25 juillet 2011

Ô Mânes d'Athènes et de Missolonghi

Il fut une époque où la Grèce était rayonnante. Ce passé bien lointain servit de berceau à la grande idée démocratique.
Portée par la puissance souveraine de la Ligue de Délos, elle culmina dans ce qu'il est convenu d'appeler le siècle de Périclès. Malheureusement, cette ère porteuse de progrès et d'espoir, s'effrita tragiquement dans la calamiteuse guerre du Péloponnèse. Celle-ci déchira la belle unité attique, et plongea le monde dans des siècles d'obscurantisme, peuplés de monarchies rétrogrades et de nationalismes chauvins.
Après une longue errance, l'idéal de liberté et le paradigme de société ouverte revinrent heureusement par une nouvelle Athènes, sise cette fois sur les rives occidentales de l'Atlantique. En 1789, tandis que quelques sans-culotte décérébrés se livraient à d'affligeantes exactions dans Paris, 13 états libérés de la tutelle britannique, fédérés à la manière des cités égéennes, promulguaient la Constitution des Etats-Unis d'Amérique, pour "au moins mille ans", selon le voeu du poète Walt Whitman.
En quelques deux siècles, ce nouveau phare apporta la lumière de l'émancipation à de nombreuses nations, même si à l'Est, un rideau de fer refusa longtemps de la laisser passer, enfermant des millions d'êtres humains dans le plus effroyable des totalitarismes.
Aujourd'hui, tandis que le Monde semble enfin finir de s'ouvrir dans une grande déflagration, tandis que des peuples trop longtemps opprimés se réveillent au soleil de la liberté, d'autres semblent paradoxalement s'enfoncer dans une tiède pénombre crépusculaire.
L'Occident des Lumières est-il en train de s'évanouir dans l'émolliente certitude de la prospérité, de la facilité, et des avantages acquis ?
Par excès de confiance en soi, a-t-il surestimé ses forces ? Est-il en train de tuer la poule aux oeufs d'or d'un modèle auquel il ne semble plus croire, ni être vraiment attaché ?

Devenue fille, un peu frivole, de l'Europe, la Grèce moderne, qui conservait dans ses ruines incandescentes le souvenir d'une épopée glorieuse, incarne aujourd'hui avec une cruelle acuité ce mou désastre contemporain. Cigale de l'Europe, elle apparaît tout à coup exsangue et sans ressort. Et le Parthenon lui-même semble un vestige insignifiant, tout juste digne d'illustrer les cartes postales. Sans âme et à la merci paraît-il des nouveaux prédateurs de la Finance Internationale.

Pourtant la Grèce fut, il n'y a pas si longtemps, menacée d'anéantissement par des périls plus terribles. Entre 1822 et 1830, elle sut trouver sur l'emblématique champ de bataille de Missolonghi, l'énergie du désespoir pour gagner son indépendance. Des poètes fameux, mêlant audace et lyrisme accoururent pour la secourir, en souvenir de son magnifique passé. Lord Byron (1788-1824) y perdit même la vie. L'Europe émue apporta comme un seul homme son aide désintéressée. Et la Grèce, pour un temps, redevint la Grèce...

Aujourd'hui l'Histoire se répète, même si le fracas des armes a laissé place aux turbulences monétaires.
La Grèce contemporaine saura-t-elle résister aux nouveaux démons qui menacent à nouveau son intégrité ?
Sans doute, à condition qu'elle affronte l'ennemi là où il est, et qu'elle le combatte avec autant de courage et de détermination qu'au moment du siège de Missolonghi.
Cette fois les vrais ennemis sont en elle. Et ils sont dans la place depuis longtemps, comme les métastases rampantes d'un mal invisible, minant la société dans son ensemble. La laxité des principes, la pléthore bureaucratique, la démagogie ruisselante, l'abandon progressif des vraies libertés minent les fondations d'un système qui se fissure dangereusement. La dette publique, accumulée avec insouciance, masquée par lâcheté, sous-estimée pour ne pas déplaire au peuple, a envahi toutes les institutions, le coeur même de la nation, qui risque de s'étioler irrémédiablement.

Hélas, beaucoup d'augures semblent atteints d'une étrange myopie par les temps qui courent. Ils voient autour de ce grand corps malade des signes qu'ils interprètent comme la cause du fléau, alors qu'ils n'en sont que la conséquence. Voudraient-ils donc nous faire croire que les vautours sont la cause des charniers au dessus desquels ils tournoient lugubrement ? Ou bien que les mouches sont responsables de l'agonie des mourants dont elles convoitent la chair afin de nourrir leur progéniture ?

Encore une fois l'Europe se presse au chevet du moribond. C'est la moindre des choses, mais elle-même est hélas contaminée largement par les mêmes pestes. Tous ses membres ressentent peu ou prou les mêmes symptômes. Médecins d'eux mêmes par la force des choses, ils proposent jusqu'à présent, en guise de remèdes, surtout des expédients, allant jusqu'à soigner le mal par le mal. 
L'aimable communauté veut éteindre la dette avec de la dette ! Elle prétend boucher un trou en approfondissant les autres .
C'est pourtant la tentative de la dernière chance nous dit-on. Nous n'avons "plus le droit à l'échec" clame Nicolas Sarkozy. Mais pourra-t-on sortir de cette spirale en se contentant de bonnes paroles et de cataplasmes lénifiants. Pourra-t-on guérir sans souffrir un peu, sans affronter la dureté des réalités, sans les dire comme elles s'imposent, sans faux-semblant, ni manoeuvre dilatoire ? Et in fine sans opter enfin pour une vraie fédération forte, unie et rigoureuse, gage de puissance et de prospérité. Le doute m'étreint.

Il n'y a pas de fatalité. A la fin de la seconde guerre mondiale, la Corée était un des pays les plus pauvres de la planète. Quelques décennies plus tard, même réduite d'une moitié elle figure parmi les plus dynamiques et florissantes, sans avoir abandonné son âme...
O mânes d'Athènes et de Missolonghi, donnez à la Grèce et aux Européens, l'énergie du désespoir et la force de revivifier l'avenir...

Illustration : La Grèce sur les ruines de Missolonghi par E. Delacroix

24 juillet 2011

Une voix perdue


Réédition du billet du 15/02/08


Ange vivant du Jazz, fine fleur du Blues, âme damnée de la Soul, Amy Winehouse est un peu tout cela en même temps.
Faisons le point : elle débarque d'un monde étrange, hallucinée, incertaine comme une comète inattendue, et des vapeurs black and blue flottent autour d'elle comme une aura scintillante.
Quel est ce mystère ? Elle est lumière et pourtant la lumière s'engloutit en elle.
De méchants papillons noirs se collent à sa peau imprimant sur ses bras décharnés, des tatouages bizarres.
Elle promène un peu hâbleuse, une dégaine improbable, à la fois très étudiée et très « laisser faire » : une silhouette efflanquée, presque titubante, enveloppée dans une robe en chiffon d'où sortent deux cannes fuselées, longues comme l'attente des jours heureux.
Ses cheveux sont un torrent dégringolant d'un obscur tumulus, et ses yeux tirés vers ce chignon catastrophique, forment en se prolongeant indéfiniment, des sortes d'hyperboles narquoises, outrancières.
Elle se déhanche sur scène avec une allure étrange, mariant le mauvais goût sublime à une grâce délicieusement obscène.
Mais quand elle se met à chanter, le regard perdu dans le vide, sa voix qui s'élève aiguë et déchirante, chaude comme une braise, agit sur la foule à la manière d'un baume souverain. Back to black. Le charme opère immédiatement, et la mélodie en retombant sur les têtes est comme une pluie brillante dont chacun cherche à s'imprégner goulûment.
Derrière elle, l'orchestre est un velours idéal. Sa rythmique limpide et cuivrée, noyée dans un écrin de couleurs chatoyantes, aplanit toute angoisse et se fond avec le chant pour transformer la souffrance en beauté pure. La réalité s'efface et cette indicible présence devient une évidence obsédante. On ne s'en détache qu'à grand peine.

Pauvre ange, tiendras-tu longtemps en équilibre, ainsi juchée si haut, dans de si périlleuses sphères ? Sauras-tu prolonger ces extases en dominant ton être qui paraît si fragile et instable ?
C'est l'espoir un peu fou qui s'insinue en soi dès que les feux de la rampe s'éteignent et qu'on se retrouve seul et stupide, face à la trivialité du monde...
DVD : Live in London. 2007

19 juillet 2011

Jour de fête

L'épisode pourrait prêter à rire. Peut-être restera-t-il dans les annales politiques françaises, tant il est grotesque et déconnecté des réalités.
La contestation soudaine du bien fondé des festivités militaires du 14 juillet par Eva Joly, candidate fraîchement désignée par la nébuleuse écologiste à l'élection présidentielle (Europe Ecologie Les Verts), est si l'on peut dire "la cerise sur le gâteau" du consternant débat politique actuel.
La polémique qui s'en est suivie est révélatrice de l'absurdité de l'époque. Le fait que le premier Ministre ait cru bon de réagir à une telle ineptie est déjà un sujet d'étonnement, bien que ses propos au demeurant, n'avaient assurément rien de choquant ni d'incongru. C'est vraiment méconnaître en profondeur l'esprit français que de remettre en cause le 14 juillet, symbole s'il en est, d'une nation imprégnée autant du mythe révolutionnaire que du culte des traditions.
En rétorquant à François Fillon qu'elle connaît ce pays puisqu'elle y vit "depuis 50 ans", madame Joly n'arrange pas son cas, car non seulement elle ne convainc pas ("le temps n'fait rien à l'affaire" disait Brassens...), mais elle révèle pour ceux qui ne s'en seraient pas aperçu, qu'elle n'est pas une candidate de première fraîcheur. Mais peu importe, car il y a vraiment peu de risques qu'elle accède à la magistrature suprême.
S'agissant des Socialistes, ils ont une fois de plus raflé haut a main, la palme de l'imbécillité arrogante. Alors qu'ils désapprouvaient à l'évidence peu ou prou la suggestion évanescente, ils se sont crus obligés de se livrer à une affligeante charge contre le chef du gouvernement, accusé selon les mots de Martine Aubry de "bafouer les fondements et les valeurs de notre République". Non contente de cette énormité, cette dernière surenchérit même en affirmant que "si elle avait été présidente, elle aurait demandé au premier ministre de partir". De son côté le décidément très versatile Manuel Valls s'insurgeait contre des propos qui "puent la xénophobie..."
Faut-il que ces gens soient dépassés et totalement dépourvus de perspectives, pour focaliser leur "indignation" sur de telles peccadilles, tandis que tant d’événements graves secouent le quotidien !

Quant à la fête nationale, peuplée de drapeaux et de cocardes, de défilés martiaux, de bals populaires et de feux d'artifice, que signifie-t-elle au fond ? On ne sait pas même ce que ce jour commémore. De toute façon, qu'il s'agisse de la prise de la Bastille, marquant le début d'une sanglante anarchie, ou bien de l'insignifiante fête de la Fédération, il est bien difficile d'y voir quoi que ce soit de fondateur. La France n'a pas commencé en 1789 que diable. Faut-il ajouter qu'en à peine plus de deux siècles, malgré pas moins de 4 révolutions, 2 retours à la royauté, 2 empires, et 5 républiques, elle n'a toujours pas trouvé satisfaction ! Y a-t-il vraiment dans cette succession, de quoi être fier ?

12 juillet 2011

Crise : de Charybde en Scylla


Le dernier vol de la navette spatiale américaine s'inscrit dans l'actualité comme une sorte de majestueux point d'orgue, au terme d'une époque d'aventures, de conquêtes et de rêves. Mais son panache de fumée blanche prend aussi en quelque sorte la forme d'un gigantesque point d'interrogation sur l'avenir.
La Crise économique n'en finit pas d'empoisonner depuis quelques années maintenant le cours du Monde. Et en dépit d'embellies passagères, les perspectives restent plutôt sombres, hélas.

Les Etats-Unis sont dans une situation critique. Si une solution n'est pas trouvée avant le mois d'août prochain, l'Etat Fédéral ne pourra plus emprunter, et certains services publics pourraient cesser de fonctionner...
Il faut dire que la dette, galopante, vient de dépasser à ce jour la somme astronomique de 14.000 milliards de dollars, avoisinant la valeur du PIB, et que rien ne semble pouvoir enrayer sa progression vertigineuse. La politique de relance massive d'inspiration keynésienne entreprise par le président Obama a littéralement fait exploser les dépenses publiques. Alors que leur niveau se situait déjà depuis plusieurs années en dessus de celui des recettes, les courbes s'écartent de plus en plus.
Pour l'heure, le système de contre-pouvoirs dont est doté le pays réagit abruptement, et l'opposition républicaine, forte de sa majorité à la Chambre des Représentants interdit purement et simplement toute dépense supplémentaire, en l'absence d'un vrai programme d'économies de la part du gouvernement fédéral.
Déjà dans le Minnesota l'impasse budgétaire manifeste ses premiers effets : certaines administrations sont fermées et des fonctionnaires ne sont plus payés (Economist).

En Europe, la situation n'est pas meilleure. C'est même un inexorable tourbillon qui semble devoir entraîner vers l'abîme, les unes après les autres toutes les économies. Alors que le problème grec est loin d'être résolu, l'incendie continue de se propager. Irlande, Portugal, Espagne et maintenant Italie donnent d'inquiétants signes de faiblesse. Avec 1900 milliards d'euros d'endettement, ce qui représente 120% du PIB, cette dernière est en passe d'ajouter un nouveau fardeau, peut-être insupportable, à la Communauté Européenne. La capacité de remboursement de l'Etat est quasi dépassée (le gouvernement italien ne projetait cette année de combler le gouffre, qu'à hauteur de 80 petits milliards d'euros). Corollaire inéluctable, la confiance est en train de s'effriter...
Les plans de sauvetage se suivent, mais la valse des milliards d'euros semble vaine dans un tel chaos. Aucun pays n'étant excédentaire à ce jour, ces ressources sont d'ailleurs virtuelles et ne font au mieux que répartir la charge, qui plombe non seulement le présent, mais plus encore, l'avenir.
On voit mal comment pourrait s'améliorer le sort de notre pays dans un tel contexte, sachant qu'à ce jour sa dette est de plus 1600 milliards d'euros, soit 84% du PIB, et que loin de diminuer elle ne cesse de grimper à la vitesse du déficit budgétaire, qui se situe autour de 7% du PIB, largement au dessus des 3% autorisés par le traité de Maastricht. Facteur aggravant, le déficit commercial ne cesse de s'approfondir et atteindra probablement 70 milliards d'euros en 2011.

En Europe, et notamment en France, il n'y a guère de contre pouvoir. Aux Etats-Unis, Barack Obama est en train de revenir à plus de réalisme, au risque de manger le chapeau de ses mirobolantes promesses.
Au contraire chez nous, depuis le début de la crise, le seul son de cloche qu'on entende est celui qui préconise l'augmentation indéfinie des dépenses publiques et la mise en œuvre de coûteux plans de relance, de "grands emprunts", avec pour faire "bonne mesure", des pluies de taxations nouvelles. Même un gouvernement taxé d'ultra-libéralisme comme celui de Nicolas Sarkozy, se range avec fatalisme à ces credo. Non content de ce navrant conformisme, il ajoute sans cesse de nouvelles mesures sociales compassionnelles. Entre autres, le fameux revenu de solidarité active (RSA), aussi chimérique que le défunt RMI mais encore plus compliqué et ruineux ; l'ineffable prime que les entreprises de plus de 50 salariés auront l'obligation de verser à leurs employés, le train de mesures destinées à contraindre un peu plus l'industrie pharmaceutique, en punition de l'affaire du Mediator...
Non seulement ces ersatz démagogiques pénalisent le dynamisme et font flamber la dette, mais ils s'avèrent assez remarquablement inefficaces sur les causes mêmes du problème, et donc sur ses conséquences. Les difficultés sociales sont inchangées voire aggravées, le chômage reste à un haut niveau, la croissance est toujours en berne, et pour couronner le tout les Gouvernants ne font que récolter l'impopularité !
Peut-être est-ce en partie parce qu'il apparaît clairement qu'ils ne croient pas eux-mêmes à leur politique de gribouille. Par exemple, tout en vantant le vertueux projet sur lequel le gouvernement est en train de plancher, consistant à plafonner les hauts salaires, M. Bertrand avoue qu'il ne répond à aucun impératif pratique. Dans le Figaro du 27/06, il a expliqué qu'il s'agissait d'une "question de principe", dans la mesure où "ce n'est pas parce que vous donnerez moins aux grands patrons, que vous donnerez plus aux petits salariés..." CQFD.
 
Plus grave encore, alors qu'on entendait réclamer davantage de régulations et de contrôles, les pouvoirs Publics fulminent contre les Agences de Notation qui sanctionnent sans état d'âme les dérives budgétaires. Alors que la note du Portugal vient encore d'être abaissée, on assiste à un vrai tollé (Figaro 11/07). Comme le titre de son côté Le Monde, "Bruxelles veut interdire les notations de pays bénéficiant d'un plan d'aide". 
En première ligne de cette rébellion, notre nouveau ministre de l'économie François Baroin, déclare que "Ce n'est pas le regard d'une agence de notation qui va régler l'affaire de la tension des dettes souveraines et de la crise budgétaire" .
Pourtant, ces agences ne font qu'un diagnostic et par expérience, si elles risquent de pêcher, ce serait plutôt par faiblesse que par excès de sévérité. Autant casser le thermomètre lorsque la fièvre résiste au traitement...

Force est de constater comme le faisait le président Reagan, que le problème c'est donc bien l'Etat...
D'ailleurs face à cette incurie, et en dépit de taxations quasi confiscatoires, et de contraintes réglementaires ubuesques, les entreprises se portent plutôt bien. Les banques ont effacé leurs dettes, l'industrie automobile fait des bénéfices. La production industrielle a progressé de 2% en mai, après une stagnation en avril, selon l'Insee. La quasi-totalité des secteurs sont en hausse.
Il ne faudrait peut-être pas grand chose pour inverser la tendance. Juste inverser les mentalités...

06 juillet 2011

l'ouverture du Monde II

S'agissant du marché de l'emploi, la mondialisation ne doit pas être considérée, comme irrémédiablement néfaste. Si les pays occidentaux traversent des difficultés conjoncturelles, le solde général à l'échelle de la planète est largement positif, eu égard au boom que connaissent nombre de pays émergents.
Il ne s'agit rien de moins que du principe des vases communicants, qui à la faveur de l'ouverture des frontières, s'exerce logiquement au profit de nations capables de fournir en abondance une main d'oeuvre bon marché. Dans cette nouvelle forme de compétition, les pays développés, comme le remarque judicieusement Thomas Friedman, ont tout intérêt à privilégier les emplois hautement qualifiés, et donc un haut niveau d'éducation et de formation professionnelle.
Au lieu de ça, nombre de pays dont la France, semblent s'abandonner à un marasme inquiétant. Le désastre de l'Education Nationale concerne une frange de plus en plus nombreuse de la population qu'elle laisse par une étrange résignation, littéralement à l'abandon. Parallèlement la Recherche et l'Innovation patinent, tant dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, la foi dans le mythe de l'Etat omnipotent s'impose, au détriment des initiatives privées.
A ce sujet Friedman évoque ce qu'il appelle un peu bizarrement le coefficient de platitude: "Moins une nation ou une entreprise a de ressources naturelles, plus elle recourt à l'innovation pour survivre". Il faut reconnaître qu'appliqué à la plupart des pays européens qui ne disposent ni de gisements d'emplois facilement mobilisables, ni d'abondantes ressources naturelles, le concept fait mouche...

Comme l'avait prévu Schumpeter (1883-1950) dans ses sombres prévisions concernant le capitalisme, ces phénomènes sont aggravés, par le poids croissant que font peser les acquis sociaux dans les pays riches. Plombés par un droit du travail et des législations de plus en plus contraignants, asphyxiés par des systèmes de taxation étouffants et une dette étatique bientôt incommensurable, leur dynamisme s'essouffle inexorablement. Avec raison Friedman déplore "la sur-réglementation [qui] s'avère néfaste pour les gens qu'elle est censée protéger, et ouvre la porte à la corruption des bureaucrates"
Au lieu de faire preuve de réactivité, la combativité face à la crise paraît s'émousser tandis qu'on sent monter une agressivité contre le reste du Monde. La morosité, voire une certaine tendance à la sinistrose font tache d'huile, attisées par des médias irresponsables. Une bonne partie de la population rechigne à voir fondre certains avantages que des politiciens sans scrupule leur ont présenté depuis des années comme définitifs.
Résultat, tandis que les plus fortunés, mais aussi les jeunes les plus hardis et déterminés préfèrent s'enfuir vers des contrées plus porteuses de perspectives d'avenir, on continue d'entretenir les mythes bien intentionnés des bienfaits d'une immigration incontrôlée, de la retraite à 60 ans, des 35 heures, de l'interdiction de licencier...
De ce point de vue, selon Friedman, les USA gardent encore quelques atouts (jugés paradoxalement avec sévérité en Europe), notamment le fait "qu'aucun pays ne protège mieux la propriété intellectuelle", et "qu'ils disposent d'une des législations les plus souples en matière de droit du travail. Plus il est facile de licencier dans un secteur en déclin, plus il est facile d'embaucher dans un secteur en plein essor..."

Face à la montée des périls Friedman soutient que le discours politique devrait vanter l'effort et le courage plutôt que les remèdes lénifiants et se référer à l'esprit pratique plutôt qu'au catalogue des vœux pieux.
Bien que son pays soit pour l'heure moins touché par les effets indésirables des mesures de "justice sociale" que la plupart des nations européennes, il constate toutefois avec amertume "qu'il y a bien longtemps que les dirigeants américains ne demandent plus aucun sacrifice à la population".
Pire, L'Amérique lui rappelle "le parcours classique de ces familles riches qui commencent à gaspiller leur fortune à la troisième génération" et il la compare à "un homme endormi sur un matelas gonflable qui se vide lentement de son air..."
Au sujet de l'Europe, il évoque le diagnostic inquiétant fait par Steven Pearlstein dans le Washington Post, sur le rideau du capitalisme qui la divise aujourd'hui : "d'un côté, l'espoir, l'optimisme, la liberté et la perspective d'une vie meilleure, de l'autre, la crainte, le pessimisme, une réglementation étouffante et l'impression que le bon vieux temps ne reviendra plus..."
A ceux qui croient encore à l'idéal socialiste, Friedman rappelle au passage que "le communisme excellait dans l'art de rendre tous les hommes également pauvres, alors que le capitalisme rend les hommes inégalement riches".

Il rappelle au passage quelques principes que n'auraient pas désavoués son homonyme Milton Friedman :
Par exemple au sujet des bulles spéculatives, il évoque Bill Gates qui faisait remarquer, que lors de la ruée vers l'or, "la vente de pics, de pioches, de jeans, et de chambres d'hôtel aux chercheurs a rapporté plus que l'or dégagé du sol." D'où il déduit que "les booms et les bulles peuvent être économiquement dangereux, ils peuvent entraîner la ruine de beaucoup de gens, mais ils peuvent aussi accélérer l'innovation." CQFD

Évoquant le pouvoir et la responsabilité souvent sous estimés des citoyens dans les régimes démocratiques, il avertit que "les partisans de la compassion doivent apprendre aux consommateurs que leur pouvoir d'achat est une force politique". Car toujours selon son opinion, "un chef d'entreprise pas plus qu'un délégué syndical ne peut promettre un emploi. Seul le client peut le faire..." Simple réminiscence en somme, du vieil adage qui stipule que "le Client est roi."

Toujours à propos de la responsabilité citoyenne, il introduit assez opportunément la notion de téléchargement vers l'amont qui constitue selon lui une vraie révolution, notamment sur Internet. Souvent négligé ou méprisé par les Pouvoirs Publics ou les Médias classiques usant et abusant de leur position dominante, il rassemble un nombre croissant d'initiatives dont les caractéristiques sont l'ouverture, la liberté et le partage d'informations et de connaissances. On peut citer entre autres, l'encyclopédie Wikipedia, le système d'exploitation Linux, le serveur Apache, les logiciels dits opensource comme la célèbre suite logicielle OpenOffice, et plus généralement les Blogs, les communautés de chercheurs, et bien sûr les réseaux sociaux, qui désormais, "permettent aux gens d'avoir leur mot à dire" et constituent "une sorte de cinquième pouvoir."
Ces outils évoluent à la vitesse de l'éclair et font que de plus en plus souvent, "les amateurs deviennent plus performants que des professionnels". Bien qu'ils ne soient évidemment pas dénués de danger, les bénéfices l'emportent largement notamment en matière de démocratie locale ou "participative", surtout si les responsables politiques parviennent à en tirer profit : "si un maire demandait à ses administrés de photographier chaque nid de poule, vous seriez étonnés par le résultat".

Fustigeant le mouvement anti-mondialisation, Friedman analyse avec justesse les causes qui mènent à cette rancœur destructrice, dont les anathèmes fleurissent un peu partout et dont on entend monter en un concert assourdissant la clameur revancharde.
Il cite notamment la mauvaise conscience suicidaire des sociétés occidentales, la poussée d'arrière-garde de la vieille gauche espérant ressusciter une certaine forme de socialisme, la protestation devant la vitesse des transformations et enfin last but not least, l'anti-américanisme.
Il affirme, à l'inverse des rengaines cent fois rabâchées, que "les pauvres du monde ne détestent pas les riches, contrairement à ce que voudraient faire croire les partis de gauche du monde développé. Ce qu'ils détestent c'est de ne pas pouvoir accéder à la richesse, de ne pas pouvoir rejoindre le monde plat et la classe moyenne."

Dommage qu'en terminant son ouvrage, comme pour rappeler son appartenance à la mouvance progressiste du New York Times, il se croit obligé de se délester d'un couplet puisé au même tonneau de remords et de mauvaise conscience que celui dont il s'est appliqué à dénoncer les effets pervers.
Ainsi, faisant une sorte de clin d'oeil à notre pays, il affirme benoîtement que "la Sécurité Sociale c'est de la bonne graisse à garder".
De même, après avoir vanté le rôle bénéfique des échanges marchands en matière de prospérité et de niveau de vie, il fait le constat désabusé que "le commerce crée des gagnants et des perdants" et qu'il faut donc chercher à mettre en œuvre "des mécanismes de compensation". Il propose même, sans préciser comment la financer, l'instauration d'une étrange "assurance salaire" destinée à combler le manque à gagner enduré lorsque, après avoir perdu son emploi (pour cause de délocalisation, restructuration...) on en retrouve un autre moins lucratif...
Au plan purement politique, bien que s'exprimant la plupart du temps comme un sympathisant du parti républicain, il donne à ses concitoyens le curieux conseil suivant : "Si vous voulez vivre comme un Républicain, votez comme un Démocrate".
Et pis que tout, il se laisse aller à la traditionnelle diatribe anti-Bush.
Après avoir consacré un chapitre aux dangers de l'islamo-fascisme, dénoncé la nature irrationnelle des rumeurs et prétendus complots propagés par l'internet, approuvé l'intervention en Irak en 2003, il prétend tout à coup que les "les USA ont cessé d'exporter l'espoir pour exporter la peur".
Et bien qu'il préconise in fine un programme politique proche de celui de George W. Bush, il lui donne le coup de pied de l'âne en affirmant "qu'il s'est servi des émotions du 11/09 pour imposer son programme concernant la fiscalité, l'environnement, les questions sociales... et divisé les américains entre eux, les a séparés du reste du monde, et coupé l'Amérique de sa propre identité..."

La Terre est Plate, qui part donc d'observations perspicaces pour en déduire un postulat douteux, s'achève en grotesque palinodie. Décidément rien n'est vraiment simple...

30 juin 2011

L'ouverture du Monde I

Le concept de mondialisation qui donne lieu à toutes sortes de fantasmes et de craintes suscite aussi des engouements inattendus. Pour preuve, le colossal succès de librairie de l'ouvrage de Thomas L. Friedman paru en 2005, qui en présente une interprétation enthousiaste.
Plus de 7 millions d'exemplaires vendus annonce la jaquette de "La Terre est Plate" !

A la lecture, ce pavé de 450 pages se révèle pourtant surabondant dans l'argumentation, faisant alterner des évidences, des longueurs, des répétitions ou des effets de style un peu ampoulés voire carrément plâtreux. On adhère par exemple moyennement à l'imposante rhétorique décrivant les dix forces qui auraient "aplati le monde" ou à "la triple convergence" qui sonne comme une lapalissade.

Pourtant ce fatras redondant recèle quelques observations bien senties, ou relevant du simple bon sens, qui méritent d'être soulignées. Car entre les défenseurs peu inspirés d'un cosmopolitisme laxiste, et les tenants d'un retour au nationalisme étriqué, une voie médiane existe.

Elle s'inscrit probablement mieux dans le modèle de la société ouverte abondamment décrit par Karl Popper (1902-1994), que dans l'aplatissement du monde décrit dans cet ouvrage.
Lorsque Friedman s'exclame : "Dans un monde plat on ne peut pas s'enfuir, on ne peut pas se cacher. Il faut être sage parce que toutes les erreurs que vous commettez finiront par pouvoir être révélées", comment ne pas être tenté de remplacer "plat" par "ouvert" ?

A condition d'accepter cette équivalence, nombre de constats paraissent pertinents.
Par exemple, dans un monde où tout se tient, où tout communique, la probabilité qu'un pays s'isole dans le totalitarisme est réduite. C'est dans ce contexte qu'on a vu s'effondrer irrémédiablement le glacis soviétique, qu'on voit peu à peu se dissoudre la vieille dictature maoïste en Chine, et qu'on assiste au démembrement des régimes autocratiques et fermés du Proche Orient.

Il y a beaucoup à espérer de la disparition des barrières.
Comme le remarque judicieusement Friedman, "La guerre Froide avait opposé de manière frontale Capitalisme et Communisme, …/... [mais] la chute du mur de Berlin a fait basculer l'équilibre des pouvoirs en faveur des gouvernements démocratiques au détriment des régimes autoritaires et en faveur de l'économie libérale au détriment de la planification centrale "
De même "Les Chinois dessinent sur ordinateur les maisons des Japonais, près de soixante-dix ans après l'occupation de la Chine par l'armée japonaise. Tous les espoirs sont permis dans notre monde plat (comprenez ouvert)..."

Outre l'effondrement des murailles, une des retombées les plus éblouissantes de l'ouverture du monde est le développement fabuleux des relations commerciales. Comme le constatait déjà Montesquieu, loin d'être néfastes, elles constituent en réalité le meilleur rempart contre les conflits armés et, force est de reconnaître qu’elles s’étiolent dès lors qu'ils surviennent.
Et pourquoi ne pas reconnaître qu'en matière de commerce, la dimension multinationale des entreprises est à bien des égards positive. "Autrefois ce qui était bon pour General Motors était bon pour l'Amérique. Aujourd'hui ce qui est bon pour Dell est bon pour la Malaisie, Taiwan, la Chine, l'Irlande, l'Inde..."
S'appuyant sur l'exemple des ordinateurs, dans la composition desquels nombre de sous traitants de divers pays sont impliqués, Friedman affirme que la "chaîne de l'approvisionnement" constitue un puissant facteur de prévention des conflits. Grâce à leurs relations commerciales, un Japon fort peut coexister pacifiquement avec une Chine forte.
De ce point de vue, il est même devenu vain de penser les grandes firmes en terme de nationalité : "Hewlett Packard est-elle une entreprise américaine si la majorité de ses employés et de ses clients se trouvent hors des USA, même si le siège social est installé à Palo Alto" ;

Friedman considère avec raison que le retour au protectionnisme, préconisé par un nombre croissant de voix, est une impasse. A l'inverse, en dépit de difficultés qu'il suscite entre pays de niveaux de vie trop éloignés, le libre échange est le meilleur garant de la prospérité générale.
Il est excessif de considérer comme tricheurs les pays profitant actuellement du déséquilibre qui joue en leur faveur. Tout comme il est inexact de radoter comme on l'entend si souvent que l'écart entre les pays pauvres et les pays riches ne cesse de s'accroître. Seuls végètent vraiment les nations encore soumises à des tyrannies hermétiques.
Peu à peu, les autres tendent vers un diapason universellement admis. 
Le 11 décembre 2001, la Chine a rejoint l'OMC et accepté ses règles, fait remarquer l'auteur. Quant à l'Inde, elle fait de même, et joue même le jeu de la démocratie. Depuis son indépendance en 1947, elle a connu des hauts des bas mais à ce jour, elle est "le pays le plus chanceux de la fin du XXè siècle." On pourrait citer également à l'appui de cette thèse, nombre de pays "émergents" d'Amérique du Sud ou d'Afrique.
D'une manière générale tout porte à croire que les salaires bas, et la médiocrité des conditions de travail ne sont qu'une étape (franchie il y déjà longtemps par le Japon, la Corée du Sud...)
Selon Friedman, "Il est trop tard pour revenir au protectionnisme". La plupart des économies sont trop liées entre elles pour prendre le risque d'une cassure brutale. Et "si des pays comme l'Inde peuvent désormais entrer en concurrence avec les Etats-Unis, ce défi sera bon pour l'Amérique, car il sera stimulant".
On ne peut plus brider un système qui fait que le travail peut désormais être accompli n'importe où. D'ailleurs, cela n'a pas que des inconvénients, si l'on songe par exemple que plus de 16% de la population active aux USA travaille désormais tout simplement chez elle...

19 juin 2011

La magie Courbon

En pénétrant sur le site du château de la Roche-Courbon, en Charente Maritime, on éprouve une sorte de stupéfaction ravie. Établi fièrement sur un solide éperon rocheux et entouré de forêts, il surplombe des jardins dignes des plus beaux palais.
Bien qu'ils ne fussent a priori pas très hospitaliers, et bien qu'ils soient restés à l'écart des métropoles et des grands circuits touristiques, ces lieux sont chargés d'histoire.
Au pied du massif pierreux se lovait depuis la nuit des temps un modeste cours d'eau, le Bruant, faisant un trait d'union entre la Charente et de vastes et pestilentiels marais environnants.
L'endroit fut habité depuis la préhistoire comme en témoignent des grottes gardant les vestiges d'aménagements mobiliers. Durant le Moyen-âge, une première place forte fut édifiée, dont il ne reste quasi rien sinon un monumental mur d'enceinte. La guerre de cent ans eut raison de l'édifice.
Il fallut attendre le début du XVIIè siècle pour que l'audacieux et inspiré marquis Jean-Louis de Courbon, se mettre en devoir de transformer ces ruines en un élégant domaine, empreint des harmonies puisées au meilleur classicisme.
En contrebas, le terrain vallonné et humide se prêtait idéalement à la création de jardins. Bien avant Versailles, un magnifique parc fut ainsi créé pour servir d'écrin à la noble et puissante demeure.
Hélas, avec la Révolution puis l'Empire, commença une nouvelle époque de déclin. Ni les bâtiments, ni les jardins ne furent entretenus et les forêts furent mises en coupe réglée au bénéfice du juteux commerce du bois.

Au début du XXè siècle, Pierre Loti, qui depuis l'enfance passait ses vacances dans le village de Saint-Porchaire tout proche, se prit de tendresse pour l'endroit qui lui évoquait le château de la Belle au Bois Dormant. Désespéré par l'inexorable déchéance des lieux, il se fendit d'un vibrant appel à la générosité de mécènes, publié en 1908 par le Figaro. Sa supplique fut entendue par un riche fabricant de conserves alimentaires du pays, Paul Chénereau.
Cet homme que le métier avait habitué à des tâches bien plus triviales et qui avait sûrement avant toute chose, le souci de rentabilité chevillé au corps, abandonna par un étrange mystère toute "raison raisonnante", et tout esprit pratique, en décidant de relever le gant de cette aventure insensée.
Il lui fallut plus de dix ans pour donner une nouvelle jeunesse à l'ensemble, en restaurant de fond en comble les bâtiments, en même temps que les jardins étaient entièrement redessinés, gagnant notamment de splendides bassins dans lesquels la demeure peut se refléter en majesté.
Nonobstant le succès de cette entreprise, beaucoup de déconvenues suivirent hélas cette remise en état, notamment le retour imprévu des marais qui submergèrent les pièces d'eaux et dévastèrent allées, terrasses, gazons et balustrades. Il fallut tout reprendre à zéro en stabilisant le terrain par l'immersion de milliers de pieux en bois enfoncés parfois jusqu'à plus de 10 mètres de profondeur dans le sol. Qui peut se douter lorsqu'il se promène dans les belles allées et qu'il laisse aller son regard vers la délicate ligne de fuite s'élevant gracieusement vers un charmant belvédère orné d'une cascade, qu'il s'agit d'un jardin de conception "suspendue" défiant l'entendement ?
Grâce à ces gigantesques travaux, le domaine est redevenu un havre délicieux, imprégné de l'atmosphère du Grand Siècle. Et grâce à un partenariat intelligent entre les actuels propriétaires et les Pouvoirs Publics, le sauvetage semble cette fois pérennisé.
Moyennant une modeste contribution, chacun peut s'y promener et songer à ce qui illustre le mieux ce qu'on appelle l'esprit français. J'aime la douceur typiquement saintongeaise qui imprègne ce site magique. J'aime cette belle pierre blanche qui fait vibrer la lumière, j'aime ces nobles perspectives où l'ordre est au service de l'harmonie, et j'aime en ce début de juin, l'odeur douce des fleurs de tilleuls tombant sur ma tête lorsque je flâne dans les contre-allées, desquelles le spectacle est une douce féerie.

Cette promenade trouve d'inattendus prolongements dans l'actualité, à propos de la fortune dont jouissent certains privilégiés et du caractère néfaste qu'elle revêtirait par nature.
Il ne s'agit pas d'évoquer ici l'affaire Bettencourt sur laquelle les médias s’appesantissent avec une morbide satisfaction. Plutôt les déclarations d'intention faites récemment par Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé, suivies de celles du premier ministre François Fillon. Le premier déclare envisager "d'encadrer les rémunérations extravagantes", le second carrément de taxer les sociétés qui les versent à leurs patrons.
J'avoue ne pas comprendre le zèle décidément insatiable que met l'Etat, tous partis confondus, à s'ériger en institution moralisatrice et en régulateur tatillon de tous nos faits et gestes.
Loin de choquer, l'histoire du château de la Roche-Courbon offre une occasion de se réjouir et en ce qui me concerne, je m'émerveille de voir des fortunes aussi bien employées. Ne serait-il pas judicieux pour les gouvernants d'encourager ce genre d'action plutôt que de sanctionner par avance et sur des critères arbitraires, des individus dont le seul tort est de gagner beaucoup d'argent ?

Au nom de quoi l'Etat s'arroge le pouvoir de définir le niveau adéquat des salaires ? Le SMIC, qui fait partie du même catalogue de bonnes intentions pharisiennes est à bien des égards pervers, puisqu'il offre aux employeurs une occasion inespérée d'aligner les rémunérations sur le niveau le plus bas. Peut-on honnêtement imaginer que la limitation par le haut des revenus soit de nature à libérer les initiatives, à vaincre la cupidité ou à éteindre les jalousies ? Une chose est sûre : ce faisant, on tue le rêve...

Venant d'un gouvernement dit de droite, et parait-il ultra-libéral, cette nouvelle vexation d'inspiration typiquement socialiste est particulièrement absurde. Totalement inefficace au plan économique, elle n'est certainement pas de nature à restaurer la confiance. Elle témoigne hélas de l'aversion tenace de la France pour ses entrepreneurs, pour ses riches et pour tout ce qui est libre et indépendant de l'emprise étatique. Et elle fait craindre que même après la mort du communisme, le nivellement par le bas reste la référence incontournable de la politique en France...

15 juin 2011

Un monde de Lilliputiens

Il y a bien longtemps que la politique ne nous avait donné aussi pitoyable spectacle.
L'essentiel du débat se cantonne désormais à d'insignifiantes polémiques très bruyantes et très assommantes. Mais c'est à peine si elles ébranlent le veule consensus dans lequel s'englue l'opinion publique. Lorsqu'il ne s'agit pas de rengaines éculées rivalisant de démagogie et de mauvaise foi, ce sont de sordides affaires de mœurs qui font les titres de ce qui ose encore revendiquer le nom de presse.
Tombés au plus bas, les médias se ruent comme la vérole sur le bas clergé, grossissant ces micro-évènements sans intérêt, alors qu'il se passe tant de bouleversements, de vrais drames et d'authentiques espérances dans le monde.
Le battage hallucinant fait autour de l'affaire DSK fut un sommet d'horreur dont les journalistes ont semblé fiers, en révélant que l'épisode fit couler plus d'encre folle dans les journaux et circuler plus d'électrons ivres sur les réseaux télématiques, que l'élection de Barack Obama... Affligeante victoire d'un monde de Lilliputiens dont l'enjeu ne vaut guère mieux que celui des combats entre Gros et Petits-Boutiens...
Nulle part où se tourner. Waterloo est une morne plaine et la pensée contemporaine semble définitivement abonnée aux niaiseries.
Les petites phrases d'un Jacques Chirac, manifestement déjà bien avancé dans l'abîme de la sénilité, donnent la mesure de cette insoutenable vacuité. Entre les Socialistes qui font mine de les prendre au sérieux faute d'avoir mieux à se mettre sous la dent, et les autres évoquant piteusement une sorte d'humour corrézien, c'est une capilotade généralisée.
Acculé par des sondages pervertis par la haine et la désinformation, l'actuel chef de l'Etat de plus en plus timoré, use ses dernières forces à défaire ce qu'il avait laborieusement entrepris, et à prêcher l'inverse de ce qu'il clamait. En supprimant l'insane dispositif du bouclier fiscal sans oser vraiment toucher au non moins inepte ISF, il avoue implicitement tout à la fois son échec et son manque de conviction, maladie endémique des dirigeants depuis quelques décennies...

Dans notre petit univers quotidien, peu à peu la bureaucratie s'insinue partout. Elle confond sagesse et principe de précaution, qualité et réglementations, loi et ukase, et tue la confiance et l'initiative à force de tout encadrer dans le froid carcan de la machinerie planificatrice.
Occupé à satisfaire de creuses ambitions où la fin se confond trop souvent avec les moyens, notre monde occidental, épuisé par les délices de Capoue dont il ne sait plus quoi faire, s'enlise désespérément.
La lente déliquescence d'une frange grandissante de l'Europe, aspirée par le puits sans fonds d'une impossible justice sociale est un symptôme inquiétant, dont on voudrait encore croire qu'il ne préfigure pas la fin d'un monde. 
Certains imaginent voir dans la molle révolte des "Indignés", les prémisses d'un grand mouvement social imprégné du parfum délétère des utopies collectivistes. On dirait plutôt les soubresauts informes d'une société avachie, à bout de souffle, qui ne croit plus ni à son modèle, ni à la liberté, ni aux vertus d'une éducation par l'émulation, et qui oublie les sommes de volonté et d'efforts, et les fleuves de sang qu'il a fallu pour construire ce qui est de plus en plus souvent foulé au pieds.

Dans ces vapeurs tièdes de déconstruction, on remet en cause les valeurs, et l'esprit qui donnent sa substance à notre civilisation. Jamais Malraux et son fameux XXIè siècle spirituel ne parut moins inspiré...
Tout en se vautrant dans un matérialisme peu ragoûtant, on vilipende aujourd'hui jusqu'au progrès qui nous permet de vivre plus heureux et plus émancipés que jamais peuple ne fut dans toute l'histoire humaine.
On entend aussi dans ces ténèbres de l'intelligence, des voix réclamer la décroissance, c'est à dire l'appauvrissement et la régression généralisés. Faute de savoir éradiquer pour de bon la pauvreté, le vieux fantasme consistant à tuer la richesse est périodiquement remis au goût du jour.
D'autres chantent les vertus de l'enfermement dans le protectionnisme, oubliant la spirale de paupérisation qu'il ne manque pas de provoquer invariablement à chaque fois qu'il est mis en œuvre. Oubliant surtout qu'en se fermant au reste du monde, on ne pourra en aucune manière espérer relever le fabuleux et incontournable défi de la mondialisation. Or, sans Gouvernement Mondial, les nations retourneront tôt ou tard à la guerre et au totalitarisme, dont certaines attendent pour l'heure avec impatience qu'on les sorte !

08 juin 2011

Salade hédoniste

On connaît la tendance à la pléthore qui caractérise l'écriture philosophique de Michel Onfray. On pourrait remplir des rayonnages entiers avec ses ouvrages...
Certes, à côté des tièdes platitudes de la pseudo-littérature qui dégouline des têtes de gondoles, à côté de la philosophie de comptoir que les camelots du showbiz font dégorger de tant de pseudo-débats, à côté de tout ça, les thèses de Michel Onfray détonnent quelque peu.
Car son style ne laisse pas indifférent. Même s'il peut parfois être jugé un peu trop rutilant, voire pédant, sa lecture est en général plaisante, et son propos servi par une dialectique bien aiguisée, s'avère incisif et décapant.
S'agissant de la pensée, c'est autre chose, hélas. Lapidaire, voire assassine, elle ne s'embarrasse guère de nuances et souvent détruit au vitriol de la partialité, ce à quoi le vernis de la culture conférait de prime abord, un éclat alléchant.

On retrouve toutes ces qualités et ces défauts dans un curieux petit opuscule récemment publié sous le nom de "Manifeste hédoniste*".
Divisé en deux sections, il se compose d'une sorte de bréviaire exposant l'essentiel de la doctrine, complété par une compilation de contributions émanant d'amis ou de disciples, censées enrichir à partir d'expériences personnelles la théorie du Maître. Laissons de côté cette deuxième partie, qui hormis quelques illustrations intéressantes, notamment de Titouan Lamazou, et deux ou trois anecdotes, n'apportent pas grand chose.

Cette profession de foi – si l'on peut dire – se positionne comme une sorte d'apologie du bonheur terrestre, lui même subordonné à "l'épanouissement des sens".
A première vue il s'agit d'une philosophie dans l'acception la plus radicale du terme, invitant à "faire la paix entre soi et soi, soi et les autres, soi et le monde, soi et le cosmos...". On pourrait presque penser aux préceptes de Voltaire proposant « le bonheur terrestre autant que la nature humaine le comporte » ou bien au vœu de Montesquieu de « parvenir à la sagesse et à la vérité par le plaisir ».

Malheureusement le gros, l'énorme défaut de cette louable entreprise est de s'inscrire dans une pensée qu'on pourrait littéralement qualifier de bornée, en ce sens qu'elle ne s'épanouit qu'entre deux étroites limites idéologiques : l'athéisme le plus intransigeant d'une part, et l'engagement "à gauche" non moins irrévocable d'autre part. Ces prises de positions quasi obsessionnelles enferment de fait, le propos dans une logique étriquée, où l'outrance tient lieu de perspective et où l'esprit de système sert de raisonnement. De toute évidence, l'art de la nuance est ici banni.

Afin qu'il n'y ait aucun doute, Onfray commence tout de suite par déblayer le terrain en éradiquant toute préoccupation spirituelle, et particulièrement, les "presque mille ans de théologie, de scolastique, de pensée fumeuse, soucieuse d'asseoir culturellement le christianisme devenu religion d'Etat".
Emporté par l'élan il en vient même, par pure réaction, à forger un concept nouveau, l'athéologie, qui est selon lui, "la discipline qui serait à la négation de Dieu ce que la théologie est à son affirmation." Autrement dit, non seulement il démolit les cathédrales, mais il nie l'existence du principe indicible qu'elles célèbrent.
Une seule phrase suffit d'ailleurs à donner la mesure de sa rage anti-religieuse, lorsqu'il détruit d'un coup tout l'enseignement chrétien, qualifié de "dépréciation du corps, des sensations, des émotions, de la chair, des passions, des pulsions, des femmes, du plaisir, de la jubilation, surestimation de l'ascétisme, du dolorisme, du renoncement, d'où misogynie et phallocratie..."
Se rend-t-il compte ce faisant, qu'il tombe exactement dans le travers qu'il dénonce si vigoureusement, bien que par une voie strictement opposée ?

Son attitude exprime une intolérance semblable à celle qui caractérise les fanatiques de tous poils et de toutes obédiences, bien qu'il tente de la parer d'affriolants mais creux attributs en forme de truismes : "matérialisme, sensualisme, atomisme, hédonisme". Et bien qu'il cherche à la magnifier de manière grandiloquente en prétendant "qu'elle célèbre la pulsion de vie", et "qu'elle se bat pour une égalité solaire entre les sexes..."
Ce zèle iconoclaste anéantissant d'un coup tout un "corpus idéologique" et des siècles de culture et d'histoire, est d'autant plus choquant que de son propre aveu, sa proposition hédoniste "suppose un système". Et qu'il se croit autorisé à en décliner le primum movens, en l'appliquant comme vérité révélée à toutes les préoccupations susceptibles d'assaillir l'esprit.
Après avoir jeté aux orties l'idée même de Dieu avec l'eau-du-bain-bénite, il rétablit de manière triviale ses propres encensoirs célébrant la chair et ses plaisirs, et lance de nouveaux anathèmes qui ne valent pas mieux que les anciens.

Il aplatit par exemple à coups de massue, la théorie freudienne à laquelle il a déclaré récemment une guerre sans merci.
On éprouverait presque un peu de tendresse pour les thèses fumeuses de la psychanalyse, tant il est difficile d'adhérer à la rhétorique caricaturale, suggérant par exemple de "retrouver la voie du matérialisme psychique contre l'idéalisme de l'inconscient freudien...", ou "d'inscrire la psychanalyse dans une logique progressiste contre le pessimisme freudien ontologiquement conservateur..." Les ficelles sont tellement grosses qu'elles font sourire. Voilà le vieux Sigmund rangé de manière expéditive dans la catégorie des "ennemis de classe", par ce Fouquier-Tinville des temps nouveaux de la psychologie...

Il emploie une manière un peu plus circonstanciée en matière d'analyse esthétique, à laquelle il consacre un chapitre  ambigu. A propos de l'Art Contemporain, il n'ose par exemple, pas trop attaquer les mystifications de Marcel Duchamp, dans lesquelles il voit "la mort du Beau" faire écho à celle de Dieu, ce qui l'enchante en tant que disciple de Nietzsche... Et sa fibre populaire s'émeut même du fait qu'avec de tels artistes, ce ne sont plus les matières nobles et riches qui trônent dans les musées, mais "la matière véritable, celle du monde", humble, fruste composée pêle-mêle de plâtre, fil de fer, plastique, verre velours, feutre, voire substances organiques, déjections...
En somme, "Il ne faut pas dupliquer mais dépasser" ces expériences jugées révolutionnaires dans le même temps qu'elles révèlent une époque "plus esthète qu'artistique". Comprenne qui pourra...
Notons qu'au passage, il se livre à un monumental contresens esthétique, en faisant sienne la thèse de Duchamp selon laquelle, "c'est le regardeur qui fait le tableau". C'est précisément cet oxymoron insane qui est la cause de l'insignifiance et du nihilisme dans lesquels s'asphyxie l'art de nos jours !

Peu de commentaires à faire à propos de sa conception de l'érotisme, qu'il résume à une formule, assez jolie, mais vaine : "il est à la sexualité ce que la gastronomie est à la nourriture : un supplément d'âme.." Pour le reste, sans prôner ouvertement le pont-aux-ânes soixante-huitard de la libération sexuelle, il rejette avec horreur, mais on l'avait déjà compris, tout ce qui lui rappelle de près ou de loin la conception chrétienne, notamment "les fantasmes du prince charmant, de l'épouse idéale, de la moitié à trouver, de la perle rare, autant de variations sur le thème de l'impossible..."
Guère plus à dire au sujet de l'éthique et de la bioéthique qu'il croit résoudre en proposant de répondre à une seule question, d'un utilitarisme auquel même Bentham n'aurait pas osé céder : "ce geste, cette technique, cette proposition thérapeutique, ce projet chirurgical, cette molécule médicamenteuse, augmentent-ils l'hédonisme de l'individu et de la société ?"
Un mot tout de même sur l'affreux et mal nommé testament de vie qui dans sa conception béotienne et faussement irénique, "permet de déléguer à un être aimé la charge de décider pour nous ce qu'on aura avec lui voulu en amont pour nous : il sera sinon le bras armé, du moins le facilitateur de notre mort volontaire ." Où se trouve la fameuse "pulsion de vie" dans une aussi noire résolution ?

Dernier volet du manifeste, et non des moindres, celui consacré à la politique, qui confirme envers et contre tout, l'engagement à gauche de ce philosophe qui se plaît à rappeler ses racines prolétariennes.
Plus ou moins rallié, sans qu'on sache trop pourquoi, à la notion de capitalisme, il flétrit en revanche le libéralisme, qu'il accuse d'être "un système économique et politique dans lequel le marché fait la loi partout – dans la culture, la santé, l'éducation, la défense, la sécurité", et où il voit que "la satisfaction hédoniste triviale et vulgaire d'une poignée de privilégiés se paie par l'humiliation, l'exploitation, la soumission, la domestication, la subordination et la servitude du plus grand nombre."
Il serait assez facile de montrer que cet affligeant rabâchage révèle une méconnaissance profonde de l'esprit de liberté, et qu'il est indigne d'un penseur prétendu libertarien, donc ultra-libéral, tel que lui.
Mais il serait encore plus aisé de retourner a contrario l'argumentation sur le socialisme, qui investit autoritairement tous les rouages de la société, au bénéfice d'une étroite nomenklatura dotée de tous les droits et parée de toutes les vertus...
Comme nombre de Socialistes désenchantés, Onfray tente de récupérer le procédé éculé consistant à proposer de "rompre non pas avec l'idée socialiste mais avec sa seule formule marxiste, ou communiste autoritaire." Mais le stratagème a fait long feu. Sa vision qui confine comme on l'a vu au matérialisme athée, solidement ancré à gauche, s'inscrit bien qu'il s'en défende, dans une lignée on ne peut plus marxienne de la pensée. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, tout porte à penser qu'en dépit de ses accents suborneurs et de son ton lénifiant, son discours soit voué aux tragiques impasses dans lesquelles tant de ses prédécesseurs ont emmené leurs affidés.
Ce qui est proprement stupéfiant, c'est de le voir in fine reprendre sans vergogne à son compte ce qui fait l'essence de la pensée libérale, à savoir "la vieille proposition utilitariste des Lumières : il faut vouloir le plus grand bonheur du plus grand nombre...". Sait-il qu'il s'agit d'un des vœux les plus chers des Pères Fondateurs des Etats-Unis d'Amérique, toujours aussi vivace dans le cœur des Américains, et somme toute pas si mal accompli ?

En définitive, Michel Onfray fait penser à ces missiles dotés d'énormes réacteurs, capables de déployer des quantités fabuleuses d'énergie, mais condamnés à passer à côté de leur cible à force d'être trop contraints par leur programmation, et de ne pouvoir infléchir leur trajectoire...
Rien ne saurait mieux définir cette ambition, mélange d'angélisme et de mégalomanie, qu'un éclair d'humilité tiré de son propre discours :"les glissements de l'éphémère sur le miroir d'une mare d'eau croupie résument le destin de chacun qui se croit monde à lui tout seul..."


* Michel Onfray. Manifeste hédoniste. Autrement 2011
Illustration : Séverine Assous

24 mai 2011

Misère du Socialisme

Sale temps pour les Socialistes.
C'est une avalanche de mauvaises nouvelles qui s'abat sur eux. 
Mais d'en face, là où l'on souffre depuis si longtemps de la sécheresse imposée des idées, on veut croire que les orages tant désirés se lèvent enfin. On espère qu'ils foudroient les thuriféraires pantelants d'une idéologie décidément à bout de souffle, et qu'ils nettoient le débat démocratique de ses miasmes.
Dans la conjoncture climatérique qui bouleverse le paysage politique, il est difficile de retenir un soupir d'aise au spectacle de tous ces raminagrobis aigris, ces grippeminauds en mal de revanche, obligés de ravaler leur morgue et de faire profil un peu moins hautain.

A travers ce qu'il est convenu d'appeler "l'affaire DSK", les archaïsmes de l'esprit de gauche éclatent au grand jour. La mauvaise foi, l'esprit de clan, les mensonges, les complaisances, les faux-semblants, savamment entretenus grâce à un réseau de médias asservis par des décennies de propagande, tout ça est en train de voler en éclat. La mécanique infâme dévoile ses sordides et artificieux mécanismes. La charpente de la société tout à coup montre sa structure et c'est avec effarement qu'on découvre qu'elle est rongée de toute part par une sorte d'odieuse mérule, qui en pervertit jusqu'à la moindre fibre.
Pour illustrer cela, quoi de plus beau que cette adresse de Jean-François Kahn* en exergue de son énième diatribe dirigée contre le Président de la République : "Tout était d'emblée sur la table. S'il y a une responsabilité, elle est collective. Comment a-t-on pu accepter ça ? Et pourquoi ? "
Comme son torve propos sonne juste, aujourd'hui qu'il fait irrésistiblement penser à quelqu'un d'autre... L'arroseur est enfin arrosé ! L'accusateur public est flétri par son propre discours ! Le moralisateur est démoralisé.

Le candidat putatif de la gauche est hors jeu. Exit le colosse au pied d'argile devant lequel toute cette faune grimaçante faisait moultes génuflexions et contorsions, en perspective de juteuses prébendes.
Un seul être disparaît et tout est dépeuplé. La mousse des illusions retombée le spectacle est pitoyable. François Hollande, qui a perdu son profil de VRP à la jovialité bedonnante, apparaît dans la lumière blafarde des lendemains qui déchantent, comme ce qu'il est : le croque-mort décharné d'un programme sans substance et sans espérance. Celui dont la plus grande originalité était de "n'aimer pas les riches" se retrouve pauvre comme Job en idées, et pour l'heure, surnage dans une solitude stupide.
Autour de cette figure hagarde en costume noir, c'est la débandade. De l'aveu même de Manuel Valls, "personne" au Parti socialiste ne peut à ce stade remplacer Dominique Strauss-Kahn, les autres candidats à la primaire socialiste risquant, selon lui, d'apparaître comme "des choix par défaut"...

Mais si certains ont au moins la décence de se taire, ou tentent de faire amende honorable, d'autres n'ont pas encore pris la mesure du cataclysme. La jeunesse ne prémunit pas contre la ringardise. Benoit Hamon par exemple, continue mécaniquement comme une vieille crécelle, de mouliner les amalgames grinçants, dont le caractère grotesque est de plus en plus criant : "le sarkozysme et le lepénisme sont deux déclinaisons du même projet politique"...

La Gauche archaïque est en passe de perdre définitivement les derniers restes de soutien populaire, à force d'avoir tant floué le peuple, au fil de tant de générations. La situation prend des allures désespérées.
C'est même un vrai naufrage.
En dépit de la prétendue crise du libéralisme et du capitalisme, au sujet de laquelle les Socialistes de tout poil ne cessent de radoter comme des perroquets, et qui devrait paraît-il redorer leur blason, ils ne sont désormais à la manœuvre quasi nulle part en Europe. Scrutin après scrutin, leur incapacité à "changer le monde", sauf pour l'empirer, les contraint d'abandonner le terrain.
Dans un de leurs derniers bastions l'Espagne, ils viennent de prendre une pilée monumentale et sont en passe de perdre le pouvoir. Il faut dire qu'ils l'avaient acquis d'une bien médiocre manière en 2004, après une hideuse campagne de calomnies jetées à la face de leurs adversaires, à l'occasion des meurtriers attentats de Madrid. Il faut dire aussi que depuis cette date, entre autres résultats brillants, on a vu dans ce malheureux pays le chômage, passer de 10 à près de 21%!

Pis que tout, non seulement les révolutions se font désormais sans eux, mais elles se font contre eux. Après les grands effondrements de la fin des années 80 en Europe de l'Est, c'est aujourd'hui le monde arabo-musulman qui secoue sans ménagement les régimes autocratiques qui l'étouffent. De l'Irak à la Libye, en passant par la Tunisie, l'Egypte, et peut-être bientôt le Yemen, la Syrie, l'Algérie, voire un jour l'Iran, les républiques totalitaires battant pavillon socialiste mordent la poussière les unes après les autres. Que restera-t-il de l'Internationale du même nom lorsque tous les tyranneaux l'auront désertée ? "Un grand cadavre à la renverse", comme le suggérait dans un rare éclair de prescience Jean-Paul Sartre au cours des années soixante (et rappelé avec un délicieux sens de l'a propos par BHL**) ? Ou bien une sorte de marécage d'eau tiède, la social-démocratie, si tant est que le poison collectiviste, par une ironie cruelle, finisse par se dissoudre dans l'hydromel de la liberté !
Ce jour là, enfin, on pourra caresser l'espoir de débattre sans tabou, sans idéologie, sans doctrine, avec pour seul souci le pragmatisme, et pour seul objectif la fameuse poursuite du bonheur, chère aux vraies Lumières et aux Pères Fondateurs du Nouveau Monde... Sauf à sombrer dans le ridicule et la honte, la France ne saurait passer à côté de cette perspective.


* Petit César. Comment a-t-on pu accepter ça ? J. -F. Kahn. Fayard 2011
** Ce grand cadavre à la renverse. Bernard-Henri Levy. Grasset 2007