Sous-titré “Lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes”, cet ouvrage est une supplique adressée au peuple algérien afin qu’il prenne conscience de son infortune mais aussi de ses atouts et qu’il trouve la force de construire un avenir plus ouvert et souriant à la hauteur de ce qu’il mérite.
Et ça commence par une description apologétique de l’Algérie, qui selon l’auteur, est bien autre chose que ce à quoi on la réduit souvent : “elle est là, au cœur du monde, c’est un grand et beau pays, riche de tout et de trop, et son histoire a de quoi donner à réfléchir : mille peuples l’ont habitée et autant de langues et de coutumes, elle a bu aux trois religions et fréquenté de grandes civilisations, la numide, la judaïque, la carthaginoise, la romaine, la byzantine, l’arabe, l’ottomane, la française…”
Fort de cette image et de ce passé, le peuple algérien a dans ses fibres et dans sa culture, quelque chose d’universel : “il est arabe, cela est vrai, mes frères, à la condition de retirer du compte les Berbères (Kabyles, Chaoui, Mozabites, Touareg, etc., soit 80 % de la population) et les naturalisés de l’Histoire (mozarabes, juifs, pieds-noirs, Turcs, coulouglis, Africains… soit 2 à 4 %). Les 16 à 18 % restants sont des Arabes, personne ne le conteste.”
S’agissant du fait religieux, si l’islam domine, Sansal insiste sur la nécessaire tolérance et l’ouverture d’esprit car “affirmer solennellement, et de manière bruyante, que le peuple algérien est musulman revient à dire : Qui n’est pas musulman n’est pas des nôtres. Or, on ne peut oublier cette fatalité : tout croyant trouvera sur sa route plus croyant que lui. Si de l’étincelle ne jaillit point la lumière, alors le feu ira à la poudre.”
Quant à la langue, il souligne que “ si l’arabe classique est langue officielle, c’est vrai, elle n’est pas maternelle, pour personne.”
Après avoir rappelé que “l’arabe classique s’enseignait tranquillement dans les écoles coraniques et les medersa, et très officiellement dans les lycées appelés franco-musulmans, qui [...] ont produit de très fins lettrés”, il regrette l’arabisation à marche forcée qui selon lui n’ouvre aujourd’hui que les portes de la mosquée. Quant à l’arabe dialectal dit pataouète, il n’a de rôle que anecdotique, et sera toujours impuissant à porter l’expression de l’unité nationale. En définitive, Sansal affirme en substance que le français était la meilleure chance d’ouverture au monde, rappelant l’apostrophe arrogante du “grand écrivain” Kateb Yacine : « Le français est à nous, c’est un butin de guerre. »
Boualem Sansal évoque également à maintes reprises l’histoire de l’Algérie, tout particulièrement celle des dernières décennies.
Même si “la guerre de libération” menant à l’indépendance est pour lui évidemment un marqueur fondateur, il ne raye pas d’un trait de plume ce qu’apporta à son pays la France. Il cite même, non sans un peu de provocation Ferhat Abbas, premier président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), lorsqu’il affirma que “la nation algérienne est née avec la colonisation”, idée d’ailleurs reprise par l’historien et ancien intellectuel du FLN, Mohamed Harbi, qui écrivit “qu’en vérité, notre modernité a commencé avec la colonisation”.
Le règne du FLN qui s’installa au départ des Français ferma hélas la porte au renouveau espéré. “Le peuple n’eut pas le temps de poser son barda qu’il fut dépossédé de sa guerre, de sa gloire, de ses souffrances, de ses sacrifices, donc de sa liberté chèrement payée”.
Un nouvel espoir se fit jour en octobre 1988 “ce mois fabuleux, ces jours électriques, ces heures vertigineuses où tout paraissait possible : renverser la dictature du parti unique, le FLN, chasser le tyran de son fauteuil, prendre notre destin en main, nous ouvrir au monde”.
Hélas, “le rêve a duré cinq jours, pas un de plus”…
Il y eut certes l’embellie apportée par Mohamed Boudiaf, à la mémoire duquel l’auteur a dédié sa Lettre. Président de l’Algérie de janvier à juin 1992, “le preux, l’innocent qui a cru que le pandémonium céderait devant la sainteté” fut assassiné à Annaba le 28 juin 1992 par un officier de la garde présidentielle.
S'ensuivit une guerre civile (1992-1999) : “deux cent mille morts, des dégâts incalculables, quatre coups d’État, du remue-ménage dans le sérail, le tout accompagné d’un pillage systématique du pays.”
Puis, pour finir, le “référendum pour la réconciliation et la paix” du 29 septembre 2005, qui tourna hélas à la mascarade : “Ce jour, nos voix ont été réquisitionnées pour amnistier ceux qui, dix années durant et jusqu’à ce jour, nous ont infligé des douleurs à faire pâlir de jalousie Satan et son armée infernale”.
Une fois encore la perspective de jours plus heureux a fait long feu, “et voilà qu’aujourd’hui, nous en sommes là, hagards et démunis, immobiles et penauds, n’ayant plus rien à renier ou à aimer…”
Puisqu’il faut garder une lueur d’espoir, il reste à imaginer qu’en application du référendum de 2005, le peuple parvienne un jour à obtenir enfin “un programme de développement économique et social qui soit vrai, la tenue urgente d’élections générales anticipées sous l’égide de l’ONU, la réécriture de l’Histoire en insistant sur ses points négatifs, l’envoi du FLN au musée, la réhabilitation pleine et entière des victimes du terrorisme…”
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