demander par quoi il songeait à le remplacer. Il fut aussitôt refroidi par la logorrhée intarissable qui s'abattit avec un mépris dévastateur sur ses timides remarques.
M. Jorion n'aime ni les contradictions ni les questions gênantes. Bien qu'il s'exclama à plusieurs reprises qu'il était urgent de "reconstruire un système financier à partir de zéro", il se refusa à fournir ne serait-ce qu'une esquisse d'ébauche de début de piste aux auditeurs dépités, allant dans un rare élan de modestie à concéder "qu'il n'était pas Dieu..."

Il y a pourtant une autre manière de voir les choses, moins immanente, moins déclamatoire, mais sans doute plus réelle.
Non le capitalisme n'est pas mort, malgré les incantations de ceux qui espèrent sa déroute depuis si longtemps. Au contraire même pourrait-on dire, les pays qui s'en sortent le mieux à ce jour sont ceux qui s'y sont convertis de fraîche date et pratiquent donc le capitalisme, dans sa version la plus sauvage (c'est à dire très peu sociale). Paradoxe, ils émergent pour la plupart du socialisme le plus noir...
A l'inverse, dans les pays qu'on croyait acquis depuis longtemps au capitalisme, notamment les démocraties occidentales, il traverse une crise grave. Est-il en train de mourir, on peut toutefois en douter, et il serait tragique de le souhaiter. Les crises sont inhérentes à ce système qui est en perpétuelle régénération, comme l'avait brillamment montré Schumpeter.
Est-ce pour autant une phase de destruction créatrice à laquelle nous assistons ? Rien n'est moins sûr, car le mal actuel ne réside pas dans la substance du système, mais dans ses à-côtés supposés lui servir de pondération, de régulation.
Parmi les causes de son actuelle déconfiture, il faudrait précisément reconnaître certains torts contre lesquels le même Schumpeter avait mis en garde, par exemple d'avoir cédé à la tentation de l'Etat-Providence, d'avoir promu une politique de concentration des moyens de production (fusions, trusts, monopoles) et d'avoir laissé proliférer une bureaucratie envahissante, produisant à tout vent des ribambelles de législations et de réglementations, au détriment de l'application de lois et de règles simples visant à minimiser la spéculation hasardeuse, la corruption et la malhonnêteté.
Résultat, force est de constater que le système, devenu adynamique, s'asphyxie lui-même dans ses boursouflures et dans ses redondances.

Curieusement, si l'Etat Providence est dans la panade, les politiciens qui sont les premiers à l'avoir mené là, ne s'estiment pas responsables, et pas davantage les apôtres de l'alter-pensée qui préconisaient et continuent de réclamer plus de dépenses publiques et une redistribution autoritaire et égalitaire des richesses. Pour eux, les boucs émissaires du jour, ce sont d'obscurs et insaisissables financiers, et les banquiers, qui ont prêté sans compter (certes imprudemment) aux irresponsables qui portaient aux nues avec démagogie le leurre enchanteur de la "justice sociale".

Si une chose apparaît clairement à ce jour, c'est bien l'endettement monstrueux de la plupart des Etats occidentaux. Endettement souvent structurel, car non pas causé par des investissements, mais par le financement de prétendus acquis sociaux qu'il faut indéfiniment abonder. Endettement si massif, qu'on ne voit pas bien comment il pourrait être résorbé. D'autant que le déficit, générateur direct de la dette, ne cesse de croître, en dépit des belles résolutions (prises lors du traité de Maastricht notamment). Il avoisinait récemment 8% du PIB en France et sera proche de 6% cette année. Les prévisions les plus optimistes le voient toujours autour de 4% l'an prochain et à 3% à partir de 2013. Mais dans tous les cas cela signifie que l'Etat continue de s'endetter. Derrière ces pourcentages théoriques, il y a des chiffres faramineux. Cette année, le déficit de la France sera de près de 100 milliards d'euros ! En regard des quelques 50 milliards d'euros que produit l'impôt sur les revenus, c'est assez effrayant. Et en regard des 200 milliards constituant la totalité des recettes de l'Etat, ça donne la mesure de la dérive budgétaire ! Chaque année, un tiers des dépenses de l'Etat ne sont financées que par l'emprunt. Comment songer au désendettement dans ces conditions ? Même en élevant indéfiniment  les taux d'imposition pour les plus riches (qui ne représentent comme chacun sait qu'un pour cent de la population), ça ne serait qu'une goutte d'eau versée dans le gouffre...
Comment s'étonner dans ces circonstances, que les fameuses agences de notations dévaluent les notes des Etats impécunieux ? On se demande d'ailleurs pourquoi elles ne l'ont pas fait plus tôt. Contrairement à ce qu'on pense parfois, elles ne sont pas nées de la dernière pluie, ni de la dernière crise, puisque leur création remonte à plus d'un siècle aux Etats-Unis (Standards and Poor fut fondée en 1860, Moodys en 1909, et Fitch en1913). Elles ont été somme toute plutôt indulgentes, tout comme les banquiers, tant le capital de confiance des "Etats souverains" semblait à tout le monde "intouchable".

Aujourd'hui, il faut déchanter. Hélas, c'est un abîme vertigineux autour duquel nous tournons. Allons nous parvenir à nous en extraire ?
Les mesures de relance keynésienne ont été comme il était prévisible, un fiasco. Elles ont fait flamber les déficits et l'endettement, sans doper ni la croissance ni l'emploi.
Les taxations et impôts supplémentaires sont un pis aller, vu le niveau déjà très élevé des prélèvements obligatoires. Comme le déplorait Jean-Baptiste Say (1767-1832) : "L'impôt est une amende sur la production, sur ce qui fait exister la société."
Reste la réduction drastique des dépenses publiques, qui signifie l'austérité et l'appauvrissement de tout ce qui vit au dépens de l'Etat (en France, ça fait beaucoup...), mais à laquelle on ne voit pas comment échapper malgré les dénégations des dirigeants. Et in fine, "l'effacement de la dette", qui loin d'être magique, conduira à ruiner ceux qui ont fait confiance à l'Etat.

En tout état de cause, s'il y a des gens qui ont des raisons de "s'indigner" de l'état de fait actuel, c'est bien ceux qui alertaient sur ces dérives du capitalisme et de la démocratie, sur l'instillation démagogique du venin sournois de pseudo "justice sociale" dans le moteur. Mais sûrement pas ceux qui n'ont jamais aimé le capitalisme et qui jouent aujourd'hui aux prophètes, ou pire, aux pompiers pyromanes.

18 septembre 2011

From Big to Self Government


Il semble aisé de concevoir que l'idée même de démocratie est faite pour s'accorder avec celle de liberté.
Il semble même logique de penser que les deux concepts se renforcent mutuellement, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de libertés individuelles.
Il n'est pas moins indispensable de garder à l'esprit la nécessité pour un peuple, d'être gouverné, ne serait-ce que pour éviter le risque d'évoluer vers l'anarchie, ou vers l'odieuse tyrannie de la majorité.
De ce point de vue l'adage du philosophe Karl Popper (1902-1994) tient de l'évidence, tout en interrogeant sur l'équilibre vers lequel doit tendre une démocratie digne de ce nom : « Nous avons besoin de liberté pour empêcher l’Etat d’abuser de son pouvoir et nous avons besoin de l’Etat pour empêcher l’abus de liberté »

Tout le problème est de déterminer à quel niveau le point d'équilibre doit se situer. Et la réponse ne peut être univoque dans un système ouvert, par nature enclin au progrès.
Dès lors la question qui se pose est de savoir si ce dernier passe par le renforcement de l'influence de l'Etat ou bien au contraire, s'il pousse à l'émancipation progressive des citoyens.
De toute évidence, la seconde proposition de l'alternative est la plus désirable... Plus un peuple est éclairé, plus il gagne en maturité et en sagesse, et moins il a besoin de la tutelle gouvernementale.
Et qui peut le mieux aider à cette évolution, si ce n'est le l'Etat lui même ?
Tocqueville (1805-1859) ne disait pas autre chose lorsqu'il affirmait que: «Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui» (De la Démocratie en Amérique).

Hélas, c'est une préoccupation qui s'est bien amoindrie avec le temps, et que le culte de l'Etat Providence a contribué à asphyxier progressivement, sous une avalanche de bonnes intentions.
Il est facile en effet de montrer que plus l'Etat se pique de protéger les citoyens, plus il les contraint, et en définitive, plus il les déresponsabilise. L'idéal démocratique en souffre nécessairement et le spectre d'un délitement de la liberté surgit tôt ou tard.

Pour s'en convaincre, il n'est que de se pencher sur deux avancées sociales considérées comme majeures, mais dont la nature progressiste tient surtout du trompe-l'oeil : les congés payés et la sécurité sociale. Loin de viser à leur émancipation, les deux concepts laissent penser en effet qu'ils concernent des citoyens incapables de prendre en charge les aléas de leur propre existence.

S'agissant des congés payés, obtenus de haute lutte au moment du Front Populaire, il faudrait imaginer pour conclure à un vrai progrès, que les employeurs aient hérité d'une corne d'abondance magique qui leur permettrait de payer leurs salariés, même quand ils ne travaillent pas.
Évidemment c'est une chimère. Ils sont tout simplement obligés de prélever de manière implicite durant onze mois sur l'ensemble de la masse salariale, les sommes qu'il leur seront nécessaires pour payer sans mettre en péril l'entreprise, le mois de vacances de chacun des membres du personnel.
Cela signifie que les salaires pourraient être plus élevés si cette tâche de simple prévoyance était dévolue aux intéressés eux-mêmes.
En définitive, non seulement le système est injuste et discriminatoire, puisqu'il laisse de côté les travailleurs indépendants obligés de se débrouiller seuls, mais il est déresponsabilisant pour les autres, qu'on n'incite vraiment pas à prévoir l'avenir, même à court terme, et même s'il ne s'agit que de loisirs.

La Sécurité Sociale relève du même genre de perversion. En instituant un régime monopolistique de cotisations obligatoires, dont la majeure partie est à la charge des employeurs, avant versement des émoluments, les Pouvoirs Publics ont mis en place une diabolique machinerie menant au mythe de "la santé gratuite".
On voit aujourd'hui plus que jamais la gigantesque catastrophe financière à laquelle ce système a mené, en dépit de ses beaux principes égalitaires. On voit aussi les abus innombrables auxquels il a ouvert en grand la porte, sans pour autant tenir les objectifs de protection universelle annoncés au départ. On voit enfin comme il est difficile de le réformer tant les mauvaises habitudes qu'il a engendrées sont désormais considérées comme des acquis définitifs...
N'y avait-il pas moyen dans une société éclairée, de faire progressivement des citoyens, des acteurs pleinement responsables de leur santé ? Si le principe de l'assurance est sans conteste le meilleur pour garantir la solidarité, ni la tutelle de l'Etat ni la coercition ne s'imposent, sauf à considérer le peuple comme définitivement immature.

Certes on objectera que cette tutelle généralisée "prévoyante et douce" évite sans doute la survenue de quelques situations dramatiques, mais quel gâchis d'ensemble, quel gluant marasme, dont on peine aujourd'hui à se sortir.
L'Etat Providence est hélas bien devenu ce que l'économiste Frédéric Bastiat (1801-1850) redoutait, à savoir : "Cette grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde..."

Illustration : Promethée enchainé par Gustave Moreau

05 septembre 2011

Pauvre comme Job

Avec la crise, qui n'en finit décidément pas, la complainte sur la paupérisation devient plus lancinante que jamais.
Ces derniers jours l'INSEE annonçait une fois de plus que la pauvreté gagnait du terrain en France. Selon les comptes de cet organisme, 8,17 millions de personnes vivaient sous le "seuil de pauvreté" en 2009, c'est à dire avec moins de 954 euros par mois.
Histoire d'en rajouter une couche, Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, précisait : "la pauvreté augmente dans notre pays depuis 2002. C'est un tournant historique".
Curieuse coïncidence, tout ça est accordé avec la ritournelle incessante sur les Riches et les Banques "qui s'en mettent plein les poches", qu'on entend au sein de l'Opposition en ces temps préélectoraux (sic dixit Martine Aubry sur France 2 samedi 3 septembre).

Admettons donc que la pauvreté progresse dans notre pays. Ne soyons pas dupes : cela fait des décennies qu'on en entend parler. Entre autres exemples, il n'est que de se rappeler la création, dans l'urgence, des "Restos du Coeur" en 1985...


La vraie question est : pourquoi donc, et à qui la faute ?
Depuis plus de trente ans, absolument tous les élus, tous les gouvernements n'ont eu de cesse de clamer que la lutte contre ce fléau était, avec la création d'emplois, leurs priorités absolues. On a vu se succéder au pouvoir à peu près toutes les tendances politiques, du Parti Communiste à la Droite "républicaine" en passant par les Socialistes, les Centristes, les Ecologistes. Seul le Front National en fut écarté (inutile de le déplorer, car la probabilité qu'il eusse fait mieux est infinitésimale...).

Objectivement, il est difficile de prétendre que ces Gouvernements, tous si bien intentionnés, n'aient rien fait. Le problème est qu'ils n'ont en définitive, tous partis confondus, pas vraiment brillé par leur efficacité.
Globalement la politique poursuivie s'est inscrite, à quelques variations près, dans un seul et unique modèle: celui de la social-démocratie, basée sur un Etat très protecteur mais hélas par voie de conséquence, déresponsabilisant (à force de tout vouloir régenter, il pénalise le travail, décourage l'initiative et fait perdre jusqu'au sens de la solidarité).

Ainsi, les Gouvernants ont inventé l'impôt "redistributif", qui paraît-il serait la panacée en matière de lutte contre les inégalités sociales, et qui passe par un accroissement indéfini du poids des prélèvements obligatoires, donc des impôts, taxes et cotisations en tous genres (cf graphique).

Le pionnier de la méthode fut le président Giscard d'Estaing (5 points de PIB de taxations supplémentaires en un septennat). Mais depuis les années 80, la proportion de la richesse nationale ponctionnée par le fisc a continué de progresser pour se stabiliser autour de 44%. Soit environ dix points de plus que la moyenne des pays de l'OCDE (qui elle même augmente régulièrement).

Parallèlement, les dépenses, notamment sociales de l'Etat n'ont cessé de croître. Nombre de dispositions ont été promulguées dans le but affiché de soulager la misère et de redistribuer cette fameuse richesse aux plus démunis. On a vu successivement s'améliorer l'indemnisation du chômage, augmenter les dépenses de sécurité sociale, avec notamment l'institution de la CMU, puis les lois emblématiques accordant la retraite à 60 ans, le passage aux 35 heures de travail hebdomadaires, le RMI, puis le RSA, sans compter quantité d'allocations et de subventions diverses...

Résultat, l'Etat, qui prélevait beaucoup mais qui dépensait encore plus, a accumulé une dette faramineuse, en grande partie structurelle, c'est à dire quasi impossible à résorber, tant il est difficile de revenir sur des mesures à caractère social.
Si toutefois la situation sociale du pays s'était améliorée comme promis, on serait tenté d'accorder quelque circonstance atténuante à cette stratégie ruineuse.
Hélas, c'est tout le contraire qui s'est produit, et la rengaine un tantinet démagogue, est paradoxalement plus que jamais d'actualité : "les Riches sont toujours plus riches et les Pauvres toujours plus pauvres".

Donc malgré tous les efforts, si l'on écoute aujourd'hui les politiciens, principalement dans les rangs de l'opposition, la situation n'a jamais été pire !
Pourtant tous ces gens peuvent s'accuser mutuellement, car ils ont tous peu ou prou pris part à cette séraphique dérive budgétaire.
En définitive, tandis qu'on tentait par tous les moyens de rendre moins riches les Riches, on ne parvenait qu'à appauvrir toujours plus les Pauvres... Tout en dopant par la multiplicité hallucinante des taxes et des contraintes, les fraudes en tous genres, notamment le travail au noir, lequel accentue la pauvreté apparente...

Le pire est que les candidats putatifs à la succession sont à peu près tous d'accord pour continuer sur la même calamiteuse pente ! Le seul credo entendu est grosso modo de continuer à augmenter les impôts, de taxer toujours plus fort ce qu'il reste de "Riches" et parallèlement d'augmenter les dépenses à caractère social ou destinées à provoquer une hypothétique relance de la croissance et de l'emploi...

Quant aux Gouvernants en place, bien qu'ils soient systématiquement accusés par leurs adversaires de faire le jeu des plus fortunés, force est de constater qu'ils restent globalement sur la même politique. Étrangement d'ailleurs, moins il y a de différences entre les politiques proposées, plus les attaques se radicalisent...
Les quelques timides et peu convaincantes remises en cause du système, amorcées en début de mandat par Nicolas Sarkozy, ont été progressivement invalidées.
Au motif de la crise, le Chef de l'Etat, tout comme ses prédécesseurs, fait le contraire de qu'il soutenait mordicus, en risquant de s'aliéner une partie de son électorat naturel, sans rien gagner en face... Le pire étant que même ces idiots de "Riches" semblent le contredire !
Mais pour quelle raison ce qui devait marcher avant la crise deviendrait inopérant pendant ? Y a-t-il réaction plus stupide et désastreuse après l'échec d'une démonstration, que de jeter aux orties les théorèmes sur lesquels elle tentait de s'appuyer maladroitement ?
Une chose est sûre : la politique de relance et de dépenses tous azimuts est comme c'était prévisible, un échec cuisant.
Quant à la crise elle n'est pas vraiment survenue de manière inopinée. C'est une évidence criante, sauf pour les aveugles : il s'agit de la faillite de l'Etat Providence, et on peut dire qu'on a tout fait pour qu'elle arrive.

Ne serait-il pas enfin temps d'essayer quelque chose de vraiment différent ? Avant que tous les riches, et les moins riches, soient devenus définitivement pauvres...

illustration: Job et sa femme, par Latour.

28 août 2011

La foire aux taxes, et aux dinosaures...

La France, dans un monde secoué par une crise qui dure, démontre une fois encore sa singularité, et une étonnante propension à l'incohérence et aux chimères.

La publication récente d'une supplique signée par 16 personnalités fortunées appelant à payer plus d'impôts est le signe irréfutable de cette curieuse inconstance (Nouvel Obs).
Il est impossible que ces gens ignorent la vanité d'un tel appel, et surtout l'inefficacité qu'aurait l'alourdissement de la fiscalité "raisonnable" qu'ils proposent. Proposition d'autant plus absurde d'ailleurs que certains d'entre eux demandèrent à bénéficier du bouclier fiscal, et même furent accusés d'évasion fiscale... D'ailleurs on peut s'interroger sur la raison qui pousse ces gens à exprimer aussi bruyamment leur envie d'être davantage ponctionnés. Pourquoi ne donnent-ils pas spontanément l'argent qui leur est manifestement superflu et qui ferait tant de bien au pays selon eux ?
Est-ce le souci puéril d'obtenir la garantie que les autres seront également mis à contribution ?
Ou bien, à la manière des aristocrates de la nuit du 4 août votant l'abolition des privilèges, espèrent-ils se donner une image avant-gardiste en anticipant la fatalité, et en montrant leur empathie avec le peuple ?

Peu importe après tout. Ce qui devait arriver arriva. Le gouvernement s'est empressé d'exaucer leur vœu. Les "Riches" (plus de 500.000€ de revenus annuels) qu'on venait à peine d'exonérer en partie de l'ISF, viennent de récolter un prélèvement "exceptionnel" de 3% qui va les réjouir. A moins qu'à l'instar des bourgeois rassis du PS, ils ne trouvent pas cela suffisant...

Avec la suppression de l'insane et volatile bouclier fiscal, avec l'augmentation des taxes sur les plus-values immobilières, sur les revenus du capital et de l'épargne, et la remise au goût du jour de la vieille lune représentée par la taxe sur les transactions financières, c'est un vrai festival !
Ainsi Nicolas Sarkozy aura consciencieusement détricoté la quasi totalité de son fameux "paquet fiscal", dit encore loi TEPA.
Pour un revirement, c'est un revirement !
Mais ce n'est pas tout. Comme s'il en était réduit à faire les fonds de tiroirs, le gouvernement continue de raboter opiniâtrement les niches fiscales qu'il avait lui-même savamment élaborées. Sur les heures supplémentaires, avec une logique de savant Cosinus, il reprend d'une main ce qu'il avait donné d'une autre. Et tous azimuts, il ajoute des taxes aux taxes : sur les Mutuelles de santé, sur l'alcool, le tabac, et même les billets d'entrée dans les parcs de loisir, ou les sodas "avec ajout de sucre" (sic) !
Résultat sur deux ans, 12 milliards d'euros grappillés sur la richesse nationale (et non économisés comme on voudrait le faire croire). Face aux 1600 milliards de la dette, ça laisse encore de belles perspectives. D'autant qu'elle s'est récemment alourdie de 15 milliards supplémentaires pour sauver la Grèce, et qu'il faudra sans doute y ajouter les conséquences de l'augmentation du chômage, de l'inertie durable de la croissance, elle-même sans doute aggravée par le poids de ces nouvelles contributions.

Pendant ce temps, avec des taux de prélèvements obligatoires inférieurs de 10 points par rapport à la France, et sans ISF ni taxation exotique, l'Allemagne a presque totalement résorbé son déficit (moins de 1,5% du PIB prévu en 2011 contre au moins 6% pour la France).
Et pendant ce temps les "dinosaures" du Parti Socialiste tiennent leur université d'été. Rescapés de la préhistoire, c'est en tout cas comme ça que les voit le magazine The Economist cette semaine. Il faut dire que la crispation idéologique dont ils font preuve en chœur (en dépit de féroces haines mutuelles) illustre bien l'adage qui veut qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas. C'est le grand soir fiscal qui est promis aux derniers ci-devant riches, par François Hollande, le retour à la retraite à 60 ans et davantage de fonctionnaires par Martine Aubry, l'interdiction des stock-options, de la "spéculation sur la dette" par Ségolène, et pour finir, la dé-mondialisation claironnée par Montebourg, En résumé, "Plus de taxes mais pas moins de dépenses est leur credo". Seul Manuel Valls échappe à ce jugement. Mais il lui manque le charisme...

Face à la crise et à quelques mois de l'élection présidentielle la richesse du débat et l'originalité des projets a donc de quoi rasséréner. D'autant qu'en France, c'est maintenant devenu une tradition que de faire une fois élu, le contraire de ce qu'on avait annoncé...
Comme dirait l'autre le Progrès fait rage, et le futur ne manque pas d'avenir.


Illustration : Les diplodocus par Mathurin Meheut

26 avril 2011

Fausse bonne idée


Encore une fois le président Sarkozy démontre que sa politique est d'inspiration bien plus étatiste que libérale. Son idée d'imposer aux entreprises le versement à leurs salariés d'une prime indexée sur les dividendes, sort tout droit du catalogue des bonnes intentions dont l'enfer de l'Etat Providence est pavé.
Il s'agit d'une sorte d'ersatz de la règle des trois tiers selon laquelle une entreprise devrait répartir ses bénéfices à parts égales entre les salariés, les actionnaires et l'investissement.

Certes, en apparence, cette mesure est susceptible de donner un coup de pouce au pouvoir d'achat, en ne pesant que sur les royalties des actionnaires. Parfaitement dans la ligne de "la moralisation du capitalisme"... Et moindre mal pour les entreprises dont les versements à ce titre seront exonérés de charges.

Malheureusement le caractère obligatoire de cette initiative et son application uniforme à toutes les entreprises de plus de 50 salariés, en font le type même de fausse bonne idée.
Tout d'abord, parce que la plupart des sociétés gérées avec bon sens distribuent depuis longtemps des primes à leurs employés, souvent basées sur les bénéfices, et modulées en fonction des états de service individuels.
Ce nouveau dispositif, avec sa froide et bureaucratique rigidité, est au mieux inutile. Au pire, il risque de prendre la place des initiatives spontanée, et devenir en raison de son caractère légal, un acquis social systématique qu'il sera bien difficile de refuser, même en temps de vaches maigres.

On peut craindre de toutes manières que se mettent en place chez les plus réfractaires, des stratégies d'évitement : certains chercheront par tous les moyens à masquer les dividendes, d'autres à limiter les embauches en dessous du seuil fatidique de 50 salariés.
Plus généralement, les entreprises françaises, devenues par la force de la loi moins généreuses pour leurs actionnaires, risquent de se trouver dépréciées et donc délaissées par les investisseurs au profit des valeurs étrangères.

A défaut de satisfaire les patrons et les actionnaires, cette disposition plaira-t-elle aux salariés ? Rien n'est moins sûr...
Les syndicats ont vite fait en tout cas, de lui trouver quantité de défauts.
Selon M. Chérèque de la CFDT, il s'agit d'un nouveau "cadeau au patronat" qui va "diviser les salariés", et qui risque de se traduire en raison de la défiscalisation des versements, par "moins d'augmentation de salaires, plus de prime".

Curieusement, en même temps que cette mesure, le gouvernement annonce le gel des salaires des fonctionnaires. N'y a-t-il pas là quelque incohérence ? Surtout lorsque l'on sait que la Fonction Publique souffre précisément, en dépit de volatiles promesses, de l'absence désespérante de primes à l'initiative et au mérite.

Mais le plus grave dans cette affaire, est sans doute l'arsenal administratif qu'elle laisse entrevoir en perspective. Il va falloir encore une fois, contrôler, surveiller, mesurer, évaluer, sanctionner. Toujours plus d'Etat en somme...

23 juillet 2010

L'ivresse aseptisée

Le Figaro du jour évoque une problématique intéressante, à la une de son site web : "Bachelot réfléchit à des salles de shooting..."
Il s'agit de décider s'il faut ouvrir ou non, sur recommandation des "experts" de l'INSERM, et à l'instar d'autres pays européens (Allemagne, Pays Bas, Suisse, Espagne...), des "salles d'accueil et de consommation de drogues à moindres risques", permettant aux toxicomanes, à la condition expresse qu'ils soient "réguliers et dépendants", de se shooter en toute sécurité, sous surveillance médicale rapprochée.
Ce nouvel avatar de l'Etat Providence m'a tout de suite fait penser aux bonnes vieilles fumeries d'opium qui avaient pignon sur rue en Chine, jusqu'à l'orée du XXè siècle.
Sauf évidemment qu'elles n'avaient pas pour vocation principale de garantir, entre les quatre murs blancs et froids d'une infirmerie, de bonnes pratiques hygiéniques,  mais plutôt de mettre en scène de manière savante et sophistiquée, une sorte de rite consacré à la rêverie et à la détente...
Sauf qu'elles n'étaient pas placées sous tutelle gouvernementale et que leur financement ne dépendait pas des contribuables...
Sauf enfin, qu'elles fournissaient aux consommateurs les ineffables boules d'opium destinées à être fumées, contrairement aux nouvelles drogueries aseptisées qui demandent aux clients, avec un délicieux sens jésuite, de venir avec leur came, achetée clandestinement sur le trottoir d'en face, tout en promettant de ne pas les questionner pour savoir d'où elle vient ni où elle les mène...

Hélas, décidément ce monde est en train de perdre les pédales du bon sens, et tout ce qui donnait un peu de panache et de consistance à la tragique existence humaine.
Avec ces dispensaires d'un genre assez stupéfiant, on est évidemment bien loin des fumeries à l'ancienne. Je ne peux m'empêcher de ressentir une indicible nostalgie en pensant à ces paradis perdus, tant ils me suggèrent, à tort ou à raison, une certaine idée de la convivialité et de l'évasion intellectuelle. Pierre Loti, habitué de ses divins lieux de perdition, les avait magnifiquement évoqués dans son ouvrage sur Les Derniers Jours de Pékin : "Étendus très mollement sur des épaisseurs soyeuses, nous regardons fuir le plafond, l'enfilade des arceaux de bois précieux sculptés en dentelles, d'où retombent les lanternes ruisselantes de perles. Des chimères d'or brillent discrètement çà et là sur des soies jaunes et vertes aux replis lourds. Les hauts paravents, les hauts écrans de cloisonné, de laque ou d'ébène, qui sont le grand luxe de la Chine, font partout des recoins, des cachettes de luxe et de mystère, peuplés de potiches, de bronzes, de monstres aux yeux de jade qui observent en louchant…"

26 janvier 2010

Too Big To Fail

Est-ce un revirement dans la stratégie de Barack Obama, face à la crise économique ? Est-ce un vent nouveau, qui annonce une tendance à la déconcentration des entreprises ? Est-ce la fin annoncée de la folle course au gigantisme, qu'on croit parfois mais à tort, inhérente au capitalisme voire au libéralisme (ou pire encore... au capitalisme ultra-libéral) ?
Il est un peu tôt pour le dire mais la dernière proposition du président américain consistant à tenter de réduire la taille des banques, semble une bonne nouvelle pour tout Libéral soucieux d'empêcher les abus de position dominante, et souhaitant préserver une vraie émulation en matière d'économie de marché.
En affirmant « qu'il y a trop de risques concentrés dans de trop grandes banques », et que « Plus jamais les contribuables américains ne doivent être pris en otage par des banques devenues trop grosses pour faire faillite », Obama rejoint en quelque sorte le sénateur John Sherman. Celui-ci fut l'auteur à la fin du XIXè siècle de la première grande loi anti-trust, qui conduisit le président Théodore Roosevelt à casser en 1906 le quasi monopole de la Standard Oil, fondée par Rockefeller.
Il pourrait s'agir d'une petite révolution, après tant d'années pendant lesquelles nombre de gouvernements assistèrent impuissants aux fusions d'entreprises, quand ils ne les encouragèrent pas, au nom de la religion productiviste.

En matière bancaire, non seulement la démesure nuit à la saine concurrence, mais elle a tendance à en compliquer et surtout à en déresponsabiliser la gestion. Les sociétés deviennent si grosses en effet, qu'elles se croient intouchables, et que l'Etat se fait un devoir de les secourir en cas de difficulté, par crainte que leurs déboires n'entraînent en cascade, l'effondrement du système tout entier. Le magazine The Economist pointait dans un récent numéro le fait qu'à ce jour, les quatre plus grandes banques américaines détiennent plus de la moitié des actifs de l'industrie (22/01). Qui peut prétendre rationnellement qu'il s'agisse d'une situation souhaitable ?
Jusqu'à ce jour malheureusement, le credo des Pouvoirs Publics, notamment en France, est pourtant de pousser à la concentration, au nom de l'harmonisation, de l'optimisation des coûts. Le gouvernement a récemment encouragé la fusion de la Caisse d'Epargne avec les Banques Populaires. Il y a quelques années, il avait pesé de tout son poids pour favoriser le rapprochement de la Société Générale avec BNP-Paribas.
Tout récemment, éclatait la polémique au sujet du double salaire et du cumul de fonctions de monsieur Proglio. Or derrière cette affaire, se profile l'alliance étrange des colosses EDF et VEOLIA, qui avait jusqu'à ces tout derniers jours la bénédiction du Président de la République et du ministre de l'Economie.
Banque ou pas, l'adage too big to fail s'applique à tous ces mastodontes. On a vu aux USA, comment les difficultés de General Motors ont contraint le gouvernement fédéral à s'impliquer directement dans le management du géant de l'industrie automobile. En réalité, les exemples sont légions et concernent tous les gouvernements quelque soit leur sensibilité politique. Au surplus, la tendance est identique, s'agissant d'entreprises étatisées. La fusion des hôpitaux ordonnée par la Loi HPST, la chasse aux prétendus « doublons d'activité » et la concentration du pouvoir décisionnel dans de monstrueuses Agences Régionales de Santé, relèvent du même état d'esprit.
La récente initiative de Barack Obama pourrait apporter un peu d'air frais à un univers qui semble en voie de s'asphyxier dans la pléthore et l'inertie. Elle pourrait même, à condition de faire preuve d'optimisme, être de nature à replacer l'Etat dans ses fonctions naturelles de garant des règles du jeu, et non d'entité providentielle chargée de subvenir à tous les aléas de la vie de chaque citoyen. Cela pourrait signifier, non pas le renforcement de l'interventionnisme, mais la simple promulgation de règles de bon sens, permettant précisément d'éviter l'ingérence incessante du gouvernement dans le libre jeu du marché, et l'assistance au fonctionnement du moindre des rouages de la société.
Ce n'est pour l'heure qu'une annonce. Rien ne dit qu'elle sera suivie d'effets. Rien ne dit non plus qu'elle se traduira par une mise en œuvre pragmatique, le risque étant comme d'habitude, d'en faire trop.
On dit ainsi que le président américain souhaite dans la foulée, imposer des contraintes fonctionnelles aux organismes bancaires, leur interdire notamment toute activité de spéculation sur les marchés. Il voudrait également alourdir la charge fiscale, en créant une curieuse «
taxe de responsabilité dans la crise financière ».
Il convient donc de se garder de tout enthousiasme prématuré. Mais l'espoir est quand même permis...

10 janvier 2010

Débat or not débat


Doux plaisir que de voir certains intellectuels émérites, d'obédience anti-libérale, s'insurger tout à coup contre l'omnipotence étatique, à l'occasion du débat sur l'identité nationale !
Par l'intermédiaire, de sa chronique au magazine Le Point, le cher Bernard-Henry Lévy a manifestement décidé de s'inscrire en tête de ce nouveau bataillon de la Liberté. Et comme à son habitude, il met généreusement les pieds dans le plat. L'éléphant BHL dans le magasin de porcelaines libérales ça vaut assurément le détour, mais ça ne trompe guère...
Tout de même, quelle jubilation, que de voir l'ardeur avec laquelle il fustige cette nouvelle immixtion étatique ! A ses yeux le débat peut naitre de partout : des comités d'experts, des forums de citoyens, des partis politiques, mais surtout pas de l'Etat. Ce qui le choque : « que ce dernier se substitue à tous ces acteurs, qu'il se réveille un beau matin pour, avec tous ses réseaux, ses préfets, ses moyens, claironner à l'attention des « forces vives » de la nation : « voici le débat qui s'impose, voici de quoi je décide moi, Etat, qu'il convient dorénavant de débattre; et voilà enfin dans quelles limites, sur quel ton, jusqu'à quand ce débat doit se tenir »
Eh oui ! Lui qui avec tant d'autres, recommandait il y a peu le renforcement des régulations pour lutter contre les débordements du Capitalisme, lui qui réclame toujours plus d'Etat pour plus de justice sociale, plus d'égalité, plus de solidarité et tout le toutim, refuse cette fois ce « débat dirigé, encadré, bordé de tous côtés, contrôlé... »
Aurait-il enfin compris l'essence du libéralisme ? Serait-il acquis aux concepts magnifiés par Tocqueville ?
Bien évidemment non. Cette indignation est circonstancielle, visant clairement certains dirigeants avec lesquels il a des comptes à régler, et non le Pouvoir Central en lui même.
D'ailleurs même piloté par l'Etat, l'ancien Nouveau Philosophe trouve le débat encore trop libre. Comme d'autres, s'il souhaite l'arrêter, c'est parce qu'il se focalise sur l'immigration, sujet tabou s'il en est. Pas question, même si les débatteurs en font une si forte préoccupation, d'y accorder la moindre importance. Et honte à ceux qui seraient tenté de le faire. Il faudrait donc occulter les problématiques jugées gênantes par quelques censeurs de la bonne pensée. On voit bien que l'obsession dirigiste n'est pas bien loin...
Qu'à cela ne tienne. Il est possible, une fois n'est pas coutume, d'être presque d'accord avec lui. Quelles pourraient être en somme, les mesures pragmatiques découlant de ce grand défouloir ? Rien hélas. Les problèmes resteront les mêmes et une fois encore, comme BHL le souligne à bon escient, l'idée européenne est éclipsée par ces gesticulations grotesques dont notre pays et si friand.
Comme dans tant d'autres domaines, l'intervention de l'Etat est vaine en matière de débat. On assiste ici à un remue-méninges assez démagogique dans lequel on dit tout et surtout n'importe quoi et où l'on voit comme d'habitude, se radicaliser les positions, la haine et la bêtise, qui plus est, pas forcément issues des citoyens moyens, mais plutôt des « personnalités » (cf les interventions vindicatives d'Emmanuel Todd,
de Badiou, de Cambadélis...)
Evidemment on pourrait quand même être tenté de demander à ces docteurs qui recommandent que cesse le débat d'Etat, ce qu'il faut faire lorsqu'il n'y a de vraie controverse et de réflexion sans tabou nulle part, notamment pas là où on est en droit de les attendre. Lorsque la Presse, les Intellectuels et les Médias se cantonnent aux lieux communs, où pire encore, qu'ils servent de système d'amplification à toutes les niaiseries du conformisme contemporain. Que faire, lorsqu'en guise de débat on ne voit surgir que des polémiques futiles, fondées sur les bévues récupérées avec délectation des bouches célèbres, ou bien montant en épingle de médiocres faits divers ...

01 septembre 2009

Le gros oeil de l'Etat


Il y a quelques jours, le magazine Le Point s'interrogeait gravement sur sa couverture : « Sarkozy est-il de gauche ? » A part quelques banalités que chacun connaît déjà au sujet de l'entourage du président, de ses initiatives « sociales », et de l'ambiguïté de certaines déclarations publiques, on n'apprend toutefois pas grand chose à la lecture de l'article. Il faut dire que la question n'appelle pas vraiment de réponse dans un pays où les hommes politiques n'ont généralement guère de convictions. Sitôt parvenus à leurs fins c'est à dire au pouvoir, ils semblent n'avoir rien de mieux à faire que de démolir l'idée qu'ils s'étaient évertués à donner d'eux avant d'être élus.
La stratégie de Nicolas Sarkozy de ce point de vue n'échappe pas à la règle tant elle est fluctuante et parfois contradictoire. On dit souvent qu'elle témoigne d'un esprit pragmatique. Même avec un projet clair et la légitimité des urnes, il est si difficile en France d'appliquer un programme face à la pression de la rue et à la versatilité de l'opinion...
Tout de même, ce scoop des 3000 évadés fiscaux en Suisse dont Bercy serait parvenu à se procurer les noms a de quoi inquiéter. Derrière l'effet d'annonce dont sont si friands les Pouvoirs Publics, on prend conscience tout à coup que l'Etat de plus en plus omniprésent, et omnipotent est en passe de collecter désormais des informations de plus en plus précises sur un nombre de plus en plus grands de gens.
Sous on égide s'organise avec les meilleures intentions du monde la centralisation des fichiers et des identifiants. On sait que le Fisc et l'Assurance Maladie sont déjà en mesure de faire communiquer leurs bases de données nominatives. Avec la Loi HADOPI, les internautes seront traqués avec la complicité forcée des fournisseurs d'accès au Web. Tout ça avec la bénédiction de la CNIL, totalement débordée et de toute manière elle-même assujettie à l'Etat.
Certains s'inquiètent de la possibilité d'être espionnés par des organismes privés comme le fameux Google, mais ce n'est rien en comparaison de l'oeil de l'Etat. Une entreprise privée risque en effet gros à galvauder le secret de ses clients, l'Etat jouit quant à lui d'une totale impunité, et pour cause : c'est lui qui fait la Loi et sa clientèle est par définition captive. S'agissant de l'utilisation des données, si l'entreprise privée n'a guère d'autre objectif que celui bassement mercantile de cibler des campagnes publicitaires, on n'arrête en revanche difficilement le lourd char étatique. Le but vertueux affiché, en démocratie, consiste à chasser les contrevenants, mais en réalité comme on l'a vu si souvent par le passé, il n'est pas de limite au zèle purificateur du Pouvoir.

Cette histoire est édifiante. On peut comprendre que pour les besoins d'une enquête motivée par des délits ou des crimes avérés, les Pouvoirs Publics demandent à des prestataires commerciaux certaines informations concernant un ou plusieurs de leurs clients. Mais le recours à la dénonciation massive et prospective de toute une population a seule fin d'éplucher leurs faits et gestes pour tenter de débusquer d'éventuels fraudeurs, est plus que discutable et inquiétant (bientôt selon les déclarations de Mr Woerth ce matin sur BFM les banques devront dévoiler les identités de tous leurs clients dont les comptes enregistrent des transactions avec l'étranger...) On est d'autant plus étonné par ce ramdam que le Président de la République a tout lieu d'être échaudé, après s'être lui-même retrouvé à tort sur un listing de personnes suspectes de malversation dans le cadre de la fumeuse affaire Clearstream. A-t-il voulu donner l'impression au bon peuple qu'il agissait contre les puissances honnies de l'argent ? A-t-il voulu donner raison au Point en agissant comme pourrait le faire un homme de gauche?
Il a sans doute au moins en partie manqué son coup car Benoît Hamon avec son sens inimitable de la répartie l'accuse ni plus ni moins de vouloir protéger ses amis en les amnistiant. Quant à l'opinion publique, BFM en donnait un aperçu en publiant un sondage révélant que les deux tiers des Français comprennent qu'on cherche à échapper à la pression du fisc (une des plus élevées du monde faut-il le rappeler)...

20 décembre 2008

Une mécanique corrompue


La crise qui perdure et qui étend progressivement son spectre hideux sur le monde entier, suscite un sentiment désagréable, mélange d'impatience, de colère et d'écœurement. Quand donc, et comment tout cela finira-t-il ?

Chaque jour apporte son lot de nouvelles moroses, et tout le système est parcouru de craquements sinistres. La quasi faillite des géants américains de l'automobile et les difficultés de nombreux autres constructeurs à leur suite font frémir. Comment diable ces firmes qui paraît-il travaillaient à flux tendus ont-elles pu se laisser aller à accumuler autant de stocks sans réagir ? Toutes ces entreprises bourrées de statisticiens, et de consultants chargés de décortiquer « en temps réel » et sous tous les angles les tendances du marché ont donc été victimes d'une incroyable myopie.

Dans un univers cerné par une armée de contrôleurs et par une nuée de plus en plus opaque de réglementations, les irrégularités qui éclatent soudain un peu partout, laissent pantois. Après les scandales des sub-prime et des titrisations de dettes, les tripatouillages hasardeux des traders façon Jérôme Kerviel, la gigantesque fraude « pyramidale » de Bernard Madoff, portant sur 50 milliards de dollars donne des sueurs froides. Comment donc de telles machinations ont-t-elles pu être ourdies en toute tranquillité, voire parfois encouragées par les Pouvoirs Publics ? Comment accepter l'idée que tous les organismes de contrôle, toutes le agences de notation , d'accréditation et d'évaluation, tous les spécialistes et experts aient pu se laisser berner de manière aussi vertigineuse ? A l'évidence, nous ne souffrons pas d'un manque de réglementations mais d'une pléthore, hélas inefficiente...

L'explication facile que s'empressent de donner de ces évènements dramatiques la noria revancharde de vieux archéo-marxistes et autres dévots nostalgiques de la bureaucratie étatique n'est à l'évidence qu'un trompeur pis-aller. Les catastrophes mortelles dans lesquelles se sont abimés leurs espoirs chimériques d'égalitarisme social en forme de holisme plus ou moins soviétoïde, pourrait les inciter à un minimum de modestie. Hélas, ces incurables agitent à nouveau le spectre du Grand Soir du Capitalisme !
En réalité, cette peste qu'on nomme crise, a des causes complexes et transcende largement les régimes politiques, touchant autant l'Amérique libérale que la Chine communiste, La Russie que le Japon, l'Islande que l'Afrique du Sud. Pour paraphraser la Fontaine, « ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient atteints.. »

Voilà des années que s'est installée insidieusement une sorte de maladie étrange, qui progressivement ronge la belle mécanique du Monde, tendant à la transformer en une sorte de spirale mécaniste aveugle et aléatoire. Cette monstruosité molle, bien intentionnée se répand comme une tache d'huile et imprègne tous les rouages de la société. Elle a commencé par dénaturer la substance du langage, changeant l'art de la sémantique en palilalie jargonnante. Pétri d'une syntaxe pédante et hermétique, cet embrouillamini quasi permanent interdit d'appeler les choses par leur nom et réduit l'expression comme une peau de chagrin, stérilisant par la même, l'esprit critique et le bon sens. Ses effets pervers tuent le débat et gangrènent les principes élémentaires d'une bonne gestion, amenant littéralement à prendre des vessies pour des lanternes, et confondant souvent la fin et les moyens.
Résultat on assiste à l'émergence de croyances irrationnelles, contredisant souvent des évidences criantes. Propulsées par les nouveaux ressorts de la communication, des opinions non fondées ou des rumeurs insanes se propagent à la vitesse de l'éclair contaminant des foules crédules qui se les approprient comme des faits acquis. Triste conséquence de la démocratie, le règne du consensus s'impose de manière imbécile, donnant trop systématiquement raison aux majorités et tort aux minorités. Le souci républicain d'égalité qui par retour de balancier contraint les pouvoirs Publics à des mesures de « discrimination positive » n'arrangent rien, bien au contraire. Surgissent un peu partout des seuils ou des quotas fondés sur des a priori bien intentionnés mais vains.

Plus grave, les dirigeants et décideurs semblent eux-mêmes avoir perdu la raison. Ils s'en remettent à de prétendus experts dont l'irresponsabilité n'a d'égale que l'arrogance pour les guider dans leur mission, et tâtonnent au gré du vent de l'actualité, prenant pour cap des principes dénués de vrais fondements. La dérive actuelle en matière de gestion, souvent sous l'influence de consultants irresponsables et de normes trop formalisées "de qualité", conduit les entreprises, privées comme publiques, à des évaluations fallacieuses ou approximatives des mérites de leur personnel, de la qualité réelle des prestations, et de la satisfaction de leur clientèle. La fameuse "écoute" n'entend rien et la dépersonnalisation devient la règle. Les êtres, dans cette logique déshumanisée, deviennent de simples ressources humaines, coincés entre le maketing et les produits...
Associées à l'appât du gain immédiat, et à la centralisation productiviste, ces tares d'essence technocratique expliquent probablement en grande partie la crise actuelle. Mais à l'image de la poule et de l'oeuf, il est impossible de déterminer qui des consommateurs ou des entreprises portent la lourde responsabilité de ce cercle infernal. Sont-ce les premiers qui ne voulant plus rien payer à sa juste valeur et s'entichant de médiocrité matérielle poussent à un productivisme effréné, ou bien les secondes qui aiguillonnées par une concurrence absurde et par l'obsession du profit, se livrent sans frein au racolage et à la démesure ?

Sous ces effets conjugués la société humaine s'essouffle, trébuche et perd à la fois ses repères et son sens. Les marchés saturés et exténués s'affaissent conduisant à la récession et son cortège de plaies sociales. La pensée unique pasteurisée insinue partout ses mornes credo, sa tolérance veule, et sa pseudo rationalité narcissique. Tout est interprété en terme de dividendes égoïstes, de gains potentiels, d'acquis corporatistes. Même la Charité devient un business racoleur dont l'avidité étouffe l'élan altruiste et masque le manque de pragmatisme.
Ce voile nébuleux de bonnes intentions et de vœux pieux se déchire parfois brutalement sous la griffe terrifiante du monstre terroriste. Son empreinte sanglante affole un court moment mais la chape de bien-pensance recouvre vite ces carnages odieux, minimisant leur portée. Pire, l'opinion publique est tellement pervertie qu'elle a tendance à confondre avec le mal, ceux qui tentent sans détour de s'y attaquer, les accusant parfois même de l'avoir provoqué !
La Liberté, défigurée par ses ennemis, qu'ils soient violents ou non, parfaitement clairvoyants ou amblyopes, initiés ou ignorants, perd peu à peu du terrain et se recroqueville en se desséchant comme une vieille enveloppe sans substance.

Une chose est certaine toutefois. Tous ces maux ne sont pas occasionnés par la Liberté bien sûr mais par le mauvais usage qu'on en fait... Fort heureusement la crise actuelle n'est pas la conséquence de guerres, de tyrannies, de massacres, d'épidémies, ou de famines comme celles qui décimaient périodiquement le monde autrefois.
Avec un peu de raison, nul doute qu'il devrait être possible de la surmonter à condition que chacun en soit convaincu, et use de sa citoyenneté de personne libre avec responsabilité. Il faut donner à la Liberté tout son sens et lui permettre notamment de se nourrir avant tout du principe d'humanité.

NB : Illustration de William Blake, pour l'Enfer de Dante