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01 décembre 2011

Prophètes du trou noir


Autour de la crise qui n'en finit pas de s'aggraver, les charognards s'enhardissent. Espèrent-ils tirer quelque avantage ou quelque gloriole des décombres d'un système auquel ils promettent sans aucune retenue la fin toute proche ? Éprouvent-ils une sorte de morbide jubilation à l'idée que l'objet de leur ressentiment risque enfin de s'abîmer définitivement ? Il est difficile de trancher, mais en l'occurrence, dire qu'ils haïssent ce système - le capitalisme bien sûr - serait un doux euphémisme. C'est une détestation viscérale qui les anime. Ils bavent d'exaltation devant les soubresauts de la bête, selon eux enfin moribonde.

Un exemple édifiant de cet étrange rituel, qui tient plus du vaudou que de la science économique, fut donné le 30 novembre dernier au matin, par Paul Jorion, invité de France Culture. Ce gentil savant à la barbe blanche, anthropologue paraît-il de son état, a commencé son exposé de manière très pateline, mais il a basculé peu à peu dans la diatribe à sens unique, voire dans un vrai délire monomaniaque, faisant se succéder les affirmations abruptes, les slogans les plus éculés (évoquant de manière compulsive ces "1% de la population qui détiennent 40% des richesses..."), le tout arrosé d'un contentement de soi ineffable, et d'une intolérance ahurissante, n'acceptant aucune contradiction à ses propos.
Puisqu'il décrète une fois pour toutes "qu'il fait partie des gens ayant les yeux un peu plus ouverts que les autres", ces derniers sont par nécessité des aliénés défendant une cause perdue.
En bref, selon ce monsieur très "initié", la crise actuelle s'inscrit comme point d'orgue à "la destruction ultime du capitalisme". Qu'on se le dise, tout est bel et bien fini : "Le système financier américain est terminé, le délitement de l'euro s'achève". Inutile de se battre, car "la machine est cassée.../... le cœur est fondu.../... les marchés, c'est un cadavre."
Il y a d'ailleurs d'autant moins d'espoir que "c'est la panique au sommet" et que "les gens au sommet n'ont pas la moindre idée comment ça fonctionne." Comme les tribus primitives devant une machine en panne, à laquelle ils ne comprennent rien, les experts gesticulent, ou pire, font de vains sacrifices : un chevreau, une vache, puis des  êtres humains..."

Comment peut-on avoir la permission de proférer de pareilles insanités, avec un ton aussi doctoral, sur les ondes de chaînes radiophoniques respectables, c'est un grand mystère. D'autant plus grand que personne ou presque n'osa contredire le mage illuminé. Exception faite de Brice Couturier qui eut l'audace de lui faire remarquer qu'à l'heure actuelle certains pays se portaient plutôt bien du capitalisme, et qui eut l'impudence de lui demander par quoi il songeait à le remplacer. Il fut aussitôt refroidi par la logorrhée intarissable qui s'abattit avec un mépris dévastateur sur ses timides remarques.
M. Jorion n'aime ni les contradictions ni les questions gênantes. Bien qu'il s'exclama à plusieurs reprises qu'il était urgent de "reconstruire un système financier à partir de zéro", il se refusa à fournir ne serait-ce qu'une esquisse d'ébauche de début de piste aux auditeurs dépités, allant dans un rare élan de modestie à concéder "qu'il n'était pas Dieu..."

Il y a pourtant une autre manière de voir les choses, moins immanente, moins déclamatoire, mais sans doute plus réelle.
Non le capitalisme n'est pas mort, malgré les incantations de ceux qui espèrent sa déroute depuis si longtemps. Au contraire même pourrait-on dire, les pays qui s'en sortent le mieux à ce jour sont ceux qui s'y sont convertis de fraîche date et pratiquent donc le capitalisme, dans sa version la plus sauvage (c'est à dire très peu sociale). Paradoxe, ils émergent pour la plupart du socialisme le plus noir...
A l'inverse, dans les pays qu'on croyait acquis depuis longtemps au capitalisme, notamment les démocraties occidentales, il traverse une crise grave. Est-il en train de mourir, on peut toutefois en douter, et il serait tragique de le souhaiter. Les crises sont inhérentes à ce système qui est en perpétuelle régénération, comme l'avait brillamment montré Schumpeter.
Est-ce pour autant une phase de destruction créatrice à laquelle nous assistons ? Rien n'est moins sûr, car le mal actuel ne réside pas dans la substance du système, mais dans ses à-côtés supposés lui servir de pondération, de régulation.
Parmi les causes de son actuelle déconfiture, il faudrait précisément reconnaître certains torts contre lesquels le même Schumpeter avait mis en garde, par exemple d'avoir cédé à la tentation de l'Etat-Providence, d'avoir promu une politique de concentration des moyens de production (fusions, trusts, monopoles) et d'avoir laissé proliférer une bureaucratie envahissante, produisant à tout vent des ribambelles de législations et de réglementations, au détriment de l'application de lois et de règles simples visant à minimiser la spéculation hasardeuse, la corruption et la malhonnêteté.
Résultat, force est de constater que le système, devenu adynamique, s'asphyxie lui-même dans ses boursouflures et dans ses redondances.

Curieusement, si l'Etat Providence est dans la panade, les politiciens qui sont les premiers à l'avoir mené là, ne s'estiment pas responsables, et pas davantage les apôtres de l'alter-pensée qui préconisaient et continuent de réclamer plus de dépenses publiques et une redistribution autoritaire et égalitaire des richesses. Pour eux, les boucs émissaires du jour, ce sont d'obscurs et insaisissables financiers, et les banquiers, qui ont prêté sans compter (certes imprudemment) aux irresponsables qui portaient aux nues avec démagogie le leurre enchanteur de la "justice sociale".

Si une chose apparaît clairement à ce jour, c'est bien l'endettement monstrueux de la plupart des Etats occidentaux. Endettement souvent structurel, car non pas causé par des investissements, mais par le financement de prétendus acquis sociaux qu'il faut indéfiniment abonder. Endettement si massif, qu'on ne voit pas bien comment il pourrait être résorbé. D'autant que le déficit, générateur direct de la dette, ne cesse de croître, en dépit des belles résolutions (prises lors du traité de Maastricht notamment). Il avoisinait récemment 8% du PIB en France et sera proche de 6% cette année. Les prévisions les plus optimistes le voient toujours autour de 4% l'an prochain et à 3% à partir de 2013. Mais dans tous les cas cela signifie que l'Etat continue de s'endetter. Derrière ces pourcentages théoriques, il y a des chiffres faramineux. Cette année, le déficit de la France sera de près de 100 milliards d'euros ! En regard des quelques 50 milliards d'euros que produit l'impôt sur les revenus, c'est assez effrayant. Et en regard des 200 milliards constituant la totalité des recettes de l'Etat, ça donne la mesure de la dérive budgétaire ! Chaque année, un tiers des dépenses de l'Etat ne sont financées que par l'emprunt. Comment songer au désendettement dans ces conditions ? Même en élevant indéfiniment  les taux d'imposition pour les plus riches (qui ne représentent comme chacun sait qu'un pour cent de la population), ça ne serait qu'une goutte d'eau versée dans le gouffre...
Comment s'étonner dans ces circonstances, que les fameuses agences de notations dévaluent les notes des Etats impécunieux ? On se demande d'ailleurs pourquoi elles ne l'ont pas fait plus tôt. Contrairement à ce qu'on pense parfois, elles ne sont pas nées de la dernière pluie, ni de la dernière crise, puisque leur création remonte à plus d'un siècle aux Etats-Unis (Standards and Poor fut fondée en 1860, Moodys en 1909, et Fitch en1913). Elles ont été somme toute plutôt indulgentes, tout comme les banquiers, tant le capital de confiance des "Etats souverains" semblait à tout le monde "intouchable".

Aujourd'hui, il faut déchanter. Hélas, c'est un abîme vertigineux autour duquel nous tournons. Allons nous parvenir à nous en extraire ?
Les mesures de relance keynésienne ont été comme il était prévisible, un fiasco. Elles ont fait flamber les déficits et l'endettement, sans doper ni la croissance ni l'emploi.
Les taxations et impôts supplémentaires sont un pis aller, vu le niveau déjà très élevé des prélèvements obligatoires. Comme le déplorait Jean-Baptiste Say (1767-1832) : "L'impôt est une amende sur la production, sur ce qui fait exister la société."
Reste la réduction drastique des dépenses publiques, qui signifie l'austérité et l'appauvrissement de tout ce qui vit au dépens de l'Etat (en France, ça fait beaucoup...), mais à laquelle on ne voit pas comment échapper malgré les dénégations des dirigeants. Et in fine, "l'effacement de la dette", qui loin d'être magique, conduira à ruiner ceux qui ont fait confiance à l'Etat.

En tout état de cause, s'il y a des gens qui ont des raisons de "s'indigner" de l'état de fait actuel, c'est bien ceux qui alertaient sur ces dérives du capitalisme et de la démocratie, sur l'instillation démagogique du venin sournois de pseudo "justice sociale" dans le moteur. Mais sûrement pas ceux qui n'ont jamais aimé le capitalisme et qui jouent aujourd'hui aux prophètes, ou pire, aux pompiers pyromanes.

07 octobre 2011

In memoriam : Steve Jobs


Il était l'incarnation idéale de l'entrepreneur. Selon la conception libérale naturellement. Marchand autant qu'inventeur. Créateur autant que décideur. Magicien autant que gestionnaire.
Un chef d'entreprise et un self-made man comme seule l'Amérique sut et sait encore en produire tant.

Alors que l'Occident vacille sur ses bases, qu'il perd la foi en ses valeurs et semble s'abandonner à un défaitisme et une frilosité paralysantes, sa figure tutélaire de commandeur jette en disparaissant, une clarté quelque peu irréelle sur ce monde crépusculaire.

Luttant contre la fatalité qui se mit plusieurs fois en travers de son chemin, il sut tirer parti de ses échecs et de ses infortunes, donnant par son énergie et sa soif d'innovation, une signification lumineuse au fameux concept schumpeterien de destruction créatrice.
Renaissant sans cesse de ses cendres, ce Phénix à l'allure si austère, si énigmatique, fut un révolutionnaire au sens le plus noble du terme. Il administra la preuve éclatante que le génie individuel peut prendre le pas sur l'adversité, sur toutes les administrations, tous les mastodontes organisationnels, toutes les planifications, tous les dogmes, et qu'il peut changer en mieux le monde. Il montra qu'il ne faut avoir aucune crainte à produire des richesses pourvu qu'elles s'inscrivent dans un but louable, qu'elles aient quelque utilité et qu'elles rendent plus douce la vie.
En faisant le pari insensé que l'ordinateur, qu'on imaginait réservé aux administrations et à la bureaucratie, serait l'outil individuel par excellence et un formidable moyen d'émancipation et de communication, il ébranla sérieusement le mythe grimaçant de Big Brother.

Steve Jobs enchanta le quotidien de millions de personnes qui sont des êtres humains avant d'être des consommateurs. Mieux, il parvint à susciter du désir et à faire rêver, avec de froides machines. Au passage il démontra avec brio qu'en matière économique, contrairement à une opinion répandue, l'offre précède souvent la demande ("Ce n'est pas le rôle du client de savoir ce qu'il veut" confia-t-il malicieusement au moment du lancement de l'Ipad). Il prouva également qu'on peut être compétitif en misant sur la qualité et la séduction plutôt que sur la productivité et les bas prix. Bref, comme beaucoup d'hommes d'action, il fit mentir les théories.

Certes, parvenu aux cimes de son art et au sommet de sa puissance, il fut rattrapé par les inconvénients du gigantisme, et eut une certaine propension à se satisfaire de la position dominante qu'il était presque parvenu à acquérir, à céder à la tentation du monopole. Commerçant génial, il eut tendance en usant de procédés discutables, à vouloir rendre captive la clientèle qu'il avait conquise.

Mais, tout bien pesé, le "pour" l'emporte largement dans cette destinée hors du commun. Il avait le plus beau nom qui soit pour un entrepreneur générateur d'emplois. Fasse le ciel qu'il perdure comme le symbole d'une société décidée à rester ouverte, en quête perpétuelle de progrès, de bonheur et de désir.

09 août 2011

Pathétique

Pathétiques les efforts de Nicolas Sarkozy pour tenter de faire croire qu'il a encore un semblant de maîtrise sur les événements qui font la crise financière actuelle.
Pathétique le sérieux quasi pontifical avec lequel il martèle au fil de ses discours sa volonté inflexible de mettre absolument tout en œuvre pour conserver la confiance des marchés et garantir la pérennité de l'euro, tout autant que la cohésion européenne.
Pathétiques ses efforts pour faire adopter la fameuse "règle d'or" supposée graver dans le marbre constitutionnel la rigueur budgétaire, alors que son propre gouvernement s'avère incapable de respecter les impératifs du traité de Maastricht.
Pathétique la BCE qui rachète à tour de bras des obligations d'état pour tenter d'endiguer l'inexorable progression du glissement de terrain économique.
Pathétique enfin, le Président Obama lorsqu'il affirme, contre l'avis de l'Agence Standard & Poor's que "les Etats-Unis resteront toujours un pays triple A" (Nouvel Obs).

On pourrait certes avoir quelque indulgence pour ces chefs d'état désemparés devant une situation qui se dérobe de plus en plus à leur bonne volonté...La méthode Coué est un moindre mal...
Ce qui est navrant en la circonstance, c'est le peu d'imagination dont ils font preuve et surtout l'opiniâtre refus d'appréhender les réalités.
Niant ou occultant l'inefficacité des coûteux plans de relance déjà entrepris, ils continuent sur la même voie. Sans doute par peur de voir éclater des désordres sociaux, ils rechignent à réduire vraiment les dépenses publiques. Ils en sont donc réduits aux expédients classiques consistant à augmenter toujours plus la pression fiscale, et par voie de conséquence, à pérenniser le problème.
Le président américain est dans son rôle, lorsqu'il évoque "des augmentations d'impôts pour les Américains les plus riches" (Le Parisien). C'est en effet peu ou prou son programme, même s'il se heurte à une opposition grandissante de ses concitoyens qui sont avant tout des gens pragmatiques. On ne la leur fait pas. L'action politique pour eux n'a pas pour but de satisfaire des principes mais de produire des résultats. Or depuis bientôt trois ans, ces derniers sont bien maigres au regard du fameux "Yes We Can"...
Le problème est différent pour Nicolas Sarkozy. Lui revient sur tout ce qui faisait soi-disant ses convictions. Incapable de supprimer l'absurde ISF, il n'a même pas eu le cran d'imposer durant plus de quatre ans le fameux bouclier fiscal auquel il semblait si attaché. Aujourd'hui, comme s'il faisait sien le projet de M. Mélenchon, il n'a de cesse de vouloir augmenter les impôts des personnes les plus fortunées, et voudrait plafonner les salaires des grands patrons.
En plus de l'inefficacité de ce genre de mesures sur la crise actuelle, il y a fort à parier qu'elles soient de nature à miner ce qui reste de confiance parmi les décideurs de ce pays. Probablement le Chef de l'Etat espère-t-il un retour favorable en terme de popularité. Pari plutôt risqué et loin d'être gagné si l'on en juge sur les sondages...
On sait que sur sa gauche, il n'a pourtant guère à craindre. L'inspiration y manque en effet cruellement pour trouver une solution à l'équation financière qui désespère en ce moment le monde occidental. Alors que la conjoncture est paraît-il propice à un renouveau de l'idéologie socialiste, elle s'effondre un peu partout, ou bien se désagrège en de sordides histoires de mœurs et d'affligeantes guerres de coteries.
Quant à M. Borloo, président du parti radical et candidat putatif à la présidence de la république en 2012, il détient le pompon ! Alors que les principales places boursières ont le moral en berne et que le krach menace, il en est à invoquer la bonne vieille taxe Tobin comme panacée. Et pourquoi pas le sirop Typhon tant qu'on y est, dans le genre euthanasie évidemment...

Dans ce déferlement de mauvaises nouvelles, il y a pourtant des occasions de sourire un peu, ou tout au moins d'être dubitatif.
Dans le même temps où l'obscure agence Standard & Poor's dégrade la note de confiance des Etats-Unis, on apprend que la société Apple, formidable fabrique de rêves et de désirs, dispose d'une meilleure trésorerie que l'Etat Fédéral US (76 milliards de dollars vs 74) ! Mais différence de taille : une entreprise privée sait que rien n'est jamais acquis, elle travaille sans relâche pour faire rentrer l'argent dans les caisses. L'Etat quant à lui, ne semble avoir qu'un souci, celui de dépenser l'oseille qu'il sait pouvoir puiser impunément, et croit-il indéfiniment, dans les poches des contribuables......

24 janvier 2011

Les trompe-l'oeil de l'économie

Décidément le concept de révolution est à la mode. Après celle proposée par Mélenchon, inspirée de son propre aveu, par les sinistres épisodes de 1789 et de la Commune, voici celle réclamée au plan fiscal par une brochette d'économistes "indépendants" (Thomas Piketty, Camille Landais, Emmanuel Saez).
Rejoignant ceux qui se disent "atterrés" par la marche actuelle de l'économie, et qui prétendent que l'Etat peut dépenser sans compter, en voici donc trois autres qui affirment maintenant qu'il lui serait aisé d'augmenter les recettes, à condition de revoir de fond en comble le système fiscal actuel.

Partant d'un constat que personne ne peut vraiment contester, à savoir qu'il est "complexe et peu transparent", ils en proposent une rénovation drastique, placée sous le triple principe de "l'équité, la progressivité, et la démocratie".
C'est là que le bât blesse. Car immédiatement, on subodore que ces principes sont imprégnés de considérations plus idéologiques  que pragmatiques.
De fait, Thomas Piketty qui est le chef de file de cette "nouvelle" école n'est pas un économiste que l'on pourrait qualifier de "neutre". Rappelons qu'il se vante d'être très proche du Parti Socialiste et qu'il soutint même officiellement la candidature de Ségolène Royal en 2007 (laquelle avoua après l'élection, pour excuser son échec, avoir défendu un programme auquel elle-même ne croyait pas...).
Assez logiquement, les principaux ouvrages déjà parus de M. Piketty traitent de manière quasi obsessionnelle des inégalités fiscales, en pointant d'un doigt insistant sinon réprobateur les hauts-revenus. Autant dire tout de suite qu'il est, comme la plupart des Socialistes, un défenseur du concept de l'impôt redistributeur de richesses (dont le slogan "il faut faire payer les riches", est une des triviales mais habituelles modalités d'expression)
C'est sans doute pourquoi aujourd'hui il soutient sans gêne que l'imposition en France serait injuste et surtout "régressive". A savoir selon lui, que par un paradoxe étonnant "Les Français les plus modestes sont davantage taxés que les plus riches" !
On se pince, et on se demande dans ces conditions, pourquoi les gens les plus fortunés n'ont de cesse de délocaliser leur domicile fiscal à l'étranger... Seraient-ils idiots ? On se demande également par quel sortilège, plus de la moitié des foyers qui ne paient pas officiellement d'impôt direct, seraient aussi selon cette théorie, ceux sur lesquels pèserait le plus lourdement le fisc.
Ou bien, a contrario, par quel mystère la plus lourde part de l'impôt, à savoir 80%, n'est supportée que par 20% des Français, les plus aisés...

Le problème est que ces experts un peu orientés présentent les chiffres à leur façon. D'abord, ils expriment la pression fiscale en % d'imposition des revenus et non en valeur absolue ce qui induit d'entrée un biais (tellement courant qu'il fait désormais partie des présupposés de presque tout raisonnement en la matière).
Pourtant, un collégien même peu doué saurait dire qu'à pourcentage d'imposition égal, l'impôt retire beaucoup plus d'argent à un "riche" qu'à un "pauvre". Le simple fait de déterminer le montant de l'imposition en proportion des revenus (tax flat), induit de fait une progression "équitable" dans le volume des contributions. Celle-ci est juste démultipliée dans notre beau système, car ce même taux, loin d'être stable, croit rapidement avec le niveau de revenus (le bouclier fiscal est supposé le plafonner à 50%). C'est en quelque sorte, la double peine...
Le plus grave toutefois, est qu'ils définissent le champ de l'impôt de manière très libre voire fantaisiste : Ils y incluent tout d'abord ce qui n'en est pas (les charges sociales, notamment la CSG, qui comme leur nom l'indique, sont des cotisations, dont la part la plus copieuse est comme chacun sait, supportée par l'employeur).
Ils extrapolent le poids relatif de la fiscalité sur les différentes classes sociales, à partir de considérations aléatoires ou peu explicites. Ainsi, prétendre comme ils le font, que la TVA pèse davantage sur les classes modestes, qui "consomment tous leurs revenus alors que les riches peuvent épargner" est une interprétation subjective, qui  occulte au passage l'existence de taux variables en fonction de la nature des biens (TVA réduite sur les biens de première nécessité) ainsi que les taxes qui obèrent le produit de l'épargne (laquelle, lorsqu'elle n'est pas investie, est quand même destinée à être dépensée...).
Last but not least, ils passent sous silence les allocations et nombreuses aides et pondérations qui atténuent sensiblement le poids de l'impôt des plus modestes.

Fort de leur diagnostic partisan, ils proposent une réforme dont la pierre angulaire consiste à fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG, le tout grossi de quelque menu fretin (prélèvement libératoire, prime pour l'emploi..). Dans le même temps, ils suppriment le bouclier fiscal, et laissent intacts  les myriades de taxes qui gravitent comme des vautours au dessus des contribuables : l'ISF (qu'ils qualifient "d'impôt de l'avenir"), la TVA, les impôts locaux, les taxes professionnelles, l'impôt sur les sociétés, la CRDS ... 
Preuve de l'inspiration socialiste de cette mesure, on pouvait entendre ce jour même François Hollande (en visite auto-promotionnelle dans l'émission "Capital" qui la reprenait à son compte, en avouant qu'une augmentation des prélèvements était inévitable...

En somme, cette proposition ressemble vaguement aux plans mirifiques des organismes de rachat de crédits. Elle donne l'impression de simplifier les choses, tout en procurant la vague illusion d'une économie (il faut être naïf pour y croire). Mais au fond, il ne s'agit que d'un pis-aller qui augmente encore le poids total de la charge en le répartissant différemment, et surtout pousse à dépenser toujours un peu plus, au dessus de ses moyens...
Elle fait de la CSG un impôt général, ce qui revient à un tour de passe-passe. Rappelons que lorsqu'elle avait été inventée en 1990 par les Socialistes, pour "élargir l'assiette des cotisations sociales" à destinée exclusive de la Sécurité Sociale, ils avaient insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'un nouvel impôt et qu'elle n'était pas vouée à augmenter (elle était même déductible pour partie des impôts). Or l'intégration dans l'impôt sur le revenu lui fera faire un bond spectaculaire... pour tous ceux qui sont imposables  ! (en vingt ans son taux a déjà été multiplié par 7, passant de 1,1% à 7,5% des revenus, et comme cela ne suffisait pas M. Juppé y a ajouté la CRDS, sur le même principe...).
Pour couronner le tout elle prévoit la retenue de l'impôt "à la source", par l'employeur. Ce dernier déjà transformé en agent de recouvrement au service des organismes sociaux du monopole d'Etat, deviendra donc celui du fisc, qui de son côté, aura benoîtement dissimulé sa ponction dans la part non visible du salaire...

Au total, ce projet qui vise à augmenter la charge fiscale, dans un pays déjà champion toutes catégories en la matière, ne répond donc à l'évidence à aucun souci d'efficacité, mais au seul diktat de la prétendue justice sociale et à l'amour de la redistribution étatique.
Il y a tout lieu de penser que le système restera aussi sinon plus complexe et impénétrable qu'avant. Les riches, mais pas seulement eux seront encore un peu plus tentés d'aller voir ailleurs. La croissance restera plus que jamais bridée, et tout gain éventuel sera de toute manière englouti par "la pompe à phynances" de l'Etat. Quant à ce dernier, il pourra continuer d'augmenter en toute impunité ses folles dépenses... jusqu'au jour où...

NB : A ce jour, l'impôt sur le revenu ou IRPP rapporte environ 60 milliards d'euros par an et la CSG plus de 84 milliards (son taux actuel est de 7,5% sur les revenus du travail, et de 8,2% sur les produits des placements). Le produit de la TVA est de l'ordre de 180Mds€.
A ce jour les prélèvements obligatoires représentent plus de 44% du PIB (contre 36% en moyenne pour l'OCDE). La dette de l'Etat est au minimum de 1500 milliards d'euros soit 81,5% du PIB, et rien que l'intérêt de cette dette coûte chaque année l'équivalent de ce que rapporte l'impôt sur le revenu...

20 janvier 2011

Un grand bond en avant

Une petite brochure intitulée "Manifeste d'Economistes Atterrés" s'affiche de manière un brin provocatrice, en ce moment à la vitrine des librairies.
Le titre à lui seul est un programme. La méthode qu'il suggère, consistant à "manifester" et à "pétitionner", évoque bien plus un discours militant qu'une analyse objective. Le vivier intellectuel d'où provient le "collectif" d'auteurs (ATTAC, CNRS, EHESS) est un autre indice subtil, laissant imaginer la teneur du propos. Quant à la flopée de louanges médiatiques qui salue l'initiative, elle ne laisse plus aucun doute (Marianne, Alternatives Economiques, Mediapart). Il ne s'agit pas d'une apologie du capitalisme...

Le petit jeu de ces "économistes" dont on a compris l'inspiration altermondialiste, consiste tout simplement à nier en quelque sorte l'évidence (dix évidences pour être précis).
Ça serait amusant s'ils ne prenaient pas leur théorie pour argent comptant, si je puis dire. Malheureusement c'est qu'ils font mine d'y croire les bougres, n'hésitant pas, pour appuyer leurs thèses, à accumuler les contre-vérités !
Le coeur de leur discours, désormais assez classique, consiste à minimiser l'ampleur de la Dette Publique et de toute manière à soutenir qu'elle n'est pas un problème en soi. Au contraire même, il ne faudrait pas hésiter, selon ces nouveaux prophètes, à l'alourdir pour relancer l'économie !

Première révélation, qu'ils l'affirment haut et fort, l'envolée des dettes de l'Etat Providence ne serait pas due à un excès de dépenses ! En voilà une nouvelle, qu'elle est bonne ! Devrait-on en déduire qu'on manque de rentrées ?
Rappelons qu'en France, l'Etat n'a jamais bouclé un budget en équilibre depuis 1974, bien qu'il n'ait eu de cesse d'augmenter ses recettes par tous les moyens... des contribuables. Et contrairement à ce que ces savants un peu bigleux affirment, les impôts et charges ont tellement progressé qu'ils sont désormais les plus élevés du monde développé. Entre 1974 et 2005 leur poids est passé de 35,4 à 44,1% du PIB (moyenne OCDE en 2005 : 36,2) ! S'il y a "concurrence fiscale" comme ils disent, nous sommes donc vraiment compétitifs... mais dans le mauvais sens !

Par un paradoxe cruel mais criant, la pression fiscale tous azimuts de l'Etat, ne conduit qu'à détériorer le rapport qualité/prix du Service Public dont à peu près tous les indicateurs "sociaux" restent désespérément au rouge (chômage, pauvreté, éducation, logement, sécurité...)
Comme par hasard d'ailleurs, la croissance, dont ils admettent qu'elle est susceptible d'aider à résorber les déficits, est chez nous durablement une des plus faibles de ce même monde. Logique, à chaque fois qu'elle fait mine de décoller, paf ! une augmentation des "prélèvements obligatoires" vient la plaquer au sol.

S'agissant des dépenses publiques, ces brillants esprits ont là aussi quelque peu tendance à mésestimer la réalité, en affirmant "qu'elles sont stables ou en baisse dans l'Union européenne depuis le début des années 1990". Aimable plaisanterie. Ils oublient juste de dire qu'elles sont passées dans notre beau pays, de 39,3% à 52,7% du PIB entre 1974 et 2008 (selon le gouvernement lui-même).
Le pire est que ces dépenses sont entièrement dévolues au puits sans fond de la prétendue "justice sociale". Elles sont donc structurelles, incoercibles, liées à l'inflation permanente du soi disant "Service Public". Aucun retour sur investissement n'est à espérer dans cette mécanique infernale. Une dépense en entraine une autre, sans fin. Selon le refrain bien connu, il faut toujours "plus de moyens", mais les résultats ne viennent jamais. Et de toute manière, il ne faut pas chercher à les évaluer, ce serait bassement "marchand"...

Comme tout est à la même enseigne dans cet édifiant opuscule, on pourrait conclure que si nous sommes aujourd'hui au bord du gouffre, il suffirait d'appliquer ne serait-ce qu'a minima les recommandations qu'il propose, pour faire un grand pas en avant...

02 novembre 2010

Les joueurs de flûte

On voit par les temps troublés qui courent, prospérer d'étranges gourous, rappelant par leur petite musique doucereuse, le fameux joueur de flûte de Hameln. Ils proposent en effet aux maux bien réels dont souffre la société, des remèdes salvateurs, si simples et si séduisants, qu'un nombre croissant de ceux qui les écoutent paraissent littéralement envoûtés.
Abandonnant tout esprit critique et tout bon sens, ils se mettent soudain à ânonner en chœur les  rengaines magiques de ces mirobolants guides "alternatifs" et à les suivre vers je ne sais quelle destinée...
On connaissait déjà par exemple les nouveaux prophètes de la finance, qui déclament que la dette est un mythe inventé par les banquiers. Qu'il suffit pour y remédier de laisser l'Etat fabriquer autant d'argent que de besoin, afin de n'avoir plus à leur emprunter. Selon les plus audacieux, il faudrait même accroitre massivement les dépenses publiques, seul moyen selon eux de résorber la dette, grâce à la relance qui est supposée s'ensuivre mécaniquement.
On sait aussi les belles théories stipulant que le chômage serait un fléau inexistant. Qu'il suffirait pour faire cesser les délocalisations, cause première de nombre de disparitions d'emplois, de revenir au protectionnisme. On sait que certains vont encore plus loin, en affirmant qu'il n'est que d'interdire les licenciements pour résoudre définitivement le problème...
On découvre aujourd'hui, à l'occasion de la problématique des retraites, de nouvelles idées révolutionnaires auxquelles manifestement personne n'avait pensé auparavant tellement elles sont évidentes. Il en est ainsi de celles émises par M. Bernard Friot, sociologue et membre fondateur de l'I.E.S (Institut Européen du Salariat), dans son ouvrage récent : "L'enjeu des retraites".

Pour commencer, M. Friot affirme tranquillement  que contrairement à l'argument principal de la réforme en cours, il n'y a pas de souci démographique. Non seulement il le réfute, mais il prétend qu'il s'agit d'un "bobard" inventé par le Gouvernement à seule fin de diminuer les droits et les acquis sociaux, "de fragiliser une population"...
On quitte dès lors le registre de la douce plaisanterie, et  un artifice de raisonnement particulièrement désagréable se démasque, assez caractéristique de tous les penseurs affiliés peu ou prou à cette nouvelle école.  Outre la tendance au raccourci simplificateur, la démonstration dérape  en effet assez invariablement dans le procès d'intention. Et cet état d'esprit partisan dérive même assez vite vers le militantisme le plus caricatural, en parlant notamment du Président de la République : "on se fait bourrer le mou par un petit excité".
Avec de telles prémisses et des a priori aussi grossiers, tout devient évidemment très facile : "il n'y a de problème que dans nos têtes". 

S'ensuit une alternance savamment dosée de propos tantôt lénifiants quant aux périls, tantôt accusateurs contre le Pouvoir en place. Par exemple pour ce prédicateur béat, l'avenir du financement des retraites est assuré du seul fait de l'augmentation régulière du PIB, qui permet selon lui de redistribuer largement les abondantes richesses produites par le pays. 
Il va sans dire qu'il se pose en défenseur intransigeant du système par répartition n'évoquant même pas la capitalisation, mot qui lui écorcherait manifestement la bouche. D'ailleurs il exclut par principe dans le PIB, toutes les richesses produites par le Capitalisme honni... Il faut préciser que pour lui, la productivité de type capitaliste ne génère de richesses qu'artificiellement, au profit d'une petite minorité de nantis, en dévastant sans vergogne l'environnement, et en pillant les ressources naturelles...

La suite de la démonstration est un modèle, dans le genre qu'affectionnait le savant Cosinus : puisqu'en 1970 il fallait 4 actifs pour payer pour un retraité, et qu'en 2010 deux suffisent, pourquoi un seul ne ferait-il pas l'affaire en 2050 ? CQFD...
Au passage, M. Friot qui n'est pas une outrance près, semble d'ailleurs trouver qu'il y a encore trop d'actifs. Il n'hésite pas en effet à affirmer que le tiers des emplois sont "nocifs" (par exemple la police, évoquée de manière elliptique, et avec force mauvais esprit : "ceux qui attendent dans un camion le dérapage d'une manifestation qui ne se produit pas, sauf si on l'organise").
 
Evidemment, à aucun moment de son discours, ce brillant esprit ne prend en considération l'endettement massif imposé par l'Etat aux malheureux actifs qui produisent le fameux PIB. D'ailleurs, ni le déficit annuel croissant des caisses de retraite, ni la fabuleuse dette nationale qui s'est accumulée au fil des prétendues "conquêtes sociales" ne sont évoqués ne serait-ce que d'un mot. Probablement estime-t-il qu'il s'agit comme tout ce qui contrevient à sa théorie lumineuse, de vilains mensonges...
De même à aucun moment il ne semble interpellé par le fait que tous les pays alentour semblent avoir anticipé la "fallacieuse logique démographique" suivie par l'actuel gouvernement français. Faut-il en déduire que le monde entier soit aussi sot que nos dirigeants ?

Toujours est-il qu'occultant habilement tous ces menus détails, il pourrait sans difficulté entonner l'air  célèbre de la Marquise. Sa rhétorique utopique va d'ailleurs même jusqu'à asséner que sur la tranche des 20-60 ans, nous n'avons jamais été aussi proches du plein emploi, et que la retraite, c'est le bonheur de pouvoir travailler tout en étant "libéré du marché du travail" ! On aurait bien tort de s'en priver...
Et pour finir en beauté, il se paie le luxe de conclure avec une logique toute mélanchonienne, qu'il suffirait pour restaurer tout son sens au travail, "de se débarrasser des employeurs", et pour investir, de faire de même avec les "parasites absolus" que sont les investisseurs.
Dialectique bien huilée en somme, qui fait toujours beaucoup d'effet sur des auditoires crédules, d'autant qu'elle débouche sur la menace, si elle n'était pas suivie d'effets, de voir l'avènement du Front National ou de "Sarkozy au carré", ce qui pour lui est "à peu près la même chose.."

22 février 2010

Simple traversée des apparences


Entendu mercredi matin 17/02, sur France Inter, lors de l'émission animée par Nicolas Demorand : Laurent Fabius s'inquiéte que M. Axel Weber, président de la Deutsche Bundesbank, puisse remplacer prochainement M. Trichet à la tête de la BCE. Non pas parce qu'il est allemand s'empresse-t-il de préciser, mais parce qu'il s'agit d'un «Orthodoxe absolu» et qu'avec lui ce serait l'horreur, à savoir : « rigueur, rigueur, les traités, la BCE en première ligne... et le gouvernement économique je ne veux pas en entendre parler. »
M. Fabius souhaite à l'évidence plus de souplesse, plus de liberté pour les Etats et il termine son réquisitoire en clamant haut et fort que « La banque centrale doit être responsable devant les autorités politiques »
A ses yeux, quelqu'un qui souhaite appliquer les règles avalisées et votées par les membres de la Communauté Européenne est donc par nature, néfaste. Très étrange tout de même, surtout dans la bouche d'un ancien ministre de l'économie et premier ministre, qui avec tant d'autres déplore le manque de sérieux des marchés et réclame régulièrement à grands cris « plus de régulations, plus de réglementations et de contrôles » !
Quelques instants plus tard M. Fabius, très en verve s'avance encore plus loin dans l'absurdité en soutenant que « personne de sensé aujourd'hui ne pourrait soutenir qu'il faille une économie qui réponde à la concurrence libre et non faussée. »
Ah bon ? Faut-il comprendre qu'il appelle donc de ses vœux, une concurrence biaisée, et asphyxiée dans les contraintes ! Décidément les Socialistes étonneront toujours, par leur inconséquence et par le refus de voir la réalité en face, ou plutôt par leur désinvolture pour s'en accommoder en l'occultant quand elle les dérange...
Peu avant, dans sa revue de presse très subjective, le chroniqueur Bruno Duvic faisait état de la montée de la violence dans les collèges et les lycées, et s'alarmait du jeune âge des délinquants et de la brutalité des actes, dépassant semble-t-il largement le stade des « incivilités ».
Citant par exemple une enquête de l'Express titrée : "Violence : l'école désarmée", il citait pêle-mêle : « le quotidien, qui mine la vie des profs : les crachats, les pneus crevés, les bousculades, les doigts d'honneur, la peur de tourner le dos à la classe... »
Reprenant les propos du magazine, il évoquait ensuite "La violence qui change". "Elle est plus collective : des groupes s'attaquent à un individu. Du coup, les dégâts sont plus importants car à plusieurs on ose davantage. Autre particularité : on s'en prend de plus en plus aux institutions (l'école et ses représentants). Colère de personnes qui ne se sentent pas 'intégrées au système' (entre guillemets").

Puis, tout à coup, il changeait de cap « sans transition », se mettant avec force références sarcastiques, à évoquer le nombre croissant de gardes à vue, ébauchant une critique guère voilée de la « politique du chiffre ». Dans le même temps, comme pour enfoncer le clou, il insistait sur le jeune âge des personnes concernées : «
Ce qui est en débat notamment, c'est le placement en garde à vue d'adolescents de plus en plus jeunes. » Pour alléger le climat, il citait alors le dessin de Pancho, à la Une du Canard Enchaîné cette semaine : Une maman promène son bébé dans une poussette. Elle croise une autre dame, qui se penche sur la poussette : "Oh qu'il est mignon ! Est-ce qu'il a déjà fait de la garde à vue ?"
Mais à aucun moment il ne fit le rapprochement pourtant logique, entre une délinquance juvénile en hausse permanente, au point de faire quasi quotidiennement les titres des quotidiens, et l'augmentation des interpellations policières « d'adultes de plus en plus jeunes et d'adolescents ».
Les gardes à vue ne constituent sûrement pas la solution au problème de la délinquance puisqu'elles n'en sont qu'une des conséquences, mais peut-être faudrait-il enfin se donner les moyens de restaurer l'autorité dans les écoles, dans les familles et d'une manière générale dans la société... Ni le laxisme lénifiant des théories de la prévention, ni la manie très actuelle de créer à tout bout de champ des régulations et des lois ne sauraient suffire à endiguer ce fléau croissant. Pour éviter une répression brutale qui serait le terme inévitable de la spirale, peut-être faudrait-il envisager de restaurer avec pragmatisme, le sens des responsabilités...

19 février 2010

De la génération spontanée de l'argent (2)


Un des risques engendrés par la démonétisation de l'argent, c'est à dire par son découplage d'avec les métaux précieux, c'est de lui faire perdre, par négligence ou excès de spéculation, toute valeur.
Tant que l'argent était échangeable contre de l'or (et à plus forte raison s'il était constitué de pièces d'or), il ne pouvait comme l'a démontré Jean-Baptiste Say, tomber en dessous de la valeur intrinsèque du métal. Même en cas de crise de confiance, il restait possible d'échanger ce dernier contre des biens de consommation.
En revanche, le papier dont sont faits les billets de banque n'a aucune valeur en soi, et la monnaie totalement dématérialisée, dite « scripturale » pas davantage. Leur valeur est fondée sur la confiance qu'on a de pouvoir les échanger contre des biens. Si cette confiance vient à s'altérer, la valeur peut donc s'amoindrir jusqu'à devenir nulle.
Un retour vers le passé montre que ce genre de mésaventure n'est pas qu'un risque théorique, et l'histoire fabuleuse de John Law de Lauriston (1671-1729) est de ce point de vue édifiante.
Cet aventurier d'origine écossaise, homme d'affaires audacieux, communicant génial et spéculateur inspiré, débarqua en France au début du XVIIIè siècle, alors qu'il fuyait son pays où il avait été condamné à mort pour avoir tué un rival amoureux en duel.
A la fin du règne de Louis XIV, l'économie était quasi exsangue, cumulant les tares en tous genres :
délabrement des finances publiques et du change, rendement des impôts réduit de près du tiers, taux d’intérêt élevé, pénurie de monnaie, arrêt des activités, misère... La dette publique s’élevait fin 1715 à 2 milliards de livres. La seule charge annuelle de remboursement de la dette atteignait 165 millions de livres alors que les recettes fiscales ordinaires ne dépassaient pas 69 millions de livres !
C'est dans ce contexte climatérique, qu'il parvint à s'introduire dans l'entourage du Régent Philippe d'Orléans et à gagner sa confiance, avant de lui proposer une idée de réforme monétaire qui lui tenait à cœur depuis plusieurs années.
Le plan se déroula en deux étapes.
Law obtint dès 1716, dans le but de relancer le commerce, l'autorisation de créer une banque privée dont l'originalité était à partir d'un capital au départ assez modeste, de fabriquer des actions et du papier monnaie. Les billets de la banque étaient gagés par de l'or qu'elle s'engageait à restituer rubis sur l'ongle à tout moment aux déposants, ainsi qu'il était stipulé noir sur blanc :
« La banque promet de payer au porteur à vue livres, en monnaie DE MÊME POIDS ET AU MÊME TITRE que la monnaie de ce jour, valeur reçue, à Paris, etc.»
Le succès de l'entreprise fut immédiat, la confiance s'établit facilement, d'autant plus que les billets étaient acceptés pour l'acquittement des impôts, et les échanges commerciaux s'enflammèrent promptement. Soutenue par la spéculation sur les ressources d'Amérique que promettait de mettre en valeur la Compagnie du Mississippi rachetée par Law, la reprise économique fut bientôt réelle, et l'Etat put commencer à remplir à nouveau ses caisses.
Law fut bientôt nommé Contrôleur puis Surintendant Général des Finances, et tout se passait merveilleusement bien jusqu'au moment où le Régent ordonna la création d'une Banque d'Etat en 1719. Parallèlement plusieurs compagnies faisant commerce avec les colonies et l'étranger (Sénégal, Chine, Indes orientales) fusionnèrent pour devenir la fameuse Compagnie des Indes. La souveraineté que cette dernière avait acquise sur le port de Lorient en fit une place économique de premier plan.
Mais la nouvelle banque avait toutefois introduit un changement assez fondamental, quoique d'apparence anodin, dans sa manière de procéder. Les billets n'étaient plus échangeables contre de l'or dont le titre était garanti mais contre une autre espèce, de valeur beaucoup plus aléatoire. C'étaient encore des livres mais on ne savait pas de quoi elles seraient faites. Les billets « de confiance » portaient de fait la mention :
« La banque promet de payer au porteur à vue... livres, EN ESPÈCES D'ARGENT, valeur reçue, à Paris, etc. »
Law s'opposa semble-t-il énergiquement mais en vain, à ce changement. Il avait probablement pressenti ce qui allait arriver. Plus aucune limite ne s'opposait en effet à la fabrication de monnaie. La banque avait le monopole de l’émission des billets, et finançait l’État. Jusqu’à fin octobre 1720, Law émit près de 2,8 milliards de livres de billets, surtout des grosses coupures supérieures à 1000 livres.
A partir de 1719, les prix se mirent à flamber jusqu'à doubler et même à tripler. Law, fit dans un premier temps l’éloge de l’inflation. Mais preuve qu'il n'était pas dupe, il essaya de limiter la masse monétaire, et parvint à retirer de la circulation environ 1,5 milliards de livres.
Le cours des évènements était devenu hélas irréversible. Le doute se répandit rapidement, puis la confiance s'altéra. Ceux qui avaient le plus spéculé furent aussi les premiers à vouloir retirer leurs billes du jeu, provoquant une panique en chaine. Le 17 juillet 1720, ce fut le jour de la banqueroute définitive : après une semaine d’émeutes, et des morts, la banque avait renoncé à payer ses billets à ses guichets.
Au total, cette réforme monétaire fondée sur une monnaie d'utilisation aisée, eut le mérite initial, de relancer l'économie. Tant qu'elle resta inscrite dans des règles du bon sens et de la pondération, tout se passa bien. Malheureusement l'ivresse de l'argent facile qui avait gagné les mentalités jusqu'au sommet de l'État, le goût du lucre et de la spéculation, la firent déraper et franchir les garde-fous.
En définitive elle fut comme un feu de paille, spectaculaire mais très éphémère, faute d'avoir été assuré dans la durée par des bûches plus consistantes. Elle fut une amorce ou un catalyseur mais pas plus...
Si elle permit malgré tout d'éponger une partie de la dette d'État, ce fut en la transférant sur des intérêts privés et en ruinant de nombreux épargnants.
Et elle fit perdre durablement la confiance dans le papier-monnaie et dans l'État.
L'expérience pourtant ne servit pas de vaccination. La même erreur se renouvela au moment de la Révolution avec l'épisode désastreux des assignats. Il est donc décidément impossible de créer de l'argent à partir de rien...
Une fois encore, la morale de l'histoire peut être fournie par Jean-Baptiste Say : « Le vice de la monnaie de papier n'est pas dans la matière dont elle est faite ; car la monnaie ne nous servant pas en vertu de ses qualités physiques, mais en vertu d'une qualité morale qui est sa valeur, elle peut être indifféremment composée de toute espèce de matière, pourvu qu'on réussisse à lui donner de la valeur. Si cette valeur s'altère promptement, c'est à cause de l'abus qu'il est facile de faire d'une marchandise qui ne coûte presque point de frais de production, et qu'on peut en conséquence multiplier au point de l'avilir complètement. »

17 février 2010

De la génération spontanée de l'argent (1)


A l'occasion de la crise économique actuelle, on prend conscience tout à coup de la profondeur de l'endettement des Etats.
Étrangement, rares sont ceux qui leur en font le reproche. Nombre de gens y voient au contraire l'effet pervers du « capitalisme » et de « l'absence de régulations ». Ils préfèrent accuser en bloc « le Monde de la Finance » d'avoir causé cet état de fait.
Des économistes très en vue, tel Jean-Paul Fitoussi minimisent le phénomène en le qualifiant de normal en période de crise : il s'agirait d'un « stabilisateur automatique »...
Il n'hésite pas à affirmer par exemple , «
qu'en soi le problème grec n'est pas très grave".
D'autres, plus téméraires, nient carrément la dette et voudraient que l'Etat ignore tout simplement ses créanciers, et surtout les banques, réputées par nature malfaisantes. In fine, ils réclament même le droit pour le Gouvernement d'être son propre banquier et de pouvoir «
créer l'argent », en fonction de ses besoins.
Lumineuse idée ! Du coup, évidemment plus besoin d'emprunter et donc plus de dette ! On se demande comment on n'y avait pas pensé plus tôt.
Ce qui est sidérant avec nombre de ces théories, échafaudées en dépit du bon sens le plus élémentaire, et comme pour transformer les désirs en réalité, c'est la facilité avec laquelle elles se propagent, et l'enthousiasme avec lequel elles sont souvent accueillies. Probablement parce qu'on voudrait tous croire qu'il existe quelque part une corne d'abondance sur laquelle il suffirait de tirer pour résoudre tous les problèmes. De là à affirmer qu'on puisse effacer les dettes, fussent-elles d'Etat, comme par enchantement, il y a un abime...
Aujourd'hui, sur la théorie de l'argent, on peut dire tout et son contraire. Et les faits parfois semblent donner raison à cette déraison. Par quelle magie par exemple, l'Etat, endetté jusqu'au cou est-il parvenu à prêter de l'argent, précisément... aux banques, qui détiennent une partie de sa créance ? Mystère...
A tous ceux qui s'y perdent, on ne saurait trop conseiller le retour aux grands classiques. Par un paradoxe troublant, la France a engendré quelques uns des plus brillants économistes. Et tandis que le monde nous les envie, nous méconnaissons et méprisons opiniâtrement leur enseignement.
Il en est ainsi de
Jean-Baptiste Say (1767-1832).
On trouve dans son Traité d'Economie, quantité de règles simples, toujours valables, même en système mondialisé. Il y expose notamment « la manière dont se forment se distribuent et se consomment les richesses », et c'est aussi évident que les démonstrations d'Archimède ou de Newton.
En premier lieu, il pose que l'argent n'a pas de valeur en soi, et n'est qu'un instrument destiné à faciliter les échanges : "la quantité de monnaie dont un pays a besoin est déterminée par la somme des échanges que les richesses de ce pays et l'activité de son industrie entraînent nécessairement."
En d'autres termes, si personne n'a de richesses à échanger ou si personne ne ressent le besoin d'en faire l'échange contre d'autres, l'argent est inutile.

"Ce n'est donc pas la somme des monnaies qui détermine le nombre et l'importance
des échanges ; c'est le nombre et l'importance des échanges qui déterminent la somme de monnaie dont on a besoin.
De cette nature des choses il résulte que
la valeur de la monnaie décline d'autant plus qu'on en verse davantage dans la circulation..."
S'il est toutefois naturel que l'Etat contrôle la production de l'argent et qu'il en garantisse par son sceau l'authenticité, il est en revanche, incapable de lui conférer la moindre valeur. Le tenterait-il qu'il ne ferait que détruire les fondements même du système : "Les droits de fabrication, les droits de seigneuriage, dont on a tant discouru, sont absolument illusoires, et les gouvernements ne peuvent, avec des ordonnances, déterminer le bénéfice qu'ils feront sur les monnaies.../...
Du droit attribué au gouvernement seul de fabriquer la monnaie, on a fait dériver
le droit d'en déterminer la valeur. Nous avons vu combien est vaine une semblable prétention, la valeur de l'unité monétaire étant déterminée uniquement par l'achat et la vente, qui sont nécessairement libres.../...
Ainsi, quand Philippe 1er, roi de France, mêla un tiers d'alliage dans la livre d'argent de Charlemagne, qui pesait 12 onces d'argent, et qu'il appela du même nom de livre un poids de 8 onces d'argent fin seulement, il crut que sa livre valait autant que celle de ses prédécesseurs. Elle ne valut cependant que les deux tiers de la livre de Charlemagne. Pour une livre de monnaie, on ne trouva plus à acheter que les deux tiers de la quantité de marchandise que l'on avait auparavant pour une livre. Les créanciers du roi et ceux des particuliers ne retirèrent plus de leurs créances que les deux tiers de ce qu'ils devaient en retirer ; les loyers ne rendirent plus aux propriétaires que les deux tiers de leur précédent revenu, jusqu'à ce
que de nouveaux contrats remissent les choses sur un pied plus équitable. On commit et l'on autorisa, comme on voit, bien des injustices ; mais on ne fit pas valoir une livre de 8 onces d'argent pour autant qu'une livre de 12 onces.../...
L'argent, de quelque matière qu'il soit composé, n'est qu'une
marchandise dont la valeur est variable, comme celle de toutes les marchandises, et se règle à chaque marché qu'on fait, par un accord entre le vendeur et l'acheteur."
Enfin, l'Etat en tant que producteur et acheteur de biens peut se trouver en déficit, accumuler des dettes et même se trouver en cessation de paiement : "Une entreprise industrielle quelconque donne de la perte, lorsque les valeurs consommées pour la production excèdent la valeur des produits. Que ce soient les particuliers ou bien le gouvernement qui fasse cette perte, elle n'en est pas moins réelle pour la nation ; c'est une valeur qui se trouve de moins dans le pays."
Autrement dit la gratuité des services publics est un leurre. Tout doit se payer, à son juste prix. Les impôts et les taxes sont là pour répartir de manière équitable sur le peuple les dépenses relatives au bien commun. Ils ne peuvent avoir pour vocation de combler les trous causés par l'irresponsabilité ou la négligence, ni même prétendre à redistribuer les richesses. Lorsque la moitié de la richesse nationale est engloutie par l'impôt et les taxes, il est temps de s'alarmer. Et si l'Etat s'empruntait à lui-même, il ne ferait qu'emprunter à la Nation, qui aurait les mêmes exigences que n'importe quelle banque...
Le rôle du gouvernement est donc avant tout de veiller au grain. Il garantit la qualité de l'argent et contrôle le respect des règles de son bon usage. C'est ainsi qu'il permet à la confiance de s'installer et de perdurer : "De tous les moyens qu'ont les gouvernements de favoriser la production, le plus puissant, c'est de pourvoir à la sûreté des personnes et des propriétés, surtout quand ils les garantissent même des atteintes du pouvoir arbitraire. Cette seule protection est plus favorable à la prospérité générale que toutes les entraves inventées jusqu'à ce jour ne lui ont été contraires. Les entraves compriment l'essor de la production ; le défaut de sûreté la supprime tout à fait."
En définitive, l'Etat ne peut se soustraire aux règles dont il est le garant, et ne peut ni créer de l'argent, ni en fixer la valeur, et pas davantage déterminer les prix des biens.

08 février 2010

Tea Party


Ce que j'aime par dessus tout dans la Démocratie américaine, c'est sa capacité extraordinaire à se renouveler, à se régénérer, à entretenir sur elle-même un débat permanent, tout en restant fidèle aux principes qui l'ont fondée.
Depuis maintenant plus de deux siècles, le régime est assis sur une seule et même Constitution. Quelques amendements ont certes été nécessaires mais la base reste absolument intacte, aussi pure et brillante qu'un diamant.
Le poète Walt Whitman pensait qu'elle était faite pour durer au moins mille ans. En dépit des oiseaux de mauvais augure qui ne cessent de prophétiser « le déclin américain », « la fin de l'empire », elle tient vaillamment le coup, en même temps qu'elle diffuse sur le monde le bel idéal de la Liberté et de la poursuite du bonheur (life, liberty, and the pursuit of happiness).
L'élection de Barack Obama fut une nouvelle preuve de l'audace de cette Nation, de sa détermination à s'affranchir des tabous dans lesquels d'autres pays notamment européens, restent envers et contre tout englués.
Mais ce peuple étonnant n'a pas donné pour autant quitus au nouveau président, pour défaire l'édifice construit avec une infinie sagesse par les Pères Fondateurs. Pas plus qu'il ne pourrait tolérer qu'on en corrompit l'esprit.
Or depuis cette élection, et même un peu avant il faut le reconnaître, un certain nombre d'Américains s'inquiètent de la montée en puissance de l'Etat Fédéral, au détriment des instances régionales et locales. Ils sont effarés par l'ampleur croissante des déficits et par la centralisation bureaucratique qui gagne du terrain dans le monde des entreprises aussi bien qu'au sein de l'Etat.
Il faut dire que la démocratie qui s'est construite de bas en haut, a depuis ses débuts, habitué les individus à se gouverner eux-mêmes, sans attendre comme chez nous, tout du Gouvernement. Depuis longtemps bien sûr, ils sont acquis à la nécessité d'avoir un Etat qui rassemble leurs intérêts sous un seul étendard, mais ils ne veulent pas qu'il outrepasse les prérogatives qu'ils ont bien voulu lui conférer.
Dès les premières années de l'histoire des Etats-Unis, des débats acharnés firent rage entre les partisans d'un Etat fort, rangés derrière la bannière d'Alexander Hamilton, et ceux prônant au contraire un pouvoir décentralisé, à la tête desquels se trouvait Thomas Jefferson.
L'intelligence et l'honnêteté intellectuelle dont surent faire preuve ces deux hommes exceptionnels contribuèrent grandement à proposer en définitive, une répartition équilibrée. Et Hamilton qui n'était pas rancunier soutint même son rival lors de l'élection présidentielle de 1801.
C'est grâce à des hommes pareils qu'aux Etats-Unis, plus que nulle part ailleurs, est en vigueur le principe souverain d'une vraie démocratie, qui s'inscrit dans la belle formule de Karl Popper : « Nous avons besoin de liberté pour empêcher l’Etat d’abuser de son pouvoir et nous avons besoin de l’Etat pour empêcher l’abus de liberté »
Aujourd'hui, des groupes de pression d'un nouveau genre naissent un peu partout sur le territoire américain animés par un mécontentement commun vis à vis de l'emprise excessive de l'Etat Fédéral. Ils n'obéissent pour l'heure à aucun mot d'ordre national et recrutent dans les deux principaux camps politiques, républicain et démocrate (les premiers étant toutefois à ce jour plus nombreux).
Ils se reconnaissent sous le nom de Tea Party Groups, en mémoire de l'insurrection de 1773, contre les abus de pouvoir du gouvernement britannique. Cette rébellion qui consista pour les insurgés déguisés en Indiens, à jeter à la mer des cargaisons de thé fraichement arrivées dans le port de Boston, fut le coup d'envoi historique de la guerre d'indépendance.
Par une troublante coïncidence la manifestation la plus récente du mouvement actuel vient de conduire plus ou moins directement le parti du Président Obama à perdre le siège de sénateur du Massachusetts, dont la capitale est précisément Boston !
S'agit-il d'une vague de fond ? S'agit-il d'un puissant retour aux sources ? Ou bien comme certains le prétendent d'un simple mouvement populiste sans lendemain ?
Toujours est-il que ces gens paraissent bien décidés à faire reculer le Gouvernement dans ses projets pharaoniques de prise de contrôle, d'aide massive et de relance tous azimuts, motivés par « l'urgence de la crise ». Ils semblent également déterminés à le faire plier dans sa tentative d'étatiser davantage le système de santé et d'alourdir le poids de l'impôt et des taxes.
Tout ça est peut-être sans lendemain ou bien sera récupéré un jour ou l'autre par les partis classiques. Certains politiciens essayent déjà de surfer sur cette vague, telle Sarah Palin. D'autres soutiennent depuis quelques années déjà, des initiatives assez proches comme Newt Gingrich et ses
American Solutions. Même Obama lui-même semble avoir pris conscience du phénomène, et paraît vouloir infléchir quelque peu sa politique, notamment au sujet des banques...
L'avenir dira ce qu'il en est réellement mais nul doute qu'une fois encore l'Amérique saura montrer ce qu'elle a dans le ventre, et surtout qu'elle sait défendre ses convictions essentielles.

26 janvier 2010

Too Big To Fail

Est-ce un revirement dans la stratégie de Barack Obama, face à la crise économique ? Est-ce un vent nouveau, qui annonce une tendance à la déconcentration des entreprises ? Est-ce la fin annoncée de la folle course au gigantisme, qu'on croit parfois mais à tort, inhérente au capitalisme voire au libéralisme (ou pire encore... au capitalisme ultra-libéral) ?
Il est un peu tôt pour le dire mais la dernière proposition du président américain consistant à tenter de réduire la taille des banques, semble une bonne nouvelle pour tout Libéral soucieux d'empêcher les abus de position dominante, et souhaitant préserver une vraie émulation en matière d'économie de marché.
En affirmant « qu'il y a trop de risques concentrés dans de trop grandes banques », et que « Plus jamais les contribuables américains ne doivent être pris en otage par des banques devenues trop grosses pour faire faillite », Obama rejoint en quelque sorte le sénateur John Sherman. Celui-ci fut l'auteur à la fin du XIXè siècle de la première grande loi anti-trust, qui conduisit le président Théodore Roosevelt à casser en 1906 le quasi monopole de la Standard Oil, fondée par Rockefeller.
Il pourrait s'agir d'une petite révolution, après tant d'années pendant lesquelles nombre de gouvernements assistèrent impuissants aux fusions d'entreprises, quand ils ne les encouragèrent pas, au nom de la religion productiviste.

En matière bancaire, non seulement la démesure nuit à la saine concurrence, mais elle a tendance à en compliquer et surtout à en déresponsabiliser la gestion. Les sociétés deviennent si grosses en effet, qu'elles se croient intouchables, et que l'Etat se fait un devoir de les secourir en cas de difficulté, par crainte que leurs déboires n'entraînent en cascade, l'effondrement du système tout entier. Le magazine The Economist pointait dans un récent numéro le fait qu'à ce jour, les quatre plus grandes banques américaines détiennent plus de la moitié des actifs de l'industrie (22/01). Qui peut prétendre rationnellement qu'il s'agisse d'une situation souhaitable ?
Jusqu'à ce jour malheureusement, le credo des Pouvoirs Publics, notamment en France, est pourtant de pousser à la concentration, au nom de l'harmonisation, de l'optimisation des coûts. Le gouvernement a récemment encouragé la fusion de la Caisse d'Epargne avec les Banques Populaires. Il y a quelques années, il avait pesé de tout son poids pour favoriser le rapprochement de la Société Générale avec BNP-Paribas.
Tout récemment, éclatait la polémique au sujet du double salaire et du cumul de fonctions de monsieur Proglio. Or derrière cette affaire, se profile l'alliance étrange des colosses EDF et VEOLIA, qui avait jusqu'à ces tout derniers jours la bénédiction du Président de la République et du ministre de l'Economie.
Banque ou pas, l'adage too big to fail s'applique à tous ces mastodontes. On a vu aux USA, comment les difficultés de General Motors ont contraint le gouvernement fédéral à s'impliquer directement dans le management du géant de l'industrie automobile. En réalité, les exemples sont légions et concernent tous les gouvernements quelque soit leur sensibilité politique. Au surplus, la tendance est identique, s'agissant d'entreprises étatisées. La fusion des hôpitaux ordonnée par la Loi HPST, la chasse aux prétendus « doublons d'activité » et la concentration du pouvoir décisionnel dans de monstrueuses Agences Régionales de Santé, relèvent du même état d'esprit.
La récente initiative de Barack Obama pourrait apporter un peu d'air frais à un univers qui semble en voie de s'asphyxier dans la pléthore et l'inertie. Elle pourrait même, à condition de faire preuve d'optimisme, être de nature à replacer l'Etat dans ses fonctions naturelles de garant des règles du jeu, et non d'entité providentielle chargée de subvenir à tous les aléas de la vie de chaque citoyen. Cela pourrait signifier, non pas le renforcement de l'interventionnisme, mais la simple promulgation de règles de bon sens, permettant précisément d'éviter l'ingérence incessante du gouvernement dans le libre jeu du marché, et l'assistance au fonctionnement du moindre des rouages de la société.
Ce n'est pour l'heure qu'une annonce. Rien ne dit qu'elle sera suivie d'effets. Rien ne dit non plus qu'elle se traduira par une mise en œuvre pragmatique, le risque étant comme d'habitude, d'en faire trop.
On dit ainsi que le président américain souhaite dans la foulée, imposer des contraintes fonctionnelles aux organismes bancaires, leur interdire notamment toute activité de spéculation sur les marchés. Il voudrait également alourdir la charge fiscale, en créant une curieuse «
taxe de responsabilité dans la crise financière ».
Il convient donc de se garder de tout enthousiasme prématuré. Mais l'espoir est quand même permis...