12 juillet 2025

Chestov, augure inspiré 2

Non content de nier la réalité, d'être l'ennemi de la liberté sous toutes ses formes, et de se complaire dans une paresse idéologique, le rendant inapte à tout sauf à berner les gogos, le bolchévisme est selon Chestov une tyrannie des plus bornées et rétrogrades. Il emprunte ce qu'il y a de pire dans tous les fléaux totalitaires qui ont marqué de leur funeste empreinte l'histoire de l'Humanité :

Révolution dans les principes mais conservatisme dans le centralisme étatique
Chestov affirme que si le Bolchévisme se prétend progressiste en idées, c'est “un mouvement profondément réactionnaire qui a décidé de rester fidèle entièrement et complètement aux errements de la vieille bureaucratie russe.”
“Les Bolcheviks sont convaincus que quiconque n’est pas fonctionnaire est dangereux pour l’État et persécutent de toutes façons ceux qui ne sont pas à son service : on les accable de contributions, on les prive de cartes d’alimentation, on les mobilise pour l’armée, etc.”

Un impérialisme dévastateur
Même après la faillite de leur politique, les Bolchéviks idéologues possèdent encore, dit Chestov, un argument : le dernier. « Oui, disent-ils, nous n’avons rien pu donner aux ouvriers et paysans russes, et nous avons ruiné la Russie. Mais il ne pouvait en être autrement. La Russie est un pays trop arriéré, les Russes sont trop incultes pour adopter nos idées. Mais il ne s’agit ni de la Russie ni des Russes. Notre tâche est plus large : nous devons faire sauter l’Occident, détruire l’esprit petit bourgeois de l’Europe et de l’Amérique, et nous entretiendrons l’incendie en Russie jusqu’au moment où le feu aura embrasé nos voisins et de là sera répandu sur l’univers tout entier. C’est là notre plus haute tâche, c’est là notre rêve suprême. Nous donnerons à l’Europe des idées. L’Europe nous donnera sa technique, son savoir-faire, son don d’organisation, etc…”
“En Russie, les hommes très jeunes mais pas très intelligents prédisent avec assurance que le bolchévisme se répandra à travers le monde entier.”

Un totalitarisme fait pour durer
Chestov n'avait guère de doute quant à l'irréversibilité du régime qui se mettait en place sous ses yeux dans la violence. Selon lui, dès le début de la révolution, “pour quiconque était tant soit peu clairvoyant, apparurent d'un seul coup l’essence même du bolchévisme et son avenir.”
"Ceux qui étaient un peu plus âgés ou un peu plus intelligents se trompaient toujours dans leurs prévisions. Ils croyaient que la Russie ne resterait pas longtemps sous la domination des Bolchéviks, que le peuple se soulèverait, qu’à la première apparition d’une armée plus ou moins organisée les armées bolchévistes fondraient comme la neige au soleil. La réalité a démenti les prévisions des hommes intelligents et expérimentés.”
Sans illusion, Chestov achève toutefois son analyse sur des questions, peut-être ouvertes sur une confuse espérance :
“Combien de temps peut-on vivre ainsi ? Combien de temps la Russie peut-elle nourrir les Bolchéviks ? Je ne saurais le dire. Peut-être le degré de patience et la capacité de soumission de notre patrie tromperont-t-ils tous nos calculs…”

Il fallut 70 ans pour que ce cauchemar cesse enfin. Hélas, l'illusion du socialisme n'a pas pour autant quitté les esprits. Après d'innombrables expériences, toutes aussi calamiteuses, causant massacres, servitude et paupérisation, le mythe égalitariste est toujours vivace. Lorsqu'on entend M. Mélenchon et ses acolytes, mais aussi les Écologistes doctrinaires et tous ceux qui osent encore se réclamer du socialisme, on croit entendre les échos lugubres du drame qu'évoquait en Russie il y a plus d'un siècle Léon Chestov…

Le bolchévisme comme expression, parmi d'autres, de la folie des hommes
Évoquant le désastre de la Première Guerre mondiale, Chestov ne cache pas son désespoir : “Il reste devant nous un fait incontestable, à savoir qu’en 1914 les hommes ont perdu la raison. Peut-être le Seigneur en courroux a-t-il confondu les langues ; peut-être y avait-il des causes naturelles, mais, d’une façon ou d'une autre, des hommes, les hommes cultivés du XXe siècle, ont, sans aucun motif, attiré sur eux-mêmes des calamités inouïes. Les monarques ont tué la monarchie, les démocrates ont tué la démocratie ; en Russie, les socialistes et les révolutionnaires tuent, et ont déjà presque tué, et le socialisme et la révolution.”

(suite d'un précédent billet)

11 juillet 2025

Chestov, augure inspiré 1

En 2025, le communisme vit toujours de beaux jours en France. Il continue envers et contre tout de disperser à tous vents ses leçons vérolées, disposant non seulement d’un parti ayant pignon sur rue, mais de puissants relais médiatiques, Humanité et Libération en tête, quasi exclusivement subventionnés par l’impôt. Pire, les néo bolchéviques de La France (prétendue) Insoumise (LFI) appellent impunément à une révolution violente, et pratiquent un antisémitisme arrogant à des fins électoralistes sordides.
Sous l’influence de ces crécelles grinçantes et opiniâtres se réclamant peu ou prou du socialisme, l’égalitarisme fait rage, et la liberté d’expression est toujours plus contrainte. Le paquebot France s’enfonce doucement dans le collectivisme, mais pour l’heure, il reste encore à flot. Notre pays serait-il le seul où le communisme a réussi comme le prétendait, non sans humour, Mikhail Gorbatchev (1931-2022) ?
Pourtant, pour celui qui veut voir la réalité abjecte du socialisme, il y a mille façons de faire. L'une d'elles est de lire le petit ouvrage visionnaire, qu'écrivit Léon Chestov (1866-1938) : Qu'est-ce que le Bolchévisme ?.

Natif de Kiev, cet intellectuel russe était dans sa jeunesse acquis aux idées socialistes et notamment aux principes du marxisme. Pour preuve, en 1889, la censure refusa la soutenance de sa thèse de doctorat, consacrée à la législation ouvrière, au contenu qualifié de révolutionnaire.
Il vécut dans sa chair la Révolution de 1917 dans les prémices de laquelle il perdit son fils Sergueï Listopadov, au combat.
Dégoûté de la tournure que prenaient les événements et aspirant à une carrière d'écrivain et de philosophe, il émigra en Europe et s'établit à Paris, non sans avoir dit tout ce qu'il savait de l'aventure bolchévique.
Écrit en 1920 mais jamais réédité en français avant 2015 (!), “Qu'est-ce que le bolchévisme” est un témoignage édifiant qui disait déjà tout de l'horreur du régime communiste qui allait se mettre en place sous l'impulsion de révolutionnaires très minoritaires mais totalement déterminés.
Le plus simple sans doute, pour s'en faire une idée, est de citer quelques extraits de l'ouvrage dont l'introduction se fait sans détour : “Parler calmement de ce qui se passe à l’heure actuelle en Russie est difficile ou même impossible. Quant à en parler impartialement, j’y parviendrai peut-être…/… Ce qui se passe en Russie est pire que la guerre. Là-bas, des hommes tuent, non seulement des hommes, mais leur pays, sans même soupçonner ce qu’ils font.”
Cela conduit l’auteur un peu plus loin à affirmer que “si le régime de Nicolas Ier, comme celui de la majorité de ses prédécesseurs et de ses successeurs, mérite en toute justice le nom de despotisme ignorant, c’est avec plus de justice encore qu’on peut caractériser par ce mot le régime des Bolchéviks”.

S'ensuivent alors toute une série d'appréciations qui témoignent d’un sens aigu de l’observation de ce que recouvrait cette aventure socialiste, dont la nature perverse mettra tant de temps à apparaître au grand jour.
On peut décliner ces constats en grandes thématiques :

Le refus de la réalité
Selon Chestov, le primum movens du bolchévisme, entendu comme avatar révolutionnaire du socialisme, c'est le refus du monde tel qu'il est au profit d'un monde tel qu'on voudrait qu'il soit. “Si étrange que ce soit, les Bolchéviks, fervents du matérialisme, apparaissent en réalité comme les idéalistes les plus naïfs. Pour eux, les conditions réelles de la vie humaine n’existent pas. Ils sont convaincus que le verbe possède une puissance surnaturelle.”
Si cela s'apparente au départ à une lubie bien intentionnée, un rêve ou une utopie, la réalisation vire très vite à la calamité.

La haine de la liberté
Pour s'implanter, l'idéologie radicale des Bolchéviks se heurte à des oppositions virulentes qu'ils cherchent à faire taire quitte à recourir à la contrainte et bien vite à la dictature. “Le mot liberté devient pour eux le mot le plus haïssable.”
Pour eux, c’est radical, l’alternance n’est pas envisageable, pas plus que les élections : “Un gouvernement, un pouvoir fort, c’est ce qu’il faut au peuple pour son bien, et moins on consultera le peuple, plus grand et plus solide sera son bonheur.”
“Sous les tsars on s’exprimait dans ce que nous appelions la langue d’Ésope, mais l’on pouvait tout de même parler sans risquer la liberté et même la vie. Quant à se taire, cela n’était défendu à personne. Maintenant il est défendu même de se taire.”

Une idéologie stérile et perverse
Le constat fait par Chestov est implacable : “le bolchévisme n’a rien su créer et il ne crée rien.”
L'essentiel de son programme repose sur la culpabilisation de tous ceux qui possèdent quelque richesse, conduisant rapidement à l’abolition de la propriété privée et à la collectivisation des biens par l’État.
La conséquence quasi immédiate est l’inversion des valeurs et la généralisation de la cupidité. “Possédera celui qui aura pris, et l’on prenait sans la moindre gêne. Le pillage était suivi d’assassinats et de supplices.”
De fait, “peu de gens songeaient à travailler. À quoi bon se livrer à un travail pénible, quand il est si facile de s’enrichir sans peine ?”
Mais “si l’ouvrier ne veut pas donner son travail, ni le paysan son pain”, comment faire ?
“Il ne reste qu’une seule issue : il doit y avoir, d’un côté, des classes privilégiées qui ne travaillent pas et forcent les autres par des mesures terribles, impitoyables à travailler au-dessus de leurs forces, et, de l’autre, des hommes sans privilèges, sans droits, qui, sans épargner leur santé et même leur vie, doivent fournir leur travail au profit du tout.”
“Il va sans dire que Marx ne reconnaîtrait pas ses disciples ni ses partisans dans les hommes qui ont formulé un tel programme…”

A suivre…

04 juillet 2025

Tangled Up In Blue

Derrière le personnage célébrissime, derrière ses chansons qui ont fait le tour du monde, se cache un autre Bob Dylan, plus discret mais non moins actif. Un homme éclectique en somme, qui pratique ses violons d'Ingres loin des feux de la rampe, avec humilité dans une paisible rusticité.
Il est peintre à ses heures perdues, sans doute avec moins de génie qu'en musique, mais avec une patte originale mêlant expressionnisme et modernité. Chacun jugera…
Il sait également se faire ouvrier ferronnier, maniant le chalumeau avec un certain talent. On lui doit quelques œuvres élégantes en fer, forgé à partir de pièces de récupération, avec une prédilection pour des vieux outils. Des sortes de portails finement ouvragés témoignent de l’imagination débridée de l'artiste, et ouvrent la porte si l'on peut dire à une autre passion : celle du whisky !
Depuis quelques années il s'est mis en tête, en amateur éclairé autant qu'exigeant, de promouvoir l'élaboration de breuvages d'exception. Du whiskey américain en l'occurrence, élevé dans le Tennessee où il a participé en 2018 à la mise sur pied d'une distillerie artisanale avec un but simple : créer des alcools "qui racontent une histoire”.
Entre autres contributions, ses grilles décoratives servent d'illustrations aux bouteilles emblématiques du whiskey Heaven's Door.
Avec ses coreligionnaires, il a retenu le titre d'une de ses chansons, dont les mots ne sont pas trop forts pour qualifier des nectars qui donnent en passant dans le gosier un avant-goût de paradis.
Contrairement au Bourbon classique élaboré dans le Kentucky à base de maïs, l'un des flacons est réalisé exclusivement avec du seigle (rye) maturé dans des fûts en chêne des Vosges. Il peut se boire à ce titre naturellement mais il sert également de composant, avec la déclinaison straight, au Double Barrel, probable sommet de l'appellation.
Pour tout amateur de ce genre de production, y goûter c'est se laisser prendre au jeu, subtil et délicieux pour peu qu'on évite bien sûr d'en abuser. La souplesse et l'onctuosité du liquide ambré n'ont d'égale que la puissance explosive de ses arômes lorsqu'ils viennent caresser le palais. C'est riche en saveurs où chacun trouvera ce qui lui plaît (caramel, miel, chêne grillé, vanille ,cannelle, épices,), et long en bouche comme le plaisir qui descend tandis que l'ivresse monte…
Ces sensations renvoient assez loin celles qu'on peut avoir avec les pourtant excellents Jack Daniels, BuIleit et même Woodford (elles sont également plus onéreuses…).


Rien de tel qu'un verre de cette petite mort pour accompagner le blues. Une fois n'est pas coutume, ce ne sera pas celui de Dylan aujourd'hui. Mais celui, hypersensible et fondant de Peter Green, à l'écoute notamment du recueil Man of the World. On y trouve le meilleur de ce qu'a produit l'artiste, après l'aventure Fleetwood Mac et avant celle du Splinter Group. Ce brit blues déborde de tendresse et d'émotion révélant la fragilité d'âme de celui qui évoqua l'albatros avec des riffs aériens déchirants. Cette période fut très tourmentée, avec plus de bas que de hauts, mais il en est sorti quelques magnifiques perles rassemblées dans ce double disque paru en 2014.


Pourquoi ne pas poursuivre avec Keziah Jones. Le style très personnel incarné depuis une bonne trentaine d'années par ce musicien à la silhouette efflanquée et au déhanchement quasi reptilien, est devenu un genre à part entière : le Blufunk. Il l'a revisité au cours de sessions torrides captées tout récemment dans l'intimité de son studio nigérian, à Lagos. La recette reste bien sûr la même, fondée sur des rythmiques syncopées frappées frénétiquement à même les cordes de la guitare, assorties de mélodies envoûtantes à la scansion accrocheuse. Il se déteste de quelques réinterprétations de ses propres standards (le fameux rhythm is love, Beautiful Emilie, Hello Heavenly, The Funderlying Undermentals). On trouve également une reprise très animale du The bed’s Too Big Without You de Police, et deux nouvelles compositions au balancement plus sensuel et un brin nostalgique (Melissa, Rainy Saturday).


Pour finir, on peut se délasser les méninges avec le mix blues de Michael Kiwanuka. Au choix parmi les quatre albums qui sont venus affirmer depuis 2012 un groove sensuel aux itérations rythmiques très afro, distillant au fil d'une voix chaude à la fois veloutée et granuleuse des mélodies à fleur de peau. C’est pop, parfois très seventies, planant comme du Floyd ou émaillé de sonorités plus kravitziennes.
Le premier album reste à ce jour le plus prometteur distillant des ballades mélancoliques très prenantes (Home Again). On pense à certains moments à Randy Newman (I Won’t Lie). On trouve quelques sonorités jazzy (Bones) beaucoup d'arpèges élégants à la guitare (Always Waiting) et des rythmes térébrants dont les accents exotiques rappellent qu'il est originaire d'Ouganda (comme le regretté Geoffrey Oryema).
Les trois albums suivants sont de la même veine. On peut toutefois regretter un certain manque de renouvellement dans l’inspiration et dans les arrangements. Ça reste agréable mais un tantinet langoureux et répétitif, noyé dans des orchestrations melliflues. La prise de son et les arrangements un peu trop démonstratifs, notamment dans le dernier opus bien nommé Small Changes, n’arrangent pas les choses.