19 décembre 2006

Le mystère de Nicolas de Staël



Certaines destinées sont hors du commun. Celle de Nicolas de Staël, tourmentée et lumineuse, est de celles-là.
Son œuvre exprime avec une magnifique prégnance les intenses passions intérieures dans lesquelles se consumèrent les dernières années de sa courte vie terrestre.
Jusqu'à l'âge de 35 ans pourtant, il mena une existence obscure, difficile, marquée par le déracinement, la misère, les drames familiaux. Sa peinture durant ces longues années s'en ressent. Elle est sombre, épaisse, peu colorée et peine à s'extraire de lourdes compositions abstraites. Rien d'exceptionnel ni de transcendant ne caractérise cette période ("La vie dure" dit l'une d'entre elles).



A partir de 1950 environ, sa palette s'éclaircit soudain. Comme s'il était mu par une intuition géniale, il se met à alléger la pâte qu'il entreprend d'étaler sur la toile de manière fluide et lyrique. La couleur éclate et les formes tout à coup sous ses pinceaux, prennent une signification directement tangible. Ce style nouveau, régénéré, qui s'échappe de la gangue abstruse et aléatoire dans laquelle il paraissait végéter, ne devient pas pour autant figuratif, au sens classique du terme. Il fait beaucoup mieux. Il prend son envol, avec une sorte de divine certitude, au dessus de l'infini qui s'offre subitement à l'artiste, et se met à cheminer hardiment sur la ligne ténue et mystérieuse entre le réel et le poétique. Il transmue la matière et donne du monde une interprétation idéale, à la fois intemporelle et aérienne.

Par le jeu de subtiles transitions de gris, vibrant autour de somptueux aplats colorés, s'opère une incroyable transfiguration. C'est un univers illuminé qui naît sous les doigts enflammés du peintre. La lumière envahit le champ du possible, inonde les compositions, fascine le regard, interroge l'intellect de manière éperdue.

Nicolas est comme électrisé par ce don terrifiant qui surgit de nulle part. En cinq ans à peine il jette sur la toile près d'un millier de tableaux magiques. Il travaille jour et nuit, comme s'il était possédé par les visions indicibles qui dévorent son esprit. La grâce, la plénitude, l'insondable peuplent son imaginaire.

Il vit une expérience hallucinante de totale immersion artistique. Son art est à la fois incroyablement fragile et parfaitement maîtrisé.

Comme il s'en réjouit lui-même : « L'espace pictural est un mur, mais tous les oiseaux du monde y volent librement. À toutes profondeurs ».

Combien de fois ai-je ainsi médité devant ces sublimes toiles, dans le cadre enchanteur du Musée d'Antibes où elles résident à demeure ? Combien de fois ai-je cherché l'explication de l'étonnant envoûtement dont je fus saisi définitivement au sortir de l'adolescence, lorsque je vis pour la première fois en visitant le musée André Malraux du Havre ces merveilles d'équilibre, de lumière et de liberté. Combien de questions me suis-je posées pour tenter de comprendre le mystère qui émane de l'océan rouge et des lignes épurées du "Grand Concert", peint quelques jours à peine avant la mort brutale, tragique, énigmatique, du peintre ?

L'art de Nicolas de Staël est à nul autre comparable. Parmi les peintres du vingtième siècle, ni Picasso, ni Braque, ni même Matisse que j'aime beaucoup, ne parviennent à me communiquer une émotion aussi intense. Je ne trouve nulle part ailleurs cette alchimie incroyable qui me transporte aussi inlassablement. Seules peut-être, les variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach me font, au plan musical, une impression comparable. C'est une perpétuelle source de joie. Un hymne bouleversant à la Liberté de l’Être.

2 commentaires:

Syl a dit…

Juste un immense MERCI pour le partage de toutes ces émotions et vibrations.

Anonyme a dit…

Oh! Cela c'est très très beau ! Plein de toiles que je ne connaissais pas et quel texte ! Il faudrait mettre cela en première page de votre blog !
" Quant à moi, pour longtemps et ici, toujours ému d'aller vers cette lumière que l'on ne voit pas parce qu'elle est la lumière même..."
Septembre 1952. A René Char