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28 septembre 2012

Tendre Agonie




































Il fait doux encore en Septembre
Lorsque les chaleurs de l'été
Se diluent dans la volupté
D'une lumière aux reflets d'ambre

Il fait doux lorsque le vieil astre
Inclinant ses derniers rayons
Illumine les horizons
Noyés dans un radieux désastre

Il fait doux lorsque la nuit
Répand ses suaves essences
Sur les âmes et les consciences
Qu'elle engloutit sans un bruit

Il fait doux dans la coque ronde
Moelleuse et chaude d'un cocon
Qui protège et rassure, et qu'on
Chérit par peur de voir le monde.

Il fait doux dans l'obscurité
Spumeuse des idées reçues
Où sans se soucier des issues
On entre avec naïveté

Il ferait pourtant bien meilleur
Si ce songe de crépuscule
Où tout s'abandonne et bascule
N'était le signe qu'on se meurt...

12 septembre 2012

Ouragan Sentimental

Au dessus des tempêtes, des drames mais aussi des lubies et des billevesées d'un monde plus grégaire et versatile que jamais, Bob Dylan en grand seigneur impassible, continue de peaufiner ses cantilènes intemporelles et ensorcelantes.
Quelle voix sublime à force d'avoir été comme un très vieux cuir, tannée, usée, écorchée, par les orages, les saintes colères et les désillusions de l'existence. Quelle force dans l'indicible parfum d'expectative qui sourd avec une infinie douceur de cette complainte gutturale !

Peu importent les marques de l'âge sur le visage du poète, il n'a cure des jouvences artificielles. Son indépendance, sa liberté, son humilité, sont des signes autrement plus convaincants de sa jeunesse.
D'ailleurs, on dirait qu'il n'y a ni début ni fin dans l'égrenage subtil de ses mélodies succulentes. Seulement une atmosphère extatique, exquisément poignante, comme les mystères qui vous élèvent, en vous interrogeant, avec la dureté de la finitude et la tendresse de l'espérance.

Ça commence avec une sorte de pépite aussi brillante qu'inattendue. Duquesne Whistle. Un train à la manière d'autrefois, passe en sifflant. Comme en sifflotant, plutôt... Dans cet univers pimpant, les riffs guillerets saisissent l'auditeur qui ne peut qu'en redemander. Pas grand chose à voir, sauf erreur de ma part, avec l'illustration glauque à laquelle on eut droit sous forme d'un clip abscons, en prélude à la sortie du disque. Les images sont pauvres lorsqu'il s'agit de représenter l'imaginaire...

La suite est un peu plus sombre. Soon After Midnight. La nuit nous entoure...
Mi Blues, mi mélopée, Dylan emmène ses affidés sur une voie étroite mais au charme hypnotique : Narrow Way. Ne pas s'abandonner à la facilité, recommande-t-il en termes voilés. Ne pas gâcher les années d'une vie que l'ennui fait paraître longue alors qu'elle est si courte (Long And Wasted Years). Dès lors tout s’enchaîne : Les folies qu'on paie au prix fort du sang (Pay In Blood). La légende d'une ville nappée d'un rouge écarlate (Scarlet Town): du crépuscule, ou bien de la honte, ou des déchirements ? Pourquoi ne pas évoquer tant qu'on y est, les mirages funestes de l'histoire, de la gloire, du pouvoir et de l'argent (Early Roman Kings), voire le mythe de l'ange déchu (Tin Angel). Le triste balancement d'une longue, très longue et tragique traversée maritime, sur un océan glacial qui ressemble au destin (Tempest). Et pour finir, l'adieu déchirant à l'ami autrefois arraché abruptement à la vie (Roll On John)...
Il paraît que Bob Dylan voulait faire un recueil religieux. C'est peu dire que l'Esprit affleure à chaque moment sous les détours un peu énigmatiques de sa poésie assagie. ..
Quant à la musique elle-même, précisons qu'elle est servie par un accompagnement idyllique. Des artistes sous le charme, distillant avec volupté un son splendide, merveille d'équilibre, de fantaisie et délicatement feutré comme les velours les plus soyeux... 


Tempest, Bob Dylan. Columbia 2012

18 août 2012

Marine

Lorsqu'au dessus de la mer
Une brise illuminée
Fait étinceler dans l'air
Une nouvelle journée

Et que le bleu d'outremer
Pâlit dans la matinée
Comme une teinte au ton clair
Laissant juste une traînée.

Lorsque des bateaux joyeux
Sortent du port à la voile
Tels des oiseaux vers les cieux

Le Monde alors se dévoile
Sous un jour inattendu
Plein d'un désir éperdu.

08 août 2012

Nuit de Juillet

Par une nuit d'été calme et vertigineuse
J'entrevis un halo flottant sur les cyprès
Dont l'image semblait si lointaine et si près
Qu'on eut dit une fleur posée sur Betelgeuse

J'avais l'âme alanguie et l'humeur voyageuse
En tous sens mes pensées s'égaraient dans l'air frais,
Et je m'élevais libre, au delà des forêts
Guidé par la Lune et sa clarté nébuleuse.

J'étais débarrassé de mes chaînes de chairs
Faisant désormais corps dans les espaces clairs
Avec cette unité qui anime le monde.

Je cheminais au bord aigu de l'univers
Dont je voyais l'envers, aussi bien que l'avers
Et durant un moment j'eus une joie profonde.

22 avril 2012

Printemps


Le blé en herbe monte à l'assaut d'horizons
Qu'il défroisse gaiement des gangues hivernales
Et dans l'éclat mouvant des clartés matinales
Sa verdeur conquérante ébranle les saisons.

Des arbres nus déploient d'intenses floraisons
On dirait dans l'air frais, des hampes virginales
Attendant des pollens les ondées séminales
Et du soleil tout neuf l'or des inclinaisons.

Pourtant cette impression de premier jour du monde
N'est au vrai qu'un reflet, bien qu'il soit enivrant,
Du recommencement. Comme une horloge ronde

Qui ramène sans cesse au début du cadran
Ses aiguilles sans âme, et méchamment rappelle
Au rêveur hors du temps que la vie est mortelle...

Illustration : Van Gogh, le blé en herbe (détail)

21 mars 2012

Mortelles Chimères

Dans une liesse rouge un rhéteur grimaçant
Veut réveiller l'infâme esprit de la Bastille
Il réclame en levant poing, marteau et faucille,
Le retour d'un passé dégoulinant de sang.

Mais pour quelle utopie, quel stupide idéal
Pendant ce temps, non loin, on tue on assassine ?
Quel mystère insensé ensorcelle et fascine
Les fous qui font du rêve un délire bestial ?

Devant l'absurdité la sagesse titube
Et les morts innocents qui errent par légions,
Immolés pour plaire à d'affreuses religions,
Conchient la Liberté transformée en succube.

***
Un silence opaque descend
Sur les âmes rongées de tristesse
Il aspire espoir et jeunesse
Mais luit sur ce monde angoissant,
Comme une simple pierre blanche
Empreinte de fatalité,
Qui reçoit des fleurs d'une branche
Un doux parfum d'éternité...

28 février 2012

Pour saluer Larry 2


Lorsque la guerre éclate et que la Grèce tombe aux mains des Allemands en 1940, Lawrence Durrell doit quitter son doux asile ionien, pour rejoindre l'Egypte via la Crète. Avec Nancy, il venait d'avoir une fille, Penelope.
Ce nouvel exil, qu'il découvre tout d'abord par Le Caire, avant de s'établir à Alexandrie, va susciter en lui des sentiments complexes et contradictoires. Source d'inspiration de son chef-d'oeuvre (cf un précédent billet), ils expriment au départ une sorte de dégoût pour cet univers à la fois envoûtant et maléfique.
L'Alexandrie qu'il découvre, comme «ressortissant réfugié», est plutôt repoussante : « suffocante cuvette de sable avec ses tombeaux et ses minarets ridiculement hideux. Quel pays ! Infirmes, difformités, ophtalmies, goitres, amputations, poux, mouches ! Dans les rues vous voyez des chevaux coupés en deux par des conducteurs insoucieux ou d'obscènes cadavres noirs sur les plaies desquels les mouches forment un rideau, entourés par une foule qu'attire une curiosité morbide. La poussière qui flotte dans l'air contient tous les miasmes, fièvres, virus, toxines. Au bord de ce Nil lent et pollué, on ne peut rien écrire, sinon par a-coups fébriles ; et l'on se sent lentement écrasé par le pas des éléphants... »

Pourtant, si l'ambiance de la ville est délétère, elle garde la luxuriance indicible d'un passé glorieux. Elle charrie les pestilences, mais aussi le scintillement des cultures qui s'interpellent comme des miroirs sous le soleil. « A Alexandrie, j'étais à la source d'où avait jailli toute notre civilisation, les racines de toutes les théologies, celles des mathématiques et de la physique avaient poussé ici. »

Au fil des années, Alexandrie s'impose donc dans l'esprit de l'auteur comme le lieu où devait se dérouler la fresque splendide qu'il portait en lui. Ce monde cosmopolite, plongé par la guerre dans les conspirations et les intrigues, avait quelque chose d'inquiétant et de fascinant, propice au roman. Dans cette société interlope aux parfums lascifs, les sortilèges et les mystères pouvaient s'exprimer de manière profuse, comme les reflets moirés d'une étoffe chatoyante.
Alexandrie, « grand pressoir de l'amour », « capitale de la mémoire », allait devenir sous la plume de l'écrivain la pierre de touche idéale des sentiments humains, le point focal de toutes les passions et la ligne de mire de leur étrange relativité. De là l'idée novatrice de faire raconter quatre fois la même intrigue, par des narrateurs différents. Quatre angles de vue magnifiant le spectacle !

La genèse du Quatuor prendra plusieurs années et c'est bien après avoir quitté l'Egypte, que dans les années cinquante, Durrell s'attellera vraiment à l'écriture de cette somme (le premier volet, Justine, sera publié en 1957). Il s'appela un temps le livre des morts...

Après la guerre en 1945 il retourne en Grèce, et séjourne deux ans à Rhodes (alors italienne), dont il tirera un ouvrage très émouvant, au commentaire duquel j'ai consacré un ancien billet (Venus et la Mer). De son propre aveu, il y passa les deux meilleures années de sa vie...
En 1947 il part pour l'Argentine après s'être marié avec Eve Cohen, rencontrée en Egypte, qui lui inspira le personnage de Justine. Une fille Sappho Jane, naîtra de cette union, en 1951.
L'Amérique du Sud ne sera pas sa tasse de thé si l'on peut dire, même si en débarquant à Rio, il ressent un vrai choc : « Rio est d'une blancheur aveuglante. Elle dresse comme dans un rêve une forêt de gratte-ciel sur l'arrière-plan d'une chaine de montagne prodigieuse surmontée par une immense croix barbare qui soutient un Christ à demi caché dans les nuages. Le tableau d'ensemble évoque un orgue gigantesque : les collines étant les tuyaux flûtés, et la ville, le clavier blanc."
Mais "l'Argentine est un vaste pays plat et mélancolique, d'aspect assez frappant, où l'air est vicié, les sierras imprécises, et où les hommes d'affaires boivent du Coca-Cola. On y mange du bœuf sans arrêt, et l'on s'y ennuie à hurler. C'est le climat le plus propice à la paresse que j'ai jamais connu.../... Ici on se noie dans un morne laisser-aller et un terrible ennui.../...C'est un pays absolument inouï, mais c'est aussi le cas du continent tout entier. Ce qui m'intéresse, c'est l'étrange légèreté de l'atmosphère spirituelle : on se sent léger, irresponsable, comme un ballon gonflé à l'hydrogène. On se rend compte aussi que le type européen d'homme « personnel », vivant, n'a pas sa place ici..."

L'Europe centrale vers laquelle il part en 1948 ne le séduit pas davantage. De la Yougoslavie dont il connut surtout Belgrade, sous la férule de Tito, il retient l'impression d'un monde figé, à moitié mort. D'où une aversion définitive pour le communisme, décrit en quelques mots : « une courte visite ici suffit a vous convaincre que le capitalisme vaut qu'on lutte pour lui. Si noir qu'il soit, avec tous ses stigmates sanglants,il est moins sinistre, aride et désespéré que cet Etat policier inerte et terrifiant.../... Le communisme est encore plus horrible que vous ne pourriez le soupçonner : corruption morale et spirituelle systématique et par tous les moyens. Perversion de la vérité au nom de l'efficacité et de la commodité. Mais vu de près le communisme vous ferait dresser les cheveux sur la tête. Et la coopération docile des intellectuels n'est pas moins horrible ! On les a payés pour se taire et ils se taisent !
Le moyen de lutter ? En tout cas, les Etats-Unis et l'Angleterre sont des havres de paix à côté de ce pays – ce sont les seuls espoirs pour l'avenir, s'il reste des espoirs... »

En 1952, nouveau retour vers la méditerranée. C'est à Chypre qu'il échoit. Il y débarque seul avec sa fille Sappho Jane. Eve, très dépressive, est restée en Angleterre.
Il exerce tout d'abord la profession d'enseignant, tout en commençant d'écrire son ouvrage sur Alexandrie. La vie lui paraît dure. S'occuper d'un bébé dans ces conditions n'est pas facile...
Peu à peu, il s'acclimate à ses nouvelles pénates, se fait des amis, lit beaucoup, et écrit même l'essentiel du premier volet du Quatuor, Justine. Au début Chypre était à ses yeux un microcosme « étrange et maléfique », qui « ne ressemble pas du tout aux ïles grecques... ». En définitive, elle restera pourtant dans ses souvenirs comme « la plus grecque des iles grecques, dont la langue contient les formes doriques les plus anciennes, et où, à Paphos, naquit Aphrodite... ». Il tirera de cette aventure mouvementée un livre, Citrons Acides.

Son séjour fut toutefois perturbé par la grande agitation politique qui régnait à l'époque. Après avoir été ottomane jusqu'en 1864, l'île était devenue une colonie anglaise qui se montrait de plus en plus rétive à cette vassalisation, hésitant entre l'indépendance et le rattachement à la Grèce. Autour de l'écrivain, les désordres tournent parfois à l'émeute et aux actes terroristes, même dans les écoles où il est professeur.
Durrell, quitte l'enseignement pour se faire engager au Foreign office. Mais ses opinions ne sont pas toujours à l'unisson de son pays, et il se voit contraint de demander la cessation de son contrat et de rentrer en Angleterre. A la même époque, sa relation tumultueuse avec Eve prend fin et il divorce en 1955.

C'est en 1957 qu'il découvre vraiment la France.
Des Français, il n'avait pas une haute idée lors de la montée des périls précédant la seconde guerre mondiale, notamment au moment de l'abandon de la Pologne : « ils sont au dessous de tout mépris, tant comme voisins que comme alliés : mesquins, cupides, serviles... »
Toute autre est l'impression quand il découvre la Provence et qu'il s'installe dans le Languedoc, mettant ainsi fin à sa vie de nomade, pour se consacrer à l'écriture : « en France, l'atmosphère morale est juste ce qu'il faut, même ici dans ces provinces reculées. Et les Français sont sages et spirituels et ne viennent pas nous ennuyer comme les Italiens, et les Grecs qui sont des sentimentaux comme des épagneuls... »
Il ne ménage pas ses efforts pour décrire à son vieil ami Henry Miller les charmes de son nouvel exil : « Une bouteille de Chateauneuf du Pape de 1952. Comme si on buvait de l'or en fusion, et juste après, la peau d'une femme, et ensuite un long moment aux chandelles. Aujourd'hui, le mistral hurle, les premières pluies d'hiver arrivent, avec d'énormes nuages noirs comme des raisins. Mais nous avons une bonne flambée dans le poêle, une brandade à l'ail sur le feu et une bouteille de Tavel... Ne tardez pas. C'est ici que la vie est bonne... »
Une fois établi à Sommières, dans une grande maison dont émane "une élégante laideur", il n'en bouge quasi plus, savourant durant près de trente-cinq ans la vie en Provence, dont il raconte l'histoire et l'atmosphère dans son dernier et magnifique ouvrage L'ombre Infinie de César : "Je suis si heureux dans cette délicieuse ville aux murailles romaines, avec sa rivière calme et ses vignes, et tous les personnages de Clochemerle pour interlocuteurs que je voudrais quitter la France pour rien au monde. Je vais d'ailleurs payer cette année mes impôts en France et prendre la qualité de « résident » - savez-vous que les impôts ici sont trois fois moins élevés qu'aux USA ou en Angleterre ?"

Durant ces années, il vit une nouvelle grande histoire d'amour avec Claude-Marie Vincendon, épousée en 1961. Le bonheur sera de courte durée. Il est terriblement atteint lorsque celle-ci meurt en 1967 d'un cancer. Autre terrible drame, le suicide de sa fille qu'il appelait affectueusement Sapphy, en 1985.
A plusieurs reprises il retourne à Corfou, l'île de sa jeunesse. Il trouve le réconfort auprès de Gyslaine de Boysson épousée en 1973 mais dont il se sépare en 1979 .
Françoise Kestsman est la compagne de ses dernières années et la traductrice de son dernier ouvrage.


Ainsi Lawrence Durrell a beaucoup voyagé et surtout enchanté par sa prose lumineuse, les nombreux pays qu'il visita.
Si le monde méditerranéen est évidemment la clé de voûte de toute sa littérature, la Grèce restera à tout jamais comme la source magique de son inspiration.
Cette Grèce paraît à des années lumières de celle qu'on connaît aujourd'hui et qui fait trop souvent les gros titres d'une triste actualité. Pourtant ce n'est pas un pays riche ou prospère qu'il dépeignit et qu'il portait au coeur. Au contraire, c'est la vie simple des insulaires qui le séduisit : « C'est en partie la pauvreté qui fait le bonheur des Grecs, leur sobriété et leur harmonie avec le monde... » écrivait-il dans son ouvrage consacré aux Iles Grecques, l'austérité même ne le rebutait pas : « Une vie de Grec c'est une vie de loup décharné, n'offrant aucune sécurité, aucun avantage matériel » (Citrons acides).
Il faut dire que Durrell avait un certain mépris pour « une époque qui apprécie la richesse matérielle plus que la beauté ». Il y avait quelque chose de dépouillé chez cet homme qui toujours, a fui les honneurs. Il y avait quelque chose d'indicible dans ce personnage souriant mais quelque peu énigmatique.
Dans un de ses derniers ouvrages, il évoqua malicieusement la philosophie bouddhiste, pour laquelle il avait des affinités : "Le mot Tao évoque pour moi différentes attitudes (toute vérité étant relative), un état de disponibilité totale et de total abandon, une conscience totale, exhaustive et sans réserve de cet instant ou la certitude pointe le nez, tel un poisson au bout de l'hameçon. C'est alors que l'esprit est en parfait accord avec la grande métaphore du monde - celle du TAO." (Le sourire du Tao)

En définitive ce qui pourrait vraiment caractériser cet écrivain unique, c'est ce fameux « esprit des lieux » qu'il sut si bien exprimer et faire chanter.
Notamment lorsqu'il évoquait bien sûr le monde chimérique d'Alexandrie, ou bien les trois paradis sur terre qui lui furent si chers: Corfou, Rhodes et la Crète.
Mais également en décrivant d'un mot, quelques petites pépites étincelantes: Poros, dans les îles saroniques : « c'est l'endroit le plus heureux que j'aie jamais connu », Ios, dans les Cyclades : « l'île la plus belle et la plus poétique de sa taille dans cette partie de la mer Egée », ou encore Santorin: « la réalité de l'île est tellement inouïe que la prose ou la poésie qui tentent de s'y mesurer, si brillantes soient-elles, resteront toujours en deçà... »

Pour finir, un dernier salut, avec un poème terminant son ultime livre, alliant une brûlante nostalgie à un délicieux hermétisme :

Explosion du soleil couchant
Dans la vieille forteresse de Bénarès,
Le sanglot solitaire d'un clairon sonne le rappel
Le naphte embrase les embarcations sur le fleuve
Corps dérivant vers le ciel
Le pouce objet de culte des gnomes inanimés
Avec leurs fracas immenses
D'eau d'herbe et de lumière
Avec la nuit durant les morts sur le qui-vive
L'absolue vérité ensevelie par le dépit amoureux
Les poussettes de la conscience vissées à fond.

Pour quelle raison la fille aux neuf matrices
Blâme-t-elle votre solitude passée ?
Aujourd'hui ils viennent me jauger pour un cercueil,
Ainsi la mort venant et la jeunesse retrouvée devient-on somnambule.

Finalement seul, le temps se dépouille :
La lune des vendanges préside bienveillante,
Opportune, et semble saisir nos cœurs en gage,
De nos incertitudes perdure la genèse
D'anciennes caresses tourmentent une carotide
Les caresses du silence.
Alors que jeune et riche de mes poèmes
Enlacé par une muse solaire
Aux capricieuses inclinations, je rusais avec l'amour,
Ou me baladais tel le dieu des grenouilles géantes
Troublantes exhortations de mon ego.

Petites amies satisfaites d'un soupir,
Ou par le Kodak croustillant né du cerveau du bourreau
Sans considération de plaisir ou de peine, 
Un dernier au revoir sans espoir,
Goodbye....
(L'ombre infinie de César.)

A noter la possibilité d'entendre ou de voir Lawrence Durrell, via les Archives de l'INA :
En 1982, dans l'émission radioscopie de Jacques Chancel
En 1985 chez Bernard Pivot (Apostrophes)

27 février 2012

Pour saluer Larry


Larry, c'est bien sûr Lawrence Durrell (1912-1990). Et cette familiarité c'est celle que son ami Henry Miller se permettait lors de leurs infatigables échanges épistolaires... Que les mânes du grand écrivain me pardonnent d'en user moi aussi.
Lawrence Durrell fut l'auteur inspiré du magique Quatuor d'Alexandrie, véritable sommet littéraire du XXè siècle. Mais aussi un insatiable voyageur, un poète délicat, un peintre distingué et même un pianiste à ses heures perdues. Un artiste au sens le plus complet du terme en somme.
Il naquit voici exactement un siècle, en Inde, et vécut ses premières années à Darjeeling, au pied de l'Himalaya. Il y a de quoi donner le vertige, ou bien porter aux plus hautes aspirations, si ce n'est aux rêves et à l'évasion...
De fait, sa vie fut un voyage permanent.
Par le hasard de sa venue au monde, il fut sujet de la Gracieuse Majesté d'Angleterre. Mais si son humeur vagabonde le poussait à se qualifier lui-même d'islomaniaque, il ne manifesta guère d'intérêt pour la mère patrie qu'il appelait l'île du Pudding, et dont il comparait la grisaille humide propre à s'enrhumer, à un paradis pour les virus...
C'est plus au sud qu'il aspirait à vivre.
Son parcours-vie mouvementé, effectué au gré de jobs variés dans les missions diplomatiques britanniques, le fit passer par Corfou, la Crète, l'Egypte, Rhodes, l'Argentine, la Yougoslavie, Chypre...
Et c'est en définitive - pour des raisons fiscales (!) - qu'il finit par poser ses valises en France, à la fin des années 50, où il s'éteignit en 1990, à Sommières dans le Gard.
A l'occasion du centenaire de sa naissance, grâce à l'association du magazine La Quinzaine Littéraire et de Louis Vuitton, vient d'être publié un ouvrage fort intéressant, permettant de découvrir toutes les facettes de cet écrivain si attachant. On y trouve une analyse émoustillante de son œuvre, faite par Corinne Alexandre-Garner, émaillée d'extraits de romans, de poèmes et de peintures, qu'il signait malicieusement Oscar Epfs.
Dans le même temps le Quatuor est réédité. C'est bien le moins qu'on puisse faire pour ce géant si discret des lettres.

Les lecteurs qui passent parfois sur ce blog savent l'affection que j'ai pour la littérature de Lawrence Durrell. Chaque ouvrage est un ravissement dont je m'extirpe à grand peine.
Ce fin connaisseur du monde méditerranéen n'avait pas son pareil pour décrire les enchantements émanant de l'infinité d'îles qui peuplent cet univers, doré par un doux et intemporel soleil. Il possédait une grâce unique, qui lui permettait de mêler à un discours léger et poétique, d'arides notations historiques, géographiques, ou sociétales. Sous sa plume érudite, cette alchimie savante restait naturelle et agréable. Lorsqu'on lit Durrell, on éprouve l'agréable sentiment de croître en intelligence...

 La première des principales escales de ce grand voyageur, le fit s'arrêter avec sa jeune femme Nancy, dans l'Ile de Corfou, et y séjourner durant près de quatre années.
En plus de lui révéler le monde méditerranéen, ce petit eden lui offrit une des périodes les plus heureuses de sa vie. Il lui consacra un livre entier (L'ile de Prospero) et de belles pages dans un ouvrage consacré aux iles grecques, réédité en 2010.
Corfou au nom si charmant, est la plus septentrionale des îles ioniennes. Et un des trois plus beaux trésors de la nébuleuse hellène, d'après Durrell, avec la Crète et Rhodes.
Au large de l'Albanie, elle ouvre les portes de "ce jardin sauvage qu'est la Grèce, où tout tombe en ruine, le violet, la verticalité, la poussée vers le ciel... un pays non domestiqué." Un pays où "les fleurs, les maisons, les nuages, tout vous regarde d'un œil photoélectrique, à la fois corporel et en quelque sorte immatériel".
Corfou est une île facile à reconnaître, "avec ses montagnes albaniennes polies comme de gros fruits, spacieuses et nues, chaudement colorées par le soleil qui cherche à regarder la mer par-dessus leur épaule..."

Corfou est aussi le nom de la capitale de l'ile, sur laquelle Durrell ne tarit pas d'éloges : « La beauté de la petite ville ! On a prévenu le voyageur qu'il n'en trouverait pas de plus jolie en Grèce, ce qui deviendra de plus en plus évident à mesure que le temps passe...
Les rayons de lumière de l'aube de satin vieux rose qui plongent vers l'île par les ouvertures des ravins, sont vraiment comme "les doigts de rose"...
Les colonnes de fiacres élimés, dont les chevaux portent le typique chapeau de paille percé de deux trous pour les oreilles qui leur donne un air à la fois malicieux et éméché...
Les petits matins lorsqu'on arrose les trottoirs, et la terre chaude qui dégage des odeurs délicates de citron et de poussière humide...
Enfin le dôme rouge de Saint-Spiridion, église où est conservée la momie du saint-patron de l'île, qui resplendit la haut avec son vieux cadran d'horloge balafré. Pas moins de quatre processions par an célèbrent celui qui est resté cher au cœur des Corfiotes (Rameaux, Pâques, 11 août, et le premier dimanche de novembre).

En plus d'avoir été le théâtre d'une histoire mouvementée, Corfou est un endroit fertile pour les légendes. L'île qui fut une étape initiatique pour Durrell, fut la dernière du périple d'Ulysse, avant son retour à Ithaque. On raconte qu'il se serait échoué sur le rocher qui se trouvait sur l'îlot de Pondikonissi, à la pointe de Kanoni au sud de la ville de Corfou. Les Phéaciens, l'auraient aidé, et Nausicaa fille du roi Alcinoos, l'aurait accueilli.

Lorsqu'il évoque Corfou, Durrell ne peut s'empêcher de réinterpréter la figure mythologique de Méduse qu'on peut voir au musée, l'une des trois Gorgones, à la lumière de la philosophie yogiste indienne de ses origines natales ! Le noeud de serpents qu'elle arbore en guise de chevelure, évoque en effet à ses yeux "les cobras rois sacrés faisant fonction d'hamadryades, symboles des anciens yogas du rang le plus élevé, les Raja Yoga." Et de cette image, on arrive à la signification profonde du yoga qui consiste à réveiller en nous les sources du perfectionnement individuel, à la manière de serpents et à les faire monter "comme la colonne de mercure dans un thermomètre, jusqu'au crâne". En y parvenant, "il réalise la conscience parfaite, la plus haute conscience dont l'homme soit capable."
La médecine et son caducée serait une lointaine réminiscence de cette riche symbolique. Autour du joug en forme de baguette (yoga veut dire joug), "les deux forces primordiales sont attelées ensemble, et une fois qu'elles sont parfaitement mariées, elles atteignent simultanément l'expérience ultime, le zénith aveuglant du Nirvâna."
 
Shakespeare enfin, s'inspira paraît-il de Corfou, pour imaginer le décor de La Tempête. Et pour conter le charme étrange auquel succombent les naufragés échouant sur ses rivages : « lls deviennent des rêveurs, des somnambules, ils sont la proie de visions et d'amours tout à fait étrangères aux limites étroites de leur vie milanaise. »
Selon Durrell, « cette propriété sédative ce désintérêt magique de tout souci, il ne vous faudra pas longtemps pour les ressentir ici. L'air que vous respirez devient petit à petit de plus en plus anesthésiant, il s'imprègne de béatitude, d'une somnolence sacrée... et vous vous rendrez compte que c'est exactement ce qui est arrivé aux conquérants qui ont débarqué ici : ils se sont endormis... »

A suivre...


Références :
Les Iles Grecques Bartillat 2010
L'ombre Infinie de Cesar Gallimard 1994
Dans l'Ombre du Soleil Grec La Quinzaine Littéraire – Louis Vuitton 2011
Le Quatuor d'Alexandrie Buchet-Chastel 2012

13 janvier 2012

Paris


Paris n'en finit pas de révéler ses charmes
Et le long de la Seine, à pied, en rêvassant
On devine que l'eau qui doucement descend
Est bien plus qu'un liquide affleurant les vacarmes.

Le fleuve a eu raison de la fureur des armes
Il s'écoule éternel et sans bruit en glissant
Sous plus de trente ponts. Il est la vie, le sang
Et la ville en extrait vigueur ivresse et larmes.

Dans les grands parcs on songe à un passé glorieux
Que les beaux monuments bordant les avenues
Remplissent du profil solennel des statues.

On entre à deux amis dans un café très vieux
On siffle bien au chaud quelques moelleuses bières
En parlant d'Amérique et d'émois littéraires...

24 décembre 2011

Hivernale


Je me souviens enfant, de l'odeur de la neige
J'avais une casquette et un pardessus beige
Et j'allais respirer le parfum des flocons
Tandis que mes doigts gourds devenaient rubiconds.

Ils cherchaient à saisir ces grains de porcelaine
Glissant sans bruit du ciel. Je soufflais mon haleine
Qui les auréolait d'une tiède vapeur
Et le monde alentour se figeait de stupeur.

L'air frais faisait l'effet d'une suave ivresse
Et les cristaux cinglants celui d'une caresse.
J'adorais folâtrer dans ce pulpeux velours
Et j'étais si léger malgré mes pas si lourds !

Ces souvenirs ouatés ont encore une grâce
Étrange et familière où le froid ni la glace
N'ont de réalité. Seule est dans mon esprit
L'empreinte du bien-être et ça n'a pas de prix...

25 novembre 2011

Mutabilité



De deux moitiés faisons une seule entité,
Du temps qui se disperse ignorons les ruptures,
Car les lignes tendues sont toujours les plus pures
Et dans l'espoir tout être aspire à l'unité.

De tout un peu vaut mieux que vaste vacuité
Préservons les idées des vaines conjectures,
Aux grandes théories préférons les épures
Qui dessinent le monde avec humilité.

Sachons voir au travers des portes océanes
L'immensité radieuse emplissant l'horizon
Et l'avenir tout prêt à ouvrir ses arcanes.

Avançons sans vergogne en gardant la raison,
Donnons la vérité à ce qui nous entoure
Et un sens au réel que notre esprit laboure.

Illustration : Nicolas de Staël, Menerbes

03 novembre 2011

Autumn Leaves


Le soleil à travers les feuilles
S'éparpille en tendres moiteurs
Et de verdoyantes lueurs
Égaient les chairs qui les recueillent

Mais les jours épuisés s'endeuillent
De la fin proche des chaleurs
Ils abandonnent leurs couleurs
Aux derniers fruits que les mains cueillent

Au loin les premières rousseurs
Voltigent au gré d'une brise
On dirait de tristes danseurs

Et une fine brume grise
Emplit lentement l'horizon
De sa morose exhalaison.



Photo : La Charente, à Saintes

29 septembre 2011

Cimetière des illusions


De crise en catastrophe et de dette en faillite,
Vingt ou trente nations frappées du même mal,
Se mettent à pousser un long cri animal
Au bord de l'abîme où le sort les précipite.

Des peuples enfumés par un étrange mythe,
Croyaient hier encore au bien-être intégral
Distillé par l’État et son Pouvoir Central.
Ils n'ont plus que leurs yeux pour pleurer, sans limite.

Comprendront-ils bientôt que ce grand trou béant
Qui pompe goulûment leurs illusions perdues
Fut creusé par le vent de promesses indues ?

Verront-ils à leurs pieds dans ce fatras géant,
Tels les éclats tombés d'un kaléidoscope,
Les restes sans dessein d'une introuvable Europe ?

Illustration : Salvador DALI. Vestiges ataviques après la pluie

17 août 2011

Ontologie florale



















Le long des grandes avenues
Les marronniers pleurent des fleurs
Tandis que des oiseaux piailleurs
S'ébrouent en tous sens dans les nues.

Les pétales jonchant les rues
Indiffèrent ces persifleurs
Alors qu'ils vibrent dans nos cœurs
Tel l'écho de vies disparues.

C'est un air de fatalité
Qu'a cette averse de pluie blanche
Où plane la mortalité

Mais pour le thyrse sur sa branche,
Qu'y a-t-il de plus important :
Être, ou fondre dans l'air du temps ?

14 avril 2011

Rameurs

Sur l'eau telle un ciel, des rameurs
Du bout de leurs pelles graciles
Dessinent des lignes fragiles
Exaltant songes et humeurs.

Au sein de ces remous rêveurs
Les souvenirs forment des îles
D'où montent lents et versatiles,
Les parfums d'antiques saveurs.

Le rythme lénifiant de l'onde
Figure la marche du monde
Et la molle avance du temps

Mais un bruit ou bien un nuage
Viennent déchirer cette image
Et tout s’arrête en un instant…
Illustration : Périssoires (Gustave Caillebotte 1848-1894). Détail

02 avril 2011

Nuit sous la pluie


Sous la pluie les pavés se chargent de couleurs
Déteignant dans la nuit le long des rues obscures.
On voit l'ombre rougie de folles aventures
Tanguer avec la foule au rythme des clameurs.

On voit des flaques bleues déchirer les noirceurs
Et jeter vers le ciel des espérances pures,
Tandis que les reflets de quelques devantures
Éparpillent dans l'air de fugaces bonheurs.

On voit sur les trottoirs d'intenses clartés vertes
Tout à coup se dissoudre en blanches floraisons
Comme un printemps éclos sur des prairies offertes.

La ville est un miroir foisonnant d'illusions
Où les réalités transformées en chimères
Renvoient l'écho flottant de mondes éphémères.