30 octobre 2024

Deux heures avec Bob Dylan

Le temps d’un très bref aller et retour vers Paris. Juste celui de se rendre à l’un des deux concerts donnés par Bob Dylan, dans le cadre somptueux de la Seine Musicale, sur l’Ile Seguin.
Le long vaisseau de béton blanc surplombé par une sphère de métal et de verre au-dessus du fleuve, offre une salle de spectacle magnifique, sur les gradins de laquelle on se presse pour l’occasion.
Ce n’est pas tous les jours qu’on peut venir y entendre chanter un Prix Nobel de littérature !
De fait, le personnage est quasi légendaire, tant ses chansons ont marqué la seconde moitié du XXème siècle.
Après soixante ans de carrière, il est là, toujours bien là, infatigable baladin des temps modernes. Toujours inspiré, toujours créatif, il achève une monumentale tournée entreprise il y a 3 ans pour promouvoir son nouvel album, splendide : Rough and Rowdy Ways.
Sur l’affiche géante, intrigante, inquiétante, envoûtante, un couple danse en ombres chinoises, dans une lumière cramoisie, insouciant de la menace toute proche d’un personnage mortifère. Tout en haut, on peut lire cette sentence : Things aren’t what they were…

Bob Dylan est parfois difficile à suivre car il est rarement là où on l’attend. Il procède par périphrases, ellipses et symboles. Ses mélodies, en apparence très simples, sont étrangement pénétrantes et sa poésie déborde de mystères et d’allusions. Elle rebute les uns mais enchante les autres, plus nombreux, acquis à sa cause, empreinte de noblesse altière, de liberté et d’indépendance.
Aujourd’hui hélas, la vieillesse ne l’a pas épargné. A 83 ans, il est perclus de rhumatismes, sa démarche est hésitante. Mais son esprit et son génie sont intacts et son énergie force l'admiration.
Il est entouré de musiciens épatants: le fidèle Tony Garnier à la basse et à la contrebasse, l’illustre Jim Keltner à la batterie et les excellents guitaristes Bob Britt et Doug Lancio. L'ambiance est électrique à tous points de vue. Sur une rythmique infaillible, Dylan déroule son répertoire dans un clair-obscur très bluesy.
Il fera la plupart des chansons du dernier disque, auxquelles viendront s’ajouter des versions transfigurées de grands standards : All Along the Watchtower, It Ain’t Me Babe, To Be Alone With You, It’s All Over Now Baby Blue, Desolation Row, Watching the River Flow.
Il a délaissé la six-cordes pour le piano dont émanent parfois quelques accords un peu lourds, voire quelques faussetés. A l’harmonica, il est fidèle à lui-même, rustique mais très expressif. Au chant, c'est plus rauque et nasonné que jamais. Les envolées se terminent parfois en murmure, voire en râle déchirant. Mais il y a encore de la puissance et surtout beaucoup de vitalité, d’émotion, et de tendresse.
L’auditoire est conquis.

Comme à l’accoutumée, il n’y aura aucun discours, aucun remerciement, aucun rappel.
A la fin, l’artiste se lève une dernière fois, chancelant. Il se tient debout, très humble face à son public, et il esquisse un sourire de gratitude et de satisfaction.
Comme tous ces gens, j’ai passé deux heures en compagnie de Bob Dylan. Je suis comblé, heureux, tout simplement.

6 commentaires:

ANTOINE MARTIN a dit…

Le vieillissement de nos interprètes préférés est souvent difficile et douloureux à la fois pour eux et pour nous
- la voix s'assèche, perd de la puissance et du volume, bouge ...
- pour les instrumentistes
l'épaule du violoniste soumise à d'énormes contraintes et se rappeler des tristes fins de carrière Y Menuhin ou I Stern
le membre supérieur dans sa globalité pour le pianiste sans parler des dystonies de fonction ( L Fleisher ; M Perahia .. )
les capacités respiratoires pour les souffleurs
- le seul poste ou il fait bon vieillir est celui de chef d'orchestre ou bcp bénéficient d'une extrème longévité ( se rappeler de P Monteux ou de L Stokowski) . Actuellement H Blomstedt est toujours sur les estrades à 97 ans.

Mais qu'en est-il vraiment à la fois coté interprète et auditeur
a/ difficile de quitter les sunlights coté musicien ou raisons plus tristement économiques qui avaient fait ressortir de sa retraite L Cohen ( escroquerie d'une de ses proches ).
b/ coté auditeur ; la fidélité à notre jeunesse et l'impression d'éternité donnée par certains ( rares faut-il admettre ) nous font oublier les fastes d'antan. Le concert devient une cérémonie morbide ou s'intriquent le dépit de notre propre vieillissement et finitude avec la certitude d'etre parmi les derniers témoins du génie de l'interprète ( fidélité pathologique voire névrose ). On entend avec des oreilles > 70 ans des interprètes > 80 ans en se projetant inconsciemment 30 ou 40 ans en arrière .
On sort effectivement de la salle très émus, parfois rassérénés et on remet en route l'horloge mémorielle en réécoutant nos vieux enregistrements ( ceux qui datent de la jeunesse de l'auditeur et de l'interprète ).

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Très jolie analyse cher Antoine, dont les accents nostalgiques sont empreints de vérité. Lorsque j'ai vu en juillet dernier l'annonce des 2 concerts parisiens de Bob Dylan, j'ai sauté sur l'occasion en me disant que c'était peut-être une des dernières occasions de le voir sur scène. Je n'avais jamais eu ce plaisir auparavant et je ne suis pour tout dire pas très enclin aux concerts.
Je n'ai pas été déçu, même si comme tu le dis, l'interprète n'est plus au sommet de sa forme physique.
Cela dit, Bob Dylan, c'est beaucoup plus qu'un interprète. C'est un génie créateur, un poète intemporel, dont l'inspiration est loin d'être tarie et qui a marqué notre époque et sans doute bien au delà. Le voir en chair et en os et l'entendre m'a submergé d'émotions. Un peu comme si j'avais été en face de Bach, de Baudelaire ou bien de Nicolas de Staël. C'est quasi indicible...

Blue glasses a dit…

Je n'ai jamais été convaincu par Bob....
Je n'aime pas sa voix. Il joue inlassablement ses 3 accords de guitare. Il chante sans conviction, l'exact contraire de ce qu'est sa vie au quotidien.
Cependant il est suffisamment riche pour s'entourer de musiciens qui font le job.
C'est le parfait bobo de gauche qui n'a sûrement pas appelé à voter Trump.!!! Il me fait penser à Souchon, mais en plus mauvais, pourtant, Dieu sait si c'est mauvais aussi !
Il y a beaucoup mieux à écouter aujourd'hui. Notamment le dernier album de David Gilmour, ou le splendide Jeff Beck (que j'ai eu la chance de voir à Paris pour son ultime concert)....quand il n'est pas gaspillé par l'odieux "pirate des Caraibes"....plus ils jouent mal,...plus ils jouent fort....enfin...les goûts et les couleurs....

ANTOINE MARTIN a dit…

Quelques expériences personnelles dans le domaine du classique
- Menahem Pressler pianiste né à Magdebourg en 1923, reprenant une carrière soliste après avoir dissous son très célèbre Beaux Arts trio . Je l'ai entendu 2 fois à Paris dans des concertos de Mozart ( 2012 et il avait 89 ans ). Le 23 ou le sublime mouvement lent montrait un Pressler subtil, serein et émouvant dans cette somptueuse prière mozartienne. Sinon naturellement des vieux doigts et un chef attentif dans les mouvements rapides; le "care" si à la mode ! Idem dans le 27 ou l'introduction du piano ( rapide après le tutti initial d'orchestre ) faisait entendre un phrasé digne des meilleurs acteurs de la comédie Française. Et surtout j'ai toujours dans ma tête une "petite" mazurka de Chopin donnée en bis : miracle d'introspection et de tendresse très rarement entendu et ces danses de Mazurie sont des porcelaines fragiles . Donc oui une émotion forte et un souvenir ineffable comme toi avec Bob Dylan.
- Herbert Blomstedt entendu à plusieurs reprises avant le Covid; il venait juste de dépasser les 90 ans. Il marche avec difficulté, volontiers aidé par un des violonistes . Les gens du classique sont policés ! L'orchestre le regarde et l'accueille avec des yeux de Chimène. Il s'assoit sur une chaise placée sur le pupitre et dirige vaguement du bras droit , plutôt avec les yeux. L'amour réciproque ( les musiciens de l'orchestre et le vieux chef ) diffuse dans la salle . On est là, la gorge serrée en train de vivre un moment rare.

Sinon je n'aime pas trop cette "Seine musicale" qui n'a pas trop "pris" quant au classique ou la plupart des tetes d'affiche préfère la philharmonie de la porte de Pantin voire le TCE sans oublier RF . Je n'y suis allé qu'une fois en vélo .

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Je ne savais pas que tu avais une opinion si négative de Dylan ! Chacun ses goûts bien sûr mais je trouve un tantinet excessif de résumer le patrimoine musical exceptionnellement riche qu'il lègue, à 3 accords de guitare (dont il ne joue d'ailleurs plus). Sa voix est souvent critiquée. Il en tire pourtant énormément d'émotions très variées, à condition d'y être sensible naturellement. Il est vrai toutefois qu'il n'est pas toujours le meilleur interprète de ses œuvres, ce qu'il reconnaît d'ailleurs. Quand on écoute les versions données par Jimi Hendrix de All Along The Watch Tower et Like A Rolling Stone, on mesure la puissance des compositions originales et le génie de leur auteur.
Quant à le qualifier de bobo de gauche c'est mal le connaître. Cela fait bien longtemps qu'il a renoncé à s'engager pour quelque cause qui soit, recommandant à chacun de penser par lui-même. Il l'a encore réaffirmé dans une de ses dernières chanson False Prophet. C'est aussi un peu pour ça qu'il est grand.
Let It Be...

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Il y a plusieurs salles. La Grande Seine où se produisait Dylan, contient 4000 personnes assises. Acoustique excellente, très bon confort, mais bien qu'étant placé idéalement, j'étais un peu loin et j'aurais aimé avoir des jumelles de théâtre pour mieux voir les artistes. Dylan ne supporte pas, à raison, les téléphones pendant ses concerts. Ils sont donc mis sous scellés à l'entrée...
Pour la musique dite classique, c'est plutôt l'auditorium qui est privilégié. A peine plus de 1000 places mais entourant la scène ce qui devrait permettre de profiter pleinement du spectacle. Je n'ai pour ma part jamais testé.