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31 mars 2021

In Memoriam Bertrand Tavernier

Je ne suis pas de ceux qu'on pourrait ranger parmi les aficionados de Bertrand Tavernier (1941-2021). Son cinéma m'a souvent paru un peu lourdingue et les causes pour lesquelles il crut bon de s'engager, un peu trop conformistes.

Il y a toutefois quelques films qui valent le détour, dans lesquels il s'est laissé allé sans trop de scrupules ni de préjugés mais avec le souci tout simple de rendre une atmosphère, un climat, ou de saisir par petites touches le cours fluctuant d'existences plus ou moins contrariées, plus ou moins passionnées. Il en est ainsi des charmantes saynètes familiales d’Un Dimanche A La Campagne, des subtiles notes bleues d’Autour De Minuit, ou de la plongée poisseuse Dans La Brume Électrique du bayou de Louisiane
La télévision nous a donné l’occasion de revoir à l’occasion des hommages rendus au cinéaste récemment disparu, le caustique Quai d’Orsay, un de ses derniers films, daté de 2013.
Cette satire de la vie à la Cour Républicaine met en scène un clone survitaminé de Dominique de Villepin, en pleine crise “lousdémistanienne”, alors que lui et ses conseillers préparent fiévreusement un important discours onusien. Le parallèle avec l'affaire irakienne est clair.
Tiré d’une bande dessinée, ce long métrage peine à en transcrire les ressorts comiques. Mais on ne s’y ennuie pas et, derrière les outrances et le cabotinage jubilatoire de Thierry Lhermitte dans le rôle principal, on trouve une satire de tout ce qui fait la folie française. Lourdeurs bureaucratiques, confusion dantesque des administrations, coutumes protocolaires archaïques, fastes inutiles, et pour finir, grandiloquence et boursouflure dans le verbe à défaut d’action. Tout cela conduit à une théâtralisation grotesque de la vie politique qu'incarnait à merveille le sémillant ministre des affaires étrangères de l'époque, mais dont on retrouve bien des travers aujourd’hui encore, en pleine pandémie de COVID-19.

“Responsabilité”, “Unité”, “Efficacité” sont les 3 piliers idéologiques, plus vrais que nature, autour desquels s’articule la fameuse oraison qui fut prononcée à New York, devant l’aréopage des nations. Elle se voulut point d’orgue de la diplomatie française, et se révéla chef d’œuvre de la vacuité politique !
En cette occasion comme dans beaucoup d’autres, l’État fit le contraire de ce qu’il annonçait pompeusement à la pointe de ses grandes charges rhétoriques, aussi clinquantes que vaines. On vit, en l’occurrence, jetés dans une exaltation féroce à la face des États-Unis d’Amérique, de grands principes, non seulement lâches mais totalement irresponsables, qui contribuèrent grandement à rompre l’unité fragile de la Communauté Internationale. S’ils n’empêchèrent pas au bout du compte, le déroulement d’une intervention militaire rapidement couronnée de succès, ils la rendirent inefficace à long terme, faute d’une détermination unanime des acteurs impliqués. En même temps qu'il avait trahi ses amis, le "vieux pays" avait instillé un poison dévastateur dans les esprits et dans l'opinion publique...
Il est dommage que la critique tourne à la pantalonnade, se limitant en somme à quelques pitreries plutôt bien-pensantes. Le propos est moqueur mais il reste bien aimable, et s’il vise l’homme dans son donquichottisme, il épargne le système, dont on rit mais qui demeure indemne.
Dans ce film, comme dans d’autres, Tavernier aurait pu se faire imprécateur, mais faute d’avoir osé attaquer en profondeur, il est resté dans l’écume, brillant mais éphémère...

22 septembre 2020

Joker pour rien

On croyait avoir à peu près tout vu en matière de super-héros américains. Des bandes dessinées à la morale simpliste aux méga-productions hollywoodiennes consacrant sur écrans géants une mythologie à l’emporte pièce, tout avait été dit ou presque.
C’était sans compter sur l’imagination des scénaristes et sur leur ineffable capacité à s’imprégner puis à refléter les lubies et poncifs de leur époque.
Avec ce nouvel opus, tiré de la légende de Batman, c’est l’anti-héros qui devient le centre de l’intrigue. Et puisqu’on est dans une logique binaire, c’est donc le mal auquel on s’intéresse désormais. Rien d’étonnant dans un siècle où l’on assiste à l'inversion systématique des repères, des dogmes et des canons moraux.

L’ennui, c’est que la transgression des règles et la débauche de moyens techniques s’avèrent parfois impuissantes à produire quelque chose d’intéressant.
C’est exactement ce qui se passe avec ce glauque remake-à-rebours du mythe du justicier chauve-souris. Tout y est grotesque et répugnant. En premier lieu le personnage du Joker qui constitue l’épicentre obsédant de cette sinistre comédie.
La tâche confiée à Joaquin Phoenix contraint ce dernier à se livrer à un épuisant one-man-show où se mêlent dans une sorte de cabotinage dément, rictus effrayants, rires débiles, gesticulations insanes, maquillage outrancier et tenues vestimentaires clownesques ridicules.
On aurait pu espérer un peu de recul pour analyser la déroute des valeurs et la déconfiture du modèle démocratique auxquelles le réalisateur fait lourdement allusion. Au lieu de cela, le scénario s’enlise, au gré de longueurs inutiles et usantes, dans une monstrueuse théâtralisation de la violence urbaine dont l’absurdité est supposée faire écho aux convulsions d’une société rongée par les inégalités sociales, la corruption et la cupidité. Autrement dit, on assiste à une nouvelle resucée du procès du capitalisme libéral. Rien de bien nouveau, et hormis le numéro ébouriffant d’acteur, il n’y a strictement rien à retenir de ce film surfait aux messages simplistes ou incohérents, assénés à coups de marteau pilon.
Pour preuve de l’inanité de l’entreprise, Michael Moore a beaucoup aimé ! A l’instar du célèbre Joseph Prudhomme, ce pseudo-cinéaste “engagé”, grassouillet, conformiste et sentencieux, emblématique de la sottise auto-satisfaite, nous a habitués à enfoncer les portes grandes ouvertes de l’imbécillité bien pensante. Il n’est donc pas étonnant qu’il s’extasie devant ce sanglant racolage, célébrant de manière orgiaque la décadence d’un monde atteint d’une liquéfaction contagieuse des cervelles....

08 août 2017

Un poète très américain

Il aura fallu que Sam Shepard passe l’arme à gauche pour que je découvre son talent d’écrivain. J’ai d’autant plus honte que je connaissais et j’appréciais l’acteur.
Je savais qu’il était l’auteur de nouvelles et de pièces de théâtre, mais j’avais manifesté un navrant manque de curiosité à leur égard.
S'agissant du comédien, on évoque souvent le rôle du pilote supersonique Chuck Yeager qu’il incarna dans le film tiré du roman de Tom Wolfe l'Étoffe des Héros (The Right Stuff). Pour ma part, je me souviens davantage de lui dans les Moissons du Ciel du trop rare Terrence Malick. Splendide fresque rurale dans laquelle l’âpre rugosité du personnage faisait merveille.
Plus récemment, on a pu voir de ci de là (Cogan: Killing Them Softly, Blackthorn, Mud...), rarement hélas dans des compositions majeures, sa gueule de yankee taillée au couteau, percée d’un regard aquilin, et coiffée d’une brosse à poils drus. Même dans de petits rôles il ne laissait pas indifférent. On sentait que ce gars avait une âme bien trempée.
Il fut également l’auteur du scénario de Paris Texas, cette étrange errance mise en images par Wim Wenders, au milieu d’un nulle part imprégné de poisse, de soleil et de poussière, rythmée par la guitare de Ry Cooder tirant opiniâtrement des bends minimalistes mais entêtants.
Cette ambiance faite de petits riens, d’aventures microscopiques, de destins écorchés, de regrets, de solitude et de nostalgie, c’est la substance même de ses nouvelles. Enfin autant qu’on puisse en juger par les Balades au Paradis* qu’avec retard j’ai fini par entreprendre.
Un style cru et dépouillé, évoquant parfois Steinbeck pour conter des histoires très courtes, partant d’une anecdote souvent infime, parfois sans queue ni tête, sans début ni fin, mais qui mettent l’âme humaine à nu. En quelques traits incisifs, parfaitement maîtrisés, l’écrivain, comme un peintre, dessine une impression indélébile plus vraie que nature. C’est l’essence d’une bonne littérature, celle qui se déguste comme une liqueur où les arômes le disputent à l’acidité, mais dont chaque lampée vous chauffe les boyaux.
Sam Shepard n’est plus, mais ce héros discret d’une Amérique sauvage et libre, laisse l'empreinte d’un authentique poète...
* Balades au paradis (Cruising Paradise). Sam Shepard. Laffont Pavillon Poche.

10 octobre 2014

Michael Cimino, dantesque et dérisoire

En dépit de la rareté de ses films, Michael Cimino laissera son nom c'est certain dans l'histoire du cinéma, ne serait-ce que par la boursouflure incroyable de son expression et de ses ambitions. Et un peu sans doute aussi parce que cette funeste propension le mena au désastre... Un désastre certes flamboyant, mais un désastre quand même, avec en fin de compte, un indicible gâchis. Parti de l'enfer, il crut un peu vite arriver au paradis. N'est pas Dante qui veut...
Précisément, son Voyage au bout de l'Enfer portait déjà pour qui voulait les voir, les symptômes annonciateurs de cette incommensurable folie artistique. Pour quelques scènes impressionnantes voire terrifiques, que de longueurs inutiles, que d'interminables tergiversations, que de scènes ennuyantes ! Et finalement pour ne rien dire ou quasi sur le fond...
Sans doute l'encensement un tantinet excessif de ce film fut pour le réalisateur le pire des cadeaux. Dopé par une gloire subite, il crut pouvoir s'affranchir de toute contingence susceptible de brider son inspiration. Le résultat fut cette lourde Porte du Paradis, colossal navet, qui consterna les critiques autant que le public, et ruina ses producteurs en même temps que sa propre réputation.
A la fois splendide et décadent, sublime et nullissime, il désarme la critique, tant il s'apparente à un morceau de bravoure totalement vain. Un fantastique coup d'épée dans l'eau en somme.
Pour celui qui a le courage de résister à ce torrent narratif de plus de trois heures trente, tel qu'il est présenté à l'occasion de sa sortie en DVD/BLURAY que reste-t-il ?
Ce récit est bien loin de revisiter l'histoire de l'Amérique comme on le lit parfois, notamment en France où l'on connaît si mal ce pays. Le cinéaste est certes parti de faits réels, à savoir un obscur épisode de la lutte opposant propriétaires et voleurs de bétails dans le Wyoming, à la fin du XIXè siècle, mais il les a déformés de manière monstrueuse, cherchant à l'évidence, à leur donner la dimension épique d'une légende. Il tenta dans un effort désespéré de conférer à ces événements crapuleux une double symbolique grandiloquente, où se télescopent sur un champ de bataille héroïque, la haine viscérale de l'étranger en même temps que la brutalité sauvage de la lutte des classes. Bref, tout le contraire de l'essence américaine, fondée précisément sur l'immigration et le melting-pot, et sur une société sans classes et sans privilèges.
Sans doute Cimino avait-il à l'esprit le fameux Autant en emporte le vent, mais la portée dramatique de la guerre de Sécession était toute autre, et ce qu'en fit Victor Fleming fut autrement moins manichéen, et surtout plus subtil, plus humain, plus intense, et in fine, beaucoup plus grandiose.
Cimino s'est fourvoyé donc totalement dans son rêve d'épopée. Sans doute parce que son histoire ne tient pas debout, mais plus encore parce qu'il n'est pas parvenu à donner à ses personnages la puissance émotionnelle qui pourrait en faire des héros. Aucun des trois personnages principaux ne suscite la moindre sympathie, la moindre compassion, ni pour tout dire le moindre intérêt. L'histoire d'amour qui les relie est des plus glauques et décousues et ils errent dans ce tourbillon insensé comme des zombies à la fois prédéterminés et versatiles. Isabelle Huppert profite de son rôle de femme de petite vertu pour exhiber ses formes avantageuses. Mais elle n'exprime aucun sentiment même lorsqu'elle pleure. Kris Kristofferson manifeste une exquise et hautaine indifférence à tout ce qui l'entoure. Il ne s'en départit qu'à la fin mais l'essentiel est déjà joué. Seul Christopher Walken parvient à jeter un certain trouble sur le personnage ambigu et contradictoire qu'il incarne de manière inquiétante.
Le reste n'est qu'une mêlée confuse d'où émergent tantôt de magnifiques paysages, tantôt de somptueuses scènes de foules (la fameuse scène violon-patins à roulettes), et une reconstitution admirable de l'ambiance d'une époque, qui sauvent au moins sur la forme ce foisonnant bouillonnement cinématographique. Cimino se consolera un peu en voyant quelques snobs un peu attardés se mettre après coup, à crier au chef d'oeuvre...
Ce billet fait suite à la publication fin 2013 en Bluray/DVD, d'une nouvelle version "longue" du film, après un nouveau montage et une restauration complète.

18 décembre 2011

Entre Grâce et Nature, un grand vertige...


Il est bien difficile d'aborder d'un œil critique le cinéma de Terrence Malick. Il ouvre parfois des portes magnifiques, mais pour les passer, il faut être initié et si patient, si attentif, qu'on craint toujours de manquer ce qui se cache derrière...
Ses trois premiers longs métrages s'inscrivent dans une superbe ascension. La Balade sauvage affirmait d'emblée mais dans un style assez brut, le conflit farouche dans lequel devait s'inscrire toute la carrière du cinéaste : à savoir, l'affrontement terrible entre la cruauté, parfois la violence de la destinée humaine, et la beauté sublime et mystérieuse de la nature. Les Moissons du Ciel donnait à ce questionnement un lyrisme et une ampleur époustouflants, qui devait culminer avec le chef d’œuvre de la Ligne Rouge. Sur la toile de fond infernale de la guerre, vibraient avec une prégnance lumineuse, aérienne, ces interrogations existentielles, voire métaphysiques.
Malheureusement après ce coup de maître, la suite devenait problématique. Le Nouveau Monde fut une sorte de douche froide. La grâce subtile du propos devenait tout à coup artificieuse. Le discours lumineux s'abîmait dans la niaiserie et les somptueuses images n'étaient plus que l'illustration fade et maniérée d'un récit trop empreint de mièvrerie.
C'est dire l'appréhension qui pouvait étreindre le spectateur avant de voir le dernier opus de cet artiste si singulier.
Autant le dire tout de suite : en dépit de beaucoup d'efforts, Malick ne parvient pas dans ce Tree Of Life, à renouer avec la magie de la Ligne Rouge. On retrouve bien sa patte si particulière : prises de vues très travaillées, angles inhabituels, plans statiques ou d'une lenteur extatique, nature omniprésente, scènes aquatiques, voix off interrogeant l'indicible, personnages un peu étrangers à leur propre destinée, ou porteurs d'une symbolique envahissante...
Ici s'intercalent en plus, et de manière pour le moins incongrue, des séquences censées sublimer le spectacle sauvage et inouï de la nature. Elles sont certes magnifiques, mais la résonance de ces visions lyriques avec le destin simple d'une famille "sans histoire", perdue au fin fond du Texas, paraît quelque peu décalée. C'est peu dire qu'on passe du coq à l'âne. On se croirait soudain plongé dans un documentaire à prétention écologique et les scènes de début du monde, notamment celles intégrant des dinosaures, semblent franchement hors sujet, et diluent singulièrement la force du récit.
D'autant que les personnages auxquels le scénario nous ramène par épisodes, errent dans un continuum spatio-temporel plus que fluctuant. Le présent, le futur, le passé s'entremêlent, parfois dans la même scène, et l'attention se disperse à force de chercher à recoller les morceaux de ce puzzle éthéré, ou d'essayer de comprendre la symbolique des rôles, supposés incarner tantôt "la voie de la grâce", tantôt celle "de la nature..."
Jessica Chastain, la mère de famille, qui personnifie délicieusement la première, déploie un charme indéniable mais un peu lointain et inconsistant. Ses robes très fifties sont toutefois d'une grande élégance (on songe parfois à Maggie Cheung dans In The Mood For Love). Brad Pitt, le père, guindé dans un froid stoïcisme, quant à lui se cantonne à un registre très conventionnel, voire parfois caricatural. De leur côté, les enfants que Malick cherche à montrer au plus près de leurs jeux, de leurs émotions, manquent de naturel et de spontanéité. Incarnant l'un d'eux devenu adulte, Sean Penn est parfaitement absent. C'est le problème majeur de ce film : les êtres humains semblent n'être que des mirages. Ils n'ont pas de substance. On dirait même qu'il n'ont pas de chair...
Au total, ce film reste à côté de ses gigantesques ambitions. Certaines scènes familiales ne manquent pas de poésie, les images sont toujours splendides, mais l'ensemble est trop décousu, trop hermétique, trop boursouflé pour que l'objectif soit atteint. Gardons toutefois espoir : Terrence Malick n'a peut-être pas dit son dernier mot...

29 avril 2010

Katyn, pour l'Histoire


Ce film terrible signé Andrzej Wajda est édifiant à plus d'un titre.
Il montre tout d'abord la tragédie de la Pologne, abandonnée de tous, et sacrifiée, dès le début de la seconde guerre mondiale, aux effroyables ambitions de ses deux ogres de voisins, national socialiste d'un côté, socialiste soviétique de l'autre.
A la faveur de l'ignoble pacte germano-soviétique, le pays sera déchiré en deux dès septembre 1939. Comme son drapeau, dont on voit les soldats de l'Armée Rouge arracher une moitié pour en faire un fanion rouge tandis qu'ils nettoient leurs bottes avec l'autre moité, blanche...
Il a fallu 70 ans pour qu'enfin soit porté à l'écran le récit de ce massacre de toute l'élite militaire polonaise par le NKVD, au printemps 1940. Plus de 22.000 hommes lâchement abattus comme des animaux, d'une balle dans la nuque, pour l'unique raison qu'ils étaient suspects d'hostilité au communisme.
Andrej Wajda montre dans une mise en scène épurée, sobre, le caractère affreusement planifié de ce génocide. Il montre aussi la forfaiture ignominieuse qui a consisté non seulement à cacher cette élimination massive, mais à en faire porter la faute aux Allemands et à tenter d'inculquer par la force ce mensonge à un peuple martyr et asservi. Non content de ces ignominies, en 1944, Staline qui se disait l'ami des Polonais, laissera les derniers combattants d'une résistance héroïque se faire anéantir à Varsovie par les Allemands, sous les yeux de l'Armée rouge à laquelle il avait ordonné de ne pas bouger.
La puissance des images est ici bouleversante. Du début à la fin l'émotion est dans chaque plan, sourde, retenue, tant les personnages incarnent avec force cette sorte de dignité fataliste et désespérée devant un destin paraissant scellé. Même les quelques actes de rébellion semblent dérisoires, face à la gigantesque machinerie qui était en train de disséminer partout son infâme réseau. Évidemment l'horreur des exécutions est difficilement soutenable. La dernière image est particulièrement poignante, qui montre un visage s'anéantissant sous la terre charriée par le bulldozer pressé de recouvrir les traces du carnage. Car vers le pâle soleil printanier qui disparaît en même temps que le souffle de la vie, cet homme supplicié tend une main crispée sur un chapelet. On sait le rôle que jouera 80 ans après ce drame, le pape polonais Jean-Paul II pour desserrer enfin l'étau mortel et redonner l'espérance à ce peuple...
Ce film est essentiel pour l'histoire car il montre les méthodes implacables des extrémistes du socialisme. La brutalité sans le moindre état d'âme ici en action, est la même qui organisa la famine meurtrière de 6 millions de personnes en Ukraine lors de la collectivisation des terres en 1932-33, celle qui fit mourir des millions d'opposants dans des goulags, qui massacra tant de Chinois, de Cambodgiens, de Vietnamien, de Coréens, de Cubains... La liste est longue des exactions commises au nom de l'anti-capitalisme et d'une prétendue justice sociale dont certains cherchent toujours à convaincre du bien fondé, en termes si intolérants qu'ils font froid dans le dos.

Egaux en monstruosité, le nazisme et le communisme ne furent toutefois pas jugés avec la même impartialité. Si l'Allemagne a expié ses horribles forfaits, l'URSS et tous les régimes « frères » ont longtemps joui d'une honteuse indulgence. Pendant des décennies, une incroyable connivence de nombre d'Occidentaux avec l'idéal socialiste a permis d'occulter les crimes odieux commis au nom de cette idéologie. Churchill et Roosevelt eux-mêmes, qui savaient toute la vérité dès 1943 sur Katyn, ordonnèrent qu'on la tut pour de sordides raisons politiciennes... (seul le premier ministre anglais avoua par la suite cette lâcheté).
Aujourd'hui encore les faits sont bien souvent édulcorés, minimisés ou à peine réprouvés du bout des lèvres. Il faut espérer que le film de Wajda fasse date pour l'histoire, autant que tous les témoignages sur la Shoah, pour que jamais plus ces horreurs ne se reproduisent.

La mort au cours d'un accident d'avion du président polonais Lech Kacsynski et de toute une délégation, venus rendre hommage aux victimes des massacres, contribue à renforcer le sentiment dramatique attaché à ce sombre épisode...

Photo : memorial pour Katyn à Baltimore (Maryland, USA) aimablement communiquée par Jeff Schraeder. 

10 octobre 2009

Un Moghol très libéral


Je ne connaissais pas bien l'histoire de l'Inde. J'avais vaguement entendu parler de la dynastie des Moghols mais j'étais loin de réaliser qu'ils étaient les artisans de l'unification en un seul gigantesque pays, de la multitude de petits royaumes belliqueux qui s'étendaient jusqu'au XVè siècle d'Ouest en Est, entre le Sind et le Bengale et du Nord au Sud entre le Cachemire et le Dekkan. Je n'imaginais pas non plus que l'islam avait très largement inspiré tous ces conquérants.

J'ai découvert une partie de cette aventure fortuitement, grâce à un film indien récent prêté par un bon ami.
Issus des studios de Bombay (communément désignés du nom de Bollywood), ce long métrage, de plus de 3 heures, est une excellente surprise. Réalisé par Ashutosh Gowariker il démontre la grande maitrise acquise dans le 7è art par l'Inde et la puissance narrative impressionnante de certaines réalisations, quasi impensable désormais en Occident.
La magnificence des images est absolument époustouflante et colle littéralement le spectateur à son siège. La mise en scène au cordeau déroule de spectaculaires scènes de bataille à dos d'éléphants, et montre un univers chatoyant, fait de foules colorées, de costumes chamarrés et de palais rutilants. Les décors sont évidemment très chargés, mais ils gardent toujours une esthétique de bon goût et de très grande classe.

Le récit, épique et passionnant, relate le règne d'un monarque surprenant, Jalaluddin Muhammad Akbar (1542-1605). Septième descendant de Tamerlan, musulman comme ses prédécesseurs, et grand conquérant, il fut surtout un puissant rassembleur et un souverain très éclairé. Il manifesta notamment une ouverture d'esprit assez extraordinaire pour l'époque. Après la régence brutale de Bairam Khân, il accéda au pouvoir à 18 ans après s'être débarrassé de son encombrant et rétif mentor. Dès lors, il entreprit une œuvre fabuleuse, faisant en quelque sorte écho à la Renaissance qui éclatait à la même époque en Europe.
Il commença par réduire les rébellions permanentes des tyranneaux alentour (Bihar, Bengale, Goujerat, Balouchisthan, Sind, Orissa), scella une forte unité avec les autres plus sensés (Rajasthan), et institua un gouvernement fort mais décentralisé. Avec l'aide de conseillers judicieusement choisis, il créa des institutions solides, mit sur pied une brillante politique économique qui amena la prospérité à son royaume. Surtout, il fut attentif à la diversité des populations qui constituaient son empire. En matière religieuse tout particulièrement, il institua la liberté de culte, interdit les conversions forcées, les circoncisions rituelles avant que l'enfant n'ait atteint un âge lui permettant de donner son avis (12 ans), et mit fin aux impôts qui frappait les pèlerinages non musulmans. Il proposa même une sorte d'incroyable syncrétisme spirituel autour des valeurs de plusieurs religions : islam, hindouisme, christianisme, Jainisme, boudhisme, Zoroastrisme, resté sous le nom de
Din-I-Ilahi.
Se heurtant à la rigidité des traditions il fut confronté comme dans tout grand drame historique, à des trahisons au sein de sa propre famille et dut affronter vers la fin de sa vie les révoltes de son propre fils, qui allait lui succéder à sa mort.

Le réalisateur choisit de faire de l'union - très politique - d'Akbar avec la princesse Jodhaa, hindoue d'origine rajput, le centre de l'intrigue. Il en fait une belle histoire d'amour associant avec bonheur, tact, pudeur et noblesse des sentiments. Les acteurs de cette fresque étonnante sont très bons, et les deux héros sont au surplus d'une beauté radieuse. Leur jeu n'a rien d'outrancier ou de stéréotypé, bien au contraire. A voir absolument pour la splendeur du spectacle et une vision originale et très réconfortante de l'islam.

08 novembre 2008

Au dessous du Volcan


Il y a quelques semaines sortait enfin en DVD un titre très attendu. Rarement en effet, on ne vit oeuvre littéraire portée à l'écran avec autant de bonheur et de pertinence, que ce parcours halluciné tiré du roman de Malcolm Lowry (1909-1957).
John Huston
(1906-1987) parvint à le sublimer sans en dénaturer l'esprit, grâce à une mise en scène parfaitement maîtrisée, à la fois rigoureuse et profondément poétique.
Il faut préciser qu'il fut aidé par des acteurs littéralement habités par leurs personnages, en particulier Albert Finney et Jacqueline Bisset.
A la veille de la seconde guerre mondiale, au Mexique, à Cuernavaca, non loin du monumental Popocatepetl, on suit le combat aristocratique mais désespéré, livré par un consul britannique désabusé, à la fin d'une carrière chaotique, contre tous les démons existentiels « qui chargent de leur poids l'existence brumeuse ». Autant dire qu'incommunicabilité et impossibilité d'être constituent les ressorts principaux de ce sombre récit...
En resserrant l'intrigue sur trois personnages principaux et en lui conférant une implacable chronologie, le cinéaste magnifie tout en la disciplinant, la forêt de symboles que forme le livre de l'écrivain anglais.
Cette luxuriante descente aux enfers prend en effet une signification aigüe, tout en conservant l'exubérance et la magie originelles. Le Mexique est omniprésent dans ses excès, ses arcanes, et sa magnificence, à la fois mystique (la fête des morts), brutal (les sinarquistes), indicible (une veille femme jouant aux dominos avec un coq), et vulgaire (le nain cupide et libidineux).

Dans ce monde qui s'écroule et qui chatoie, imitant les frondaisons illuminées d'une jungle baignée de soleil, Geoffrey Firmin porte sa solitude et ses remords comme une tunique de Nessus, tissée des aléas de la vie. Le poison est dans toutes ses fibres, au sens propre comme au figuré : l'alcool ronge son corps, l'incurable spleen dévore son intellect et jusqu'à son énergie amoureuse.
Toutes les tentatives que fera Yvonne, son admirable épouse, pour le comprendre et le reconquérir, se briseront sur cet irrémédiable fatum. Yvonne est résignée. Elle se sait entrainée sans retour mais elle essaie de trouver la force de remonter le courant. Jusqu'au bout elle veut croire que quelque chose peut encore contrarier le destin et lui redonner l'espoir de jours apaisés. Quand elle comprend qu'il n'y a rien à faire c'est déjà trop tard... La vie est tragique, l'amour est désespéré, c'est bien là le fin mot de cette histoire à l'envoûtant parfum de déchéance mortifère.

Autour de ce sombre karma, Hugh le troisième larron, le frère et peut-être un peu l'amant, vibrionne comme les désirs, illusions, et petits soucis qui peuplent la vanité de l'existence. Il résonne de l'actualité du monde, il est en mouvement, passe le plus clair de son temps en voyages et croit se passionner pour les grands problèmes de son temps. Il est pétri de bonnes intentions mais son âme est pâle et inconsistante. Même s'il semble percevoir par instant le drame qui se noue, il lui reste extérieur.
Revisité par Huston, au crépuscule de sa vie, ce récit est d'une limpidité biblique et d'une force tragique digne du théâtre antique. Il illustre parfaitement l'adage qui veut que les chants les plus désespérés soient aussi les plus beaux.
A ceux qui auraient été rebutés ou désarmés par la touffeur du livre, il est recommandé d'aborder un tel chef d'oeuvre par le biais de ce film exceptionnel. Ils en sortiront profondément et durablement bouleversés.

04 septembre 2008

Des souris et des hommes, et de l'Irak...


Les grands écrivains savent avec peu de mots dépeindre dans toute leur plénitude et leur complexité les passions humaines, et leur propos s'élève parfois jusqu'aux cimes de la plus haute philosophie. John Steinbeck (1902-1968) fait partie de ces élus qui possèdent ce talent. Avec un langage rustique et des histoires sans détour, il donne une dimension tragique inégalée à ses romans.
Des souris et des hommes
est un récit simple. Trop simple peut-être pour les amateurs d'intrigues alambiquées ou de métaphysique en forme de jus de cervelle. Pourtant, l'histoire de George et de Lennie est de celles qui s'impriment en profondeur dans la conscience du lecteur et qui ne le quittent plus de sa vie.
L'itinéraire rustique, plein de sueur et de poussière de ces deux cul-terreux est exemplaire. Il est fait de presque rien en apparence, tout au plus une amitié dérisoire dans l'Amérique profonde des immensités agricoles au début de l'ère industrielle, entre un géant débile et un raté astucieux que tout oppose a priori et qu'un fil mystérieux relie pourtant à la vie à la mort.. Il n'est pas difficile de voir en filigrane à travers leur destinée, quelques unes des plus poignantes problématiques humaines.
Il y a tout d'abord l'espoir. Pas celui de grandes perspectives ou d'ascension sociale grandiose. Non tout juste celui de posséder un jour un petit lopin de terre, une petite maison bien à soi et quelques animaux domestiques...C'est cette espérance qu'on voit luire merveilleusement dans les yeux naïfs de Lennie quand il s'imagine donner à manger à ses lapins. Pauvre Lennie ! Si gentil et en même temps si gauche, si maladroit, si inconscient de sa force, qu'il casse tout ce que la vie lui donne. C'est toute la symbolique du désir qui s'exprime dans ses mésaventures. Combien de fois dans la vie, la réalisation même du désir se solde par une profonde déception...
Evidemment, là réside la cause du drame, qui s'avère aussi inéluctable que celui qui sous-tend une tragédie antique. Malgré toute la tendresse que George porte à son compagnon d'infortune, malgré tous les efforts qu'il fait pour le maintenir à peu près droit dans le chemin de la vie, le malheur viendra briser leur rêve trop inaccessible.
A travers cette histoire édifiante, on perçoit ce qu'est le sens du devoir et comment il surpasse même les sentiments d'amitié et de pitié. Car en dépit de ses échecs, George est un gars bien. Confronté au terribles bévues de Lennie, il ira jusqu'au bout de ses engagements et de ce qu'il considère comme étant son devoir. Sa détermination et son courage son impressionnants. Il n'agit pas tant par amitié que parce qu'il est convaincu qu'il s'agit de la seule alternative humainement possible. C'est la mission la plus difficile de sa vie, mais il ne peut la confier à personne d'autre. Il a bien vu comme le vieux Candy a regretté de n'avoir eu le cran de faire lui-même ce que les circonstances lui imposaient.
Au surplus, si justice doit être rendue, George veut qu'elle soit absolument dénuée de tout sentiment de vengeance, de toute passion, de toute méchanceté. Et lui seul peut en être garant. Ce drame est aussi celui de la solitude. Solitude terrible du héros de western...
J'ai trouvé pour ma part dans ce récit, un formidable gisement de réflexions, applicables à quantité de situations. Au fil de l'eau, j'ai pensé à des sujets très actuels, sur lesquels le raisonnement est parfois lacunaire ou caricatural : vieillesse, solidarité, discrimination, self-government, euthanasie, peine de mort...


C'est tout le mérite de Gary Sinise d'avoir réussi en 1992, à transcrire de manière crédible à l'écran cette oeuvre si dense. Le ton est remarquablement juste, sans fioriture, mais d'une belle authenticité. John Malkovich est d'une vérité saisissante dans le rôle de Lennie. Sinise un peu lisse, est tout de même très convaincant dans celui de George. Les personnages secondaires, en particulier celui de Candy sont épatants. Et l'ensemble est filmé sobrement, mais magnifiquement.
Gary Sinise est un personnage plutôt discret. Des souris et des hommes est sa seule réalisation significative. Il s'est illustré comme acteur dans nombre de films et dans la fameuse série « les Experts ». Dans les coulisses de sa carrière d'acteur, il s'implique avec modestie et humilité dans des actions caritatives. Lui qui paraît-il était opposé à l'intervention américaine en Irak, s'est investi avec Laura Hillenbrand, pour créer une association destinée à porter secours aux enfants irakiens et aux soldats qui les assistent sur le terrain (Operation Iraqi Children). Cette action a été saluée et soutenue par le président Bush, auquel l'acteur a finalement rendu hommage après avoir été reçu à la Maison Blanche : "The president was very, very grateful to everyone here. It boosts the morale for everyone here. Some have lost sons and husbands, and just knowing that he's aware of the program and wants to do everything he can to support the program and get the word out -- that's the important thing."

17 novembre 2007

L'esthétisme glacé de Stanley Kubrick


Entre deux tranches de révolution russe, dans lesquelles le bolchevisme passerait presque pour une douce praline, et une resucée aigre de repentance, sortie des barils usés de la « collaboration franco-allemande», Arte distille en ce moment une grande rétrospective consacrée à Stanley Kubrick (1928-1999).
Le mélange très kitsch des genres, qui constitue la marque de fabrique de la petite chaîne culturelle, donne l'occasion de réévaluer l'importance réelle de ce réalisateur hors norme. Et de constater hélas comme a mal vieilli cette oeuvre dans l'ensemble assez boursouflée.
Si l'on résume la période Noir et Blanc du cinéaste au film le plus célèbre, Docteur Folamour, on ne peut être qu'affligé. Bien qu'il soit encore souvent qualifié de « farce irrésistible et désopilante », avec le recul du temps il relève surtout de la caricature grotesque. Le triple jeu de Peter Sellers est ridicule. Le savant fou est particulièrement gratiné dans le genre. Si certains parviennent à rire aux érections intempestives en forme de salut hitlérien, du bras mécanique, ils ne sont vraiment pas difficiles. Bref objectivement, l'ensemble se hisse à peine au niveau d'une pochade telle Mars Attacks, en beaucoup plus prétentieux...
On pourrait évidemment s'appesantir davantage sur les autres réalisations de cette première période. Certaines ont des qualités (Ultime razzia notamment), mais elles ont de toute manière largement été éclipsées par les films tournés en couleur.
En dépit du caractère assez hermétique du message qu'ils véhiculent en règle, ces derniers ont tous été largement encensés à la fois par la critique et par le public.
En gloire, 2001, l'Odyssée de l'Espace est probablement celui qui domine cette production. Près de 40 ans après sa création il garde une place éminente dans les mémoires. Pour un film de science-fiction c'est une prouesse exceptionnelle. La réalisation extrêmement soignée, la crédibilité des décors et de l'intrigue, qui n'exclut toutefois pas la dimension philosophique voire métaphysique, le choix judicieux de l'ambiance musicale, tout se conjugue pour faire de ce film un véritable chef d'oeuvre.
A côté de ce spectacle impressionnant, les autres longs métrages paraissent presque falots, à l'exception notable de Shining, totalement sublimé par la composition extraordinaire de Jack Nicholson. Mais ni la violence théâtralisée d'Orange Mécanique, ni la beauté glacée de Barry Lyndon, ni les outrances de Full Metal Jacket ne parviennent à ébranler le mythe de l'aventure cosmique de 2001. Il y a trop d'artifice et de complaisance dans le premier, de mièvrerie et de longueurs monotones dans le second, et pas assez d'humanité ni de hauteur de vue dans le troisième.
C'est en somme un peu la faiblesse de Kubrick. Incontestablement il possédait une grande maîtrise technique, un style original et une vraie vision esthétique, mais il lui manquait la sensibilité qui lui aurait permis de leur conférer une vibration émotionnelle. Son art, qui consista le plus souvent à adapter à l'écran des livres écrits par d'autres, reste ainsi souvent froid, sans âme, comme désincarné. Le pire étant hélas son dernier opus Eyes Wide Shut dont le propos oiseux s'enlise interminablement dans une mélasse rococo de fort mauvais goût.
Stanley Kubrick restera donc au moins l'homme qui donna au film de science fiction ses lettres de noblesse. Ce n'est déjà pas si mal. D'ailleurs, le silence intersidéral convient en somme assez bien à ce cinéaste dont la destinée solitaire et ombrageuse n'est pas sans évoquer le loup de Vigny : « A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse, seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse »

08 août 2007

Raisons d'Etat


Un obscur agent des services secrets américains, est partagé entre les exigences de son pays et celles de sa famille. Ambiance de complot permanent, scènes en clair-obscur, dialogues à mots couverts, sentiments en demi-teintes et secrets d'alcôve. Robert de Niro crée une atmosphère. Mais hélas celle-ci s'étire interminablement, épuisant le spectateur en incessants flashbacks, et en intrigues confuses. Matt Damon est plus inexpressif que jamais et autour de lui, pas un personnage ne se détache de la triste grisaille dans laquelle se noue un drame un peu dérisoire. La reconstitution des années de plomb de la guerre froide est très soignée, mais il y a au moins une heure de trop dans cette satire pesante des méthodes de la CIA. D'autant qu'elle n'apprend pas grand chose sur le fonctionnement de ce type d'administration et compte beaucoup de clichés et d'invraisemblances.

03 août 2007

Profession cinéaste


Avec la disparition de Michelangelo Antonioni (1912-2007), c'est à mon sens un des trois piliers du cinéma italien de l'après-guerre qui s'écroule. Les deux autres, hélas déjà tombés, étaient Fellini (1920-1993) et Visconti (1906-1976). Tous trois, quasi contemporains, ont exploré des voies très différentes, mais complémentaires.
Visconti, a mis en scène la sublime et douloureuse décomposition de la beauté et le naufrage grandiose des hautes aspirations. Comme on tire le Sauternes capiteux et magnifique de la pourriture noble du raisin, il magnifia en esthète la déchéance tragique de la vie.
Fellini obsédé par la laideur et les excès du monde transcenda ces masques grimaçants pour en extraire la quintessence de l'être humain. Ses spectacles sardoniques et truculents n'étaient en quelque sorte que la transmutation comique du désespoir.
Quant à Antonioni, ce furent l'absurdité de l'existence, l'infini de la solitude, et le mystère de la disparition qu'il entreprit de décortiquer au moyen de sa caméra inquiète. On cite souvent la scène finale de Profession Reporter. Elle constitue une tentative originale pour exprimer l'inexprimable. Un sentiment d'étrangeté tranquille. La vie est là tout autour qui bruisse dans l'encadrement de la fenêtre. Mais elle s'inscrit dans une indicible absence. Celle que nous portons tous au fond de nous et à laquelle nous préférons le plus souvent ne pas penser...

30 juillet 2007

Le dernier roi d'Ecosse

Forest Whitaker fait une composition époustouflante dans ce film de Kevin McDonald, qui retrace l'accession au pouvoir d'Idi Amin Dada en Ouganda. La présence et le charisme de l'acteur parviennent même à rendre parfois sympathique ce tyran à la cervelle d'enfant. Car ce géant est une brute infâme, mais il est capable d'une chaleur et d'une candeur touchantes. Il constitue l'archétype de ces chefs d'état immatures et sans scrupule qui promettent à leur peuple un rêve magnifique, et le leur font vivre sous forme d'un épouvantable cauchemar. L'originalité du récit consiste à prendre pour témoin de ce drame, un jeune coopérant écossais en quête d'aventures, devenu par un cocasse enchaînement de circonstances, le médecin personnel du Néron d'ébène. A travers lui c'est tout l'angélisme occidental qui s'exprime. D'abord séduit, impressionné par l'animal il devient vite dubitatif quoique indulgent, puis réprobateur, et pour finir mais un peu tard (300.000 morts sur une population d'à peine 10 millions d'habitants...), franchement écoeuré.
La réalisation est impeccable, trépidante, et hormis deux scènes, évite le voyeurisme trop gore, pour privilégier l'analyse en profondeur d'un phénomène dépassant l'entendement.

Au moment de terminer cette série d'annotations filmographiques, un mot pour les deux éminents représentants du monde du cinéma qui viennent de disparaître quasi simultanément :
Michel Serrault tout d'abord, qui virevoltait avec grâce sur ce microcosme depuis des décennies. Un inimitable sens de la dérision et un humour décapant mâtiné d'un brin de cabotinage, resteront la marque de cet acteur de génie. Le détachement avec lequel il semblait considérer son métier et d'une manière générale la vie, était probablement une façade derrière laquelle il cachait ses secrets, ses questionnements, sa foi. Mais, à force d'avoir joué de pirouettes, à force d'avoir voulu être là ou on ne l'attendait pas, il risque peut-être de laisser le souvenir d'un dilettante. Bah, après tout cela n'était qu'un jeu...

Ingmar Bergman, c'était tout le contraire. La stature austère d'un chirurgien de l'âme, torturé par le mystère de l'existence, par la solitude, par l'incommunicabilité des émotions. Probablement un artiste gigantesque. Mais qui regarde encore des films aussi obscurs et mutiques que le Septième sceau, Le Silence, La Source, L'Oeil du Diable, ou Cris et Chuchotements ? Qui s'intéresse encore à ses peintures existentialistes de la vie conjugale ? Le monde, emporté dans un quotidien de plus en plus matérialiste n'a plus grand chose en commun avec cette lenteur introspective. Avec la disparition d'Ingmar Bergman c'est une porte sur l'âme humaine qui se ferme...

Love the hard way

Une impossible histoire sentimentale dans les bas fonds de New York, sur fond de délinquance à la petite semaine. Le sujet n'est pas nouveau. Les décors sordides, les malfrats minables, plus déjantés que dépourvus de morale; les lofts crasseux et les bagnoles déglinguées. Tout ça a déjà été vu et revu. Bien que la réalisation de Peter Sehr soit très honorable, cette tragique odyssée amoureuse dans la fange vaut surtout par son casting. Adrien Brody fait une composition originale de voyou triste, dont le coeur oscille entre la poésie de Jack Kerouac et le vide nihiliste. Son visage émacié, ébouriffé, long comme un jour sans pain, fait contraste avec le gentil minois de Charlotte Ayanna illuminé par deux yeux bleu transparent. L'ensemble fait un bon film, assez éprouvant tout de même à force de masochisme et d'abjection.

Mauvaise foi

En dépit des invraisemblances d'un scénario un peu à l'eau de rose, on adhère sans peine à cette bluette optimiste qui cherche à marier des opposés a priori inconciliables. Roschdy Zem démontre une certaine maîtrise dans la mise en scène, et réussit bien notamment à donner un peu d'épaisseur psychologique aux personnages secondaires ce qui est suffisament rare pour être mentionné. Il se donne évidemment le beau rôle, qu'il interprète avec brio, mais c'est incontestablement Cécile de France qui, avec sa fraîcheur et sa candeur délicieuse, donne la petite touche qui fait sortir ce film de l'ordinaire.

Célibataires

Cette comédie « sociétale » a bien du mal à décoller. Les trois quarts du film se traînent péniblement. Le scénario est inutilement alambiqué, glauque, vulgaire, et décousu. Les personnages sont franchement antipathiques. Heureusement une embellie finit par surgir dans ce cloaque désespérant et la fin, classique mais bienvenue, laissera aux spectateurs qui auront le courage d'aller jusqu'au bout un souvenir pas trop mauvais.

Bobby

Malgré un casting impressionnant, le réalisateur Emilio Estevez ne parvient à faire de ce prétentieux long métrage, qu'un pâle et inodore navet. Censé mettre en scène le dernier jour de la vie du sénateur Robert Kennedy, il s'éparpille durant près de 2 heures, en vains conciliabules au sein des habitants de l'hôtel où le candidat à la primaire démocrate, doit tenir une réunion politique le soir même. Aucun personnage n'accroche l'attention, et leurs minuscules problèmes n'éveillent pas le moindre intérêt. Quant à Kennedy lui-même, on ne fait que l'entrevoir par instants, à partir de scènes de foules filmées à l'époque. On l'entend également, débiter quelques phrases plutôt creuses et démagogiques, notamment sur la guerre du Vietnam, que son frère avait entreprise quelques années auparavant... Bref, ce tragique jour de juin 1968 s'enlise dans les sermons bien pensants et la guimauve « progressiste ». Il n'y a aucune analyse de ces évènements, aucun recul sur leur signification. Et c'est dans cette ambiance molle et alanguie, que le meurtre surgit comme une gifle, ramenant brutalement ce microcosme nombriliste à la réalité du monde.

Le voile des illusions

D'après Somerset Maugham, la douloureuse histoire d'une relation amoureuse impossible dans la Chine des années vingt au siècle dernier. Les tensions sont partout. La montée du nationalisme face àaux ingérences étrangères, les ravages du choléra dans un pays voué au culte des esprits plus qu'à celui de l'hygiène, et surtout les déchirements dramatiques d'un jeune couple de la gentry britannique formé trop vite, sans passion ni vraie affection. Contre toute attente, dans cet univers hostile peuplé de paysages sublimes mais où chaque jour apporte de nouveaux périls, l'homme distant et ombrageux et la femme volage et infidèle vont finir pas se trouver vraiment.

Il faut une certaine patience pour suivre cet éprouvante et mélodramatique rédemption tant elle est bridée par une froide pudeur et tant elle charrie de préjugés masochistes. Mais le jeu très sobre et subtil des acteurs, l'impeccable reconstitution historique, en font un spectacle digne de cet effort.

Le parfum

Au spectacle de ce diabolique parfumeur qui s'échine à extraire l'essence des femmes pour en distiller le parfum absolu, on songe évidemment au docteur Frankenstein qui voulut bâtir l'Homme idéal à partir d'un chimérique assemblage de cadavres. Dans les deux cas le rêve fou se transforme en descente aux enfers et c'est la tristesse et la désolation qui s'imposent en lieu et place de l'amour et de la beauté.

Les aventures de Jean-Baptiste Grenouille, issues de l'imagination tordue du romancier Süsskind, paraissent toutefois sordides face au désespoir prométhéen de Frankenstein, et ses bricolages monstrueux tiennent davantage de la lubie d'un serial killer sans état d'âme que d'un grand dessein romantique.

Même si la réalisation léchée du film peut opérer une certaine séduction, il est impossible d'adhérer à cette sorte de macabre passion. En fait de divine fragrance, on perçoit surtout les pestilentiels remugles qui émanent de l'univers miasmatique dans lequel évoluent des personnages falots et antipathiques. L'histoire très statique, traîne en longueur. Et lorsqu'elle s'achève, dans une grotesque transe orgiaque, on ressent avant tout un immense écoeurement.

02 juillet 2007

Un cinéaste bien excentrique


David Lynch est un cinéaste déroutant, capable du meilleur comme du pire. Le ressort de ses films réside tantôt dans l'émotion la plus simple et la plus poignante, tantôt au contraire, dans l'étalage vain de procédés et d'artifices, au service de mystères plutôt frelatés. Avec Blue Velvet, par exemple c'est la seconde option hélas qui s'impose. En dépit d'un délicieux accompagnement musical et d'une affiche séduisante, cette histoire est bien consternante. Derrière une sorte de théâtralisme laqué censé créer une ambiance mystérieuse, le scénario s'avère plat et artificiel. Les personnages sont vides d'émotion et leur jeu est plutôt laborieux. L'ensemble est certes soyeux mais sans accroche.
Pour Mulholland Drive, le cinéaste puise au même tonneau de chimères. La mise en scène est somptueuse, les images superbes, les actrices et acteurs excellents, la musique envoûtante. Pourtant on reste sur sa faim. Car le film qu'on imagine narratif au début, dans le style noir, évoquant l'excellent " LA confidentials ", bascule un bref moment dans la violence décalée genre Tarantino, puis dérape brutalement et définitivement dans le délire le plus total, rappelant " une nuit en enfer " de Rodriguez.
Qu'un film vous déstabilise, voilà qui n'a rien de dérangeant, bien au contraire, lorsque le propos reste captivant. Mais lorsqu'on s'aperçoit que les retournements de situations ne sont que des incohérences accumulées, on finit par se lasser. Le chaos stérile qui règne dans toute la seconde partie de ce long métrage, en limite considérablement l'intérêt. L'impression la plus forte qui s'impose, c'est que D. Lynch avait dans la tête le début de son film, mais hélas pas la fin. Il en fait des tonnes pour tenter de faire croire à la complexité, à l'originalité, multipliant les chausse-trappes, les faux semblants et les pseudo indices, mais tout ceci n'aboutit à rien d'autre qu'à l'exaspération avec laquelle on ressort, après plus de deux heures d'efforts pour comprendre… qu'il n'y a rien à comprendre !
Ces reproches qu'on pourrait adresser également au baroque et déjanté Dune par exemple, à l'insensé road movie Sailor et Lula, ou encore au très anarchique et boursouflé Lost Highway, sont toutefois totalement hors de propos pour deux films vraiment décapants : Elephant Man et une Histoire Vraie. Ce sont assurément les plus bouleversants dans cette oeuvre inimitable (les deux, étant d'ailleurs tirés d'histoires vraies).

A partir d'un sujet scabreux pour le premier, dans une ambiance lourde et austère, filmée en noir et blanc, Lynch tire une fable bouleversante sur la souffrance humaine, sur la misère d'être né différent. Aucun artifice ne vient polluer ce récit dramatique, transcendé par le sublime adagio de Barber qui lui sert de bouleversante toile de fond musicale.
Pour Elephant Man comme pour une Histoire Vraie, le cinéaste, dont on connaît la propension à divaguer, voire parfois à délirer, apparaît ici comme fasciné, captivé par les faits qu'il raconte. Il resserre en conséquence son discours et contraint sa caméra pour capturer sans artifice l'émotion à fleur de peau. Et cela donne de purs et inoubliables chefs d'oeuvres.
Et comme John Hurt, bien méconnaissable, fait une composition extraordinaire dans Elephant Man, Richard Farnsworth incarne le personnage principal d'une Histoire Vraie avec une densité fabuleuse.
Sitôt acclimaté à l'univers décalé de cette épopée singulière, on tombe en effet irrésistiblement sous le charme de ce vieillard entêté qui au soir de sa vie, entame envers et contre tout une stoïque remontée de son passé pour tenter d'en effacer les actes manqués et en apaiser les meurtrissures. Et pour renouer in extremis avec un frère moribond, les liens magiques de l'enfance, brisés par des années de disputes largement arrosées d'alcool.
Ce pèlerinage expiatoire que d'autres feraient sur les genoux jusqu'à la Vierge Noire de Rocamadour, il choisit de l'accomplir, lui, en dépit d'affreux rhumatismes, de manière cocasse et pathétique, sur plusieurs centaines de kilomètres, à cheval sur le seul et unique véhicule à sa portée, une dérisoire tondeuse à gazon.
Cela confère à ce film une simplicité évangélique. On songe parfois, le long de cette longue route, au bord des immensités sauvages, à la solitude sublime qui sous-tend les films de Terence Malick.
Indiscutablement un grand classique, solide et beau comme une tragédie antique.
Rien que pour ces deux joyaux, et en dépit de ses excentricités, David Lynch mérite donc une place à part au Panthéon du cinéma.