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18 août 2006

La route de la servitude

On ne sait trop pourquoi, le libéralisme fait si peur à quantité de gens. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce qui n'est rien d'autre que l'incarnation de l'esprit de liberté, engendre pour un grand nombre de personnes une terreur irrationnelle, une sorte d'effroi panique incontrôlable.
En le rejetant, c'est pourtant une des plus belles aspirations humaines à laquelle on renonce, celle « d'Erasme et de Montaigne, de Cicéron et de Tacite, de Périclès et de Thucydide... »
A toutes ces personnes inquiètes, la lecture de Friedrich Hayek peut être une révélation tant sa vision des choses paraît humble, naturelle et dénuée d'artifice. Tant elle tient de l'évidence, à condition de n'avoir pas trop de préjugés.
Pour l'économiste d'origine autrichienne, prix Nobel en 1974, fondateur de la Société du Mont-Pèlerin, « la route de la servitude », c'est celle qui attend les gens qui préfèrent à la liberté, le pouvoir «absolu, prévoyant, régulier et doux » de l'Etat. C'est le destin de ceux qui s'en remettent corps et âme au « Plan » pour organiser leur vie.
Cet ouvrage fut écrit en 1943, au moment où le monde était déchiré par de sanglants conflits d'idées. Par bien des aspects, il reste d'une vibrante actualité. Avec des mots simples et des exemples tirés de la vie quotidienne, Hayek mettait en garde contre les méfaits de la planification étatique et montrait qu'il faut avoir confiance dans la liberté.

Le planisme est l'outil commun des idéologies collectivistes : socialisme, communisme, nazisme, fascisme
L'ouvrage est dédié « aux socialistes de tous les partis. » Même si cette interpellation sarcastique peut paraître étonnante, voire choquante pour certains, elle se justifie tant les collectivismes se ressemblent, au moins par les moyens utilisés pour parvenir à leurs fins : quasi négation de l'individu et de son entourage familial, asservissement du peuple au Parti et planification centralisée, rigide.
Les récents aveux de Günther Grass éclairent d'un nouveau jour ces similitudes. Cet homme, qui incarne depuis plusieurs décennies, la « Gauche morale », avoue avoir été séduit à 17 ans, par le modèle de justice et de progrès sociaux proposé par le national-socialisme.
Il faut dire qu'on a tellement glosé rétrospectivement sur l'horreur irrationnelle du nazisme, qu'on a fini par oublier ses racines socialistes, et sa nature idéaliste...

Cela étant, ce qui est en question ici, ce ne sont pas les desseins à proprement parler de ces mouvements, mais les moyens qu'invariablement ils mettent en oeuvre pour les accomplir. Car ils se révèlent pervers et n'aboutissent en règle qu'à produire l'inverse de qui était attendu.
Ainsi le planisme s'avère l'outil commun, indispensable aux sociétés trop inféodées à une idéologie. Le drame, c'est qu'il « mène à la dictature parce que la dictature est l'instrument le plus efficace de coercition et de réalisation forcée d'un idéal. »

On pourrait croire que le socialisme moderne qui se veut respectueux de la démocratie soit parvenu à éluder le problème, mais il n'en est rien, s'il veut rester fidèle à son idéal, par essence totalitaire : « Les socialistes se placent sans s'en rendre compte, devant une tâche que seuls peuvent exécuter des hommes durs, cruels, prêts à bousculer toute barrière morale. »
Les exemples de tels hommes pullulent dans l'Histoire contemporaine.
Toutefois, « beaucoup de socialistes ont fini par comprendre qu'ils ne pouvaient mettre en pratique leur idéal qu'à l'aide de méthodes que le socialisme réprouve... » Et devant ce dilemme, plutôt que de tenter une nouvelle fois d'installer un régime totalitaire, ils se résignent à édulcorer leur projet, à le fondre dans quelque chose de moins effrayant : la « social-démocratie. »
Mais Hayek ne considère pas qu'un destin meilleur soit garanti. La démocratie, même si elle est souhaitable, n'est pas la panacée : « Sous le gouvernement d'une majorité homogène et doctrinaire, la démocratie peut s'avérer aussi tyrannique que la pire des dictatures. »
Si le socialisme de nos jours accepte souvent les règles de la démocratie, il ne peut complètement accepter la liberté qui normalement va de pair avec elle. Il continue de rejeter le plus souvent avec horreur le libéralisme et n'a de cesse de proposer des réglementations, des interdits et des contraintes. On peut donc sans en déformer la signification, reprendre les mots de Tocqueville, et là où il parlait de démocratie, y substituer le libéralisme : « Le libéralisme étend la sphère de l’indépendance individuelle, le socialisme la resserre. Le libéralisme donne toute sa valeur possible à chaque homme, le socialisme fait de chaque homme un agent, un instrument, un chiffre. Le libéralisme et le socialisme ne se tiennent que par un mot, l'égalité ; mais remarquez la différence : le libéralisme veut l'égalité dans la liberté, et le socialisme veut l’égalité dans la gêne et dans la servitude. »
En définitive, les temps changent mais le constat reste : le planisme, en faisant de l'Etat le centre décisionnel de la vie des gens se condamne lui-même et comme le déplorait déjà Hölderlin : « Ce qui fait de l'État un enfer, c'est que l'homme essaie d'en faire un paradis... »
On comprend dès lors que pour éviter cette perspective, Hayek conseille vivement de se rallier à la conception simple de l'Etat, énoncée par Tocqueville : « Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. »

Le planisme n'apporte ni l'équité, ni la sécurité, ni la justice sociale
Le planisme par nature restreint la liberté, au profit prétendu de l'équité et de la sécurité collective.
Hayek démontre que dans ce jeu pervers, le gain est chimérique tandis que la perte est bien réelle et désastreuse, car rien ne peut vraiment remplacer la liberté, et ce n'est qu'après l'avoir perdue qu'on en mesure l'importance.
Il rappelle à ce sujet l'avertissement solennel de Benjamin Franklin : « Ceux qui sont prêts à abandonner des libertés essentielles contre une sécurité illusoire et éphémère ne méritent ni liberté ni sécurité. »
On peut aller plus loin et condamner ceux qui incitent à se défier de la Liberté, en la présentant comme source d'immoralité ou de précarité et ceux qui discréditent l'argent au motif qu'il corrompt, qu'il aliène :
« L'école et la presse ont inculqué à notre jeune génération l'habitude de considérer toute entreprise commerciale comme suspecte, tout profit comme immoral. » On en vient à considérer « qu'employer une centaine de personnes équivaut à les exploiter, tandis que commander le même nombre d'individus est une tâche honorable. »
La liberté devient dans ces descriptions fallacieuses, « un état extrêmement précaire, où l'on est méprisé en cas de réussite autant qu'en cas d'échec. »
Résultat, « On n'est pas surpris de voir affirmer par un nombre toujours plus grand de gens que la liberté ne vaut rien sans la sécurité et qu'ils sont prêts à sacrifier la première à la seconde. »

Pourtant il n'est pas nécessaire de chercher loin pour conclure que le planisme est incapable de garantir une vraie « justice sociale ».
Si l'abolition de la propriété privée et l'objectif de l'égalité totale semblent désormais irréalisables ou non désirables, celui consistant à tendre vers une plus grande équité est toujours fièrement revendiqué. Pourtant, il n'est d'aucun secours aux dirigeants du Plan pour leurs décisions, tant il est vague et abstrait. Ce but suggère en effet « de prendre aux riches autant que possible. » Mais lorsqu'il s'agit de distribuer le prélèvement ainsi effectué, le problème demeure, tel que le décrivait John Stuart Mill : « Les hommes capables de soupeser chacun, comme dans une balance, et d'attribuer, selon leur bon plaisir et leur appréciation, aux uns plus, aux autres moins, de tels hommes devraient soit descendre de surhommes, soit être soutenus par une terreur surnaturelle. »
Autrement dit, « le monde dans lequel le riche est puissant n'est-il pas meilleur que celui dans lequel seul le puissant peut acquérir la richesse ? »

Quant à l'argent, si vil et maléfique, on entrevoit aisément les conséquences, « si l'on acceptait de faire ce que proposent maints socialistes, à savoir remplacer le mobile pécuniaire par des stimulants non économiques. Si l'on se met à rétribuer le travail non pas par l'argent mais sous forme de distinctions honorifiques ou de privilèges, d'attribution d'un pouvoir sur d'autres ou par de meilleures conditions de logement ou de nourriture, par des possibilités de voyage ou d'instruction, tout cela signifie une nouvelle restriction de la liberté. »
En réalité, à l'évidence, l'argent n'a pas les tares dont on l'accuse; au contraire, il s'avère « un des plus magnifiques instruments de liberté que l'homme ait jamais inventé. » puisqu'il offre à l'individu la possibilité d'en faire ce que bon lui semble. Son seul défaut, c'est d'être trop rare pour le commun des mortels...

La sécurité enfin, n'est guère mieux lotie dans une société planifiée: « Plus on tente d'assurer une sécurité complète en intervenant dans le système du marché plus l'insécurité augmente. »
Ce qu'on apporte à certains, on le retire mathématiquement à d'autres. C'est ainsi qu'avec les meilleures intention du monde, on en arrive à créer des rentes de situation, des niches artificiellement protégées tandis qu'on aggrave les difficultés de ceux qui n'en peuvent bénéficier.
En réalité le planisme n'aboutit souvent qu'à distribuer des prérogatives et des prébendes: « L'amateur de paysages champêtres qui veut avant tout préserver leur apparence et effacer les insultes faites à leur beauté par l'industrie, tout autant que l'hygiéniste enthousiaste qui veut démolir les chaumières pittoresques et insalubres ou l'automobiliste qui veut voir partout de bonnes routes bien droites, le fanatique du rendement qui désire le maximum de spécialisation et de mécanisation, et l'idéaliste qui au nom des droits de la personne humaine veut conserver le plus possible d'artisans indépendants, tous savent que leur but ne peut être totalement atteint que par le planisme, et c'est pourquoi ils veulent le planisme. Mais l'adoption du planisme qu'ils revendiquent à grands cris ne peut que faire surgir le conflit masqué qui oppose leurs buts. »

Le libéralisme à l'inverse n'a aucune raison de favoriser tel ou tel groupe humain. D'ailleurs, le voudrait-il qu'il ne le pourrait pas, puisque par nature, il n'en a pas le pouvoir.
Au surplus, « il est significatif que l'argument le plus courant contre la concurrence consiste à dire qu'elle est « aveugle ». Il est peut-être opportun de rappeler que pour les anciens, la cécité fut un attribut de la divinité de la justice. La concurrence et la justice n'ont peut-être rien d'autre en commun que le mérite de ne pas tenir compte des considérations personnelles. »

Si le planisme se caractérise par un carcan organisationnel, cela ne signifie pas que la société libérale doive s'affranchir de règles générales. L'Etat peut par exemple légitimement contrôler et réglementer certaines productions nuisibles (toxiques par exemple) ou encore limiter la durée du travail sans que cela ne menace la concurrence ni la liberté. Il peut même sans les entamer significativement, décréter un revenu minimal de subsistance ou instaurer un régime de protection contre la maladie.
« D'une manière générale, chaque fois que la communauté peut agir pour atténuer les conséquences des catastrophes contre lesquelles l'individu est impuissant, elle doit le faire. »
Simplement, « Il n'y a rien dans les principes du libéralisme qui permette d'en faire un dogme immuable; il n'y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées et recourir le moins possible à la coercition. »
Si le libéralisme est basé sur la conviction que la concurrence est le meilleur moyen de guider les efforts individuels, en aucun cas il ne s'agit d'un laisser faire dogmatique. Il ne nie pas mais au contraire réclame, pour que la concurrence puisse jouer un rôle bienfaisant, « une armature juridique soigneusement conçue ».

Le planisme n'a rien d'inéluctable, même dans un monde complexe
Pour Hayek, il y a une chose révélatrice : peu de partisans du planisme centralisé le décrivent comme « désirable ». En revanche, « la plupart d'entre eux affirment que nous ne pouvons plus choisir, et que nous sommes contraints par des circonstances échappant à notre volonté de substituer le planisme à la concurrence. »
Les transformations techniques ont pour eux rendu « la concurrence impossible dans un nombre croissant de domaines », ne laissant le choix qu'entre « la production par des monopoles privés et la direction par le gouvernement. » et imposant « de recourir à la coordination d'un organe central pour éviter que la vie sociale devienne un chaos. »
Pourtant, « L'histoire intellectuelle des soixante ou quatre-vingts dernières années illustre parfaitement cette vérité qu'en matière d'évolution sociale, il n'y a d'inévitables que les choses qu'on pense être inévitables. »
« Le contrôle et le planisme ne présenteraient pas de difficulté dans une situation assez simple pour permettre à un seul homme ou un seul conseil d'embrasser tous les faits. Mais lorsque les facteurs à considérer deviennent si nombreux qu'il est impossible d'en avoir une vue synoptique, alors, mais alors seulement, la décentralisation s'impose. »
Autrement dit, plus le monde devient complexe, et plus il a besoin de la concurrence et de la liberté.

Dans un même ordre d'idée, la complexité du monde et les exigences de rentabilité ne rendent pas impérative ni nécessaire la constitution de monopoles. Les gains immédiats sont en effet éphémères.
Le planisme et la centralisation ne conduisent à faire baisser le coût des biens qu'au prix d'artifices, c'est à dire soit une restriction de la liberté soit une uniformité de ces biens : « On pourrait concevoir que l'industrie automobile britannique arrive à produire une voiture moins chère et meilleure qu'aux Etats-Unis à condition que tout le monde en Angleterre soit décidé à se servir du même modèle. »
L'expérience l'a montré maintes fois, la production étatique et le regroupement industriel sous la forme de trusts s'avèrent à long terme coûteux et stérilisants en terme d'invention et de progrès.
A contrario, « le prix immédiat que nous avons à payer pour la variété et la liberté du choix peut parfois être élevé mais à la longue le progrès matériel lui-même dépendra de cette variété. »
« Cela signifie que si nous voulons conserver la liberté, nous devons la garder plus jalousement que jamais et être prêts à faire des sacrifices pour elle. »

Le planisme est source de tensions internationales
Lorsqu'il se projette dans le contexte des relations internationales, Hayek y trouve des arguments supplémentaires pour rejeter les organisations rigidement planifiées.
« Il n'y a pas de grandes difficultés à planifier la vie économique d'une petite famille dans une communauté modeste. Mais à mesure que l'échelle grandit, l'accord sur les fins diminue et il est de plus en plus nécessaire de recourir à la force et à la contrainte. »
Non seulement la mise en cohérence de plusieurs organisations nationales intangibles serait délicate, mais il y a fort à parier qu'elle supposerait à un moment où à un autre un accroissement des tensions. « Au lieu d'une lutte toute métaphorique entre concurrents, on aurait affaire à un conflit de forces, avec transfert des rivalités que les individus règlent normalement sans recourir à la force, à des Etats puissamment armés échappant à toute loi supérieure. »
En bref, « on ne peut pas être juste, ni laisser les gens vivre leur vie si c'est une autorité centrale qui distribue les matières premières, répartit les marchés, si tout effort spontané doit être approuvé, et si l'on ne peut rien faire sans l'autorisation de cette autorité centrale. »

Hayek n'est toutefois pas opposé au principe d'une autorité supra-nationale. Il juge même que cette dernière pourrait « contribuer énormément à la prospérité économique », à condition qu'elle « se contente de maintenir l'ordre et de créer des conditions dans lesquelles les peuples puissent se développer eux-mêmes », qu'elle aide « autant que possible les peuples pauvres à reconstruire leur vie et à élever leur standard de vie ».
Il souhaite donc un organisme dont le pouvoir « serait essentiellement d'un caractère négatif » , pour surtout dire « non » à toutes sortes de mesures restrictives. »
Il l'imagine dotée de pouvoirs réels car « il ne peut pas y avoir de lois internationales sans un pouvoir capable de les faire respecter », mais elle devrait être avant tout « conçue de manière à empêcher les autorités nationales ou internationales de devenir tyranniques. »

Suit un vibrant plaidoyer pour le fédéralisme qui garantit dans les meilleures conditions le respect des intérêts de chacun dans une perspective de progrès commun : « La fédération est l'application de la méthode démocratique aux affaires internationales, la seule méthode de transformation pacifique que l'homme ait inventée. »
« L'avantage du fédéralisme est de rendre le planisme nuisible difficile, tout en ouvrant la voie au planisme nécessaire. »
« Notre but ne doit être ni un super-état tout-puissant, ni une association lâche de « nations libres », mais une véritable communauté de nations composées d'hommes libres. »
« Nous gagnerons tous à créer un monde dans lequel les petits États puissent subsister. »