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18 septembre 2023

Statistiques et Transhumanisme 2

Lors de cette session des “Visiteurs du Soir” (10/09/23), animée par Frédéric Taddéï, le second débat avait pour objet le thème du transhumanisme.
Dire précisément de quoi il s’agit serait difficile tant le concept est sujet à interprétations. On se situe en effet dans une sorte de nébuleuse portant l’idée que le progrès technique aboutira tôt ou tard à une transformation radicale de l’être humain. Selon les plus enthousiastes zélateurs de cette théorie, l’Homme deviendra plus intelligent, plus puissant, résistant à quasi toutes les maladies, et à terme, il pourra peut-être accéder à l’immortalité.

Pour en débattre, le premier protagoniste était Michel Onfrayphilosophe bien connu, très médiatique et surtout très prolixe en ouvrages célébrant une vision athée, quelque peu nietzschéenne du monde, fermement ancrée dans un socialisme utopique, de type proudhonien. Le second, Laurent Alexandre, fut chirurgien, cofondateur du site web Doctissimo, auteur de nombreux ouvrages consacrés à l’avenir des sciences et des biotechnologies, également habitué des plateaux télévisés et tout aussi engagé politiquement, mais quant à lui, dans une sorte de libéralisme de centre gauche, néo-macroniste, selon ses propres déclarations.

Le point de départ de la discussion se fondait sur un objectif en apparence partagé : celui d'améliorer les perspectives d’avenir pour l'Humanité. La visée est on ne peut plus louable, mais il ne fallut pas attendre bien longtemps pour comprendre que les voies préconisées pour y parvenir étaient largement divergentes.

Laurent Alexandre propose une voie résolument optimiste, et se fait le démiurge d’une nouvelle humanité. Selon ses dires, “l’Homme 1.0 est mort, vive l’Homme 2.0”! Emporté par la passion, il lui arrive même d'appeler ce dernier Homo Deus.
Les progrès rapides en biologie, en génétique, en intelligence artificielle (IA), en nanotechnologies, l’incitent en effet à penser que l'être humain est en passe d’être transfiguré. Tout ce qui semblait relever de la Nature sera selon lui revisité par la technique. Ainsi “le bébé à la carte” deviendra la règle eugéniique, et la grossesse et l’accouchement ne seront bientôt plus qu’un souvenir, grâce à l’avènement de l’utérus artificiel. Ce dispositif permettra d’optimiser la gestation, et de doter le foetus d’extraordinaires capacités physiques et intellectuelles. La famille réunie autour de la machine, trônant dans le salon durant 9 mois, pourra même suivre le bon développement du futur enfant... 
Dans ce monde idéal, il n'y aura peut-être même plus besoin de travailler. Un revenu universel sera versé aux oisifs et tous les désirs pourront être satisfaits sans délai par l'Intelligence Artificielle, omniprésente. 

Inutile de dire que cette description horrifia Onfray, qui y voit la concrétisation maléfique du fameux "Meilleur Des Mondes". Lui à l'opposé, reste envers et contre tout attaché à un monde fondé sur le respect des traditions. Il veut l'avènement d'un modèle de société libre et joyeuse, ouverte aux délices de l'épicurisme, tout en garantissant la protection des citoyens contre toute emprise excessive du Pouvoir, des Médias, des Commerçants, des Religions, de la Mondialisation, et in fine de la Technique et de l'Informatique.

Taddei qui se trouvait pris entre le marteau et l'enclume tenta quelques incursions visant à rapprocher les deux paradigmes mais rien n'y fit. Bioconservatisme contre transhumanisme, c'est de toute manière irréconciliable, et dans les deux cas, extravagant. On pouvait supposer d'ailleurs, que l'animateur ne penchait n'y d'un côté ni de l'autre tant les paradoxes et les contradictions étaient légions, quelque soit l'option considérée.

Le scientifique exalté se veut le chantre d’une nouvelle humanité assujettie à la technique, sans aspiration spirituelle autre que “de tuer la mort”, et dont la foi et la morale se réduisent à un fumeux “théo-logiciel”. Une perspective d’évolution entièrement consacrée à la réalisation narcissique d'un idéal de perfection, plein de vanité, donc de vide. Par un étrange oxymore, le culte de l'individu le plus exacerbé s'inscrit dans une vision holistique de la société au sein de laquelle les citoyens valent à peine mieux que des fourmis au comportement programmé.
Il imagine avec un sérieux confondant qu’on pourra rendre les gens plus intelligents par la magie de la biotechnologie, en leur greffant des puces dans la cervelle ! Comme si l'intelligence pouvait être aussi simple, comme si la machine, aussi perfectionnée soit-elle, pouvait être qualifiée d'intelligente, et comme si elle excluait totalement par nature la bêtise ! Dans un beau geste altruiste, il voudrait que ces progrès profitent à tout le monde, prioritairement aux gens défavorisés par la nature, et qu'ils soient remboursée par la Sécurité Sociale ! Une telle naïveté ruine la crédibilité qu'on serait tenté d'accorder à ce modèle caricatural.
Mais on n’est pas plus convaincu par son interlocuteur Michel Onfray, proposant une version amendée du rêve ancestral de société juste et égalitaire.
Le philosophe, aussi brillant qu’idéaliste, qui se veut novateur, ne fait rien d’autre que recycler de vieilles lunes révolutionnaires d'inspiration collectiviste, toujours désastreuses lorsqu’elles furent mises en œuvre par le passé. Oubliant ces expériences malheureuses, et alors qu’il se prétend libertaire, il en vient à considérer le libéralisme, incarné selon lui par son interlocuteur, comme aussi néfaste que le communisme ! Il s'oppose de toutes ses forces à “la réification du monde” mais reste envers et contre tout fidèle au socialisme, fondé quelque soit la version mise en œuvre, sur une vision matérialiste et athée qui symbolise le mieux cette réification.

Au bout du compte, à l'issue de la confrontation, l'envie qui se faisait jour était de renvoyer dos à dos les deux conceptions, car décidément, l'une mélange science et scientisme, l'autre continue de confondre philosophie et utopie …

10 décembre 2017

C'est Tocqueville qu'Onfray torture

Après avoir injustement maltraité le vénérable Kant, Michel Onfray s’attaque aujourd’hui méchamment à Alexis de Tocqueville (1805-1859).
Avec son récent ouvrage Tocqueville et les Apaches, il entreprend en effet selon son point de vue, de démythifier ce merveilleux penseur de la démocratie et de la liberté.

Disons-le d'emblée, les maux dont il l’accuse sont absolument imaginaires, inventés de toutes pièces, et le portrait qu’il en fait est une infâme caricature dénaturant totalement le message pourtant limpide et lumineux du meilleur analyste politique que la France enfanta.

Il commence sa pesante digression par un troublant aveu : “Longtemps je n’avais lu de Tocqueville, que son Ancien Régime et la Révolution Française. C’était au temps de la pleine mode du philosophe libéral et j’avais opté pour ce texte parce que banalement, la furieuse révolution française m’intéressait plus que la banale démocratie en Amérique.”

Tout est dit ou presque. Onfray, qu’il est convenu de considérer comme un grand intellectuel de ce temps, ignorait tout simplement “De la Démocratie en Amérique”, à l’instar des malheureux écoliers passés par la machine à décerveler de l’Education Nationale !
Plus grave encore, il considérait (mais faut-il mettre cela au passé) la fabuleuse aventure américaine, comme quelque chose de banal, tandis qu’il se passionnait pour les horreurs de notre exécrable révolution…

Devant tant de misère, je me suis demandé s’il était nécessaire d’aller plus loin. J’aime la polémique et les querelles intellectuelles. Et bien qu’étant en constant désaccord avec les théories d’Onfray, je ne peux m’empêcher d’en suivre le parcours brillant, ne serait-ce que pour mieux forger à ce feu dévastateur, le fer de mes arguments. Il n’y a pas tant de penseurs à notre époque, depuis la disparition de Jean-François Revel et de René Girard.

Mais même si Onfray écrit bien, il est impossible de suivre le rythme effréné de ses publications. J’ai depuis de longs mois son interminable Cosmos sur ma table de nuit, second volet d’une fastidieuse trilogie messianique... En définitive je préfère me consacrer à ses opuscules, qu’à ses pavés. Logiquement, j’ai autant de chances d’y cerner son raisonnement et j’économise du temps. “Dieu préserve ceux qu’il chérit des lectures inutiles” disait Lavater….

Hélas, cette fois encore, la déception est grande. Dans ce qu’il faut bien appeler un pamphlet anti-Tocqueville, c’est bien simple, tout est faux ou à contresens.

Onfray commence à faire de notre fameux Normand un homme “de Gauche”, ce qui est une première approximation, pour ne pas dire davantage. Certes il voulut siéger sur les bancs de gauche à l’Assemblée Nationale, mais il fut on ne peut plus clair sur son engagement : “Je n'ai pas de traditions, je n'ai point de parti, je n'ai point de cause, si ce n'est celle de la liberté et de la dignité humaine”
Sa détestation du socialisme naissant ne faisait aucun doute. Onfray l’admet d’ailleurs, mais juste pour en faire un traître à l’Idéologie que lui-même continue de vénérer, envers et contre toutes les calamités dont elle est responsable.
A la vérité, Onfray cherche toujours l’introuvable socialisme au travers de ses lubies hédonistes, aux relents vaguement proudhoniens. Toujours déçu, toujours frustré, il alla jusqu’à frayer avec les communistes révolutionnaires de Besancenot et se déclare avec constance et opiniâtreté anti-libéral ce qui est un non sens pour quelqu’un se vantant par ailleurs d'être libertaire.

J’avais caressé un petit espoir que la lecture de Tocqueville l’amène à changer d’avis voire, ce qui eût été paradoxal pour cet athée notoire, à se convertir... Il n’en fut rien évidemment. 

Bien qu’il rédigea il n’y a pas si longtemps une première analyse plutôt élogieuse, à l’occasion de l’inauguration de la médiathèque de Caen, intitulée “La Passion de la Liberté”, il revient avec ces Apaches à ses vieux démons et brandit de plus belle sa rhétorique lapidaire pour démolir au sabre celui qu’il aurait tout à coup (re)découvert.
Quelques exemples devraient suffire à objectiver le caractère partisan et captieux de cette entreprise.
Passons sur l’amalgame idiot qui consiste à associer Tocqueville au mitterrandisme, au motif que “les années mitterrand sont celles de la seconde naissance de Tocqueville”, permettant lorsqu'on est de gauche, "de penser comme à droite pourvu qu’on soit libéral.”
S’il est vrai que certains mitterrandolâtres se sont réclamés de Tocqueville, c’est par ignorance crasse de sa philosophie et pour donner l’illusion d’une ouverture à leur programme bouffi de contradictions et de partis-pris. Les Socialistes français n’ont évidemment jamais rien eu à voir avec le libéralisme et ils n’ont rien de commun avec le bon Tocqueville. Leur manie insane de découper la liberté en tranches, dont ils font mine de retenir certaines (le libéralisme philosophique) tandis qu’ils rejettent les autres (notamment l’économie) démontrent qu’ils n’ont rien compris à la pensée libérale. Qu’on le veuille ou non, Tocqueville s’inscrit dans une lignée qui comprend des gens comme Turgot, Say, Bastiat et autres économistes distingués.
 
Onfray enferme comme on le sait, sa propre conception dans cette impasse.
Pire, il reprend peu ou prou les antiennes débiles de Sartre, en s’attaquant à
Raymond Aron qu’il accuse d’avoir “poussé Tocqueville comme on pousse un veau aux hormones”. Cuistrerie consternante dont il remet une couche, en affirmant même qu’il “s’en est servi comme d’une machine de guerre pour combattre Marx, le marxisme, le stalinisme, le soviétisme.”
En l’occurrence, ce dont s’est scandalisé Aron, c’est qu’on ait pu ignorer Tocqueville au profit de Marx dans les milieux éducatifs et universitaires français. Force est de constater que la propre école d’Onfray n’a pas fait mieux…

Malheureusement, à ces contre-vérités sur la vraie nature du libéralisme, Michel Onfray ajoute une grosse louche de mauvaise foi en assénant que Tocqueville aurait été “Raciste, ségrégationniste, colonialiste”, qu'il ne concevait le libéralisme qu'à condition d'être "blanc, homme, chrétien, et d'origine européenne" et “qu’il estimait que le massacre des Indiens obéissait à la Providence...”

Mais comment a-t-il donc lu l’oeuvre dont il trahit de manière aussi éhontée l’esprit ? Comment peut-il occulter des pans entiers du discours qui affirme entre mille autres citations : “l’esclavage déshonore le travail, il introduit l’oisiveté dans la société et avec elle l’ignorance et l’orgueil, la pauvreté et le luxe. Il énerve les forces de l’intelligence et endort l’activité humaine”
Comment ose-t-il tronquer une partie du propos pour tenter d’assimiler les constats de Tocqueville sur l'Amérique à des opinions ?
Par exemple, il extrait sournoisement du chapitre traitant des “trois races aux Etats-Unis”, une phrase dont il fait le pilier fondateur d’une pensée perverse : “parmi ces hommes si divers, le premier qui attire le regard, le premier en lumière, en puissance, en bonheur, c’est l’homme blanc, l’Européen, l’homme par excellence; au dessous de lui paraissent le nègre et l’Indien.”
Il se garde bien de citer ce qui suit et qui donne tout son sens à l'ensemble, attestant notamment de l’absence de complaisance de l’auteur pour ce qu’il voit de ses propres yeux : “Ces deux races infortunées n’ont de commun ni la naissance, ni la figure, ni le langage, ni les mœurs. Leurs malheurs seuls se ressemblent. Toutes deux occupent une position également inférieure dans le pays qu’elles habitent; toutes deux éprouvent les effets pervers de la tyrannie; et si leurs misères sont différentes, elles peuvent en accuser les mêmes auteurs…”

Ainsi, Onfray qui faisait le reproche au biographe Jean-Louis Benoit, dont il s’était inspiré pour son premier ouvrage, de s’être “contenté de morceaux choisis à dessein”, pour présenter Tocqueville comme “un auteur fréquentable”, commet une faute bien plus terrible. Il se permet de caviarder le texte qu’il commente pour n’en faire ressortir que des éléments à charge. Ce faisant, il agit comme un censeur des plus vils, voire un inquisiteur cherchant à produire l'aveu de crimes fabriqués.

Malheureusement, tout l’ouvrage est de cette même eau, trouble et polluée.
Comme s’il avait une intention préconçue de déformer le propos à seule fin de le rendre odieux, et de le discréditer définitivement aux yeux des naïfs qui n’auront pas le courage de vérifier les assertions à l’emporte pièce qu’il balance à tour de bras.
A moins qu’il ne soit passé complètement à côté du message, ce qui n’est pas impossible, tant il paraît encore encombré par ses œillères idéologiques.
Dans les deux cas c’est rédhibitoire pour un philosophe prétendu clairvoyant et honnête…

13 mars 2015

Crise de repères

En France, on sait les politiciens versatiles.
Ceux qui se prétendent de droite, se plaisent à mettre en oeuvre une fois élus, une politique de gauche, et d'aucuns voient chez ceux de gauche au pouvoir, une tendance à promouvoir les recettes libérales…
En définitive, plus personne n’y comprend rien et à force d’être dupés, les électeurs renoncent de plus en plus à se rendre aux urnes. Résultat, le Front National en apparence tout au moins, ne cesse de progresser.
Il lui reste difficile de s’imposer, car il faudrait à lui tout seul qu’il emporte un peu plus de 50% des voix, ce qui semble encore hors de portée, vu qu’il cristallise contre lui la haine vindicative de tous les partis auto-prétendus républicains. Cette suprématie viendra-t-elle ? Nul ne le sait, mais une chose est sûre, ces derniers n’auraient alors que leurs yeux de crocodiles pour pleurer.
A l’instigation machiavélique de Mitterrand, la Gauche a tout fait pour créer et faire enfler le phénomène, et sous l’égide de Jacques Chirac, la Droite a entrepris de lui donner corps et de le radicaliser en clamant haut et fort qu’elle n’avait rien à voir avec lui, tout en exploitant parfois les mêmes thématiques...
Le problème est désormais insoluble et le débat démocratique est durablement envenimé par ces manoeuvres coupables.

Aujourd’hui, Manuel Valls qui n’a vraiment pas grand chose à vanter dans l’action menée par le Président de la République et lui-même, s’énerve puérilement devant la montée de ce qu’il qualifie de péril contre lequel risque "de se fracasser le pays." Belle inconséquence en réalité, puisque lui et les siens n’ont de cesse d’apporter à pleins tonneaux de l’eau au moulin de l’extrême droite.
Et qui confine à la stupidité lorsqu'il attaque notamment Michel Onfray, à qui il reproche de perdre ses repères, au motif “qu’il préfère une idée juste, fut-elle de droite, à une idée fausse même si elle est de gauche, surtout si elle est de gauche.”
Cette tournure de pensée est effrayante, car elle témoigne d’un archaïsme idéologique à peine croyable. Le premier ministre se croit sans doute encore à l’époque où l’on pouvait “préférer avoir tort avec Sartre que raison avec Aron” ou encore mentir effrontément "pour ne pas désespérer Billancourt."

Onfray répliqua en traitant familièrement Manuel Valls de “crétin”, et force est de reconnaître que le qualificatif est approprié, face aux propos incohérents et aux actions contradictoires du chef du gouvernement, même s'il n’est pas le seul à utiliser cette rhétorique ampoulée autant qu’insignifiante, qui dit les choses sans les dire tout en les disant, et en affirmant tout et son contraire.

Quel dommage en somme que Michel Onfray se prétende encore de gauche ! Il a des convictions, il a une certaine droiture et un courage indéniable, dont il fit preuve lors des attentats de janvier dernier, en disant sans détour quelques vérités bien senties au sujet de l'islam radical tandis que le Président de la République et le Premier Ministre soutenaient que les atrocités commises par des gens hurlant « Allah Akbar » n’avaient rien à voir avec la religion musulmane !
Pourquoi resterait-il donc accroché par principe, à cette forfaiture idéologique qu’est le socialisme ? C’est évident, lui le philosophe libertaire individualiste et épicurien pourrait avoir sa place sans trop de peine, parmi les amoureux de la liberté ! Un jour peut-être...
Décidément, les repères sont en crise....

30 avril 2008

C'est Kant qu'Onfray assassine


Michel Onfray a encore frappé. Après avoir tenté d'innocenter Nietzsche, son philosophe fétiche, de toute collusion spirituelle avec le nazisme qui s'en recommandait pourtant, il essaie aujourd'hui dans un essai théâtral, de style pompier néo-sartrien (Le Songe d'Eichmann), de faire porter le chapeau à Emmanuel Kant ! Au motif qu'Eichmann durant son procès, révéla (selon le témoignage d'Hannah Arendt) qu'il fut un lecteur attentif de l'auteur de la "Critique de la Raison Pratique" !
A la base, le fait est que Mr Onfray tolère à l'évidence difficilement qu'on puisse mettre en cause son maître en « athéologie » et en « gai savoir ». Il commence donc par flétrir sans nuance ceux qui colportent cette idée : « Du grand public dit cultivé aux philosophes postmodernes pourfendeurs de Mai 68, compagnons de route du libéralisme et des valeurs du catholicisme, en passant par quelques faux avertis mais vrais fourvoyés, l'auteur de Par-delà le bien et le mal fournirait la svastika, l'incendie du Reichstag, la nuit des longs couteaux, la moustache du Führer, les camps de la mort, les chambres à gaz et l'incendie de toute l'Europe. »
Certes, il paraît très excessif de faire de Nietzsche le responsable désigné de l'infamie qui se réclama de lui, et l'honnêteté exige qu'on ne confonde pas sa vision philosophique avec les monstrueux avatars qui en découlèrent et qui dénaturèrent notamment la notion emblématique de « surhomme ». Il y a infiniment plus de distance entre Nietzsche et Hitler qu'entre Marx et Lénine et Staline.
Mais à lire l'interprétation qu'en donne Onfray lui-même, il est impossible de ne pas s'interroger sur la responsabilité du Philosophe, et sur le pouvoir des mots et des idées. Dans un précédent ouvrage (« La sagesse tragique »), il dépeignait en effet le fameux surhomme de manière plutôt inquiétante, le faisant
évoluer dans un monde « dans lequel les oppositions entre bien-mal, vérité-erreur, responsable-irresponsable n'ont plus de sens », n'éprouvant « ni amour, ni amitié, ni tendresse, ni compassion », et n'étant en définitive, qu'une « bête de proie qui masque sous de multiples figures l'impérialisme de l'énergie brutale et aveugle qui le conduit ».
Passe encore l'indulgence et les faiblesses qu'Onfray manifeste pour son Grand Homme. Ce qui s'avère en revanche intolérable, ce sont les manoeuvres perverses qu'il emploie pour tenter de décrédibiliser et vouer aux gémonies un autre, totalement étranger à l'affaire.
En l'occurrence, vouloir “nazifier” le Kantisme, relève d’un indicible contre-sens (le seul fait de parler de “kantisme” doit d’ailleurs faire se retourner le cher homme dans sa tombe). Quoi de plus éloigné du nazisme que cette magnifique exclamation du sage de Königsberg: « Deux choses emplissent mon esprit d’un émerveillement sans cesse croissant à chaque fois que je les considère : la voûte étoilée au dessus de moi et la loi morale au dedans de moi »
Assimiler Kant, qui fut par toutes ses fibres l’être le plus moral qu’on puisse imaginer, à cette sorte d’amoralité absolue que fut le National-Socialisme, c’est sidérant. Jusqu’où peut se nicher la mauvaise foi…
Il n'est pas besoin d'être grand clerc ni exégète pour affirmer que jamais au grand jamais, Kant ne pensa que quiconque puisse se sentir autorisé à donner à ses actes une portée universelle et à prendre ses désirs pour le souverain bien. Il a recommandé au contraire, qu’avant toute action, on vérifie qu'elle puisse s’inscrire dans le contexte de la loi morale, qu'elle se soumette au célèbre « Impératif Catégorique ». Autrement dit qu’elle soit irréprochable !
Au surplus, Kant fut plus que tout autre, un homme attaché viscéralement à la paix et ses propositions dans le domaine sont à mille lieues de toutes les horreurs dont usèrent les impérialismes païens qui ont ravagé le monde au XXè siècle. S’agissant de son essai sur la Paix Perpétuelle, dont le titre dit assez le dessein, je me permets d’en extraire un passage qui me persuade pour ma part de la nécessité du fédéralisme démocratique (et donc de l’intérêt du modèle américain…) : « Si par bonheur un peuple puissant et éclairé en vient à former une république (qui par nature doit tendre vers la paix perpétuelle), alors celle-ci constituera le centre d’une association fédérale pour d’autres états, les invitant à se rallier à lui afin d’assurer de la sorte l’état de liberté des Etats conforme à l’idée du droit des gens. » Une Europe construite sur ce modèle n’aurait vraiment rien à voir avec le monstrueux empire que l’esprit dérangé d’Hitler voulait forger dans le feu et le sang.
En définitive, Michel Onfray, qui demeure en matière politique, crispé sur des schémas quasi staliniens (il appelle régulièrement à voter pour les candidats de la Ligue Communiste Révolutionnaire), fait une fois encore fausse route en philosophie. Son raisonnement cache derrière un style clinquant, les plus vains sophismes, les plus malhonnêtes assimilations et la plus fallacieuse logique....

23 octobre 2006

La sagesse tragique

Je pensais mal connaître Nietzsche. Je n'avais jamais rien lu du philosophe "hédoniste" actuellement en vogue, Michel Onfray. Excellentes raisons pour me plonger dans l'ouvrage « de jeunesse » de ce dernier, récemment revu et corrigé, destiné à faire un « bon usage » de l'auteur du « gai savoir ».
Je commence par quelques éloges. L'analyse n'a rien d'un pensum ésotérique. Le livre est court et plutôt bien écrit, très accessible, même si le style est parfois un peu emphatique : « avec lui s'ouvre un millénaire de clartés nouvelles : rayons froids et aseptisés qui tombent du chaos primitif et inondent de leur glace les cristallisations provisoires » et la rhétorique expéditive : « le souci nietzschéen consiste à promouvoir Dionysos contre le Crucifié, la Vie contre la Mort »...
Cela étant, ce petit compendium offre une vue assez large mais synthétique sur la pensée touffue de l'homme à la moustache. Il se décompose en deux parties d'allures antinomiques. La première traite de la déconstruction du monde (« Orages négateurs »), la seconde, de la genèse du surhomme, incarnant la volonté de puissance (« la grande santé »).
Onfray n'y va pas avec le dos de la cuiller. Passons sur l'exécution sommaire qu'il fait de la soeur du philosophe, coupable de l'avoir fait inhumer, lui le païen irréductible, sous « une croix d'argent massif », et d'avoir offert sa canne à pommeau à son vibrant admirateur le führer Hitler... De toute manière Nietzsche ne voyait pas « de pire signe de bassesse que de vouloir se sentir apparenté à ses parents ».
J'avoue toutefois que la lecture de ce portrait ne me porte guère à rejoindre le club des laudateurs dont l'auteur fait à l'évidence partie.
La vision du monde selon Nietzsche est proche de l'absurde : « de cette boue brûlante ne sortiront jamais ni ordre ni harmonie, ni sens ni évidence. Le projet Nietzschéen consiste à saisir l'austère rigueur de l'insensé vouloir » !
Un absurde froidement et définitivement athée : « Négativement cette lecture immanente du réel est prolégomène à la mort de Dieu. Elle annonce la bonne nouvelle du Dieu mort ».
Cette acception du monde ne s'embarrasse pas de chercher des preuves à la non existence de Dieu, car il lui suffit de considérer que « l'athéisme est la vérité induite ». Pourquoi ? Tout simplement parce que : « Refuser le réel c'est générer Dieu. L'accepter c'est le congédier. Fin d'une hypothèse. »
Dès lors, il suffit de « comprendre l'existence du monde par l'action d'une puissance dominatrice aveugle. ».
Nietzsche sous la plume de Michel Onfray, c'est donc « l'irreligion pure ».
Mais il a beau faire de ce constat un sujet de réjouissance, en proposant en échange « une cosmologie de la transe », et « des virevoltes dionysiaques » je reste dubitatif.
Dans ce contexte quasi nihiliste, la morale s'effrite et le libre-arbitre est pulvérisé : « lorsque les hommes agissent, ils subissent l'oeuvre de la Volonté de puissance au même titre que l'albatros ou le crapaud. » Du coup il devient naturel de « nier l'altruisme, la sympathie, la bonté, la douceur et la prévenance » et de dire « l'erreur de croire une action bonne ».
Il convient de voir la civilisation « comme cause des névroses » et repenser la notion même d'âme, « invention de l'homme impuissant à s'assumer champ de forces ». In fine, « il n'y a que du corps, l'âme en est l'une des modalités. »
Aucune des préoccupations propres à l'organisation de la vie en société n'a plus d'ailleurs de réelle importance. Mettre cette dernière « à l'abri des voleurs et de l'incendie, la rendre infiniment commode pour le trajet et les transports de toute sorte et transformer l'Etat en une providence, ce sont là des buts inférieurs, médiocres et nullement indispensables. Quand on est l'homme des hautes cimes et des espaces hyperboréens, on ne se préoccupe pas de la basse-cour. »
J'avais peur de trop bien comprendre la nature de l'idée nietzschéenne. Je crains désormais de ne pas m'être trompé et ressens une sorte d'effroi en lisant qu'elle « instille une charge monstrueuse de dynamite dans les interstices des morceaux majeurs de la civilisation. »
Le concept de Surhomme traité ensuite, n'est pas de nature à me rassurer. Il évolue dans un monde « dans lequel les oppositions entre bien-mal, vérité-erreur, responsable-irresponsable n'ont plus de sens », il n'éprouve « ni amour, ni amitié, ni tendresse, ni compassion », il n'est qu'une « bête de proie qui masque sous de multiples figures l'impérialisme de l'énergie brutale et aveugle qui le conduit » et fait de la cruauté l'alpha et l'oméga de toute éthique.
Seule touche un peu détonante, mais presque cocasse et dérisoire, il exprime « son consentement joyeux au monde » par le rire, la danse et l'ivresse, se préoccupe de diététique et pratique l'exercice physique.
Bref après cette description assez apocalyptique on ne s'étonne plus trop que la conception nietzschéenne du monde ait pu souffrir de tant d'erreurs d'interprétations ou qu'on puisse y trouver presque tout et son contraire, sauf évidemment Dieu. Onfray peut bien nous assurer que « le surhomme n'est pas ce fou furieux qui détruit et sème feu et batailles derrière lui », il faut reconnaître qu'il y a de quoi douter.
D'ailleurs on s'étonne qu'il s'étonne de voir le philosophe au marteau « transformé en militariste outrancier, en thuriféraire du nationalisme belliqueux, tout simplement parce qu'il écrit telle ou telle phrase vantant les mérites de la guerre ou des vertus militaires. » ou encore qu'il se lamente des accusations d'antisémitisme portées contre lui au motif qu'il a écrit que « les Juifs sont le peuple le plus funeste de l'histoire du monde »...
En vérité, la responsabilité du philosophe est réelle et son message doit se garder de toute ambiguïté s'il a la prétention de vouloir changer – en mieux, faut-il le préciser - l'existence des hommes. Tant d'horreurs ont été commises au nom d'idéaux nébuleux, exposés souvent brillamment, qu'il paraît urgent de revenir à la vraie sagesse. Depuis Socrate on n'a guère progressé sur ce point hélas.
Pour ma part, j'ai une répulsion certaine pour les théories qui nient avant toute chose l'existence de Dieu et tout autant pour celles affirmant le contraire. D'autant que le plus souvent elles mélangent joyeusement Dieu et religion. Onfray cite Nietzsche : « Le christianisme fut à ce jour la plus grande catastrophe de l'humanité ». En quoi Dieu serait-il responsable de ce que les hommes ont fait en son nom sous cette appellation (ou sous une autre) ?

En ce sens, sans avoir lu ses propres oeuvres, je sais ne pouvoir partager la conception philosophique de Michel Onfray, qui revendique, derrière la notion allégorique d'hédonisme, une triple inspiration : athéisme, anti-libéralisme et gauchisme « libertaire », tendance Besancenot, pour lequel il appela à voter en 2002.
Un philosophe athée m'inspire de la défiance. S'il y ajoute un engagement aussi sectaire et dogmatique que l'adhésion à la Ligue Communiste Révolutionnaire, j'ai tendance à fuir. Au moins Nietzsche se méfiait-il des opinions politiques et notamment du socialisme.
A contrario, j'apprécie chez la plupart des penseurs libéraux (c'est à dire dans mon esprit : libres), l'absence de tout postulat relatif à l'existence de Dieu, car considéré comme superflu pour améliorer la condition humaine. J'apprécie également que le libéralisme ne soit pas une opinion politique ni une idéologie et encore moins une doctrine immanente, mais en paraphrasant le cher Voltaire au sujet de Locke, « qu'au lieu de définir tout d’un coup ce que nous ne connaissons pas, il examine par degrés ce que nous voulons connaître. »