Il
était l'incarnation idéale de l'entrepreneur. Selon la conception
libérale naturellement. Marchand autant qu'inventeur. Créateur
autant que décideur. Magicien autant que gestionnaire.
Un
chef d'entreprise et un self-made man comme seule l'Amérique sut et
sait encore en produire tant.
Alors
que l'Occident vacille sur ses bases, qu'il perd la foi en ses
valeurs et semble s'abandonner à un défaitisme et une frilosité
paralysantes, sa figure tutélaire de commandeur jette en disparaissant, une
clarté quelque peu irréelle sur ce monde crépusculaire.
Luttant
contre la fatalité qui se mit plusieurs fois en travers de son
chemin, il sut tirer parti de ses échecs et de ses infortunes,
donnant par son énergie et sa soif d'innovation, une signification lumineuse au fameux
concept schumpeterien de destruction créatrice.
Renaissant
sans cesse de ses cendres, ce Phénix à l'allure si austère, si
énigmatique, fut un révolutionnaire au sens le plus noble du terme.
Il administra la preuve éclatante que le génie individuel peut
prendre le pas sur l'adversité, sur toutes les administrations, tous les mastodontes organisationnels, toutes les planifications, tous les dogmes, et qu'il peut changer en mieux le monde. Il
montra qu'il ne faut avoir aucune crainte à produire des richesses
pourvu qu'elles s'inscrivent dans un but louable, qu'elles aient
quelque utilité et qu'elles rendent plus douce la vie.
En
faisant le pari insensé que l'ordinateur, qu'on imaginait réservé
aux administrations et à la bureaucratie, serait l'outil individuel
par excellence et un formidable moyen d'émancipation et de
communication, il ébranla sérieusement le mythe grimaçant de Big
Brother.
Steve
Jobs enchanta le quotidien de millions de personnes qui sont des êtres
humains avant d'être des consommateurs. Mieux, il parvint à
susciter du désir et à faire rêver, avec de froides machines. Au
passage il démontra avec brio qu'en matière économique,
contrairement à une opinion répandue, l'offre
précède souvent la demande ("Ce n'est pas le rôle du client
de savoir ce qu'il veut" confia-t-il malicieusement au
moment du lancement de l'Ipad). Il prouva également qu'on peut être
compétitif en misant sur la qualité et la séduction plutôt que
sur la productivité et les bas prix. Bref, comme beaucoup d'hommes
d'action, il fit mentir les théories.
Certes,
parvenu aux cimes de son art et au sommet de sa puissance, il fut
rattrapé par les inconvénients du gigantisme, et eut une certaine
propension à se satisfaire de la position dominante qu'il était
presque parvenu à acquérir, à céder à la tentation du monopole.
Commerçant génial, il eut tendance en usant de procédés discutables, à vouloir rendre captive la clientèle qu'il avait conquise.
Mais,
tout bien pesé, le "pour" l'emporte largement dans cette destinée
hors du commun. Il avait le plus beau nom qui soit pour un
entrepreneur générateur d'emplois. Fasse le ciel qu'il perdure comme le symbole d'une
société décidée à rester ouverte, en quête perpétuelle de
progrès, de bonheur et de désir.
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