27 juillet 2020

Black Peter


In memoriam Peter Green (1946-2020)


Il affectionnait la pénombre
Où l'acuité de son regard
N’abandonnait rien au hasard
Pour voir la beauté la plus sombre

Mais il craignait la foule en nombre
La gloire et le trop plein d’égard
Qui, le savait-il, tôt ou tard
Vous font lâcher la proie pour l’ombre

Alors, timide et vacillant
Mais l’esprit et les doigts agiles
Il s’abstint des choix trop faciles

Son génie fut un pur diamant
Mi-blues et mi-métaphysique
Toujours taillé pour la musique...

23 juillet 2020

Contes et Comptes de Ségur

Comme le Beaujolais, le projet de loi “Nouveau” pour sauver l’Hôpital est arrivé ! Et son nom qui pourrait faire croire à une belle histoire pour enfants ne doit rien à la Comtesse, mais un peu au Ministre de la Guerre de Louis XVI qui légua son patronyme à l’avenue dans laquelle se trouve le “Ministère de la Solidarité et de la Santé”. Placée sous les auspices d'un Maréchal de France, cette réforme sera-t-elle la mère des batailles ?

Depuis l’élection d'Emmanuel Macron, c’est le quatrième plan pour la santé ! A l’heure où le nouveau Premier Ministre se fait fort de ressusciter le Commissariat au Plan, ça ne manque pas sel. Le monde d’après ressemble de plus en plus à l’archaïque monde d’avant…

Résumons les faits: on a vu tour à tour depuis septembre 2018 la réforme emblématique “Ma Santé 2022”, pas très convaincante, qui dut être complétée par le “Pacte de refondation pour les Urgences” un an plus tard. Faute d’avoir davantage emporté l’adhésion des professionnels, il fallut en novembre de la même année improviser en catastrophe le “Plan d’Urgence pour l’Hôpital”. Las ! En 2020, l’épidémie de COVID-19 étant passée par là et le mécontentement étant resté toujours aussi présent, le Gouvernement se voit contraint de raconter une nouvelle romance en l’intitulant cette fois “Ségur de la Santé”.

On voudrait tant y croire ! On voudrait tant que la volonté de "modernisation" affichée devienne une réalité ! Hélas, force est de constater que les plans se suivent et se ressemblent. A chaque fois les Pouvoirs Publics se délestent de quelques, voire de quelques dizaines de milliards d’euros, pour tenter d’atténuer temporairement la vindicte populaire, mais face au problème de fond, il n’y a toujours rien de vraiment innovant, si l’on croit ce qu’en dit le Dossier de Presse.

D’après les auteurs enthousiastes de ce document idyllique, si ce nouveau projet pêche ce n’est sûrement pas par manque de concertation. On a recensé pour parvenir à un accord, pas moins de "90 parties prenantes et organisations syndicales", "100 réunions bilatérales", "200 réunions territoriales", et "118407 participants à la consultation en ligne". Tout cela rappelle furieusement le Grand Débat, dont on a vu l’inanité...


Ce n'est pas non plus par insuffisance de ressources financières, car les milliards valsent. Au moins 8,2 pour la juste et très attendue revalorisation des carrières, et 19 “d’investissement dans le système de santé pour améliorer la prise en charge des patients et le quotidien des soignants”. Vaste programme, comme dirait le Grand Charles !
Après les 750 millions pour les urgences puis les 10 milliards destinés en novembre 2019, à éponger la dette contractée par les établissements de soins, on arrive autour de 40 milliards d’euros, sachant qu’il faudrait également combler le déficit de la sécu qui va dépasser cette année les 52 milliards. Il est vrai qu’à ce niveau, cela paraît presque mesquin de compter encore… Comme le dit le Président de la République à propos du plan de relance européen, pas de souci, ce seront “les entreprises internationales du numérique” qui paieront l’addition !

S’agissant des mesures de réorganisation et de restructuration, on entrevoit tout ce qu’on pouvait craindre. Pour faire simple, on retrouve d’un côté tous les voeux pieux maintes fois émis, et renouvelés ici une fois encore, et de l’autre la lente mais irrémédiable progression - à reculons - de la machine à mille strates administratives de l’Etat-Providence !
Remarquons par exemple qu’il n’est pas fait mention de la moindre remise en ordre de l’infernal chaos dans lequel se trouve la gouvernance hospitalière. Rien ne bouge hormis le rôle des services de soins que la loi Hôpital Patients Santé Territoires (HPST dite encore Bachelot) avait fait mine d’abandonner au profit des pôles. Ils reprennent du poil de la bête, laissant présager de belles empoignades et de belles luttes de pouvoir entre médecins, cadres et directeurs. Les "délégations de gestion" concrètes, promises depuis Mathusalem, pourront quant à elles encore attendre...

S’agissant de l'allègement du carcan administratif, les hôpitaux doivent se contenter de la vague promesse de voir “simplifier les procédures et libérer du temps pour les professionnels”, mais sans aucune précision. Aucun gain d’autonomie n’est à espérer pour les établissements. Au contraire, les Agences Régionales de Santé (ARS) perdurent et tout porte à croire que leur influence néfaste va augmenter. Le ministre plaide en effet pour une implantation plus forte au niveau des départements et un “rôle accru dans l’accompagnement”.


Comme prévu et redouté, le gouvernement veut, après l'avoir promue à grands frais pendant une dizaine d'années, "accélérer la réduction de la Tarification A l’Activité (T2A)". En plus d'une incohérence manifeste, c'est un non sens absolu qui annonce un alourdissement massif des protocoles de financement et un nouvel accroissement  de la charge administrative.

Dans le même cadre économique, il sera dit-on mis fin au "mercenariat de l’intérim médical" qui palliait tant bien que mal la désaffection grandissante des praticiens pour les postes hospitaliers. Certes il coûte cher, mais c’est un pis-aller face à la désertification de certaines régions et il y a peu de chance qu’on règle ce douloureux problème "en faisant bloquer par les comptables publics les rémunérations des contrats d’intérim médical dépassant le plafond réglementaire ou ne respectant pas les conditions fixées par la réglementation, et/ou en permettant aux ARS de dénoncer devant le tribunal administratif les contrats irréguliers." On aura donc des contrôles, toujours des contrôles, et une politique qui s’apparente au calamiteux encadrement des loyers et des prix. Cela n’a jamais servi à autre chose qu’à accentuer la pénurie, mais il n’y a pas plus obstiné qu’un politicien fort de ses principes...
Parallèlement le ministre promet l’ouverture de 4000 lits “à la demande”. Est-ce à dire qu’il suffira de demander ou bien qu’on pourra toujours se brosser pour remplir les conditions que ne manquera pas d’exiger l’Administration centrale ?
Au niveau territorial, on souhaite selon le rite établi, “fédérer les acteurs de santé dans les territoires au service des usagers”. Mais pas un mot sur les calamiteux
 Groupements Hospitaliers de Territoires (GHT) ce qui signifie que là non plus rien ne sera amené à changer et surtout pas la confusion des responsabilités et la complexité monstrueuse de la gestion inter-hospitalière. Lot de consolation pour les hôpitaux locaux, ils sont promus “laboratoires en matière de coopération territoriale”... Cela leur fera sûrement une belle jambe !

Au rang des bonnes et creuses intentions, on peut citer la volonté de “concrétiser le Service d’Accès aux Soins” (SAS), celle de lutter “contre les inégalités en santé”, et de mettre en place, une fois encore, “une offre de prise en charge intégrée ville-hôpital-médico-social”. Autant de chimères ressassées depuis des lustres. Y a-t-il des gens assez naïfs pour y croire encore ?

Il y a également la promotion de la télémédecine, rengaine itérative s'il en est. On en parle depuis si longtemps ! Il a suffi d'un maudit virus et du confinement pour la voir subitement allégée des contraintes réglementaires qui l'étouffaient. Elle se trouva dopée comme par magie et on s'aperçut que c'était simple et que ça marchait ! Pourvu qu'on ne revienne pas en arrière !
Quant aux carrières, on annonce des recrutements (pas moins de 15.000, sans indiquer où ni pour quoi faire) mais aucune piste ne précise d’éventuelles délégations de tâches. On parle bien du “déploiement d’Infirmiers en Pratique Avancée”, mais que cela signifie-t-il donc hormis suggérer que les autres seraient nécessairement relégués au rang des retardés ? Enfin, il est proposé de “lancer une réflexion sur la création d’une profession médicale intermédiaire..” Comprenne qui pourra.
Bref, selon les mots emphatiques du ministre, “les conclusions du Ségur de la santé seront notre boussole pour relever les défis d’une Nation qui conjugue désormais les solidarités et la santé à ses valeurs fondamentales.” Autant dire qu’on n’est pas sortis de la tourmente !

20 juillet 2020

Dylan Is Dylan

Dylan est là, et nul doute que pour quelques uns, c’est un doux réconfort. Après une parenthèse crooning consacrée aux grands standards d’antan, on retrouve sur une dizaine de compositions originales, sa voix traînante, un peu fatiguée, un peu lasse, mais dont les écorchures laissent encore sourdre de délicates suavités: Rough And Rowdy Ways.
Le style est des plus dépouillés. Les lignes mélodiques sont réduites à leur plus simple expression, et l’accompagnement musical mi-swing mi-shuffle, se fait velours pour servir d’écrin à des textes intenses, débordant de poésie et de symboles.

Le morceau de bravoure c’est évidemment la très longue mélopée Murder Most Foul qui brode autour de la mort de John Kennedy, l’histoire de la seconde moitié du XXè siècle, et plus précisément la décade prodigieuse des sixties, exaltante, chaotique et tragique. Plus que jamais Bob Dylan apparaît comme le chantre inspiré de cette époque qu’il incarne si bien tout en la contemplant de haut, tel un oiseau au regard acéré mais quelque peu désabusé.

A côté de ce monument, on trouve une floraison de superbes ballades qui égrènent leur litanie dans un clair obscur tiède et paisible. Key West par exemple qui célèbre de façon inattendue l’éden suspendu au bout de la Floride, entre les bleuités confuses de l'océan et la clarté nébuleuse des confins célestes. “Key West est l'endroit où il faut être lorsqu’on cherche l'immortalité” dit la chanson. C'est une vanité bien sûr mais elle est envoûtante et on se prend à espérer que continue longtemps cette incantation qui love sa douce espérance sur un lit moelleux d'accordéon.

Avec I’ve made up my mind to give myself to you, Dylan chante l’amour de la manière la plus déchirante qui soit. Revenu de tout et abordant le crépuscule de son existence, le barde s'y fait très humble et résigné pour célébrer l'essentiel et oublier tout le reste. Est-ce à un être humain qu'il s’adresse et à qui il s'abandonne corps et âme, est-ce à une entité supérieure, peu importe en somme. Les mots sont là, ils touchent profondément, voilà tout.

D’autres petits trésors gravitent autour de ces splendides astres nocturnes. Deux blues à la rythmique lourde et capiteuse qui rappellent où se trouvent les racines peut-être les plus profondes de la geste dylanienne (False Prophet, Goodbye Jimmy Reed). Dans le premier, l’artiste assène une fois encore qu’il se refuse à être un faux prophète (“je ne sais que ce que je sais, et je vais là où seuls vont les solitaires…”). Dans le second, il salue bien bas l’un des ténébreux héros de la culture américaine, auprès desquels il puise souvent son inspiration. A noter d'ailleurs que le titre improbable de l’album, fait référence à une chanson de Jimmie Rodgers, l’un des pionniers de la musique country.
Il faut enfin s'imprégner de la beauté de quelques perles noires, à la scansion aussi absconse qu’ensorcelante (Crossing The Rubicon, Black Rider, I Contain Multitudes, Mother Of Muses, My Own Version Of You).

Et puisque tout compte dans cet album sombre et somptueux, un mot enfin de la pochette et du cliché qui l'illustre. Il vous plonge dans la demi-clarté d’un bouge interlope aux reflets mordorés de came et d'alcool. On y danse jusqu’au bout de la nuit dans une ambiance où la volupté des rêves amoureux le dispute à la poisse des destinées enfermées dans une implacable finitude...

13 juillet 2020

COVID en questions

Le virus circule toujours”. “Une deuxième vague dès cet été”. “La rentrée ne sera pas normale”... Autant de gros titres et d’avertissements inquiétants, alors qu’on pensait en avoir à peu près fini avec la phase aiguë de l’épidémie.
Par un paradoxe troublant, tandis qu’on nous répète que le nombre de cas progresse et que des clusters émergent un peu partout, il y a toujours moins d'hospitalisés, et les services de réanimation continuent lentement à se vider.
Où donc en sommes-nous réellement, s’agissant du COVID, alors que nous sommes privés des laborieux speeches de Jérôme Salomon et qu’ont cessé les séquences explicatives théâtrales des pontifes ministériels ?

Olivier Véran fait mine de s'agiter en insistant sur l’importance de continuer à appliquer les “gestes barrière”, mais il nous en dit trop ou pas assez. Quant à l'application StopCovid qui coûte paraît-il 200.000 € par mois aux contribuables, elle a fait un flop monumental et est déjà passée aux profits et pertes.

La comparaison des chiffres internationaux ne laisse quant à elle pas d'interroger.
Non seulement ceux affichés par la France détonnent, mais ils ne cessent, a contrario de ceux de nombre de pays, de se dégrader au fil du temps. Si l’on en juge sur le ratio nombre de décès sur nombre de cas déclarés, la France affiche une mortalité de 17,6% (30.000/170.000) ! Même les nations européennes réputées avoir le plus mal géré la crise, font désormais mieux que nous: le ratio pour le Royaume Uni s’établit à 15,5%, il est de 15% pour la Belgique, pour l’Italie de 14,3 % et pour l'Espagne de 9,4%. On a beau chercher, notre pays fait figure d'exception dans le mauvais sens du terme. Aux Etats-Unis où paraît-il l’épidémie fait rage, le nombre de cas augmente certes rapidement, mais le taux de mortalité ne cesse de baisser pour atteindre à ce jour 4 %, et au Brésil qui fait paraît-il n’importe quoi, il plafonne à 3,9 %.
Rappelons au passage qu’à Taiwan, le nombre de cas ne dépasse pas 451 et le nombre de décès s’est stabilisé à 7 (soit 1,5% de mortalité).
Que se passe-t-il chez nous ? Sommes-nous donc incapables de produire des statistiques fiables, ou bien nous trouvons-nous toujours en difficulté pour faire le diagnostic de la maladie, à moins que nous ne soyons particulièrement mauvais pour la soigner…
Partant de nos 30.000 morts, et d’une mortalité théorique de 0,5% (celle de la cohorte du Pr Raoult, dont certains affirment qu’elle n’a rien d'extraordinaire), cela supposerait 6 millions de personnes atteintes et non diagnostiquées, c’est à dire quasi la moitié des cas mondiaux.
Décidément, quelque soit le bout par lequel on prend le problème, il y a quelque chose de pourri au Royaume de France !

10 juillet 2020

Factfulness

Quoi de plus naturel que d’assujettir son opinion aux faits établis plutôt qu’aux suppositions ou aux croyances ? Ce fut en tout cas la thématique que défendit opiniâtrement le médecin suédois Hans Rosling.
Expert en santé publique, conseiller auprès de l’OMS, il parcourut le monde en essayant de propager, preuves et chiffres à l'appui, ce principe qui en apparence tombe sous le sens et qui pourtant a tant de mal à s’imposer en pratique.
Son ouvrage, hélas posthume, intitulé Factfulness, est tout entier consacré à ce sujet. Si le terme se retrouve traduit en factualité, l’éditeur précise en couverture, que derrière le concept, c’est bien de “la saine habitude de fonder son opinion sur les faits” qu’il s’agit.

“Les faits sont têtus” clamait Lénine. Il avait raison le bougre, mais combien fut cruelle cette vérité pour le peuple russe qu’il entraîna dans la barbarie en piétinant cette évidence, et pour tant d’autres qui furent sacrifiés sur l’autel de principes.
Plaute affirmait quant à lui que “les faits parlent d’eux-mêmes”. Pourtant, même à notre époque, avide d’informations et de chiffres, les faits n’ont jamais été aussi méprisés, occultés, interprétés, ou carrément ignorés.
C’est ce que démontre Hans Rosling à l’aide d’un simple questionnaire, soumis à des publics variés, des plus populaires aux plus intellectuels, réputés “sachant”. Treize questions auxquelles n’importe quel individu bien renseigné, et chacun peut l’être aujourd’hui, devrait répondre de manière adéquate. Pour en donner un aperçu, voici 5 exemples:

Ces 20 dernières années, la proportion de la population mondiale vivant dans une extrême pauvreté
A A presque doublé
B Est restée à peu près la même
C A presque diminué de moitié

Comment a évolué le nombre de morts par catastrophe naturelle ces 100 dernières années
A Il a plus que doublé
B Il est resté à peu près stable
C Il a diminué de plus de la moitié

Aujourd’hui, dans quelle proportion les enfants de 1 an sont-ils vacciné contre certaines maladies:
A 20%
B 50%
C 80%

En 1996 les tigres, les pandas géants et les rhinocéros noirs furent classés comme espèces en danger. Combien de ces 3 espèces sont plus particulièrement menacées aujourd’hui:
A Deux
B Une
C Aucune

Combien de personnes dans le monde ont-elles un minimum d’accès à l’électricité
A 20%
B 50%
C 80%

Le test fut révélateur pour la quasi totalité des publics interrogés, et particulièrement édifiant s’agissant des personnes a priori les plus éclairées, exerçant parfois des fonctions politiques de premier ordre.
A chaque fois ou presque l’option la plus dramatique fut choisie par une majorité de gens, et très rarement fut atteinte la proportion de 33% de bonnes réponses, qu’on pourrait attendre comme le fait remarquer malicieusement l’auteur, de chimpanzés répondant au hasard ! Précisons que pour chacune de ces 5 questions, la bonne réponse était la proposition C.


Le fait est que l’opinion la plus répandue actuellement est que le monde va de plus en plus mal, qu’il est rongé par la pauvreté, menacé par les catastrophes naturelles, l’extinction généralisée des espèces animales, la pollution, la déforestation et autres périls marquant manifestement les esprits.Tout cela est largement erroné et le constat n’est pas franchement nouveau. Jean-François Revel y avait consacré un ouvrage très percutant, montrant que les moyens modernes d’information étaient vains face aux idées reçues et aux rumeurs, et plus récemment Steven Pinker s’échinait quant à lui à démontrer que loin de courir à la catastrophe, le monde allait de mieux en mieux (à l’exception de l’Amérique de Trump…).

L’originalité de Rosling est de prendre sur le fait si l’on peut dire, les ignorants qui ont la faiblesse de croire aux préjugés et qui contrairement aux conseils du bon Kant, négligent de vérifier par eux-mêmes la véracité d’affirmations trop souvent sous-tendues par des parti-pris idéologiques. La méthode est assurément efficace et l'on se prend à espérer que l'immense succès de librairie de l'ouvrage soit l'annonce d'un vrai et durable changement dans les mentalités.
On en doute toutefois car les clichés ont la vie dure, et bien que les propos de l'auteur soient clairs, sages et simples , on craint qu'ils ne soient vite oubliés...
Pour conjurer le risque de se tromper trop lourdement, Rosling invite à se méfier des comparaisons et prévisions fondées sur des généralisations hâtives, des moyennes fallacieuses, ou des projections en lignes droites trop simplistes. Il recommande de ne pas chercher systématiquement un bouc émissaire à tout ce qui ne va pas bien. Il conseille ne pas céder à la peur, ou à l’urgence, très souvent mauvaises conseillères. Enfin, il préconise de combattre l’ignorance et de répandre une vision du monde basée sur les faits, ce qu’il juge “enthousiasmant et joyeux” et beaucoup plus conforme à l’évolution en profondeur des choses, qui se fait parfois sous nos yeux sans même qu’on y prête attention. Ainsi, l’Occident, trop certain de sa suprématie et de ses acquis, et quelque peu condescendant vis à vis du reste du monde, ne voit pas que d’autres régions du globe montent en puissance, risquant sous peu de le reléguer au rang des civilisations en voie de décadence...
Selon Socrate il n’est de pire ignorance que celle qui s’ignore. Sommes nous encore capables de nous en rendre compte de manière pragmatique ?

05 juillet 2020

La Grosse Commission

On n’en a pas fini avec le coronavirus. Et on n’a pas fini de parler de cette crise qui bouleversa sans qu’on ait eu le temps de crier gare, la vie du pays en ce printemps 2020. Pour faire toute la lumière sur la façon dont l’Etat traita cette épidémie, l’Assemblée Nationale a mis sur pied une commission expresse. Sage et logique initiative pour peu qu’une telle instance soit en mesure d’éclairer vraiment le Peuple et qu’elle permette de tirer des conclusions pragmatiques.
C’est tout le contraire qui se passe sous nos yeux et le moins qu’on puisse en dire pour l’heure, est que ce théâtre républicain improvisé tourne à la farce bouffonne.
On interroge des heures durant nombre d’experts, de hauts fonctionnaires, de ministres et autres satrapes impliqués plus ou moins directement dans la gestion de ce fameux COVID-19. Après avoir entendu tout ce beau monde, force est de conclure que le problème reste entier et les polémiques plus enflammées que jamais.

On a retrouvé le discours patelin du professeur Salomon, réexpliquant avec force circonlocutions et périphrases tout ce dont il nous avait abreuvé durant des semaines, occultant dans la sauce onctueuse de son discours, maintes contradictions et maints égarements…
On a retrouvé les attaques vitriolées du Professeur Raoult faisant à lui tout seul le procès impitoyable des dits égarements du Pouvoir et de la plupart de ses confrères, tout en glorifiant non sans raison les bons résultats obtenus par son équipe.
Les ministres de leur côté ont mis toute leur énergie avec un talent assez inégal, à se dédouaner de toute faute, de tout retard et de toute négligence.
On avait presque pitié pour madame Buzyn, perdue dans ses dossiers, bafouillant des arguties foireuses pour tenter de justifier son action. Entre autres énormités débitées sur un ton de chien battu, elle osa prétendre qu’elle avait toujours été en avance sur les instances internationales, et affirma sans vergogne que la France avait été la première à mettre au point les tests diagnostiques ! Aucun regret, aucun remords, aucune remise en cause.
Pas davantage de questionnement chez ses prédécesseurs, en l’occurrence Marisol Touraine et Roselyne Bachelot. La première se félicita d’avoir laissé en partant autant sinon plus de masques qu’au moment de sa prise de fonction et la seconde se permit d’ironiser à propos des médecins, négligents et infantilisés selon elle, au point de n’avoir dans leur cabinets ni masques ni blouses, attendant tout en somme de l’Agence Régionale de Santé !
Toutes les deux ont oublié les réformes calamiteuses dont elles portent la très lourde responsabilité et qui n’ont pas peu contribué à mener notre système de santé dans l’état où il se trouve, rongé par la sur-administration et la déresponsabilisation générale.

Tous ces débats n’ont donc pas amené la moindre clarification. Pire, tous les représentants des Pouvoirs Publics passés sur le gril estiment avoir parfaitement rempli leur mission. Comme le dit élégamment le président de l’UDI Jean-Christophe Lagarde : “On se fout de notre gueule”. Aucun progrès n’est donc à espérer et aucune leçon ne sera comme trop souvent tirée de ce navrant épisode. Les polémiques et les guerres de chapelles quant à elles sont loin d’être éteintes. L’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris menace de poursuivre Didier Raoult pour faux témoignage. L’HAS et le Conseil Scientifique dénoncent des propos infamants et calomnieux. Quant à Roselyne Bachelot, elle a hérissé une bonne partie des médecins de ville qui ont payé un lourd tribut à l’incurie gouvernementale et qui envisagent de porter l'affaire devant les tribunaux...

Et ce n'est pas fini. Trois des ministres en exercice lors de la crise font l'objet de plaintes citoyennes pour "abstention de combattre un sinistre" et devront en répondre devant la Cour de Justice de la République. Il serait exagéré et inconvenant en la circonstance d'exiger pour ces gens que soit reconnue une quelconque culpabilité, eu égard à la complexité de la situation, mais il est hélas illusoire qu'au moins soient tirées quelques conséquences pratiques pour qu'à l'avenir l’État se comporte avec un peu plus de réactivité, de pragmatisme et beaucoup moins d'auto-satisfaction...

Illustration: Les Gens de Justice. Gravure d'Honoré Daumier