25 mars 2020

Le savant de Marseille

Entre autres péripéties plus ou moins dramatiques émaillant l’évolution de l’épidémie causée par le COVID-19, on retiendra sans doute l’empoignade épique opposant le Professeur Didier Raoult et son équipe à une grande partie de la communauté scientifique.
La polémique concernant la solution thérapeutique proposée par l’infectiologue marseillais à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine pour écourter la maladie est devenue caricaturale. On trouve d’un côté les partisans de la mise en œuvre immédiate de ce traitement sur la base de données scientifiques préliminaires, de l’autre des adversaires non moins radicaux refusant ce qu’ils qualifient de faux espoir dangereux. Entre les deux, se trouvent les Pouvoirs Publics qui tergiversent, tel l’âne de Buridan, ne sachant pas trop vers qui se tourner et qui proposent en désespoir de cause des demi-mesures et notamment de rigoureux mais lourds et complexes essais cliniques, dont les résultats ont peu de chances d’être connus avant la fin du pic épidémique...
Comment se terminera ce bras de fer ? Au point où en sont rendus les esprits, l’alternative risque d’être très manichéenne, aboutissant soit à la béatification scientifique du génial précurseur, soit à sa déchéance sous l’accusation de charlatanisme. Pourtant, il y a fort à parier qu'aucune des deux options ne sera méritée. Selon toute probabilité, son traitement n'est pas miraculeux (comme le fut la streptomycine dans la tuberculose par exemple), car il est évident qu'on le saurait déjà. Au mieux sera-t-il démontré qu'il constitue un moyen de se débarrasser du virus plus vite et plus radicalement, ce qui pourrait éviter à certains patients de basculer dans une forme grave. Ce serait essentiel pour endiguer le raz-de-marée qui s'abat sur les hôpitaux, mais ce n'est pas facile à démontrer pour une maladie dont 98% des malades guérissent spontanément en quelques jours et dont la grande majorité expriment peu ou pas du tout de symptômes... Rappelons que c'est en diminuant la charge virale qu'on est parvenu à maitriser le SIDA. A ce jour, il n'existe toujours aucun traitement curatif ni de vaccin... Rappelons enfin que certaines infections courantes comme la pneumonie à Pneumocoque est due à un germe sensible aux antibiotiques, souvent des plus simples telle la pénicilline. Pourtant lors des rares formes très graves, qu'on dit fulminantes, ces antibiotiques très efficaces restent sans effet face au déréglement massif du système immunitaire qui cause la mort des malades...

Pour le Professeur Raoult, c’est en tout cas le point d’orgue d’une carrière hors normes…
Venu tardivement à la médecine par la voie littéraire, il n’a pas un cursus obéissant aux canons établis par le clergé scientifique parisien.
On ne peut toutefois pas lui retirer quelques faits d’armes couronnés de succès dans la lutte microscopique contre les microbes et une notoriété internationale qui n’a sans doute rien d’usurpé. On ne peut pas non plus accuser l'administration de l'avoir méprisé vu l’impressionnante armada scientifique dont on lui a confié la responsabilité au sein de l'Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) méditerranéen désormais célèbre.
Il est vrai qu’il est coutumier des provocations et qu’il n’a jamais manifesté beaucoup de sympathie pour le consensus, et pas davantage pour la technocratie qui gère de sa main de fer notre système de santé.
Face au péril actuel, sa démarche est la cible de nombreux doutes si ce n’est de critiques virulentes. Pourtant elle semble cohérente et ne déroge pas à la logique scientifique. Certes les propos qu’il tenait en janvier, au moment où l’épidémie faisait rage en Chine, paraissent aujourd’hui un peu légers. Il parlait alors de deux ou trois malheureux morts et considérait qu’il ne s’agissait jusqu’à preuve du contraire pas d’un problème de santé publique majeur pour la planète.
Aujourd’hui si cette appréciation est choquante, elle ne l’est pas plus que celle de la ministre de la santé qui à la même époque affirmait publiquement que le risque de contamination de la France à partir du foyer de Wuhan était “quasi nul”...

Au demeurant, cela fait des années que le Pr Raoult alerte sur le risque de pandémies et sur l'organisation déficiente de notre système de soins pour les combattre. Si l’on avait suivi la procédure qu'il recommande, le problème n’aurait peut-être pas pris l’ampleur qu’il a aujourd’hui, spécialement en Europe.
M. Raoult préconise en effet de réaliser massivement et précocement des tests diagnostics qu’il affirme être à la portée de n’importe quel laboratoire (tout est un problème d'organisation, dit-il). Cette attitude permet selon lui de repérer très vite les personnes contaminées et de les isoler, ainsi que leurs contacts, ceci pour éviter le recours au confinement généralisé, qu’il qualifie de solution moyenâgeuse.
La Corée du Sud qui a suivi ce chemin semble en passe de juguler la contagion sans avoir été contrainte de confiner toute sa population. La Chine, qui avait pris un peu de retard, a été obligée d'isoler sévèrement toute la région du Hubei, mais elle a suivi ensuite cette politique qui lui vaut aujourd’hui d’avoir réussi à circonscrire le problème. Avec quelques 80.000 malades et un peu plus de 3000 décès rapportés à la maladie, sur une population d’un milliard et demi d’habitants, on pourrait dire que son bilan est meilleur que celui de la France face à une épidémie de grippe...
Le Professeur Raoult propose en outre un protocole thérapeutique original, élaboré par ses soins, à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, sujet de tant de controverses. Certes les données sur lesquelles il se fonde sont fragmentaires. Mais en période critique, ne sont-elles pas suffisantes pour être mises en œuvre sans délai, partant du principe qu’il ne s’agit que de nouvelles indications de médicaments connus de longue date, faciles à se procurer, peu onéreux et de toxicité modérée ?
C’est sur ce point que les “sachants” s’étripent. Pour une bonne part d’entre eux, ils soutiennent mordicus qu’il faille passer par un essai clinique
en bonne et due forme, à savoir randomisé et en double aveugle, qui selon toute probabilité, prendra des mois avant de livrer ses conclusions. Qui a raison, l’avenir seul le dira peut-être.

L’attitude quelque peu iconoclaste du Pr Raoult a en tout cas le mérite de mettre en lumière des problématiques, pas très nouvelles, mais inhérentes à notre système de santé, régi par une centralisation bureaucratique toujours croissante et un principe de précaution poussé à l’extrême mais trop souvent à côté de la plaque, car manquant de pragmatisme. Peu importe en somme qu’il ait raison ou tort sur le sujet obsédant de la chloroquine, l’essentiel serait de pouvoir tirer les leçons du drame que notre société est en train de vivre, une fois le coup de feu passé...
En attendant, les files s'allongent devant l'IHU de Marseille et l'irrationnel guette plus que jamais...

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